Meryana s'exclama à la simple idée évoquée, et Ji-hun ne comprit pas tout de suite ce qui clochait, ce qui expliquait la surprise avec laquelle elle répondait. Il ne dit rien, la laissa s'exprimer quant à la relation qu'elle vivait avec les collègues de l'hôpital où elle travaillait. Ce fut étonnant pour lui de savoir qu'elle ne se plaisait pas à les rencontrer en-dehors du travail qu'ils exerçaient, parce que c'était souvent comme ça que se terminaient ses journées : une boisson partagée dans le bar d'à côté avant de filer jusqu'à la Maison des Dorés. Bien entendu, il n'y avait pas que les sciences qui consolidaient les affinités entre les doctorants qu'ils étaient, il y avait aussi les origines asiatiques et le sport qui les rapprochaient et sur lesquels ils pouvaient également échanger sans s'inquiéter de l'heure qu'il était. Le plus jeune était triste pour son aînée, mais on ne pouvait pas forcer les complicités, peut-être qu'elle avait d'autres alliés vers lesquels se tourner. Il n'en demanda pas davantage, préféra tourner rapidement la page.

J'ai de bons conseils, et ai trouvé quelques outils qui m'aident à compenser les difficultés, lui assura-t-il de ne pas se laisser envahir par le stress de ne pas y arriver. Certains auraient probablement arrêté face à la complication de rédiger une thèse en anglais, mais Ji-hun avait un caractère bien plus déterminé que le laissait paraître son côté gentillet. Une force indescriptible l'habitait et il était loin de s'avouer vaincu après toutes les étapes qu'il avait dû endurer ; sinon à quoi aurait-ce servi de fuir pour sauver sa vie ? Professeur particulier, oui, si tu préfères, dit-il, tout sourire. C'était pareil, l'avantage était qu'il était bien mieux payé à s'asseoir auprès d'un seul élève que de se tenir debout devant des bancs d'étudiants – n'en déplaise. Je ne pouvais plus me permettre de travailler selon un planning établi la semaine, commença-t-il à expliquer son départ de la Luna Caffe, et serveur le weekend ce n'était pas mieux payé. Aujourd'hui je m'organise comme je le peux et je suis quand même gagnant.

Son contrat doctoral devait être sa priorité, mais il y avait des responsabilités qu'il désirait honorer. Elles concernaient le prêt que ses parrains lui avaient cédé pour lui permettre de bien commencer sa vie sur Boston à son arrivée, son engagement envers son pays pour lequel il souhaitait que les droits et les libertés soient enfin respectés, et l'aide financière qu'il voulait céder à son père dans le but d'entamer de sérieuses recherches et savoir ce qui était arrivé à sa mère et ses soeurs adorées. Pas de quoi se concentrer uniquement sur la thèse qu'il écrivait, il avait besoin de se faire un maximum de blé sur le peu de temps qui lui restait. La personne qui s'est portée garante pour moi, répondit-il pour plus de clarté – celle qui avait signé et lui avait permis d'être sauvé. Les mois lui avaient paru long jusqu'à ce qu'il puisse s'envoler vers cette autre contrée qui pourrait offrir la sécurité. Il enchaîna pour lui présenter le genre d'action qui se faisait et auquel elle pourrait adhérer si l'ennui perdurait. Je t'enverrai les coordonnées, affirma-t-il.

