Ji-hun avait réussi à tenir le rythme de vie plus calme qu'il avait désiré s'imposer après les différents rush subis entre les compétitions de natations et le travail qu'il fallait, après ça, rattraper. Chaque matin levé de bonne heure pour sa course à pieds habituelle, il ne traînait pas plus dans les couloirs de la Pforzheimer House. Douche énergisante prise, il se dirigeait vers l'école de médecine pour espérer quitter les locaux du laboratoire à plus ou moins huit heures chaque soir. Il y avait bien évidemment eu quelques loupés, mais dans l'ensemble ça c'était très bien passé. Il pouvait même se permettre de retrouver quelques amis en-dehors de ses moments d'études et de tutorats,   pour boire un verre, se balader, jouer une partie de cartes ou bien aller boire un thé à billes de tapioca bien sucré.

C'était ce qu'il s'apprêtait à faire en ce samedi fin de matinée, d'ailleurs. Rendez-vous fixé à onze heures, il allait retrouver une cliente de la Luna Caffe, la brasserie dans laquelle il avait eu le plus long contrat. Le hasard avait voulu qu'ils se croisent à nouveau sur les réseaux, grâce à un ami qu'ils avaient en commun. Reconnue d'emblée, Ji-hun n'avait pas hésité à la contacter, et après quelques messages échangés ils en avaient conclu que ça serait bien qu'ils puissent passer un peu de temps ensemble. Surtout qu'après le tragique événement, la trentenaire semblait un peu déprimée, il n'était pas trop tard pour y remédier. Le nord-coréen et sa bonne humeur légendaire prirent les transports jusqu'à l'endroit convivial de la limered teahouse devant laquelle il patienta.

Les nuages étaient gris mais il ne pleuvait pas – pas encore en tout cas. Il vérifia le positionnement des aiguilles sur sa montre automatique, et conclut qu'il avait encore quelques minutes avant qu'elle n'arrive. Il s'écarta de l'entrée et alluma une cigarette tout en observant la rue et les différents passages piétons pour repérer au plus vite la jolie brune lorsque cette dernière apparaîtrait. Tout juste le temps de terminer jusqu'au filtre sa clope qu'il remarqua sa silhouette endommagée par la tragédie du TD Garden sur le trottoir d'en face. Il sourit, jeta convenablement son mégot et s'avança pour l'attendre galamment au bout de l'allée cloutée, yeux tantôt sur le signal tantôt sur elle ; oui, ça se pourrait bien qu'il soit pressé. Le bonhomme changea soudainement de couleur, donna enfin son feu vert.

Une fois tous deux à même hauteur, Ji-hun suivit le mouvement pour ne pas gêner les autres passants. Ça fait tellement bizarre de te revoir, dit-il, hésitation marquée entre le « te » et le « vous », incapable de détourner son regard bridé tant ça paraissait irréel. Combien de mois avaient passé ?  Elle n'avait pas changé. Rentrons, il fait bien plus chaud à l'intérieur, l'invita-t-il à passer les portes de la boutique à bubble tea et autres pâtisseries. Tu n'es pas trop fatiguée, s'inquiéta-t-il, au courant que ses nuits étaient pas mal tourmentées depuis l'événement. Ils se glissèrent dans la maigre file d'attente en vue de commander. Il est magnifique ton plâtre, complimenta-t-il les couleurs qui l'avaient taché. Exactement comme sur la photo qu'elle avait postée.

