Le besoin de vacances se fait de plus en plus ressentir et maintenant que j'y pense, ça n'est pas étonnant. Mes dernières vraies vacances remontent à... probablement l'été dernier, ce qui fait un long moment sans une période de repos bien méritée. Il faut dire que j'aime mon boulot plus que tout et que ça n'est pas une corvée de passer parfois douze heures à la clinique. C'est le revers de la médaille, quand on est pédiatre et qu'en plus de ça, on gère une clinique entière. Pas peu fier de tout ce que j'ai accomplis depuis que Rylon a ouvert, 2023 a été une année chargée avec l'ouverture de la branche New Yorkaise. Après une réunion avec les autres pédiatres de la clinique, j'ai réussi à me dégager une semaine début avril pour des vacances. Encore quelques semaines à tenir quoi. Un coup d'oeil à ma montre qui affiche dix neuf heures et je prends mon manteau pour me mettre en route vers le Black Rose dans le centre. J'envoie un message à Lewis pour m'excuser de mon retard et je prie pour trouver une place pour me garer dans les alentours du bar. Mission accomplie, j'arrive sous les coups de dix neuf heures vingt, cherchant du regard mon ami qui est probablement déjà présent. "Désolé, j'ai sous-estimé ma capacité à trouver une place rapidement", que je lui lance alors que je l'ai enfin trouvé et que j'arrive à sa hauteur, lui donnant une petite tape dans le dos en guise de salutation.

Attablé depuis quelques minutes à peine, un SMS de Jude était arrivé pour lui annoncer qu'il aurait du retard. Il pourrait bien arriver avec une heure de plus sur l'heure prévue que Lewis serait incapable de lui en tenir rigueur. Il faisait un boulot fabuleux auprès des enfants, l'essentiel était là. Lui pouvait bien attendre. Lewis n'avait pas trouvé ou pris le temps de sortir depuis sa matinée avortée avec Brett et Davis. Ses moments avec la famille Coleman, notamment ses soeurs, mis à part. Son rythme habituel était revenu de lui-même, depuis le départ de Charlie pour Miami. Celui de dormir, parfois péniblement, quelques heures sur l'espace d'une nuit entière, de se lever tôt pour travailler dans le calme relatif des rues de Boston avant de rentrer pour courir ou partir à la salle. Se vider la tête en même temps que ses poings s'agitaient contre le sac de sable ou soulevaient des poids qui lui rappelaient ses années à l'armée. La différence notable l'attendait désormais près de la porte : Bucky. Lewis soupçonnait le chaton de guetter l'arrivée de Charlie plutôt que la sienne mais sa présence, bien qu'imprévue chez lui, avait ce quelque chose de réconfortant. Ils attendaient son retour ensemble. Ne t'en fais pas pour ça, c'est un détail, répondit Lewis avec un sourire franc, se levant pour accueillir Jude qui venait de se frayer un chemin jusqu'à leur table. De mon côté, je connais ta capacité à avoir une bonne descente après une journée chargée... parce que je me doute que c'est le cas ? le taquina t-il avec une légère tape amicale dans le dos. Le regard de Lewis passa de celui, interrogateur, de Jude au verre qu'il faisait glisser dans sa direction. L'effervescence autour la Saint Patrick avait dû remplir le bar de joyeuses tablées dimanche dernier ; mais ce soir, ils avaient tout le temps.

Je sais très bien que Lewis ne va pas tellement être du genre à m'en vouloir pour mon retard. Il faut dire que le bougre me connait, puisque nous avons grandi ensemble. Des amis d'enfance, je n'en ai pas beaucoup et je ne suis pas sûr que beaucoup de personnes peuvent se venter d'être encore en contact avec des amis qu'ils se sont fait en primaire. Puisqu'il m'a vu à plusieurs stades de ma vie - dont les plus sombres pour lesquelles je ne suis pas très fier -, il est probablement une des personnes qui me connait le plus et il sait aussi à quel point mon travail compte, d'où sa remarque sur ma journée probablement bien chargée. "Je crois que tu as oublié que je n'avais pas besoin d'avoir passé une dure journée pour avoir une bonne descente", que je lui dis avec le même sourire franc alors que le verre glisse sur la table en ma direction. "Mais tu as raison, quelle journée interminable putain", que je dis en riant avant de prendre la boisson pour la soulever en sa direction. "Trinquons à mh... l'amitié", que je dis en claquant mon verre au sien et en le buvant. "Et toi alors, ta journée ?", que je lui demande une fois le verre posé à nouveau sur la table.