Ça ne coûtait rien d'essayer, poser un diagnostic ne requérait pas grand-chose si ce n'était le titre qui l'accompagnait, et Meryana avait largement le niveau pour se présenter. Mais le temps n'était pas à parler de cette possibilité, ni de la forcer à en accepter l'idée, Ji-hun passa à une autre activité : celle de goûter à ce qui se trouvait dans l'assiette de la plus âgée. Bras posés et corps légèrement penché au-dessus de la table autour de laquelle ils s'étaient installés, il accepta une cuillerée qui vint directement dans sa bouche et l'imprégner des saveurs mélangées. Um, acquiesça-t-il en mâchant lentement, je suis bien plus salé que sucré. Mais ce n'était pas une raison pour ne pas tester. Il sentait toutefois un léger fossé qu'il ne saurait caractériser ; était-ce parce qu'elle était réservée ou était intimidée par ce qu'il lui avait avoué ? Il décida donc de mettre les pieds dans le plat et lui demanda : tu... as des questions ? Pas sûr qu'elle ait compris la référence, il se permit de reprendre à l'avance : sur qui je suis, ou ce que je fais ici.

Sur sa vie d'avant et ce qu'il était venu chercher en s'enfuyant. Il comptait jouer la carte de l'honnêteté pour être certain qu'elle n'ait pas de réticence à le côtoyer. Elle pouvait même enchaîner les questions si elle s'en sentait l'obligation afin de faire entièrement confiance au garçon. En revanche, si elle comptait le garder près d'elle dans l'anonymat il acceptera et fera en sorte de trouver de quoi enfin marquer le plâtre qu'elle portait à son bras.

TODAY, I'LL BE THE BUBBLE TO YOUR TEA.
@Ji-hun Hwang & @Meryana-C. Hutton
TW : abandon - notion d'orpheline - maltraitance - humiliation évoquée - mot vulgaire

L

a brune n’a pas eu de chance, depuis le début de sa relation. Qu’il désirait la garder cacher aurait dû lui mettre la puce à l’oreille, mais elle ne s’est pas écoutée. Il n’y a eu que son cœur qui comptait et aujourd’hui, elle s’en mord indéniablement les doigts. Déjà, elle le côtoie au travail et en plus de cela, une personne a ébruité leur relation passée. Si bien qu’elle passe pour celle qui a tout fait afin de réussir et lui, le pauvre homme ayant passé la quarantaine, ayant fait un écart auprès de son épouse. Seulement, elle ne savait rien et à présent, après de ceux avec lesquels elle travaille, elle passe pour la « catin ». Ana l’exècre pour cela, mais aussi parce que son cœur n’a pas cicatrisé. Leur relation a été la plus belle et la plus importante de son existence et même si elle n’existe plus à ce jour, elle pleure toujours son seul et unique amour. Y songer lui fait énormément de mal, mais elle essaye de le cacher. Dissimule ses yeux à l’aide de sa longue chevelure tout en se prêtant un air détaché. Mais sa peine de cœur la fait davantage souffrir que la blessure de son avant-bras droit, ça, jamais, elle ne le niera. « Quels sont ses outils ? » L’urgentiste se permet de l’interroger, se demandant comment il compense ses difficultés en anglais tout en continuant à déguster avec sa main gauche son bubble tea. À sa place, elle ne sait pas si elle serait parvenue à réussir en n’ayant pas toutes les connaissances d’une