Deux heures du matin sonnent à ma montre connectée, mais le petit bip caractéristique ne me ramène pas les pieds sur terre pour autant. Sac sur le dos, gourde attachée à ce dernier, visage trempé de sueur, je regarde vers le ciel d'un air absent. Hélas pour moi, je n'ai pas que l'air, j'ai aussi la chanson... plusieurs minutes déjà que la crise a commencé. Crise. Ce mot ramène à bien d'autres maladies que le diabète, et pourtant le mien, si tant est que je puisse qualifier de mienne une pathologie me pourrissant littéralement l'existence, le plus corsé d'entre tous, me provoque des crises de démence. A oublier mon insuline car bien trop occupé à gérer mes dossiers et mon cabinet, voilà ce que je récolte. Sauf que mon corps et mon âme ne se trouvent pas près d'un hôpital avec toutes les technologies de pointe, ainsi que suffisamment de médicaments pour couler trois Titanic... non. Il faut cela m'arrive en pleine nuit, en pleine pampa, lorsque je suis solo sans mon équipe. A leur décharge, aucun des trois ne connaissent mon combat de chaque instant contre cette maladie de merde. Un secret bien jalousement gardé que je souhaite conserver sous couverture le plus longtemps possible. Mais peut-être que dans un très bref élan de lucidité, mon cerveau commande à mon corps d'envoyer mes coordonnées gps à un contact dans ma liste. Il se trouve que ledit contact n'est autre que celui d'Elöa, la dernière personne à qui j'ai parlé sur Meets. Probablement ne comprendra-t-elle rien à ce message zarbi d'un hurluberlu pas couché à cette heure de la nuit... ou, si elle connaît un rien d'orientation, comprendra-t-elle que je me trouve au beau milieu d'une jungle, dans les vapes bien que fièrement debout tel un pic de gare, incapable ni de me repérer, ni de me rendre compte de ce qui m'arrive à l'instant.

Ce voyage te permettait de découvrir des nouveaux endroits, tu avais pas mal voyagé durant ta jeunesse, mais jamais dans ce genre d’endroit. La forêt amazonienne était immense, tu avais eu l’impression d’être une petite fourmis au milieu de cette immensité. Cette sensation d’oppression, un sentiment de malaise durant toute la visite, par chance, tu avais réussi à tenir jusqu’à ton hôtel sans faire de malaise où de crise d’angoisse. Une bonne douche, un bon repas au restaurant de l’hôtel et tu avais décidé de ne pas trop tarder, la fatigue allait s’emparer de toi, très rapidement. Une fois installée dans ton lit, la télévision allumée sur un film, tu finissais par tomber de fatigue, rêvant un peu de tout et de rien. Un sommeil très agité, tu transpirais, tu te retournais encore et toujours, essayant de te débattre dans ton rêve. Oui, tu repensais à cette soirée où tu avais été agressé dans la rue à Boston, quelques semaines après ton emménagement. Un traumatisme qui restait toujours présent, mais à qui tu n’en avais jamais parlé. Ton téléphona sonna, un réveil en sursaut, le regard perdu, il faisait totalement nuit et tu n’avais pas mis de réveil pour cette heure-ci. Tu avais attraper celui-ci pour regarder ce qui se passait, un message avec des coordonnées GPS de Bohème. Cet homme avec qui tu parlais plutôt bien depuis quelques jours, ton plan s’afficha, t’indiquant sa position en plein milieu de la jungle à cette heure-ci ? Il n’y avait rien d’autre et pour une fois, tu n’hésitais pas, il était certainement en danger ? Tu avais enfilé un legging, un sweat ainsi que des baskets. Tu avais pris un sac à dos avec quelques affaires dedans, histoire de pouvoir l’aider s’il était blessé ainsi qu’une lampe torche que tu avais demandé à l’accueil. Sans plus attendre tu quittais l’hôtel, marchant jusqu’au lieu indiqué. La lumière de la lampe allumée, les écouteurs dans les oreilles pour éviter de stresser avec les bruits de la forêt. Une grande inspiration et tu t’enfonçais dans la nuit, suivant avec précision le point sur le gps. Après vingt-cinq minutes de marche, tu te rapprochais de plus en plus, jusqu’à ce que tu te retrouves face à lui. « Bohème, qu’est-ce qui se passe ? » était-ce une mauvaise blague ? Un mauvais plan qui allait très mal tourner. Son regard était bizarre, mais tu n’avais pas de référence, tu ne l’avais encore jamais vu. En tout cas, il avait fait fort pour une première rencontre…