Today, I'll be the bubble
to your tea.
with @Ji-hun Hwang and @Meryana-C. Hutton
warning : extrême fatigue - déprime - bras endommagé à cause de l'effondrement au TD Garden
Boston, Along Charles River, limered teahouse
Elle soupire. Car elle ne sait plus que mettre et aimerait déchirer la manche droite de chacun de ses vêtements. Mais c’est impossible, tout du moins, sans l’aide d’une tierce personne. Alors, la brune se scrute dans le miroir et perçoit ses cernes assez marqués. De coutume, elle se maquille légèrement, parvient à les dissimuler de manière que ses longues gardes ne soient point perceptibles sur son visage, mais ce ne sera pas le cas aujourd’hui. Se munissant de l’un de ses débardeurs, elle le passe avec complexité, puisque son bras doit rester immobilisé. Après cela, elle se peigne, laisse ses cheveux ainsi détachés et positionne une paire de lunettes de vue afin de reposer ses iris. Jeans passé en une bonne dizaine de minutes, il en est de même avec ses chaussures qu’elle ne parvient pas à lacer. C’est sans habitude qu’elle les enfonce dans ses baskets, remontant jusqu’à ses chevilles, pour ajuster un gilet sur ses épaules, y passer son bras gauche et attacher le premier bouton. Quant à son manteau à capuche, elle agit de la même façon, sauf qu’elle n’y passe aucun bras et se contente de l’attacher au niveau du haut de sa poitrine, avec toujours ce même système de bouton. — « Enfin. » Meryana prononce pour elle-même, ne prenant plus la peine de se demander si elle est satisfaite du résultat, quand, son smartphone sonne, signe que son taxiste se trouve carré devant son domicile. L’enfonçant dans sa poche, l’urgentiste en arrêt se saisit de ses papiers afin qu’ils l’y rejoignent, puis elle sort et peste, lorsqu’elle laisse tomber son trousseau de clés. « Merde. » La brune prononce entre ses dents quand Hugh fait son apparition et s’occupe de la porte, pour la verrouiller. « Merci. » S’extirpe d’entre ses lèvres pleines, un soulagement perceptible dans l’intonation de sa voix, quand, les plaçant dans sa poche droite, il lui ouvre la portière côté passager, pour qu’ils puissent se trouver l’un à côté de l’autre. Tout de suite, il s’enquit de son état et s’essaye à lui redonner le sourire, mais n’y parvient pas. La belle est bercée par ses propres pensées et elle se confond en excuses, chaque fois qu’elle note qu’il lui a parlé. Se garant devant le limered teahouse, l’homme âgé l’aide à s’extirper de son assise avant de la laisser. « N’oubliez pas de m’appeler, lorsque vous avez terminé. » Il le lui rappelle avant de poser une main compatissante sur son épaule gauche, jusqu’à ce qu’elle acquiesce dans un hochement de tête. « Promis. » Elle conclut dans un souffle, quand, elle note que Jay se trouve en face d’elle, de l’autre côté de la route. Heureusement, à leur niveau se trouve un passage clouté et après qu’il a écrasé sa cigarette, il la rejoint avec rapidité. « Oui, c’est assez étrange, c’est vrai. » Ana répond dans un fin sourire, pour le suivre et passer devant lui, comme il lui tient la porte. « Merci, monsieur. » Elle prononce gaiement, surprise que les gentlemen existent toujours, puisqu’ils se font rares par les temps qui court. « Un peu, mais ça va aller. Je te remercie. » Patientant dans la file d’attente, la belle rétorque : « Et toi, comment vas-tu ? » L’image de son nouvel ami fumant ne quitte pas son esprit. « Fumes-tu depuis longtemps ? » Déformation professionnelle sans doute, quoi qu’elle aurait bien aimé qu’il partage en finalité. « Et merci. J’ai demandé à ce qu’on me le décore, mais je ne pensais pas qu’il le serait autant. » Il dépasse de sa couche de vêtements et elle le fixe un instant. « Tu pourras y dessiner quelque chose, si tu le veux, sur l’un des rares espaces blancs qu’il reste. » Il y en a peu, c’est vrai, mais il aura de quoi faire malgré tout, s’il le souhaite. « J’ai hâte de m’asseoir et de déguster un bubble tea bien frais, avec une ou deux pâtisseries. » Puisque c’est une ogresse, bien que sa faim se soit tari à cause de ses antidouleurs et autres médicaments qu’on lui a prescrits.

