Phrases lâchées sans une once de timidité, il tiqua toutefois au son de sa voix, à ce  « je » suspendu comme ça. Son regard la questionna, mais il n'eut pas besoin de plus pour voir que ses joues avaient pris quelques couleurs ici et là. Un joli rouge qu'il aimait bien voir s'étaler, mais il ne savait plus trop si ça lui faisait de l'effet ou si ça la gênait. Il n'osa pas l'interroger, préféra faire comme si rien ne s'était passé, histoire d'éviter que tout finisse par de nouveau s'ébranler. Après tout son intention n'était pas de la voir s'en aller, il trouvait seulement que c'était simple de lui parler sans rien avoir à cacher. Bon signe quand on savait qu'il avait longtemps tu qui il était, de peur d'être mal jugé. De son dos la main fut retirée, autant pour la laisser souffler que lui permettre, à lui, de boire quelques gorgées qui avaient eu le temps de perdre quelques degrés. Lilia put goûter à la crêpe sucrée et trouva même l'ingrédient secret. Ouais, bon... Je peux dire adieu à mon projet d'être un jour un grand chef étoilé, ria-t-il en s'apercevant qu'il s'était trompé ; il ne pouvait même pas espérer être un bon cuisinier, le nouveau régime qu'on lui avait programmé à cause de sa maladie était une tare qu'il ne savait même pas qualifier.

Regard perdu en direction des inconnus, Ji-hun ne les voyait pas spécialement, mais ce fut le point de repère de l'instant. Il fut traversé par des pensées teintées de sérénité et il ne put s'empêcher de l'exprimer ; c'était une magnifique soirée. Acquiescement de la brune à ses côtés qui l'empêcha de rêver plus longtemps, tête posée contre son poing il l'observa d'abord silencieusement. Ouais..., laissa-t-il en suspens, apportant une nouvelle fois le gobelet entre ses dents, moi aussi. Le réveil sonnera tôt et il partira au galop. Petite course à pieds pour bien entamer sa journée avant de rentrer, manger et se préparer pour aller bosser. Et chaque jour ça se répétait. Routine qu'il appréciait parce que c'était de sa passion qu'il vivait, et bosser beaucoup lui permettait de ne pas être conscient de tout ce qui se tramait. De son père pour lequel il était inquiet, de l'insuffisance rénale qui progressait, de ses papiers qui s'étaient peut-être égarés... Les minutes s'étaient écoulées dans un silence qu'il avait adoré, concentré sur ses traits pendant que les dernières bouchées étaient englouties, par elle et par lui aussi. T'es prête, je te raccompagne, glissa-t-il avant de se lever avec tous les déchets pour les jeter.

La lune n'était pas pleine au-dessus des silhouettes qui, l'une près de l'autre, se tenaient. Sous les lampadaires, les ombres se chevauchaient, bien plus liées que les deux corps qui se battaient pour ne pas se gêner. L'abri de bus n'était pas très loin, encore moins pour les grandes jambes du brun. Il ralentit quand il se rendit compte des grands pas qu'il faisait : désolé, l'habitude. Il fit avant qu'un rire ne soit soufflé ; cela ne les empêcha pas de vite arriver à l'endroit où il devait la déposer. Il n'y avait que dix minutes à patienter, quelques personnes attendaient. Il va probablement y avoir beaucoup d'arrêts, constata-t-il sur le plan contre lequel son épaule s'appuya. Son attention se reporta sur Lilia, inquiet de la laisser avec tout ce qui traînait, avec la drogue qui circulait, mais il ne l'en avisa pas. Par contre, il proposa : tu m'as pas mal invité à dormir chez toi, alors si ça te paraît trop long, que t'as envie de te poser après ta journée, sache que je peux t'héberger, ça ne me dérange pas. Une option qu'il ne fallait pas négliger, même si elle avait assez répété qu'elle était grande et n'avait pas besoin d'être protégée.

Il semblerait que Ji-hun ait encore une fois réussi à faire rougir la brunette avec ses paroles qui firent battre son petit cœur. La discussion continua tranquillement, teintée d'un mélange d'émotions et des dernières bouchées de leurs douceurs. Une petite blague lancée lorsque le sujet se tourna vers les talents culinaires, un domaine où Ji-hun semblait douter de lui-même. Auparavant, Lilia lui parlait toujours de son intérêt à cuisiner ensemble, à partager des recettes et à lui donner des conseils pour s'améliorer. «Peut-être que si je suis ton commis ça marchera ? A la ratatouille, tu connais ?» Elle savait qu’il n’était pas adepte de tous les films et dessins-animés alors elle préférait demander.

Les dernières douceurs furent ensuite savourées dans un silence serein, chacun perdant ses pensées dans le calme apaisant de la soirée. Leur regard se croisa et se perdirent dans l’admiration de leurs traits en silence avant que Ji-hun ne le rompe pour proposer de la raccompagner, puisque la demi-heure était presque écoulée et qu’elle était trop fatiguée pour marcher, après la longue journée qu’elle venait d’enchaîner. Alors qu'ils marchaient vers l'abri de bus, Lilia se sentait partagée entre la douceur de la nuit et une pointe d'anxiété face à la perspective de la séparation imminente. Elle sentit le rythme des pas de Ji-hun s'adapter au sien. «C’est ça d’avoir de petites jambes.» Elle apprécia l’effort malgré sa grande taille.