Si le cercle de Lewis avait commencé à se clairsemer à son départ de l'armée, son amitié avec Jude était restée une constante, un lien qui ne s'était pas érodé avec le temps. Il l'avait vu devenir père, remonter de sacrées pentes aussi et plus d'une fois. Il avait le courage que d'autres n'avaient pas. C'est aussi vrai, répondit Lewis avec un rire léger. Ils avaient beaucoup changé depuis qu'ils étaient gamins, dans tous les sens du terme. Combien d'heures aujourd'hui ? l'interrogea l'ancien militaire en haussant les sourcils, comme s'il évoquaient le score d'un match quelconque. La fatigue s'était frayée un chemin sur les traits de Jude. Il portait sur lui le poids de dossiers médicaux pédiatriques, un engagement que Coleman respectait au plus haut point. On ne change pas une équipe qui gagne, Montgomery-Coleman. A l'amitié, dit Lewis en approchant son verre de celui de Jude pour les laisser doucement s'entrechoquer. Ce verre ne se limitait pas à un apport seul en houblon, il avait le goût des retrouvailles avec un ami de longue date. Le goût de la bière se diffusait contre son palais alors qu'il répondait à Jude, reposant son verre après une première gorgée. Et bien... si l'on part du principe que l'on a pu suivre les quatre itinéraires de la matinée sans encombre, aucune, et que mon arme et mon gilet ne m'ont été d'aucune utilité ; je dirais que c'était plutôt calme. Comme bien souvent. L'un de ses soupirs s'échoua dans son verre, sur lequel ses lèvres se penchaient de nouveau. Même s'il ne regrettait pas son choix, l'armée lui manquait. Il n'était pas seulement soldat en OPEX, il l'était jusque dans sa façon d'être. Coleman n'avait jamais appris à être autre chose qu'un militaire, il ne l'avait jamais voulu non plus. Aaron et Riley vont bien ? l'interrogea Lewis avec un large sourire. Deux enfants attendaient Jude le soir, une quasi vie de famille que Lewis espérait connaître un jour.

J'ai toujours été très admiratif du parcours de Lewis. Son engagement et sa force mentale à surpasser les traumatismes qu'il a bien pu vivre. C'est probablement pour ça que notre amitié a tenu le coup ; malgré mes études de médecine qui m'ont bouffé beaucoup de temps durant ma vingtaine, malgré son départ à l'armée, malgré mes démons et ma famille qui s'est construite puis, déconstruite. Je pense que le fait que nous ayons tous les deux vécus des choses qui nous ont mis plus bas que terre pour remonter petit à petit la pente nous a rapproché. Nous n'en avons jamais beaucoup parlé, pas explicitement en tout cas, mais je sais, sans même que nous ayons besoin de le dire, qu'il y a un respect mutuel dans ce que l'un et l'autre a pu traverser. Je sais que Lewis souffre encore de PTST et ça risque de prendre du temps pour qu'il arrive à surmonter ça, même si certains pensent qu'on ne s'en débarrasse jamais vraiment. "Oula.. depuis quand je compte vraiment les heures ?", que je demande à mon ami en riant avant de lever les yeux pour compter mentalement. "Mh.. je suis arrivé à la clinique à six heures du matin.. une belle petite journée de quasiment douze heures" Rien d'anormal dans la vie du Doctor Montgomery, surtout que les enfants sont avec leur mère. Le sourire sincère qui se dessine sur mes lèvres alors que nous trinquons à notre amitié et la sensation de l'alcool qui réchauffe les veines alors que je bois une gorgée du verre que m'a commandé Coleman. "Je me suis toujours demandé ce que ça faisait, de prendre une balle avec un gilet", que je dis d'un air presque penseur. "Ça doit quand même faire mal, non ?", que je demande à Lewis en concentrant à nouveau mon attention sur lui. J'ai du porter des gilets par balles quand je suis partis en mission humanitaire mais heureusement, il n'a jamais été réellement utile. "Ils vont très bien", que je réponds en buvant une nouvelle gorgée. "Ils seraient contents de te voir, tiens. Faudra que tu viennes à la maison un de ces quatre, quand il commencera à faire beau, histoire qu'on se fasse un petit barbecue" Le grand plaisir qui montre que Jude est devenu un petit papa bien ranger dans sa belle maison qu'il a retapé de ses mains il y a quelques années : le barbecue au début du printemps, lançant la saison estivale de la saucisse grillée et des burgers fait maison. "J'aurais dû t'inscrire à ce truc de Love is Blind avec moi tiens", que je dis en plaisantant qu'à moitié. Je suis sûr qu'il aurait fait fureur.

