Cela faisait vingt-quatre heures que Ji-hun était revenu de la conférence à laquelle il avait participée, celle lors de laquelle il avait encore parlé de sa vie, de ce qui avait été son pays, et ce dans un autre État des États-Unis. Deux jours qu'il avait travaillé sur des projets auprès d'autres nord-coréens qui avaient fui eux aussi. Pourtant, en ce jeudi, il ne se sentait pas fatigué, était même plutôt motivé car il savait qu'il allait retrouver Lilia, jeune femme qu'il n'avait pas revue depuis le dernier mois. Dès lors qu'ils s'étaient séparés, l'étudiante avait préféré souffler avant de pouvoir envisager la possibilité de refaire avec lui quelques activités, mais ça y était : le grand jour était enfin arrivé. Le doctorant ne savait pas trop comment ça allait se passer, s'ils allaient se revoir comme s'ils ne s'étaient jamais quittés, ou s'il faudra définitivement tirer un trait sur une possible amitié, sur quelque chose d'un peu moins profond qu'ils auraient pu imaginer cet été mais pas moins important en réalité. Qu'importait, il n'avait pas eu envie de se stresser, les derniers échanges avaient même été plutôt concluants de ce qu'il se souvenait, alors il s'était préparé. Pull élégant sur chemise à col blanc, il avait enfilé une écharpe et un manteau pour lui tenir chaud avant de quitter son studio.

Rendez-vous donné à une intersection, il en avait pris la direction avant d'attendre patiemment que la brune fasse son apparition. Elle terminait aux environs de dix-neuf heures, il lui fallait donc guetter l'arrivée de celle qu'il décrivait facilement comme étant d'une infinie douceur. Enfin, parmi tous les gens qui se bousculaient pour voir l'arbre de Noël s'illuminer, il n'eut aucun mal à la remarquer, finit même par se redresser pour s'assurer qu'elle l'avait bien identifié. Petit signe ajouté à une esquisse affiché, il s'avança près du passage clouté pour l'y récupérer une fois qu'elle aura traversé. Ça me fait vraiment plaisir de te voir, dit-il une fois qu'elle fut à sa portée – et c'était peu de le dire, fallait le savoir, tu me suis, on va tenter de trouver une bonne place ? Ce n'était pas gagné car ça faisait une heure que l'accès avait été autorisé, mais les stands ouverts étaient nombreux, ils seront peut-être chanceux. Ils marchèrent côte à côte vers le parc où ça se déroulait. C'était tout de même un peu étrange, il y avait quand même quelque chose de changer dans leurs échanges. Les doigts ne s'étreignaient plus, et il n'y avait plus de bisous non plus. Pas trop épuisée de ta journée, se permit-il de l'interroger, car il savait qu'elle peinait à se reposer.

L’hiver était la saison préférée de Lilia, maintenant que la saison s’approchait, le cœur de la jeune brunette palpitait chaque jour d’excitation. Mais aujourd’hui c’était le stress qui avait envahit son petit cœur. Elle s’était préparée psychologiquement à cette rencontre, Ji-hun et Lilia allaient enfin être réunis après un mois de séparation. La jeune femme avait ressenti le besoin de souffler un peu après leur séparation. Cette dernière avait été plutôt mal vécu par la Adams après ce mélange complexe d'amitié et de connexions profondes qu’ils avaient développées.

Le grand jour était enfin arrivé, et pourtant, quelque chose dans l'air était différent. Dix-neuf heures avaient tapées et Lilia avait plissé son pantalon, échangé sa blouse blanche contre son manteau et ses crocs contre ses bottines. En arrivant sur place, Jay attendait à l'intersection comme promis, et parmi la foule agitée venue assister à l'illumination de l'arbre de Noël, Lilia l'a facilement repéré. Ji-hun s'est redressé, un signe amical accompagnant son regard. Une fois à sa portée, il l’accueillie chaleureusement et la jeune brunette partagea aussitôt son beau sourire contagieux. Les deux jeunes doctorants se dirigèrent vers le parc où se déroulait l'événement. «J’espère ne pas avoir tardé, j’ai fait le plus rapidement possible.»

