Eberlué, je contemple l'écran de mon smartphone s'éteindre au bout de quelques secondes. Le commissariat vient de me contacter sur demande de l'inspectrice Carmella Dabiri, actuellement en garde à vue. Le motif n'est pas encore entre mes mains, mais il le sera très bientôt. Sans même réfléchir, je demande à mon assistante unique et préférée Saga d'annuler tous mes rendez-vous de cette fin d'après-midi, avant d'attraper mes clefs de voiture à la volée. Ledit commissariat n'est pas loin, heureusement. Tant que je ne suis pas certain du motif pour lequel la jolie brune est prisonnière de quatre murs infâmes, je préfère contenir mon amusement. Je me pointe en peu de temps, mon sac à bandoulière ayant vécu plusieurs guerres sur mon épaule, tranchant avec le costume hors de prix et sur mesure que j'arbore. Une femme fort peu aimable me renseigne sur l'étage où se trouve ma cliente et accessoirement femme de ma vie. Cela tombe parfaitement, ces abrutis de flics ont décidé de commencer l'interrogatoire sans ma présence, m'offrant une autoroute pour faire annuler toute procédure à l'encontre de l'inspectrice. Il ne me semble pas qu'une loi impliquant de ne pas attendre l'avocat d'une suspecte ait été promulguée récemment, par conséquent j'exige les trente minutes réglementaires avec ma cliente. Mon ton est tranchant, sans appel. Aucune émotion ne trahit les émotions contradictoires que je peux ressentir à cet instant précis. J'attends patiemment que la flicaille quitte la pièce et prend une chaise afin de m'asseoir en face de Carmella, le visage toujours aussi fermé. Lorsque j'aurais connaissance des faits lui étant reprochés... sans doute pourrais-je me détendre, mais pas avant. Chelou de te voir de ce côté de la barrière... mais je peux savoir le motif de ta garde à vue avant de te dire plus en détails ce que j'en pense ? J'hésite à m'attendre aux foudres de la jolie brune, car je connais de près son professionnalisme. Probablement ne tentera-t-elle pas le diable en s'époumonant en plein commissariat... probablement.

La tenue extraordinairement sexy et désirable de Carmella n'a évidemment pas échappé à mon œil de faucon, mais rien dans mon attitude ou mon regard ne laisse présager ce que je peux bien en penser. Je n'oublie hélas pas que nous nous trouvons tous deux dans une salle d'interrogatoire, et que, si la caméra vient d'être coupée - le voyant rouge venant de s'éteindre - il n'en demeure pas moins que je ne peux pas jouer la carte des grandes effusions sentimentales dans un lieu aussi particulier. Toujours debout, ma sacoche sur le grand bureau d'un gris à rendre dépressif le plus jovial des tempéraments, je croise les bras contre mon costume sur-mesure me donnant à la fois un air classe mais strict. Ni trop, ni trop peu, juste ce qu'il faut afin de pouvoir habilement utiliser la chose lorsque la donne l'exige. J'opte pour l'écoute - l'expression impénétrable dans un premier temps - sans pour autant quitter des yeux la jolie brune, qui me semble être au trente-sixième dessous, au bas mot. J'en boirais presque du petit lait si j'étais quelqu'un de sans pitié, ce qui n'est heureusement pas le cas. Soirée arrosée, semble-t-il que je ne peux pas m'empêcher de rétorquer, sans craindre qu'elle fasse autre chose que me fusiller du regard. Carmella me sauterait probablement à la gorge si nous n'étions pas sur son lieu de travail. Sauf que là, et on ne peut pas me blâmer de la taquiner doucement, je peux tirer un tantinet avantage dudit lieu en question. Minute : tu veux dire que des types ont été suffisamment stupides pour continuer de vous peloter alors que vous aviez dit non ? Un rien de colère fait danser des flammes dans le fond de mes iris d'ébène. Il me faut faire appel à tout mon self-control pour ne pas bondir hors de la pièce et partir chercher ces enfants de putain afin de leur rappeler qu'une femme, ce n'est pas un morceau de bidoche mais un être et une âme à respecter. On règlera ça plus tard, fais-moi confiance que je reprends, mâchoires serrées à l'extrême, sourcils légèrement foncés de rage. Mes paupières se closent quelques fugaces secondes afin de laisser la pression et la colère redescendre progressivement, pour offrir une œillade tendre et amusée à l'attention de Carmella, alors que je m'approche enfin, sans pour autant la toucher. Et dire que je pensais te proposer de passer Thanksgiving avec moi... Okay, c'est sorti tout seul, alors que nous sommes toujours en salle d'interrogatoire, mais je n'y peux rien : en sa présence, je coche toutes les cases de franchise et de laisser aller complet.

L’idée que Carmella ait eu à se défendre car des types trop bourrés pour être honnêtes possédaient des vues qu’ils n’auraient pas dû avoir me ramène à un instinct quasi animal. Celui de vouloir refaire le portrait de tous les responsables, y compris ceux qui n’ont rien fait pour l’empêcher. Je réglerai ça plus tard... que je murmure, mâchoires tellement serrées qu’elles en deviennent douloureuses. Je ne comprends pas comment on peut, encore à l’heure actuelle, considérer la femme comme un vulgaire morceau de viande. A croire que l’être humain n’est pas aussi avancé qu’il peut le faire croire, ou en tout cas pas aussi évolué qu’il le devrait. Je n’irais pas jusqu’à dire que je me retrouve en face de néandertaliens mais ce n’est pas loin. Est-ce que tu serais capable de les décrire ? De les reconnaître ? Te faire sortir d’ici devrait être une formalité mais je tiens à ce que les poulets pur jus qui t’ont flanqué en cellule fassent ceux pour quoi ils sont payés : faire respecter l’ordre et la loi. Peut-être qu’une part de moi s’en réjouit par avance, car mettre le nez dans le caca à ces demeurés est presque devenu un sport que j’affectionne au-delà des mots. J’imagine sans peine que cela ne déplairait pas à l’inspectrice non plus, après avoir été traitée ni plus ni moins comme une criminelle par ses propres collègues. Autant dire que je suis à deux doigts de faire un massacre et pourtant, ce qui me ramène à davantage de calme et de douceur, c’est la brune en face de moi, dont l’étonnement est touchant. A moins que ce ne soit inscrit dans les accords de Genève, il me semble qu’on peut fêter Thanksgiving à deux... que je m’amuse en remettant délicatement une de ses boucles d’ébène derrière son oreille. J’avais même prévu de cuisiner... Je tente de lui donner envie de passer ce moment en ma compagnie, malgré la violence de ces dernières heures et tout le reste. Pour une fois, l’avocat que je suis oublie volontiers que l’on se trouve dans un commissariat et que j’outrepasse allègrement ma position. Face à Carmella, je suis tout autre. Enfin… à moins que tu n’aies autre chose de prévu, ou pas l’envie de le passer en ma compagnie.