D'extérieur, la nuit paraissait belle, calme, si paisible qu'aucun animal présent dans cette jungle connue du monde entier pour être le poumon de la planète ne pouvait se douter de ce qui se jouait dans mon corps, là, tout de suite. Toujours planté tel un piquet de gare, mes prunelles d'ébène tournées vers un ciel plus étoilé que tout ceux que j'avais pu contempler jusqu'à lors. D'extérieur, je paraissais aussi calme que cette belle nuit. Intérieurement, la chanson semblait bien différente. Aucun son ne me parvenait jusqu'à ce qu'une voix ne s'élève pour fendre l'atmosphère sonore autour de moi. Pour être honnête, cette voix je ne la reconnais pas. Les étoiles.. que je lance subitement alors que mon cerveau semble prendre conscience du fait d'avoir de la compagnie. Si ma démence ne m'enfermait pas dans une espèce de chrysalide incassable et impénétrable, probablement aurais-je ri de cette première rencontre en compagnie d'Elöa. Mais aucune hilarité n'est présente sur mes traits. Sans même m'en rendre compte, mes poings se sont serrés au point de faire rentrer mes ongles dans la chair de mes paumes, et ma respiration, toujours erratique, le devient plus violemment encore. Je vais perdre la lumière !! Il ne faut pas perdre la lumière !! Alors que la sueur coule à grandes eaux contre mon front, c'est le moment que je choisis pour regarder brièvement la jolie rousse, ayant fait tout ce chemin pour venir me retrouver grâce aux coordonnées GPS. Une nouvelle donnée que, malgré tous ses efforts, mon encéphale n'est pas en mesure d'analyser pour l'heure.

La gueule encore endormie, tu n’avais pourtant pas mis bien longtemps qu’il s’agissait des coordonnées GPS au sein de son message. A vrai dire, tu devais le rencontrer, mais tu n’imaginais pas que ça allait se passer en plein milieu de la nuit, de cette façon. Mais au fond de toi, tu trouvais cette histoire un peu bizarre, tu t’inquiétais presque pour lui, allez savoir pourquoi ? Tu appréciais échanger avec lui par message, finalement, peut-être que tu commençais à t’attacher à cet homme caché derrière son écran de téléphone, qui plu est, avocat. Tu avais enfilé si rapidement tes vêtements, tu avais fourré quelques affaires dans ton sac à dos, au cas où, il serait blessé où que tu te faisais mal en y allant. Une lampe torche en plus du flash de ton téléphone, ça fera certainement l’affaire pour marcher dans la forêt. Forêt que tu avais visité au court de la journée et dans laquelle, tu t’étais sentie plutôt mal à l’aise. Pourtant, pour lui, tu n’avais pas hésité bien longtemps, prenant une grande inspiration et tu t’engouffrais dedans, la musique dans les oreilles pour éviter de psychoter sur les bruits environnants. Il ne t’avait pas fallu bien longtemps pour le retrouver, au milieu de nul part, droit comme un piquet, mais l’air absent, ailleurs. Quand tu lui posais cette fameuse question, il ne réagissait pas de la façon que tu désirais. Un élan de stress s’engouffrait en toi, tu ne savais pas ce qu’il avait, tu ne savais pas ce que tu devais faire et encore moins à cette heure-ci. « Je comprends rien de ce que tu dis. » laissais-tu glisser entre tes lèvres, essayant de te rapprocher de lui, un maximum. Laissant seulement un petit mètre entre lui et toi, tu l’écoutais parler une seconde fois. Tu attrapais son visage entre tes mains « Bohème. » soufflais-tu, cherchant quelque chose à décrypter dans ses yeux, dans son regard, tout ce que tu pouvais remarquer, c’est qu’il n’était pas vraiment là. La sueur sur son front, son regard absent, comme hypnotisé ou somnambule. Mais il n’aurait jamais pu t’envoyer un message dans un état second comme celui-là. « Il faut qu’on rentre. » peut-être qu’un médecin serait sur place pour le prendre en charge, peut-être qu'il s’était fait piquer ou mordre par une bête.