Cigarette au bec, Ji-hun avait eu beau scruter les différentes directions d'où Meryana pouvait se présenter, il n'avait pas pensé qu'elle pourrait se rendre en voiture à leur point de rendez-vous. Pour cette raison, il fut surpris de la voir de l'autre côté de l'allée, au bout d'un passage clouté. Ni une, ni deux, il se débarrassa du mégot de façon à respecter l'environnement qui l'entourait, et se pressa à rejoindre les passants qui voulaient eux aussi traverser. Au bord du trottoir, ses agates jonglèrent entre le bonhomme rouge et la brune qui patientait aussi le feu vert. Et une fois donné, les deux silhouettes se rencontrèrent au milieu des bandes blanches, apaisées d'enfin se retrouver après tant de mois passés. Pas moins étrange toutefois de se voir en dehors des murs de la Luna Caffe ; il n'était plus son serveur, et elle n'était pas plus l'une de ses clientes préférées.

Élevé à l'extrême élite d'une société où les codes étaient encore très fortement marqués, il tint la porte de la boutique de thés à la trentenaire pour la laisser passer. Galanterie pas toujours appréciée au vu des protestations de la gente féminine à voir ça comme une façon détournée d'être un peu plus rabaisser par les hommes – loin d'être parfois des alliés, il fut heureux de cueillir le remerciement poli de la jeune femme qui l'accompagnait. D'autant plus qu'elle était blessée, il se serait senti mal de ne pas l'aider à entrer. Je te prêterai mon épaule s'il te venait l'envie de piquer un somme, plaisanta-t-il, bien décidé à être la lumière qui égaiera sa journée ; blague sérieuse, si elle avait besoin de se servir de lui comme oreiller, il se chargera de commander des milliers de bubble tea jusqu'à ce que ce soit l'heure pour elle de se réveiller.

Je vais bien, pas mal de projets me permettent de ne pas m'ennuyer, répondit-il ; sa thèse, son sport, son nouveau rôle de militant en faveur des droits de l'Homme et de la liberté dans son pays natal. Trop heureux d'être ainsi mené à l'activité, pour oublier ce qui pourrait lui pendre au nez si la green card lui était refusée, il en oublia que sa voisine de file était obligée de rester à la maison, loin des urgences, de sa passion pour les gens. Il s'excusa d'un regard compatissant adressé à Meryana ; bientôt elle retrouvera tout ça. Il lui sourit, répondit à l'affirmatif à son interrogation : depuis que je suis entré dans l'armée alors... Ça doit faire dix ans, à peu près. Un peu plus, mais qu'est-ce que ça changeait ? Mauvaise habitude qui le suivra probablement jusqu'à la fin, moyen qu'il avait pour décompresser de tout le reste, au même titre que les entraînements sportifs et le sexe.

Pas vraiment un sujet positif, il préféra changer de sujet pour se concentrer sur le plâtre magnifiquement décoré, coloré à la hauteur de ce qu'il aimerait lui apporter durant ce brunch sucré qu'ils allaient improviser. C'est vrai, lui demanda-t-il, tout sourire, j'en serais honoré ! Et il trouvera le moyen de chercher des stylos quatre couleurs pour se faire. Ah oui, d'ailleurs, qu'est-ce que tu aimerais, l'interrogea-t-il en levant son regard bridé sur la pancarte qui listait tout ce dont ils pouvaient s'empiffrer. Qu'elle ne se restreigne surtout pas, il avait à coeur de remplir son estomac. Je pense prendre un assam milk tea, se laissa-t-il tenter par l'un des plus populaires. Froid, billes de tapioca, double shot d'expresso, moitié de sucre pour préserver ses muscles. Rien à manger pour l'instant, il n'était pas trop dessert de toute façon et avait bien petit-déjeuné ce matin.

Ce fut leur tour, il commanda pour elle et lui, paya au comptoir pour les boissons et les pâtisseries pour lesquelles elle aurait pu craquer, et se chargea de porter le plateau jusqu'à la table. Tu veux qu'on s'installe à un endroit en particulier, lui permit-il de le guider jusqu'à celle qui lui semblait être la plus appropriée. Vas-y, assieds-toi, l'invita-t-il à prendre place sur la banquette avant qu'il ne place le tout au milieu du meuble autour duquel ils allaient passer leur tête-à-tête. Avant de s'asseoir, il se défit de son manteau col tailleur à carreaux et le posa au bout du divan. Il glissa dessus, releva les manches de son pull fin col roulé avant d'arranger les différents éléments devant le bon propriétaire. Tu es déjà venue ici, lui demanda-t-il en plantant la paille d'un geste vif dans l'opercule de son bubble tea. Il regarda celui de sa vis-à-vis et proposa : tu veux que je m'occupe du tien ? Ça devait être difficile avec une seule main.