nouvelle langue. Heureusement, la question ne s’est pas posée, de plus, elle a bien rédigé trois romans en anglais, des best-sellers primés, bien qu’elle garde toujours l’anonymat. « J’aime bien l'idée de professeur particulier. » La belle en esquisse un large sourire et fixe Jay, s’essayant de les représenter avec un étudiant. Ce doit être intimidant la première fois, mais il est indéniable que l’on doit tisser de meilleurs liens, vu que les cours se passent à deux uniquement. « Hm. » Elle esquisse de nouveau sa petite moue, celle qui se trouve être irrésistible, lorsqu’il évoque la Luna Caffe. Après tout, c’est dans ce lieu qu’ils se sont rencontrés et il n’y travaille plus. Ce qui la rend assez triste, lorsqu’elle en passe la porte et ne l’aperçoit pas. Elle peine toujours à croire qu’il n’est réellement plus là. « C’est certain que les weekends ne payent pas mieux que les semaines. » Elle bougonne davantage pour elle-même, avant de laisser un soupir passer la barrière de ses jolies lèvres pleines. Puis il lui parle davantage de lui, de la personne qui s’est portée garante afin qu’il fasse ses études ici, à Boston, loin de son pays de naissance et une ridule se forme entre ses sourcils tandis qu’elle attaque son macaron à la pistache. Tout ceci, avant même qu’il ne lui fasse part d’une solution qui pourrait lui permettre de continuer d’exercer, en faisant des diagnostics, sans user de son bras droit, durant un temps. La belle acquiesce, s’imagine sans mal pouvoir le faire, mais lorsque son esprit sera clair : ce qui signifie l’arrêt de ses médicaments. Elle commencera lorsqu’elle aura entamé sa rééducation, c’est ce qui lui semble le plus juste, mais elle ne pipe mot et se contente de prononcer : « Merci beaucoup. Je les appellerai dans la journée. » Elle souhaite se rendre utile, le plus promptement possible. Seulement, cela devra attendre encore un petit moment. À cette pensée, une énième petite moue se dessine sur son visage de poupée, jusqu’à ce qu’elle le nourrisse à l’aide d’une cuillère afin qu’il déguste un morceau de son macaron préféré. « Je ne sais pas ce que je suis. » Elle prononce, pensive. « Je crois que j’aime indéniablement les deux. Le sucré et le salé. » Elle est gourmande, en même temps, la jeune trentenaire, personne ne peut émettre le contraire, lorsque l’on la connait du moins. « Des questions ? » Ses billes marron se font rondes. « Ce que tu es et ce que tu fais ? » Un rire passe la barrière de ses lèvres. « Tu es un jeune homme courageux qui a quitté son pays de naissance afin de continuer ses études à Harvard tout en revendiquant les droits que ton pays devrait avoir. Tu es une sorte de héros, Jay. Je n’ai pas de questions à te poser à ce sujet. Je t’admire beaucoup. » Elle le pense, du plus profond de son cœur et lui offrant un large sourire, elle lui dit : « Je crois que j’ai terminé mon bubble tea. » Elle secoue son gobelet à l’aide de sa main gauche et regarde son avant-bras droit. « Tu crois que tu pourrais dessiner ma peluche, celle que tu m’as offerte ? Pour immortaliser ce moment. » Ses iris scintillent de mille feux tandis qu’elle le regarde et attend sa réponse.