Lewis et Jude se ressemblaient bien plus que ce que leur différence de taille ou de façon d'être laissait penser. Jude avait connu les mêmes terres d'accueil, hostiles, que Lewis pendant une période. Pendant 18 ans, Lewis avait été régulièrement propulsé dans des contrées étrangères, le langage des armes remplaçant des dialectes locaux qu'il ne maîtrisait pas. Un uniforme contre un autre, Lewis officiait alors en tenue de soldat et Jude avec une blouse blanche. Pallier aux manques de centres de soins et de moyens médicaux comme il avait pu le faire avec médecins sans frontière n'avait fait que renforcer l'admiration qu'il avait pour l'engagement de Jude. Probablement jamais ? dit Lewis d'un air amusé. Ce à quoi on ajoute quelques heures dans un pub irlandais. Sans aller jusqu'à dire que le tour du cadran t'attend, ça te fait de sacrées journées, Jude. Coleman avisa le liquide ambré qui flottait dans son verre avant de le porter à ses lèvres. Il buvait peu et uniquement lorsque l'occasion lui était donnée, en bonne compagnie. C'est une sensation que je déconseillerais à tout le monde, évidemment. C'est douloureux, dit Lewis, ses yeux plissés dessinant de légères stries au coin de ses paupières. Il n'avait pas besoin de forcer les souvenirs, il connaissait par coeur la sensation d'une balle qui se logeait dans son gilet. Comme il connaissait celle qui traversait sa peau pour atteindre l'intérieur. Tout dépend du type de protection qu'offre le gilet et de l'endroit exact de l'impact. Celui que je portais à l'armée comportait ce qu'on appelle une plaque anti-trauma. Son équipement actuel n'avait rien à voir avec la tenue de l'US Army, c'était comme avoir été rétrogradé. L'impact est équivalent à ton poids qui s'écraserait soudain sur toi, et tout ça à bonne vitesse. Tu perds l'équilibre et fatalement, tu tombes. Lewis offrit un sourire à Jude avant de poursuivre. Il avait expérimenté cette douleur plus d'une fois en entraînement. L'équipement que j'ai aujourd'hui est un peu différent, moins complet. Ce n'est plus des plaques de protection mais des inserts, on va dire que ça équivaut à la moitié seulement en terme de zone de protection. Et si la balle s'enfonce dans le gilet, hors des zones d'insert, je te garantie que tu t'en souviens pendant un bon moment.... Environ 3 semaines, le temps que l'hématome s'estompe. Pourquoi... les zones dangereuses te manquent, Jude ? plaisanta l'ancien militaire avec un regard pour son ami. ça me ferait plaisir aussi. Je vais attendre l'invitation officielle, admit Coleman avec un sourire. Depuis combien de temps n'avait-il pas vu ses enfants ? Une éternité. Tu veux dire "ce truc" pour lequel j'attends toujours un débriefing en bonne et due forme ?... Tu l'as revue depuis ? l'interrogea Lewis.