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Boston, Along Charles River, limered teahouse
Si Meryana acceptait toutes les sorties qu’on lui proposait afin de ne pas rester enfermée et ainsi de ruminer, il n’en était pas moins qu’elle était épuisée. Cela se percevait sur son visage, par son teint blafard et ses lunettes de vue cachant ses larges cernes qui la vieillissaient. Dans le véhicule de son chauffeur attitré, elle s’était presque endormie, tant elle se trouvait ensommeillé, mais il l’avait déposé juste au bon endroit ; celui dont elle n’avait encore jamais passé la porte.
Un mince sourire présent sur son visage, elle salue celui qui se fait nommer Jay, avant qu’ils ne rejoignent ensemble l’enseigne. La brune l’étudie, apprécie le lieu coloré, avec ses immenses fenêtres donnant sur l’extérieur. Puis, elle sourit aux mots de son nouvel ami, qui lui propose d’être en quelque sorte son oreiller, si jamais elle avait l’irrémédiable besoin de dormir. — « C’est très généreux de ta part. » Ana lui assure son sourire s’élargissant sur son visage de poupée un peu trop éreintée par son existence actuelle, mais qui souhaite se remettre, coûte que coûte. « Je ne l’oublierais pas. Que tu peux être l’épaule sur laquelle je peux me reposer. » Ses lèvres s’étirent davantage sur son visage et elle sert puis dessert les poings pendant qu’ils patientent. « Oh. » Passe la barrière de ses lèvres charnues tandis qu’il lui assure être occupé et même si elle se réjouit pour lui, Mery ressent comme un semblant de pincement dans sa poitrine, puisqu’elle n’a plus aucune activité. Dormir, se remettre, se reposer, manger. C’est tout ce qu’elle doit faire, en plus de garder son avant-bras immobilisé. « Quels sont ses fameux projets, dis-moi ? » Afin qu’elle en apprenne plus sur ce qu’il fait, ce qui pourrait potentiellement les rapprocher, resserrer leur lien d’amitié. Toutefois, la belle n’oublie pas qu’elle l’a vu écraser une cigarette, ce qui signifie qu’il a cette mauvaise habitude encrée en lui. Celle de s’encrasser ses bronches au point, peut-être, de se rendre malade. « L’armée ? » C’est néanmoins ce qui retient son attention dans sa réponse prononcée. « Vraiment, as-tu fait l’armée ? Ici ? » Sous-entendu, aux États-Unis, ou certainement ailleurs, comme en finalité, elle ne sait pas où il est né. « Je fume de temps à autre. » La brunette lui confie, afin de décompresser, de clore ses iris et de souffler, bien qu’elle sache qu’il n’y a rien de bon à tout cela et sans doute, un jour, elle le payera.
Lorsqu’ils en viennent à son affreux plâtre, signe distinctif qu’elle a été sous les décombres, Meryana lui propose de lui aussi, dessiner dessus, afin d’y apporter un semblant de "lumière" puisqu’il représente tout ce qu’elle a perdu. Sa confiance, son don pour soigner autrui et sa façon de respirer, de se sentir en parfaite sécurité, quelque soit les mètres carrés dans lesquels elle se retrouve. « C’est moi qui en serait honoré. » Elle lui assure, en l’affublant d’un clin d’œil complice. « Je ne sais pas… » La brune se met à y réfléchir, puis lui assure : « Ce que tu désires. Je te fais confiance. Je suis certaine que ce sera magnifique. » Ce qu’elle prononce n’est que pure vérité, Jay ne parviendra pas à la décevoir quant à ce qu’il posera sur son horrible plâtre. « D’accord… » S’extirpe de ses lèvres tandis qu’elle affiche une petite moue en fixant la carte, ne sachant quoi choisir. « C’est la toute première fois que je mets les pieds ici. » Elle souffle à son ami, pour ajouter : « Je pense que je vais prendre un Brown sugar milk, qu'en penses-tu ? » L’avis de Ji-Hun, elle en a besoin, quand ses immenses billes se posent sur les desserts. « Je te préviens, je vais faire une razzia ! » Si elle le pouvait, elle viderait le comptoir et dégusterait chacun des mets présentés. « Hm… Je vais prendre un Chocolate Hazelnut Brunch et aussi un Nutella et un pistache macaron. » Autant dire qu’elle meurt de faim. « Et je veux l’une des peluches aussi. » Son regard est à présent suppliant et c’est une gamine qui se trouve soudain face à Jay.
Une fois qu’il a commandé pour eux ainsi que régler, Ana rayonne et attend cette tasse de thé empli de mousse qu’elle a tant souhaité. Lorsqu’il propose qu’elle choisisse un endroit où prendre place, c’est évidemment près d’une des immenses fenêtres qu’elle souhaite s’attabler, quand enfin, il a leur plateau entre ses mains, sa peluche trônant, elle aussi, dessus. « Merci, de tout porter. De tout assurer. » Elle souffle toute penaude, pour défaire avec difficulté le premier bouton de son manteau. « Et non, je ne suis jamais venue. Mais j’aime beaucoup cet endroit. » Il est vrai qu’il lui réchauffe le cœur, sans doute à cause de toutes ses belles couleurs. « Je veux bien que tu m’aides et t’occupe du mien, oui, s’il te plaît. » Ana se sent diminuer, mais fort heureusement, elle ne ressent aucun malaise. Puisque malgré tout, avec toutes les fois où il l’a servi, l’urgentiste et romancière a la sensation de le connaître, mais aussi de pouvoir lui faire entièrement confiance.