Morceau de macaron offert à la cuillère, on ne pouvait dire que Meryana manquait de bonnes manières. Malgré l'opportunité donnée de le lui donner avec les doigts, elle préféra se concentrer pour le couper et lui tendre dans la foulée. Il ne savait si ça provenait d'une timidité qu'elle lui aurait cachée, ou si en public elle n'osait pas trop s'avancer, mais ça piqua la curiosité du brun à qui elle donna la becquée ; peut-être voulait-elle mettre des distances de peur qu'il puisse la froisser ? Il n'était pas du genre à blesser, que ce soit en  « amour  » ou en amitié, mais il entendit sa réserve et ne put que l'accepter. Vint donc le moment d'amplement déguster ce qu'en bouche elle lui avait déposé. Pas de quoi casser trois pattes à un canard, il trouva le mélange de texture un peu bizarre. Ce n'était clairement pas ce qu'il avait l'habitude de commander, le goût était là mais, pour lui, ça restait bien trop sucré. Il ne manqua pas de jouer la carte de l'honnêteté, même s'il atténua grandement ce qu'il en pensait vraiment.

Il finit de mâcher, apprit que la demoiselle était tout aussi sucrée que salée, mais ce fut ce côté  « réservée  » qui resta dans sa mémoire ancrée, alors il ne manqua pas de lui demander si elle avait des questions, peut-être que c'était l'une des raisons. Il se tint prêt à répondre même aux interrogations les plus profondes. Il se doutait que s'il voulait avoir des relations qui dureraient il ne fallait pas jouer sur l'à peu près. Il avait quelques secrets, mais il se doutait que personne n'irait fouiller dans les recoins sombres de son passé, parce qu'il n'avait pas la tête qui allait avec les récits qu'au chaud il gardait. Le rire qu'elle laissa s'échapper fut surprenant, et il ne comprit pas ce qui pouvait la faire marrer, aurait bien voulu l'accompagner, lui qui aimait laisser sa joie s'exprimer. Pourtant, les mots qui suivèrent furent loin d'être ceux qu'il attendait, élogieux et bourrés de sincérité. Il le sut, parce que ses yeux restèrent figés dans ceux de la trentenaire qui lui avait fait le plaisir d'accepter de lui reparler.

Je ne sais pas quoi ajouter, avoua-t-il, encore abasourdi des mots employés. C'était devenu compliqué pour lui de cacher lorsqu'il était sincèrement touché, il y avait cette petite étincelle dans ses yeux qui se mettait à, un peu plus fort, briller, pour ça il décida de les baisser, tentait de réfréner les émotions qui tentaient de l'habiter – pas du tout à l'aise avec ce qui se passait. Heureusement, elle ne le remarqua pas, ou fit semblant pour lui épargner ça. Meryana reporta l'attention sur la boisson qu'elle venait de terminer ; est-ce que ça voulait dire qu'ils allaient déjà se quitter ? Bien trop tôt au goût de Ji-hun qui avait espéré l'éloigner de l'appartement où elle passait bien trop de temps. Un regard sur le sien lui fit comprendre qu'il ne lui restait aussi que quelques gorgées et ça l'ennuyait. Il avait toutefois oublié un détail, et de taille : le dessin qu'il lui devait, sur le plâtre déjà bien coloré qu'elle portait. Je vais voir s'ils ont un feutre noir, répondit-il avant de se presser pour aller demander.

Comptoir atteint, il attendit que quelqu'un veuille bien savoir ce que leur voulait le brun. Il expliqua qu'il avait besoin de noter quelque chose, qu'il aimerait bien leur emprunter de quoi écrire, qu'il leur rendra avant de partir. Des stylos proposés mais qui ne fonctionneront pas assez sur la matière utilisée, sur une encre il flasha dans l'espoir qu'elle ne bavera pas. Je peux m'asseoir à côté de toi, lui demanda-t-il une fois de retour. C'était plus pratique pour dessiner – déjà que ce n'était pas un artiste né. Il montra sa trouvaille en espérant que ça lui aille, puis se tint prêt à imprimer de son empreinte cette jolie peluche avec un peu moins de teintes. Où y aurait-il assez de place, chercha-t-il avant de pointer un endroit de son doigt. Accord donné ou un autre exigé par la jeune femme blessée, il finit par commencer à tracer. D'abord les contours, il remplira les espaces de noir à leur tour. Il profita de cette pause pour raconter qu'en Corée, ils étaient obligés d'exceller.

Entre autres il y avait les domaines artistiques : le sport, le dessin, la musique. J'ai choisi la natation, le piano, et le dessin technique, confia-t-il avant de grimacer, une rature venait de se loger et il devait la rattraper, mais comme tu peux le voir, je ne suis pas très doué. Il rit, s'en sortait mieux lorsqu'il ne vivait pas ici et était plus petit. J'aimerais t'inviter à déjeuner vite fait, n'eut il aucun mal à être franc, voulait la garder près de lui un peu plus longtemps, du salé cette fois. Il releva un instant son regard bridé dans celui plus rond de celle qui était à ses côtés, et laissa un sourire s'afficher. Le temps n'était pas encore propice aux balades improvisées, mais ils pouvaient toujours manger jusqu'à être calés, puisque c'était une de leur activité préférée. Je sais où je veux t'emmener, prit-il les devants avant de retourner à la tâche qui lui était incombée, gaiement. A cet instant, il n'imaginait même pas qu'ils finiront par échanger des messages réguliers,et à se retrouver assez souvent, comme bon leur semblait.