Même s’ils marchaient côte à côte, une subtile différence avait pris place dans leurs échanges. Les gestes affectueux semblaient avoir disparu, laissant un vide inhabituel entre eux. Sa question sur sa journée la ramena à la réalité laissant de côté les douloureux souvenirs. «Non, ça va, pas trop épuisée.» Répondit-elle avec un sourire doux, essayant de masquer la fatigue accumulée. Un léger malaise s'était installé entre eux, énormément de choses avaient changées depuis leur dernière rencontre et Ji-hun semblait lui aussi percevoir cette atmosphère différente. Lilia se sentait perdue, incertaine de comment aborder ces changements subtils. Mais le temps était guérisseur et malgré ses nuits blanches, Lilia était prête à recréer cette connexion qui semblait s'être légèrement effritée entre les deux jeunes étudiants. «Tu as fait un bon voyage ?»

Lilia repérée avant même qu'elle ne soit complètement arrivée, Ji-hun fit un signe dans sa direction alors qu'il se trouvait déjà à l'intersection. Rendez-vous donné avant la conférence à laquelle il participait, il était un peu fatigué de tout le travail accompli avec ses camarades du nord de la Corée, mais pas moins heureux d'enfin pouvoir la revoir après tout ce temps passé. Aussi bien sur le visage de l'homme que de la demoiselle le sourire fut affiché, preuve que la séparation n'avait pas tout altéré, qu'il y avait encore quelque chose entre les deux doctorants qui existait. Ils marchèrent l'un près de l'autre entre les nombreuses personnes qui s'étaient déplacées, le brun les guidant vers l'entrée du parc où l'illumination du sapin géant allait se dérouler. Ça va, répondit-il, plongeant ses mains dans ses poches, ne sachant que faire d'elles maintenant qu'ils n'étaient plus aussi proches, Je pars à peu près une fois par mois pour des conférences depuis le mois de mars, alors je m'y suis fait. Aux voyages mais pas que, naturellement. Ça lui permettait de s'entraîner pour son oral final, et il était plutôt doué en tant que conférencier. Être professeur à l'université lui aurait plu tout autant si, par la recherche, il n'avait pas été aussi passionné.

Dans les airs, les bonnes odeurs commençaient à s'envoler, offrant de belles senteurs à leur nez. Un peu de vin, un peu de caramel, quelques gaufres bien dorées pour appâter ceux qui n'avaient encore rien avalé. L'entrée dépassée, ils naviguèrent au milieu des stands bondés, et Ji-hun ne put s'empêcher de remarquer : il y a tout ce que tu dois aimer. Pour une française, sa préférence devait forcément aller vers le sucré. On y reviendra après si tu sens que ton ventre commence à crier, plissa-t-il les yeux avant de les tourner vers celle qui se tenait à ses côtés. Maintenant que tu veux bien passer du temps avec moi, je compte bien te garder, avoua-t-il avant de regarder où ils marchaient. Est-ce que tu vas retourner en France entre les fêtes de fin d'année, s'intéressa-t-il à la manière dont elle se servira peut-être de ses congés. Pas de vacances pour lui, il avait bien trop de tâches à terminer – dans un an et demi il espérait être enfin diplômé.

Les lumières de Noël et le grand sapins excitaient de nombreux habitants de Boston et Lilia essayait de se frayer un chemin parmi la foule pour retrouver Ji-hun. Étant de petite taille, elle avait peur de se perdre dans cette affluence mais Lilia avait repéré le jeune brun avant même d'atteindre l'intersection, son signe amical se dessinant dans la foule, lui permettant de se diriger directement vers lui. Une séparation prolongée, mais comme on disait souvent, se séparer pour mieux se retrouver. La brunette pouvait lire dans le sourire chaleureux du visage de Jay que c’était un sentiment partagé.

Jay les guida vers l’entrée du parc et les jeunes doctorants avancèrent ensemble, parmi les gens venus assister à l'illumination du sapin géant. Leurs échanges semblaient familiers mais teintés d'une certaine distance, comme s'ils se redécouvraient après cette période d'éloignement. Lilia, sentant une légère gêne dans cette nouvelle dynamique, essaya de détendre l’atmosphère en prenant des nouvelles du dernier voyage du jeune homme. Ce dernier évoqua alors ses voyages réguliers pour les conférences, ils partageaient tous deux leurs aspirations académiques et l'importance de cette période pour leurs recherches. La jeune Adams l'écoutait attentivement, cherchant à retrouver cette connexion qui semblait s'être légèrement effacée entre eux.