Boulette qu'il ne mit pas grand-temps à regretter, le regard de Ji-hun se voulut aussitôt désolé et compatissant. Meryana ne se laissa pas aller pour autant, en demanda davantage sur ce qui pouvait l'animer autant. Tout un tas de choses, resta-t-il évasif un court instant. Il énuméra alors tous ces projets, de sa thèse sur les lésions de la matière blanche des prématurités, à sa forme physique qu'il entretenait de plusieurs heures de courses à pieds et autres sports de combat. Je participais au championnat de natation universitaire avant ça, souligna-t-il. Il venait tout juste de prendre sa retraite pour une autre activité qui lui tenait tout autant – si ce n'était plus – à cœur. Il parla de son envie de se faire connaître auprès des professionnels de laboratoires du New Jersey pour espérer y conduire un jour une équipe et avoua qu'à côté de ça : je suis nord-coréen, alors je milite pour les droits de l'Homme et la liberté des miens. Il sourit ; c'était la première à qui il en parlait aussi ouvertement en public – si on ne comptait pas la conférence qu'il avait faite à Washington la semaine passée.

On aura le temps de parler de ça une fois installés, si tu veux, lui proposa-t-il, parce qu'il avait vu les oreilles se dresser devant et captait les chuchotements du couple qui s'était glissé derrière eux ; croiser un nord-coréen, ce n'était pas courant. La jolie brune comprit probablement que ce n'était pas un sujet encore très agréable pour le plus grand, puisqu'elle détourna l'attention sur la cigarette qu'elle l'avait vu fumer. Deux ans d'engagement et six de services offerts en parallèle de mes études, l'informa-t-il. Dix ans devaient être rendus à la patrie, mais il s'était échappé avant de pouvoir les compléter. En tant qu'étudiant choisi pour rejoindre l'élite de l'université de sciences et technologies de Pyeongyang, il aurait pu en être exempté, mais il avait préféré les honorer. Tu n'es pas plus sage que moi, à ce que je vois, plissa-t-il les yeux, regard complice lancé sur le visage fatigué de sa voisine de file. Point de jugement là-dedans, il cherchait simplement à la déculpabiliser ; est-ce-qu'un petit peu cela fonctionnait ? En tout cas, il le souhaitait.

