Neal ✗ Ancienne fiche

Vendredi 11 Juin. 11h00

La nuit avait été rude. Encore plus que toutes les autres nuits depuis lundi. Depuis que mon cœur m'avait été arraché par les mots qu'il avait soufflé. Depuis que mon être avait été charcuté par son absence dans ma vie comme je le voulais. Comme je l'espérais. Comme je le dessinais dans mon futur. Foutu gamin bien trop naïf qui s'était laissé avoir. Cette nuit avait été pire encore à cause des événements de la veille. Parsemée de cauchemars, de douleurs, de cris et de larmes, elle m'avait filée entre les doigts. Empli d'horreur et de rouge sang, elle avait vivement frappé l'être qui était déjà étalé au sol sous d'autres coups. Yeux rougis et cernés, j'étais resté un moment assis sur le lit à attendre. Attendre que le sommeil vienne me faucher faussement. Attendre que la mort vienne me cueillir peut-être. Attendre que le téléphone sonne pour m'annoncer qu'Eros allait bien. Illusion dérangeante. Je n'aurai certainement pas le droit d'avoir cette information. Iris sombres rivées sur l'armoire, je tentais d'enterrer la voix qui cognait dans ma tête. Celle qui me disait de me lever pour prendre le flingue et le poser contre ma tempe. Celle qui me poussait à tout stopper dès maintenant avant de n'être qu'un cadavre ambulant qui viendrait juste tout foutre en l'air et qui souffrirait à chaque souffle. Le soupir m'échappait. Je secouais la tête pour ne pas LA laisser m'attraper et me convaincre d'agir. Je ne pouvais pas faire ça. Pas à Lukas. Lukas. Mon regard se posait sur lui qui semblait bien dormir à mes côtés. Comme j'enviais son sommeil. Mordillant ma lèvre, je glissais mes doigts dans ses cheveux avec douceur. Je ne voulais pas le réveiller. Et, après quelques secondes à le regarder, je m'échappais. Je ne pouvais plus respirer ici. Je me sentais tellement compressé. Je me sentais à deux doigts de faire une bêtise. Glissant hors du lit, je me rendais dans la salle de bain. Les morceaux de verre du miroir avaient été balayés dans un coin, mais ils étaient toujours là. Je me baissais pour en prendre un entre les doigts. Je le faisais tourner un instant. Je l'observais. La tête partait déjà à calculer trop de choses. Le regard se relevait sur les bouts de reflet meurtri face à moi.

L'air frais de Boston me percutait de plein fouet lorsque je passais la porte de l'immeuble. Vieux jogging et sweat bien trop grand enfilés, je me mettais à déambuler dans les rues sans but précis. Je laissais ma tête choisir. Je laissais le hasard me conduire. Capuche rabattue sur la tête, je m'effaçais dans la foule. Je me fracassais dans ma tête. À chaque pas, je sentais mon cœur se détacher un peu plus. À chaque souffle, je me sentais sombrer au plus bas. Mes pas s'arrêtaient soudainement me poussant à relever les yeux. Une salle de boxe. Voilà où je venais d'arriver. J'hésitais un quart de seconde avant de pousser la porte. L'effervescence régnait ici. Trop de bruits. Trop de monde. Trop de coups. Je contournais le ring et je venais m'asseoir sur le sol. Dos appuyé contre le mur, je soufflais un coup. Gamin un peu trop cassé qui n'avait rien à faire là. Le bandage sur ma main droite témoignait des coups qui étaient partis seuls hier sur le miroir. Le pansement à mon arcade gauche était la trace de cette coupure que je m'étais infligée seul quelques minutes plus tôt. Et il y avait tellement plus de brisé. Tellement qui ne se voyait pas. Iris sombres rivées sur le ring, j'observais le combat amical qui semblait s'y dérouler. J'observais et j'avais follement envie d'y sauter moi. L'avertissement s'allumait aussitôt dans ma tête. J'étais dans un sale état à cause de ma main et de cette blessure à l'arcade qui avait su me donner le tournis sans doute à cause du sang perdu. J'étais dans un sale état avec ce morceau de balle toujours logé dans ma tête. J'étais dans un sale état avec ma jambe droite en vrac. J'étais dans un sale état avec ce cœur qui ne vivait même plus. J'étais dans un sale état avec ce mental qui s'était fait la malle. Je n'avais pas le droit de grimper sur le ring. Pourtant, je le voulais tant. ELLE le voulait tellement. Destruction que je méritais. Coups que je voulais recevoir. Désir de provoquer jusqu'à ce qu'on me blesse. Vivement. Réellement. Je le méritais. Gamin qui foutait tout en l'air. Monstre qui détruisait tout sur son passage. Gosse qui avait su être berné par les autres. Assis en tailleur sur le sol, mes jambes commençaient à s'agiter sous l'impatience. Le morceau de verre chipé tournait entre mes doigts. Et, soudainement, une place se faisait sur le ring. Je rangeais le verre. Je me redressais et je m'invitais sur place. Capuche abaissée, gants enfilés, le combat commençait. Ce combat qui n'en était pas vraiment un. Je laissais l'autre me frapper et me toucher de plein fouet à chaque fois. Impacts qui me faisaient tanguer. Je me remettais toujours en position de défense pour inviter à continuer et prétendre que j'étais juste mauvais. Jouer un rôle alors qu'en vérité, je venais juste me faire tabasser. Les coups pleuvaient. La douleur faisait du bien. Mais, je voulais plus encore. Je voulais être à terre. Que tout s'arrête. Que tout s'éteigne. Alors, plantant mon regard dans celui de l'autre je soufflais « C'est tout ce que tu as ? d'un ton foutrement provocateur. Le pousser à bout pour qu'il me fasse glisser tout au fond du gouffre comme je le voulais.