Si le moi réel avait conscience des choses, probablement que je ne comprendrais pas davantage ce que je suis en train de dire ou de faire. Les mains fraîches d'Elöa prennent en coupe mon visage, et ce geste, cette sensation me permet de la regarder dans les yeux, malgré la pénombre et la situation. Pourtant la lumière est si belle... que je murmure alors qu'une larme s'écoule contre l'une de mes joues mattes. Mon corps tremble telle une feuille prête à s'effondrer de sa branche, et ce dernier est incapable de bouger. Je voudrais répondre, je voudrais reprendre le contrôle de ma vie, de mon être, mais le diabète m'enferme dans une prison aussi blindée qu'un bunker et je suis incapable de lutter. T'es qui ? que je parviens tout de même à dégoiser, bien que je connaisse la jolie rousse au moins en photo. L'environnement et tout ce qui s'y rapporte, la situation aussi, m'empêche de raccrocher les wagons ensemble. Mes prunelles sombres et brillantes ne la quittent pourtant pas des iris alors que je lève un doigt tremblant afin de caresser doucement la peau pâle et douce de son visage. Tu es belle... Mon expression est sérieuse, presque trop. Mon esprit, tant qu'à lui, tente vainement de reprendre le chemin de la cohérence et de la réalité. Par chance, et malgré la présence suffisante d'insuline dans m:on organisme, je me coupe un petit chemin cahoteux vers ce qui est un début de fin de crise. E... Elöa ?

Tu n’étais pas très doué pour comprendre les personnes, ce n’état pas pour rien que tu n’avais pas de relation plus sérieuse, tu fuyais dès le moindre problème, devenant insupportable, froide, piquante et blessante. C’était ce qui se passait avec ta meilleure amie, pour te protéger tu devenais une autre personne. Il était temps que tu travailles sur ce point là, malheureusement, ce n’était pas en plein milieu de la forêt que tu allais réussir à faire quoique ce soit sur toi-même. Et pourtant, tu devais trouver une solution, il n’était pas lui-même et il avait clairement besoin d’aide. Sans réfléchir tu déposais tes mains sur son visage, l’obligeant à te regarder. Le visage chaud et moite, tes iris plantés dans les siennes. Tu hochais la tête « Continues à voir ta lumière Bohème. » laissais-tu glisser entre tes lèvres. Tu espérais sincèrement que de sentir ta présence ferait quelque chose. Ton regard ne le quittait pas, ton coeur commençait à s’emballer, comme le stress qui prenait de plus en plus de place dans ton corps. Tu sentais cette larme couler contre ton pouce que tu essuyais rapidement, remettant une mèche de ses cheveux derrière son oreille. Un léger sourire s’afficha sur ton visage après son compliment « Tu es magnifique aussi. » soufflais-tu doucement. Finalement, après quelques longues minutes, il arrivait à prononcer ton prénom, ce qui t’arracha un léger soulagement. « Oui c’est moi. » te voilà légèrement rassurée « Comment tu vas ? » espérant qu’il puisse te répondre, malgré le fait qu’une crise d’angoisse allait certainement montrer le bout de son nez. Tu te sentais oppressé, en plus de sentir une chose tomber sur ton épaule, un sursaut et une vive douleur au niveau de ton cou, tu te mis à hurler, sentant cette araignée courir sur toi. Tu te débattais dans tous les sens, la bête tombant au sol. « Je viens de me faire mordre par une araignée » le stress qui montait, la difficulté à respirer, tu te voyais déjà mourir dans cet endroit.