Promesse faite de signer son plâtre déjà bien entamé, il plongea ses yeux marrons sur le grand panneau et fit son choix. Meryana ne tarda pas et il acquiesça : c'est simple, mais très bon. Il ne s'attendait toutefois pas à ce qu'elle dévore la vitrine et aligné trois gourmandises à la commande. À la fois surpris et amusé, il valida le tout, non sans oublier la petite peluche qu'elle avait aperçue. Table près d'une baie vitrée rejointe, il posa le plateau et se défit de son manteau avant de glisser sur le divan face à la trentenaire. Je pensais que tu plaisantais lorsque tu as dit que tu n'étais jamais venue ici, expliqua-t-il la raison pour laquelle il l'avait faite répéter, j'espère que tu vas aimer, et qu'on n'y reviendra, toi et moi. Il lui adressa un sourire avant de piquer la taille dans l'opercule de sa boisson. Après affirmation, il fit de même avec celle de sa vis-à-vis et se permit de cogner son gobelet contre son semblable. À notre première sortie en tête-à-tête, mima-t-il de trinquer joyeusement à leur santé.

Il s'apprêta à boire une gorgée mais se stoppa pour regarder l'ours et l'inclut dans l'équation : à tous les trois ? Un éclat s'échappa d'entre ses lèvres avant qu'il ne porte enfin le bout du cylindre à sa bouche. Il regarda la cuillère qui avait été proposée et qu'il avait laissé trainer sur le bois qu'on lui avait cédé pour tout transporter, il la rassura : tu peux manger avec tes doigts, ça ne me dérange pas. Il avait retenu qu'elle avait du mal à se servir correctement de sa main gauche, ce qui l'avait plus d'une fois embêtée à en croire leurs conversations. Ou je peux te donner la becquée aussi, c'est comme tu préfères, lui offrit-il une deuxième possibilité. Deuxième gorgée avalée, non sans quelques billes de tapioca à mâcher, il profita des mouvements lents de sa mâchoire pour observer les traits de la jeune femme. Il n'en eut que faire de ses cernes, plongea surtout dans le marron profond de ses yeux.

@Ji-hun Hwang & @Meryana-C. Hutton
EXTRÊME FATIGUE - DÉPRIME - BRAS ENDOMMAGÉ À CAUSE DE L'EFFONDREMENT AU TD GARDEN
Boston, Along Charles River, limered teahouse