Quand on aime, on ne compte pas, n'est-ce pas ? Et je présume que ça ne vaut pas que pour les relations humaines, ça vaut aussi pour nos métiers. Le truc, c'est que ça n'est pas qu'un métier. C'est une vocation. La médecine l'a toujours été et depuis que j'ai ouvert ma clinique, mon engagement s'est amplifié. J'ai enfin l'impression de faire quelque chose de bien avec cette clinique. Je suis fier de l'avoir fondée et fier quand je vois autant de femmes et de familles qui peuvent se faire soigner alors qu'elles n'en ont pas les moyens dans un hôpital ou une clinique traditionnelle. Notre système de santé, aux Etats-Unis, est vraiment pitoyable et je veux pouvoir mettre ma pierre à l'édifice pour réussir à contrer ça, puisque les politiques ne semblent pas vouloir se bouger le cul pour le faire. Je plisse le nez à la remarque de Lewis. "C'est pas grave, tant que je suis encore debout, c'est tout ce qui compte" Debout et sain d'esprit, aussi. Est-ce que je suis fatigué ? Un peu oui. Mais le jeu en vaut la chandelle. Sans vraiment savoir comment, l'objet de la discussion dérive sur les gilets par balle et j'écoute Lewis avec la plus grande des attentions. "Wow", que je lance alors qu'il me dis que l'impact est équivalant à notre poids. "Alors ça, j'aurais pas cru", que je dis, complètement fasciné. Je ris légèrement à sa question, "Mh, non pas vraiment non" Je me mords la lèvre, songeur. "Même si je t'avoue qu'avec ce qu'il se passe en Palestine en ce moment..." Oui, l'idée m'a traversé l'esprit. "Tu sais combien d'enfants sont en train de mourir là-bas ?" Je sais, il n'y a pas que des enfants. Mais j'ai lu des chiffres qui faisaient peur sur le nombre d'enfants qui meurent et le fait d'être ici, à ne rien faire, ça me rend un peu dingue, je l'avoue. Malheureusement (ou heureusement), je ne peux pas encore me dédoubler et être à deux endroits à la fois. Je bois une gorgée de ma bière, essayant de chasser cette idée de ma tête. Je préfère lancer une invitation à un super barbec quand les beaux jours seront là et commencer à lancer le sujet de Love is Blind. "Oui bon.. j'ai rencontré une jeune femme, elle s'appelle Helena et on a eu un date à l'occasion de l'expérience" Je souris. "Elle est très charmante, assez maladroite mais j'avoue que c'est plutôt mignon. Honnêtement je préfère prendre les choses comme elles viennent et ne pas m'emballer.." Sinon ça finit toujours mal et.. de toute façon, toutes mes relations finissent mal, donc comme ça, c'est réglé.

Légers bruits de pintes qui glissaient sur les tables, rires étouffés... La fréquentation plutôt faible de l'établissement ne gênait pas Lewis, ses sens enfin capables d'être mis sur off l'espace d'une soirée avec Jude. Il buvait déjà peu et chaque verre qu'il prenait le faisait désormais dériver vers Charlie. Aux parents qu'elle avait eu, ou plutôt à ceux qui l'avait éprouvée - préférant des liquides forts ou d'autres substances à leur propre fille. Là où le mot bienveillance n'était qu'un terme fondu dans les pages d'un dictionnaire jamais ouvert, il s'agissait du fondement même de l'éducation de Lewis, de l'ensemble de la fratrie Coleman. Une chance que n'avait jamais eue Miles.

S'il ne doutait pas du bien fondé des actions de Jude avec médecins sans frontière, il risquait aussi pour sa propre sécurité là-bas. Ici, il était libre d'opérer comme bon lui semblait ; son action n'était pas limitée. Bien trop, répondit Lewis, d'un air soudain assombri. Au fond de lui, il sentait encore que Boston n'était pas son environnement naturel mais que l'étranger l'était. C'était là-bas qu'il serait le plus utile. Certaines images lui revinrent en tête, des visages enfantins et éreintés tournés vers lui. Le regard divaguant à l'approche de l'unité à laquelle il était rattaché, à l'époque. Etait-ce alors son instinct de soldat ou simplement d'homme qui était le plus touché ? Hormis les moments conviviaux entre soldats une fois le soir venu, rares étaient les souvenirs heureux lorsque la violence devenait une constante. Lorsque seul le chaos régnait autour. Je vois ce que tu veux dire, je vois exactement. Crois-moi. C'est frustrant... d'être ici et de se sentir aussi inutile face à la situation extérieure. ajouta Lewis. En cet instant, ils partageaient plus qu'un regard - une conviction. A eux deux, ils en avaient pourtant sauvé des vies. Un nombre certainement inquantifiable. Lewis suivait l'actualité de près, peut-être trop pour un ex-militaire à qui le terrain manquait. Une habitude, un réflexe conservé de son ancienne vie ; lorsqu'il devait se tenir prêt à repartir même s'il venait tout juste d'entamer une permission. La guerre ne prenait pas de vacances. Mais tu fais bien plus que ta part à la clinique, Jude. N'oublie pas que ça compte, dit Lewis en reprenant son verre en main avant d'avaler une nouvelle gorgée. Tenter de se concentrer sur le positif plutôt que la noirceur du monde qui les entourait serait leur seul salut. Que ça se concrétise ou non, ça a l'air prometteur... Et ça te fait sourire alors c'est bon à prendre, répondit Lewis, esquissant un sourire. En parlant de rendez-vous... L'une de mes soeurs, sous couvert de m'inviter un midi, n'a pas trouver meilleure idée que de ne jamais se présenter pour que je puisse déjeuner en tête à tête avec l'une de ses amies. Je sais qu'elle croyait bien faire mais je me sentais presque mal pour sa copine, Abigail. On a déjeuné ensemble mais ça s'est arrêté là, pour moi en tout cas, dit le convoyeur. Si Lewis avait déjeuné avec elle, il n'avait fait que répondre poliment à ses interrogations. Plutôt que la chevelure rousse d'Abi, c'était le regard sombre de Charlie qu'il aurait préféré avoir en face de lui.

