Brunette grince des dents, ses boucles s'agitant dans le vent de sa fureur. Elle marmonne plusieurs fois la même phrase, rejouant la scène dans sa tête comme une mise à l'épreuve d’un "j’aurai du dire ça et j’aurai du répondre comme ça", alors qu'elle se mordille la lippe inférieure. "Et tu sais quoi ? La prochaine fois, je saute sur elles et je leur tire les cheveux, affaire réglée... Parce que oui, ça ne me touche pas, mais... ça me dérange", pense-t-elle. Querelle d'enfants. Comme si on venait de percer la matière, l'endroit qui fait mal, celui qui fait tâche et où elle n'aimerait plus rouvrir la plaie. Le battant qui hurle à la raison, la matière grise qui chauffe les hypothèses.

"Tu devrais faire ceci et cela, tu devrais, Salomée!", lui dit-on. Mais non ? Elle approche la porte de Lewis, qui à peine a-t-elle eu le temps de serrer le poing contre le bois, se retrouve à l'intérieur, avançant avec un capharnaüm d'idées, comme une brume noire qui la suit. Pas le temps pour un baiser, juste des murmures. Elle serre la bouteille de vin qu'elle a apportée. Signe d'hospitalité. Ses cheveux bouclés qui galopent sur ses épaules. "TU TE RENDS COMPTE, LEWIS, DE CE QU'ELLES ONT DIT ! ", s'exclame-t-elle, les yeux écarquillés en mode... berserk. Parce que Lewis, le grand frère, sait toujours tout.

La porte ouverte de l'appartement laissa passer une Salomée hors d'elle. La vision de Bucky qui s'était éloigné de la porte d'un bond et, par contraste, de la bouteille de vin que Lomée tenait contre elle comme un trésor de guerre laissait penser que la soirée serait longue. Longue mais en présence de celle qu'il considérait comme sa cinquième petite soeur et d'une boule de poil noire qui lui faisait penser à Charlie. Tu connais la règle, on dit bonjour avant toute chose. Viens me voir, plaisanta Lewis en lui ouvrant les bras. Comme il l'avait fait lorsqu'ils s'étaient rencontrés des années plus tôt. Lomée n'avait pas les yeux bleus ni les traits des Coleman mais elle avait une partie de leur esprit.

Cette fois-ci, je ne les ai pas laissées m'embarquer dans vos histoires alors je crains que tu ne sois obligée de tout me raconter. Si tu veux que je suive. Il lui avait répondu, sourire aux lèvres. Elle savait qu'il limitait ses partis pris, parce qu'à l'inverse ; c'est ce qu'il attendait des Coleman concernant sa vie privée. Salomée avait une place à part entière chez les Coleman, tant et si bien que sa présence régulière dans la maison familiale n'étonnait plus personne. Et les tragédies qu'elle vivait avec ses quatre soeurs étaient dignes de celles d'une vraie famille. Lomée avait ramené avec elle l'odeur de l'extérieur, le soleil dont Charlie profitait en ce moment avec Ascella. Qu'est-ce qui se passe ? l'interrogea Lewis avec une voix posée, aux antipodes du ton de Lomée. Cette scène, il l'avait vécu une bonne vingtaine de fois. Se baissant, Lewis laissa ses doigts partir à la rencontre du pelage sombre de Bucky. Pour le rassurer. Salomée était de la famille.

Bucky agite joyeusement sa queue pendant que Lomée glisse sa main sur sa tête, cherchant ce point précis derrière son oreille. Une satisfaction pour la bête. Elle s'accroupit gracieusement, déposant délicatement le sac contenant la bouteille de vin sur le sol. Bucky, impatient, semble sur le point de lui sauter dessus, désireux de prolonger ce moment de complicité. Les traits tirés par ses yeux bleus opalins, Lewis trahit une inquiétude latente. Lomée laisse échapper un soupir chargé d'une multitude de sentiments. "Tu connais la règle, on dit bonjour avant toute chose", "Bonjour Lewis," qu'elle siffle entre ses dents, un sourire narquois ourlant ses lèvres, s'arrachant presque un rire nerveux. Puisqu’il l’a freinée dans ses ardeurs. Puisqu'elle se surprend à être brusque, certainement pas l'attitude de jeu habituel d'une personne aussi délicate.

"Viens me voir." Les bras de Lewis s'ouvrent en grand, l'attirant comme un aimant. Elle se love dans son étreinte, murmurant comme une enfant abandonnée, mal-aimée : "En fait, je me suis disputée avec tes sœurs." Lomée se dégourdit les jambes en s'ajustant sur ses talons, la tête toujours enfouie dans les méandres de ses bras. "Qu'est-ce qui se passe ?" demande Lewis. Un instant de silence où son regard divague. "Il paraît que je suis devenue impulsive, selon elles. Elles pensent que je devrais laisser mon fils plus souvent avec son père, pour me soulager." Il paraît qu'elle stresse, qu'elle devient nerveuse et de mauvaise humeur parfois. Elle recule comme pour se justifier, posant une main sur son cou, l'air étonné. "Mais, moi je sais que ça va super...bien!" Elle se met à gigoter nerveusement, une lueur de détermination dans son regard alors que son corps tout entier semble frémissant d'émotions contenues. Ses pieds tapant nerveusement au sol. "C'est... c'est le Redbull que j'ai bu qui me donne cet effet, mais je ne suis certainement pas nerveuse." Ouai, juste des ailes qui lui poussent dans le dos, j’vous jure. Princesse baisse les yeux, une vulnérabilité soudaine s'emparant d'elle, comme prise en flagrant délit, comme un air de chien battu.