Le limered teahouse est une excellente idée d’endroit à visiter, à connaître, car la brune aime toutes les sortes de thés ou presque. Qu’ils soient chauds ou froids, au choix, selon l’instant et le repas. De plus, elle ne dit jamais non à la découverte d’un lieu, de nouveaux mets afin de tester, de se faire une idée et pourquoi pas d’aimer, mais pour le moment ses préoccupations sont ailleurs. Puisqu’elle se trouve dans la file d’attente et elle interroge celui qu’elle connaît sous le pseudo de Jay, sur ses activités, tandis qu’elle, ne fait que comater durant ses longues journées. — « Wow. Tu en fais des choses. » Elle s’exclame, bouche-bée, bien qu’à son époque, lorsqu’elle étudiait, l’orpheline en faisait, elle aussi, des tas de choses. Entre ses études de médecine, la pratique à l’hôpital et les romans qu’elle écrit sous un pseudonyme afin que personne ne sache qui elle est, Ana n’avait pas le temps de se reposer. Aujourd’hui, c’est l’inverse. La brune ne fait que cela, elle somnole par les médicaments qu’elle ingurgite chaque jour à cause de son bras, ainsi que de son état psychologique dû au tragique incident au TD garden. « Tu fais bien de militer. » Elle ajoute, dans un hochement de tête positif, quand elle note les chuchotements des personnes alentours. « Oui, faisons cela après avoir commandé. » La brune conclut alors, jetant un mauvais regard au couple présent derrière eux, prête à leur sauter dessus et à leur botter les fesses, bien qu’elle ne fasse rien. Elle n’est pas en état de toute manière. Et lorsqu’ils en viennent à la cigarette, ce n’est pas ce propos-ci qui l’intrigue, mais plutôt la suite : le fait qu’il ait fait son service militaire. « Tu ne cesses de me surprendre. » Elle admet ses énormes billes ancrées dans les siennes, sans en demander plus à ce propos. Après tout, que pourrait-elle lui demander ? Si les douches devaient durer moins d’une minute, qu’elles étaient gelées et s’il devait se lever à l’aurore afin de faire quelques exercices sans jamais oser dire "non" à l’un de ses supérieurs ? Cela est inutile, en soi, puisque tout le monde a déjà vu un reportage sur ce qu’il s’y passe. « Hm… Je ne pense pas être sage, pour être tout à fait franche avec toi. » Elle assure, dans un large sourire, son regard empreint de malice. Elle, sage ? Non, assurément. Après tout, elle a participé aux soirées, à profiter lorsqu’elle étudiait et puis elle est sortie avec son chef de service qui s’est avéré être marié. C’est son plus grand regret, étant donné qu’elle a eu le cœur brisé et qu’il l’est toujours, malgré les mois passés. En même temps, elle n’a pas encore eu la possibilité de le panser, son palpitant, puisqu’elle le croise tous les jours, où plutôt, le croisait aux urgences de l’hôpital.
— « Hm ? » Elle émerge de ses pensées tandis qu’ils se trouvent à commander. « Super. Simple, mais bon. Ça me convient. » Elle offre un sourire à Jay puis ajouter à sa commande trois mets, étant un ventre sur pattes, bien que cela ne se décèle pas sur sa fine silhouette. « Le stress avale les calories. » Elle lui assure en se pinçant les lèvres, si bien qu’elles disparaissent un instant, quand ils trouvent la table idéale et s’y installe. « Non, je ne plaisantais pas. » Elle regarde tout autour d’eux et apprécie ce qu’elle voit. « J’aime vraiment cet endroit. » Elle ajoute pour être légèrement surprise par ses dires et laisser fleurir un énième sourire sur son visage de poupée. « Nous reviendrons. Promis. » L’affublant d’un clin d’œil complice, la trentenaire laisse s’échapper un léger rire à son discours, accompagné de l’entrechoquement de leurs gobelets respectifs. « À notre premier tête-à-tête hors du Luna Caffe. » Et tandis qu’il inclut sa peluche, Mery entrouvre sa bouche, puisqu’elle a oublié de l’inclure, elle aussi. « Pardon, petit bonhomme. » Elle lui souffle, sincère, pour lui toucher le haut de sa tête à l’aide de sa main gauche, valide. « Hm ? » Redressant le visage pour retrouver celui de Jay, la brune y réfléchit durant un quart de seconde, pour être en accord avec lui : « Oui. Je vais manger avec les doigts. » De toute manière, elle les essuiera avec l’une des serviettes présentes, elle n’aura pas d’autre choix. « Merci de me laisser manger comme une enfant, à cause de mon bras. » Puis, elle se saisit de son gobelet et goute à son choix. « Je suis vraiment ravie d'avoir choisi ce thé. C’est si bon ! » L’urgentiste s’exclame pour en avaler de nouvelles gorgées, avant que ce soit de travers et de toussoter. « N…on. Non, ça ira. » N’empêche qu’elle a manqué de s’étouffer avec son histoire de lui donner la becquée. « Je sais que ça part d’une bonne intention, mais je vais me débrouiller. » Elle assure alors à Jay, pour se saisir de son macaron pistache et le croquer. Lorsqu’elle clôt ses prunelles, un soupir de ravissement s’extirpent de ses lippes et elle continue d’en grignoter des morceaux, jusqu’à le terminer. *Délicieux.* Elle songe, se demandant si ses deux autres gâteaux vont être aussi gouteux.