Encore dix minutes d’attente mais les arrêts allaient être encore plus long, rien que l’idée fatiguait encore plus la jeune femme. Elle hocha donc la tête lorsque Jay constata les arrêts et soupira. Mais lorsqu'il mentionna la possibilité de l'héberger pour la nuit, Lilia sentit une vague de chaleur reconnaissante l'envahir. Elle se redressa pour lui faire face, puisqu’elle ne s’attendait pas à ce genre de proposition. Son regard croisa le sien, mais elle ne savait pas trop quoi faire. Était-ce réellement raisonnable ? Elle voulait crier mille oui mais quelque chose l’en empêchait «Je… C’est vraiment gentil de ta part de te proposer comme ça Jay, mais je ne voudrais pas déranger…» Finit-elle par lui avouer. Ce n’était pourtant pas ce qu’elle aurait dû lui dire.

Ji-hun ne connaissait pas la ratatouille, drôle de mot qu'il n'essaya pas de répéter de peur que sa langue s'embrouille. Ça avait été longtemps des plats préparés ou des plats mijotés par les restaurants d'à côté, aujourd'hui il fallait qu'il suive un régime spécifié par le nutritionniste qui le suivait et, pour tout avouer, il ne l'avait pas vraiment commencé ; déni des faits, il ne voulait pas voir que sa santé se dégradait. De toute façon pas motivé à cuisiner, il ne savait pas si avoir un commis lui suffirait. Il ne s'attarda pas sur cette pensée, préféra plonger ses rétines sur les traits du visage de la jeune femme à ses côtés, c'était bien plus intéressant de profiter de ce qui lui était donné que de réfléchir à ce qui pourrait bien se passer après. Le futur n'avait d'intérêt que pour ses projets, le présent comptant bien plus que n'importe quel autre temps. La crêpe et la gaufre furent mangées, mets qu'ils continuèrent à partager parce que ça leur plaisait d'avoir ce lien invisible se dessiner. Après ce dernier mois à s'être complètement éloignés, il y avait bien des choses à rattraper – à renouer – même si ce ne sera jamais comme ils l'avaient peut-être un jour espéré.

Ils partirent en direction de l'arrêt de bus qui mènerait la demoiselle à son appartement, grands pas devinrent plus petits quand Ji-hun comprit qu'il marchait un peu rapidement. Ça ne leur permit toutefois pas de mettre en pause le temps, celui-ci s'évapora et ils se mêlèrent bientôt aux gens qui attendaient aussi là. Plan regardé, nombreux étaient les arrêts, et la nuit était tombée, moults personnes elle pouvait rencontrer et peut-être de celles mal intentionnées. Les rues de Boston n'étaient pas sûres en ce moment, ça ne rassurait pas le plus grand. Comme elle l'avait très souvent fait, il lui proposa de l'héberger, mais elle préféra refuser. Ouais, ne t'en fais pas, je comprends, dit-il tout en souriant. Combien de fois n'avait-il pas voulu la déranger, patientant qu'elle vienne à l'inviter ? Ça avait été son cas, alors il ne lui en voulut pas. Et puis ton livre et ton plaid ne seraient plus tes amis si tu te permettais de leur poser un lapin, plaisanta-t-il. Parfois, on était quand même bien mieux chez soi. Discussion qui se digira vers les détails de sa prochaine journée, du contrat d'assistant qu'il avait récemment signé.

Ji-hun expliquait la dernière fois qu'il était entré dans un sas de décompression quand les phares du bus firent au loin leur apparition. Les dix minutes étaient passées plus vite qu'il ne l'aurait souhaité. Avant que le véhicule ne vienne à s'arrêter, le doctorant se permit de demander : Tu m'envoies un message dès que t'es rentrée. Pour le prévenir qu'elle était bien arrivée. Tu peux la garder, parla-t-il de l'écharpe qu'il lui avait prêtée, tu en as plus l'utilité. Tu me la rendras quand on se reverra. Et ainsi ele n'aura pas le choix.

Ji-hun n’a jamais eu une relation intime avec la cuisine, Lilia l’a appris alors durant les mois où ils avaient fait plus amplement connaissance. Une connexion qu'il avait longtemps laissée de côté, dépendant souvent des plats préparés ou des restaurants. Les deux jeunes doctorants partagèrent ensuite les dernières bouchées de leurs desserts, savourant ce moment de complicité retrouvée. Ils se mirent en route vers l'arrêt de bus, marchant au rythme des pas de la petite brunette, lui offrant ainsi un temps pour penser et pour s'immerger dans l'instant présent.

Lilia ne s’attendait pas à cette invitation de la part du jeune homme. Lorsque ce dernier lui proposa de l'héberger pour la nuit, la brunette sourit doucement, touchée par son attention mais refusa gentiment son offre. Peut-être une autre fois. Alors que le bus approchait, Ji-hun lui demanda de lui envoyer un message une fois rentrée, une demande empreinte de prévenance. Elle acquiesça avec un sourire chaleureux. «Bien sûr, je te préviendrai dès que je serai chez moi. Et ne t'en fais pas pour l'écharpe, je la garderai bien au chaud jusqu'à notre prochaine rencontre.» Dit-elle en laissant échapper un léger rire. Lilia appréciait la prévoyance et la sollicitude de Ji-hun à son égard, reconnaissant dans ces petites attentions sa volonté de prendre soin d'elle. Elle attendit patiemment que le bus s'arrête, prête à rentrer chez elle, gardant le sourire en se sentant reconnaissante d'avoir partagé ce moment avec Ji-hun. La porte du bus s’ouvrit, elle déposa deux baisers sur ses joues avant de s’immiscer à l’intérieur.