Il y a un avant et un après. Avant le départ, quand on est cantonné à sa petite vie d'américain bien rangée, quand on accepte le pays dans lequel on est né avec ses qualités et ses défauts. Quand ça ne nous choque pas de devoir payer des milliers de dollars pour une hospitalisation parce qu'on a pas les moyens de se payer une assurance santé, quand on pense à deux fois avant d'aller voir un médecin pour un rhume ou une fièvre de peur de finir avec une facture astronomique à payer. Ma mère a travaillé tellement dur toute sa vie, à enchainer plusieurs jobs pour réussir à payer mes traitements et séjours à l'hôpital à cause de ma leucémie ; une vie rythmée par des dettes et la peur constante d'être malade et de ne pas pouvoir se soigner. Je me suis rendu compte de l'absurdité de cette vie lorsque je suis parti avec médecins sans frontière pendant la crise d'Ebola il y a quelques années : des habitants qui vivent dans la misère et n'ont pas de quoi se soigner et un contraste révélateur quand on se dit qu'on vient d'un pays censé être plus "riche" et dans lequel ses habitants ont parfois tout autant la misère pour rester en bonne santé. Je sais que s'il y a bien une personne qui pourra me comprendre là-dessus, c'est Lewis. Cette envie de vouloir repartir qui est toujours un peu présente dans mon esprit. Les appels de mes collègues de sans frontière qui me disent que je reviens quand je veux pour une nouvelle mission. Leandra me tuerait si je lui disais que je partais un mois là-bas. Trop risqué, ça n'est pas envisageable quand on a eux enfants qui s'attendent à grandir avec leur père à leurs côtés. Mais qu'est-ce qu'on fait de toutes ces vies là-bas, qui ont également besoin de notre aide ? De savoir qu'on peut les aider mais qu'on ne le fait pas. J'hoche la tête lorsque mon ami me dit que ce que je fais à la clinique compte. C'est différent, bien sûr, mais ça compte. Je n'aide peut-être pas les gens là-bas, mais j'aide les gens ici. Le pire, c'est que je le vois, quand des parents frappent à la porte de mon bureau en pleurs pour me remercier d'avoir créer cette initiative solidaire. Des parents obligés de mettre leur dignité de côté pour venir demander à la charité pour qu'on soigne leur enfant. C'est dingue, le pays dans lequel on vit. "Je sais, je sais..", que je réponds presque dans un souffle. "Ça compte, c'est vrai. Mais je peux pas m'empêcher de me sentir coupable pour autant de rester ici, tu vois ?", que je demande à mon ami en relevant le regard vers lui, interrogateur.

Nous dévions sur un sujet plus léger et je dois dire que je ne veux vraiment pas m'avancer ou m'emballer vis à vis de Helena. C'est une rencontre sympathique et je préfère attendre de voir où tout cela va mener. Je tends l'oreille plus attentivement quand il me raconte le plan organisé par l'une de ses soeurs. Le sourire qui se dessine petit à petit sur mes lèvres au fur et à mesure que Lewis me détaille le subterfuge dans lequel il est tombé. "Elle a osé..", que je dis en riant. "C'était laquelle de tes soeurs exactement ? Honnêtement, ça ne m'étonne pas tellement, ça fait un moment qu'elles essayaient d'organiser quelque chose comme ça je crois." J'ai cru entendre quelques messes basses entre les soeurs Coleman la dernière fois que je les ai vues. "Pourquoi ça s'est arrêté là exactement ?", que je demande, curieux. "Le courant n'est pas passé ?" Ou alors elle ne lui plaisait peut-être pas ? Je sais que Lewis n'est pas quelqu'un de superficiel, mais n'importe qui mentirait s'il disait que le physique ne compte pas du tout.