Ils passèrent devant les stands emplis de délices odorants, et les yeux de Lilia s’illuminèrent d’excitation tout comme son petit ventre. La brunette s’était encore une fois oubliée et sa pause déjeuner était passée au labo, trop occupée pour s’en soucier. Maintenant qu’elle était enfin libre, son ventre demandait justice. Mais malgré la faim, elle afficha un léger sourire lorsque Jay lui fit savoir qu'il se souvenait toujours de ses préférences, comme quoi le lien qu'ils avaient partagé auparavant n’était pas anodin. «Tu sais que m’appâter avec de la nourriture marchera toujours.» Répondit-elle, son sourire cherchant à dissiper cette sensation étrange qui s'était installée entre eux. Puis, il lui posa une question sur ses projets pour les fêtes de fin d'année en France. «Je ne sais pas encore… Ma mère voudrait absolument qu’on soit réuni chez nous pour les fêtes mais je ne sais pas si je serais capable de me libérer.» Malgré que la perspective de ne pas rentrer en France pour les fêtes la rendait un peu nostalgique. «Et toi ? Tu les vois de temps en temps tes parents ? Ils doivent te manquer.»

Odeurs enivrantes des stands qui firent s'arrêter bien des affamés. Ji-hun et Lilia auraient pu être de ceux-là, mais s'ils faisaient la queue à l'un d'eux, ils auront encore moins de chance de se rapprocher du sapin qui, bientôt, s'illuminera. Ils avaient dû faire un choix : ne se contenter que de quelques coups d'œil, leur ventre attendra. Du haut de son mètre quatre-vingt-six, le Nord-coréen apercevait tout plein de mets sucrés qui ne pourra que contenter la demoiselle qu'il avait, il n'y avait pas si longtemps, côtoyée. Ils étaient sortis ensemble peu de temps, mais ça ne l'avait pas empêché de se rappeler de ce qui lui plaisait vraiment. Les gaufres n'auront peut-être pas le même goût que celles de France qu'elle avait goûtées, mais il espérait que ça puisse l'enchanter. Je pense que je me servirai assez souvent de cette info pour t'inciter à me retrouver, dit-il, sans avoir besoin de cacher son envie de réitérer, de proposer des rendez-vous réguliers. Un restaurant, ça ne se refusait pas souvent. Je suppose que c'est normal pour des parents de souhaiter leurs enfants auprès d'eux, surtout à la fin d'année, acquiesça-t-il, tu verras bien, peut-être qu'un petit aller-retour te sera possible. Ça ne devait pas être l'argent qui manquait, mais il avait compris que l'écologie avait une grande place dans sa vie.

Quand la question lui fut retournée, il se rendit compte que de ses parents il ne lui en avait jamais parlé, probablement qu'elle se serait abstenue de l'interroger à ce sujet. Uhm, pas vraiment, souffla-t-il. Avec ses sœurs, sa mère avait disparu et plus personne ne les avait revues. Quant à son père, il avait programmé un voyage aux États-Unis, les billets avaient été pris, mais à l'aéroport il n'avait jamais atterri, depuis il n'avait plus aucune nouvelle de lui. Il espérait simplement qu'il soit à l'abri, qu'il n'avait pas rencontrer un quelconque souci. C'est compliqué parfois d'être réfugié tu sais, fit-il sans plus en parler, je vais passer Noël avec ma famille d'accueil, comme chaque année, et je sortirai avec les potes pour le Nouvel an. Et ça ira parfaitement. Il avait mis de côté l'idée qu'un jour sa famille serait au complet ; il avait arrêté d'en être bouleversé. Et puis, un jour, il aura forcément son propre foyer, alors ça le motivait à avancer. Regarde, il est juste là-bas, lança-t-il en levant le menton ; l'arbre s'élevait, beau et élégant comme jamais. Il n'était pas encore allumé, mais ça ne saurait tarder. Il fallait vite se rapprocher.

L’air froid de la soirée se réchauffait de plus en plus grâce aux mets préparés par chaque stand. Lilia et Ji-hun se trouvaient parmi la foule affamée, attirés par les délicieuses effluves qui emplissaient l'air. De sa taille imposante, Ji-hun observait les nombreuses échoppes, espérant trouver de quoi ravir Lilia. Il se rappelait des plaisirs sucrés qu'elle affectionnait et espérait la surprendre avec des mets qui pourraient lui rappeler son pays natal. Sa petite blague, dévoilant sa volonté de les voir se retrouver plus souvent la fit sourire. «Je pense que tu as bien trouvé la bonne formule, je ne refuserai pas de la bonne nourriture.» Pourtant, les deux jeunes doctorants avaient fait le choix de retarder leur appétit pour ne pas perdre de vue l'illumination imminente du sapin. Son ventre avait attendu toute l’après-midi alors il pouvait rajouter quelques minutes supplémentaires.