La situation ne semblait pas irréelle seulement pour moi, mais aussi pour mon accompagnatrice de fortune, ayant pris le risque de venir me rejoindre au beau milieu de la forêt Amazonienne en pleine nuit. Rien que cet état de fait lui vaudrait une médaille, à bien y réfléchir. Notre proximité actuelle, sentir ses doigts contre mon visage bouillant, presque fiévreux, m'aide à raccrocher les quelques wagons éclatés sur le bord de la route de mes impulsions neuronales. Si son compliment n'eut pas tout de suite de réponse, mon encéphale, lui, l'enregistrait pour un moment plus important, tandis que je murmurais pour la première fois son prénom depuis le début de cette scène hors du temps. Qu'est-ce que je fous ici ? Question à dix mille dollars - au bas mot - bonjour. Impossible de me souvenir la raison pour laquelle mes pieds m'ont conduit aussi, et encore pourquoi Elöa se trouvait elle aussi présente à mes côtés... bien que cette donnée soit on ne peut plus rassurante à mes yeux. J'ai été... pas normal ? que je reprendre, le corps toujours tremblant et l'esprit bien embrumé. La crise passait très progressivement, me laissant une fois encore avec une centaine de questions toutes plus farfelues les unes que les autres. J'aurais d'ailleurs volontiers ajouté quelque chose au moment où un sursaut de la jolie rousse te redonne un rien de réflexe. L'araignée je la balaye d'un geste calculé de la main mais cette saloperie a manifestement eu le temps de la piquer. Putain manquait plus que ça... Pour le venin de serpent, on peut aspirer le venin mais pour une araignée ? Tu acceptes que j'essaye un truc ? Sauf que je n'exécuterai rien sans son consentement préalable.

Te voilà propulsée dans un monde totalement différent du tien, le luxe et la richesse n’était pas présent au milieu de cette forêt. Heureusement que c’était pour lui, tu ne l’aurais pas fait pour tout le monde, encore moins si cette personne en te plaisait pas. Tu serais confortablement allongée dans ton lit, enroulée dans cette couette, la tête enfoncée dans ton oreiller. Mais non, tu étais bien là avec lui, les mains posées sur son visage, essayant de suivre cet homme dans un monde différent où la lumière était belle comme les étoiles. Finalement, il reprenait conscience, il prononçait ton prénom, pour la première fois. Il fallait l’avouer, tu aurais aimé que cette rencontre se fasse autrement, mais maintenant tu c’était fait, il était trop tard pour faire marcher arrière. « Je ne pourrais pas répondre à cette question, je n’en sais rien. » tu haussais légèrement les épaules, enlevant tes mains de son visage, c’était devenu légèrement gênant. Tu reculais pour lui laisser une certaine liberté. « Tu n’étais pas toi-même ? Si je peux dire ça. » peut-être qu'il se droguait ? Qu’il était en manque totalement dans un délire ? Possible, tu avais déjà vu des personnes dans son état après une bonne soirée. Après lui, c’était à toi de vivre une nouvelle aventure, une piqure provenant d’une araignée, mais en plus de ça, dans la forêt où chaque espèce était différente de celle en Amérique ou en Europe. Le stress montait, la crise d’angoisse était là, les larmes coulaient le long de tes joues. « Je vais crever ici. » essayais-tu de dire, mais la peur défigurait tes paroles. Il te proposa d’essayer quelque chose, au point où tu en étais, autant le faire. Tu déposais ton sac à dos à tes pieds, enlevant ton sweat, te retrouvant en sous-vêtement, tu n’avais pas pensé à mettre un t-shirt après avoir reçu son message. « Vas-y, je te laisse tenter. » soufflais-tu doucement, essayant de gérer ta peur et ton stress.