Bucky avait mis quelques semaines avant de s'habituer à la présence régulière de Lewis chez Charlie mais semblait étonnement à l'aise avec le tempérament fougueux de sa soeur. Elle restait cependant un nouveau visage qu'il devait apprivoiser. Le bonjour offert par Lomée était plus poussif qu'à l'accoutumée mais Lewis s'en contenterait, trop heureux de ce moment en famille inattendu. Salomée partageait la même énergie que ses quatre soeurs, il lui fut donc impossible de réprimer un sourire en la cueillant dans le creux de ses bras massifs. Bonjour Salomée... Et je m'en suis douté en te voyant arriver, lui répondit doucement Lewis, avec toute la patience qui le caractérisait. La tête de Lomée s'appuyait sur son torse, bien au-dessus des cicatrices du Sahel qui peuplaient son thorax. Plus douloureuses dans son souvenir qu'elles ne l'étaient aujourd'hui. Celles qui ne faisaient que lui rappeler combien il avait de la chance d'être encore un membre à part entière des Coleman, bel et bien vivant. Et combien les différends de ses soeurs lui avaient toujours paru importants mais loin d'être insolubles. Là où les conflits se réglaient par les armes, dans son ancien monde, ses soeurs avaient la possibilité de tout mettre à plat de manière pacifique. De ne pas utiliser d'arme de destruction massive.

Parce que tu ne l'étais pas déjà, Lomée ? la taquina doucement l'ancien militaire avant de laisser sa soeur d'adoption s'éloigner de lui. Sérieusement... Qu'est-ce que tu en penses toi ? Il l'interrogea du regard, insistant sur le dernier mot, avant d'ajouter : ça te soulagerait de laisser plus souvent Junon ? De son incapacité à rester en place au regard distant qu'elle posait sur lui par intermittence, il y avait quelque chose. Elle n'allait pas bien. Ne me dis pas que tu es venue pour me dire que tout va bien, souffla Lewis. Elle semblait oublier qu'il la connaissait et là où ses soeurs jugeraient peut-être, lui l'incitait seulement à s'épancher sur ce qui semblait la rendre malheureuse. Il avisa la bouteille de vin. Salomée n'avait pas besoin de diluer sa colère dans un liquide quelconque, il était là. Dis-moi ce qui cloche vraiment. Au-delà ce qui s'est passé à la maison.

"Parce que tu ne l'étais pas déjà, Lomée ?" Les mots de Lewis résonnaient dans l'air, laissant un silence tendu tandis que Lomée observait le monde autour d'elle du coin de l'œil. "Are you serious ?" Son accent néerlandais teintait sa voix alors qu'elle reprenait la parole. D'un geste distrait, elle s'éloigna, son esprit en proie à une tourmente intérieure. "J'en sais rien..." Après un moment de silence, elle avoua, "Peut-être bien". Sérieusement... Qu'est-ce que tu en penses, toi ? Ça te soulagerait de laisser plus souvent Junon ? "C'est mon fils, je ne serai pas tranquille... Même si je sais que son père pourrait très bien s'en occuper..." Des larmes perlèrent au coin de ses yeux. "J'ai l'impression de le perdre, Lewis...". Elles glissèrent silencieusement le long de ses joues. "Il va porter son nom, le nom de son père alors, moi j'ai l'impression... que je ne lui servirais plus à rien. Je ne suis qu'une princesse moi, déchue... quelque peu..." Les larmes continuaient de couler, reflétant la douleur et la confusion qui tourmentaient son cœur.

"Et en plus, je suis célibataire...". La voix qui saccade s'échappa de ses lèvres, ses pensées se tournant vers les relations passées, souvent tumultueuses. Où est-ce les règles qui commencent et qui la rend si fébrile, émotionnelle, enragée ? Bucky s'approcha d'elle, son regard triste exprimant sa compassion silencieuse. "Désolée, Bucky... Lomée est triste aujourd'hui." Elle attribua ses émotions tourmentées à ses cycles menstruels, son regard se perdant dans le lointain alors qu'elle plongeait dans ses pensées. "Junon a 6 ans maintenant, tu sais..." Elle se remémora avec tendresse les souvenirs de son fils avec son oncle bien-aimé. "Il serait tellement heureux de te revoir." Un sourire mélancolique étira ses lèvres mouillées de larmes. "Mais, surtout heureux de vider ton pot de glace préféré, celui que tu caches tout en bas du congélo..."parce qu'elle l'a déjà piqué tant de fois. Elle rigole, les yeux embuées de larmes.  Princesse, princesse pleure. Poupée de cire, poupée de son, rit.