La conversation s'orienta vers les projets de fêtes de fin d’année. Lilia évoqua une possibilité de trouver le moyen de retourner en France, même si la perspective semblait encore incertaine. Tout dépendrait de la quantité de travail et de son efficacité surtout. Mais Jay avait raison, un aller-retour n’allait tuer personne. Enfin si, l’environnement, chose qui préoccupait énormément la jeune écologiste. Quand la question fut retournée au jeune asiatique, ce dernier fit part d'une réalité complexe. Étant réfugié, revoir sa famille n’était pas toujours une chose facile et Lilia s’en voulait d’avoir retourné la question. Mais malgré l'incertitude et difficulté qui en découlait de cette situation, Jay semblait résigné et déterminé à avancer. C’était comme cela qu’elle le connaissait Jay, toujours prêts à affronter les obstacles quelque soit leur difficulté. Il envisageait donc de passer les fêtes avec sa famille d'accueil et ses amis pour le Nouvel An, trouvant son équilibre dans ces moments partagés. «C’est un bon programme. On se verra peut-être si je ne rentre pas en France.»

En plein milieu des préparatifs des vacances de Noël, Jay finit par attirer son attention vers l’arbre qui s’élevait non loin d’eux. «Oh oui, il est beau !» Répondit-elle en souriant, levant les yeux vers l'arbre majestueux. L'excitation montait à mesure que les lumières se préparaient à illuminer la scène. Lilia voulait se rapprocher plus, sans se rendre compte de son geste, elle entraîna le jeune homme par la main afin de se rapprocher, captivée par l'anticipation du spectacle à venir, mettant de côté pour un instant leurs préoccupations pour profiter de ce moment unique.

Si Ji-hun avait longtemps mis ses liens de côté, ne donnant d'importance qu'au dirigeants du pays dans lequel il était né, il pensait à présent que la famille était sacrée. Il y avait celle que l'on avait, celle que l''on choisissait et celle que l'on construisait. Malheureusement pour lui, il avait compris après qu'il avait fui, n'avait pas profité d'énormément de bons moments, se concentrant uniquement sur son statut d'étudiant. Alors, lorsque Lilia hésita, il n'y eut d'autre option qui se présenta : il fallait qu'elle tente de retourner là-bas, dans son  « chez-soi  ». Quant à lui, il fut un peu moins bavard, la veille il avait déjà raconté une partie de son histoire, ne voulait s'attirer encore plus de compassion ce soir. D'un sourire il rassura la jeune femme, parce qu'elle ne pouvait pas savoir. C'était vrai qu'il n'avait pas eu l'occasion de lui conter tout ce qui lui était arrivé, et une nuit n'aurait clairement pas été assez – tant de péripéties s'étaient déroulées depuis qu'il avait compris que sa mère et ses sœurs s'en étaient allées. Il les espérait en sécurité, mais le fait de ne pas les retrouver commençait à effacer cette possibilité. Il détourna l'attention sur la gigantesque exposition, sapin rempli de décorations auxquelles allait s'ajouter une belle illumination. Il reçut une exclamation et, sans crier  « attention », il sentit sa main être kidnappée de la poche dans laquelle il l'avait glissée, étreinte par celle de Lilia qui finit par s'élancer.

Il la suivit de près, tenta tant bien que mal de ne pas bousculer les personnes qui s'extasiaient, arrêtées en plein milieu de l'allée, obnubilées par les friandises que l'on pouvait acheter. Ils trouvèrent un endroit où se stopper, de toute façon ils ne pouvaient plus avancer. Ji-hun laissa Lilia décider si elle voulait le lâcher ou pas, la chaleur de sa main réchauffait la froideur de ses doigts. Il ne sut si ça avait été parce qu'elle avait ressenti ce besoin de proximité, parce qu'ils l'avaient tant de fois fait ou parce qu'elle était habituée à prendre la main de tous ceux avec qui elle faisait des activités, il ne trouva pas utile que la question lui soit posée. C'est vraiment l'attraction du mois, dit-il, tu connais un peu l'histoire autour de ce sapin-là ? Si elle ne savait pas, volontiers il lui expliquera puis avoua : j'ai loupé la date l'année dernière, mais j'y suis venu la première année où je suis arrivé aux États-Unis. Ça me fait plaisir de faire ça avec toi aujourd'hui. C'était tout de même mieux lorsqu'on éitait accompagné, il était plus agréable qu'un moment comme celui-ci soit partagé. Tu n'as pas trop froid, demanda-t-il, parce qu'ils allaient stagner un petit moment jusqu'à ce que débute l'événement.