Ji-hun n'aurait pas deviné Meryana aussi douce et enfantine, si bien qu'il se plut à la regarder offrir sur la tête de la peluche de gentilles tapes câlines. Mâchoire appuyée sur sa paume levée, il but une deuxième gorgée, regard rivé sur le court spectacle qu'elle lui offrait. L'urgentiste était encore une énigme qui n'avait révélé qu'un seul secret : celui d'être écrivaine lorsque le temps le lui permettait. Pas toujours facile d'être dans l'action tout en faisant battre son imagination, l'hôpital devait apprendre à la laisser filer pour lui octroyer le droit d'ajouter des lignes sur le papier. Bras infirme redevenu le centre de l'attention, l'Asiatique lui rappela de manger avec les doigts dans une brève intervention. Ravi qu'elle ne se fasse aucun souci de bienséance auprès de lui, il ajouta tout de même qu'il pourra, au cas où, la nourrir directement avec la cuillère aussi. Ils n'étaient pas très proches, se connaissaient à peine en réalité, mais ça n'empêchait pas le jeune homme de se soucier de celle qui, face à lui, était installée.

Le résultat ne se fit pas attendre : la brune avala de travers, faillit recracher dans son verre. Le nord-coréen grimaça, désolé de l'avoir menée jusque-là. Je ne voulais pas..., laissa-t-il en suspens, déviant le regard de côté de peur que rester plongé dans le marron de ses yeux le rende trop insistant. Il en profita pour retrouver le décor coloré, se rendit compte qu'il l'était tout autant que le membre plâtré. Bouche aspirant les bubles de son thé, il laissa manger sa vis-à-vis son premier délice sucré. La main ne put toutefois s'empêcher de ramener vers la trentenaire les essuies, geste qu'il voulut discret, il ne pouvait s'empêcher d'être gentil. Habitude que son ancienne profession lui avait laissé, ou trait de caractère de sa personnalité, il avait apprécié être aux petits soins des clients affamés, se sentait mieux quand tout était organisé et contrôlé ; un peu des deux alors, il fallait bien l'avouer. Sans retirer la paille il lui adressa un sourire, de ceux qui plissent les paupières et créent une petite lueur juste derrière ; qu'on appelait le vrai.

Je me rends compte que tous les lieux que j'ai visités et qui m'ont le plus marqué m'ont été soufflés par le hasard, pensa-t-il à voix haute, les yeux habités par le reflet de la rue qu'ils fréquentaient via la grande baie vitrée, près de laquelle ils s'étaient posés. Il était passé devant les enseignes des jobs qui cherchaient, avait candidaté sans même apporter un CV, et était reparti avec un contrat à la clé. Accompagné par un étudiant auprès duquel il devait s'améliorer en anglais, dans l'aquarium avait insisté pour y passer, avait découvert l'endroit le plus formidable où se ressourcer, là, auprès des poissons multicolores qui, ensemble, dansaient. Dans les restaurants, ça avait été son estomac et ses pieds qui l'avaient fait entrer, et une petite liste s'était figée dans sa tête, aujourd'hui il était vu comme un habitué. Et toi, comment tu choisis les endroits où tu vas, demanda-t-il, en la regardant de nouveau, pour la Luna Caffe, par exemple ? Avait-elle vérifier les notations, et pris compte des évaluations, pour décider que la brasserie serait son lieu d'évasion ?

Ji-hun joua quelques secondes avec la paille, glissant sur ses lèvres le métal avant de tout arrêter et d'avouer : les premières fois où je t'ai servie, tu étais tellement concentrée sur ce que tu écrivais que je ne suis pas sûr que tu nous remarquais. Est-ce qu'elle arrivait à faire la différence entre le serveur et les serveuses qui s'activaient ? Elle ne manquait toutefois pas de politesse et c'était tout ce qui comptait. Et puis il y a eut cette fois où tu as relevé le regard vers moi, commença-t-il, je ne sais pas dans quel genre de scène tu te trouvais dans ton roman, mais je serai curieux que tu me racontes ces quelques lignes, un jour. Si, tout du moins, elle s'en rappelait, car ça ne datait pas d'hier ce qu'il décrivait. Je crois que c'est à partir de ce jour-là que tu es devenue l'une de mes clientes préférées, ajouta-t-il avant de reboire de sa boisson non alcoolisée. Lors de son premier Noël fêté, il n'avait pas manqué d'allumer une bougie et de prier aux coups de minuit, car elle avait paru triste et fatiguée – même s'il n'était pas chrétien confirmé.