La fête de Noël a toujours été sacrée chez les Arnault et Lilia savait très bien que l’idée ne plairait pas à sa mère si elle se désistait cette année à cause de ses recherches c’est pour cette raison qu’elle espérait pouvoir être présente pour le fêter en famille. Bien que Ji-hun n'avait pas révélé tous les détails de son passé, Lilia ressentait cette peine qui se dissimulait derrière son sourire. Elle comprenait qu'il ne souhaitait pas s'étendre davantage sur ses douloureux souvenirs, alors elle avait décidé de ne pas insister, laissant l'attention se porter sur l'arbre de Noël qui se dressait majestueusement devant eux.

Toute excitée et dans un élan spontané, Lilia saisit la main de Ji-hun pour s'engouffrer dans la foule. Il la suivit, veillant à ne pas bousculer les gens, et ils trouvèrent un endroit où s'arrêter, parmi les personnes captivées par les délices proposés. Lilia n’avait pas remarqué cette chaleur qui avait enveloppé leur main et pourtant lorsque l’excitation baissa d’un cran et qu’elle remarqua ce qu’elle venait d’oser, la brunette relâcha sa main et ses joues prirent aussitôt une couleur pourpre de gêne. Elle ne voulait pourtant pas rompre ce contact, mais elle ne voulait pas non plus s'imposer. Ils avaient souvent partagé ce geste sans y accorder une grande importance, mais aujourd'hui cette proximité était différente.

Lilia était heureuse que leurs retrouvailles se fasse autour d’un bel événement, comme si Boston au complet fêtait l’apaisement qu’avait retrouvé leur relation. Jay était absorbé par les festivités et était prêt à partager toute l’histoire avec la jeune brunette qu’elle accepta volontiers. Une histoire qu’elle avait auparavant entendu mais feignait l’ignorance afin que le jeune homme puisse la lui raconter à nouveau. Cela semblait lui faire plaisir. «Oh pas vraiment mais je t’écoute.» La douceur du moment partagé semblait apaiser l'ambiance, mais Ji-hun s'inquiéta soudainement pour le confort de Lilia, Il savait qu'ils devraient attendre un moment avant le début de l'événement et souhaitait s'assurer qu'elle était à l'aise malgré la fraîcheur de la soirée. Lilia s’était préparée en enfilant son manteau mais avait oublié l’écharpe pour protéger son cou mais pourtant elle n’osait rien dire. Une nouvelle gêne qui s’était créée après le silence radio qu’avait subi leur relation. «Je crois que je tiendrai le coup jusqu’au retour chez moi. Et toi ? »

Ji-hun avait interpellé Lilia quant au sapin qui s'étendait au loin, mais il fallait encore se rapprocher pour être bien placé. Ils eurent probablement tous deux la même idée, car ce fut le moment où la jeune femme kidnappa sa main pour la serrer, et emmener le Nord-coréen vers la foule qui s'était regroupée à une centaine de mètres de là où ils se tenaient. Doigts aux siens entrelacés qu'il ne prit pas la peine de retirer. Il n'était pas gêné par cette proximité, parce qu'ils l'avaient tant de fois fait que ça paraissait normal d'ainsi ensemble s'élancer. Une fois arrivés, il ne fit rien pour s'éloigner, ce fut la doctorante qui invita la pression de son étreinte à se relâcher jusqu'à complètement s'effacer. Sur l'espace vide contre sa paume Ji-hun posa ses yeux bridés, avant de la refermer et la replonger dans la poche doublée sans nul mot à ajouter. Discussion à présent tournée vers l'Histoire de l'événement auquel ils assistant. En 1918 un cargo français rempli d'explosifs et d'acides a foncé dans un bateau norvégien près d'Halifax, il y a eu une grosse détonation sur un miles et demi, dit-il – causant la mort de deux mille personnes et la destruction de bâtiments, en sachant ça, le Maire de Boston de l'époque a appelé aux dons. Furent envoyés alors de l'argent et des provisions. Pour remercier de cette générosité, Novia Scotta a envoyé un grand sapin, et à partir de 1971 c'est devenu une tradition chaque année. Pour sceller une éternelle amitié.

Vent frais qui claquait, Ji-hun se demanda si pour la Française ça allait. Elle ne sembla pas happée par le froid de ce qu'elle en disait. Je ne crains pas trop, non, dit-il avant de l'inviter à s'imaginer la saison en Corée, j'ai eu l'habitude à des hivers assez rudes, ça pouvait baisser jusqu'à-25 degrés. Il y avait pas mal de montagnes enneigées, des vallées complètement gelées. Crois-moi, après avoir fait son service militaire en cette période, on peut tout faire, ajouta-t-il un souffle rieur y allant de pair, et en France, ça donne quoi ? Est-ce qu'il y faisait tout aussi froid ? Tu as prévu un plaid, un chocolat chaud et Netflix une fois que tu seras rentrée, demanda-t-il pour savoir ce qu'elle avait prévu une fois son chez-elle retrouvé. Il n'avait pas supposé lui prendre toute la soirée, y aller doucement était un bon moyen de tout recommencer, repartir de zéro pour arriver à quelque chose de concret que personne ne pourra saccager par des croyances arriérées. Il ne faut pas oublier que demain on doit aller travailler, rappela-t-il qu'il faudra encore patienter avant d'espérer pouvoir un peu se relâcher.

Tout le monde ici présent était captivé par l'étendue majestueuse du sapin, Lilia les yeux pétillants d’excitation en faisait partie.  Sa main qui avait donc serré celle de Jay était une réaction instinctive, presque habituelle. Un mois plutôt cela aurait était un geste des plus naturel mais aujourd’hui la situation était différente. Ils s’étaient ainsi dirigés vers la foule, doigts entrelacés et le regard scotché vers le sapin. Arrivés là-bas, Lilia brise cette étreinte de peur de n’être trop invasive. Jay avait voulu prendre ses distances alors la brunette sentit le besoin de s’excuser pour son geste mal placé. «Je suis désolé…» Alors que le sapin s’élevait devant eux, le jeune asiatique proposa de conter l’histoire de cette événement. La discussion a alors pivoté vers une branche historique et Ji-hun raconta en détail l'incident de 1918, cette tragédie qui a causé tant de pertes humaines et de destruction. Heureusement qu’une pointe de bonheur vint couronner cette calamité avec cette générosité qui devint aujourd’hui une tradition. «C’est triste mais beau en même temps de sceller cette amitié par un sapin aussi magnifique ! Comme on dit, après la pluie le beau temps.» Un petit sourire orna ses lèvres.

Le vent glacial caressait doucement leurs visages alors qu'ils se retrouvaient maintenant face au sapin. Le froid n'a jamais vraiment été un obstacle pour Lilia, elle adorait ça, mais elle pouvait tomber malade très facilement aussi, ce qui l’énervait au plus haut point. Et elle devait l’admettre aussi que les hivers français pouvait parfois être assez rudes. Mais rien de comparable aux températures que Ji-hun avait connues en Corée, elle en était certaine maintenant après ses dires. C’était fascinant d'entendre ses expériences, cela lui donnait un aperçu d'un tout autre niveau de froid. «-25 ! C’est flippant ça ! J’ai beau aimer le froid mais je ne pense pas pouvoir le supporter à ce point.» En France c’était généralement plus doux que ce qu'il décrivait. «En France, nos hivers peuvent être assez variés, selon la région. Certaines parties peuvent être vraiment glacées, d’autres beaucoup plus supportables. Mais je suppose que c'est la diversité des climats qui rend nos expériences si différentes.» Quant à ce soir, Jay avait vu juste, un plaid chaud, un chocolat fumant et un film intéressant semblait être la parfaite recette pour se réchauffer après une longue journée. «Bingo ! Une bonne douche chaude et repos pour affronter la journée de demain comme tu dis. Et toi ? » Travailler demain sera inévitable, mais une petite parenthèse de détente est essentielle pour recharger les batteries. Et c’était pour cette raison que les deux doctorants avaient prévu cette soirée.