Iris bleues perdues dans le vague. Tête douloureuse perdue dans le tourbillon. J’étais installé sur le canapé de mon bureau au Queer Lips. Depuis combien de temps est-ce que je me trouvais là ? Allez savoir. Ça pouvait bien faire quelques minutes comme plusieurs heures. Je ne savais pas. Je m’en foutais totalement. Ange déconnecté de la réalité. Ange qui n’était pas attendu. Ange qui pouvait se perdre encore et toujours plus. Ange qui avait le droit de couler car, de toute façon, tout le monde s’en fichait. Mes prunelles finissaient par se fermer tandis que je renversais la tête en arrière laissant un soupir s’échapper de mes lèvres. Foutue putain d’existence. Les dés avaient parlé. Ils avaient choisi de me faire revenir à Boston. Ils avaient choisi de me pousser à revenir ici. Ici où la vie semblait de plus en plus déplaisante. Une partie de mon être aurait aimé que les dés tombent sur autre chose. Une partie de moi aurait aimé que le hasard décide de me laisser rester auprès de la famille de Sacha. J’étais bien là-bas enfermé dans ma spirale de souvenirs et entouré de personnes qui me comprenaient un peu. Ils avaient perdu un fils. J’avais perdu un mari. Nous l’avions perdu. Là-bas, ils ne me forçaient à rien. Là-bas, je vivais un peu comme dans un monde sur pause. Ange fermé dans une maison à ressasser les souvenirs de façon incessante. Si je n’avais pas laissé le hasard décider de mon sort, je serais encore là-bas à Belfast dans cette famille qui était plus la mienne que ma famille du sang à Boston. Cependant, le hasard avait choisi et j’étais de retour à Boston. J’étais de retour dans un comportement d’avant aussi. Ange célibataire qui ne voulait plus laisser les autres entrer dans le cercle proche. J’avais essayé avec Sean. Je m’étais ouvert tellement plus. Et il m’avait heurté. Beaucoup trop. Alors, maintenant, ce n’était plus que les coups d’un soir, l’alcool, la vitesse et la drogue. Maintenant ce n’était plus que cette vie de déchéance et d’abus sans laisser les autres se faufiler dans mon cœur. Plus jamais. Me redressant soudainement, je glissais une main dans mes cheveux avant d’attraper le verre qui trônait sur la table basse. Ce verre que je portais à mes lèvres pour le vider cul sec. Ce verre que je ne pouvais même pas remplir de nouveau. La bouteille était vide. Est-ce que je pouvais appeler Mister Hot qu’il me monte quelque chose ? Est-ce qu’il était là ce soir ? F*ck, je ne savais plus rien. Il valait mieux que je descende pour rejoindre le monde des vivants. Il valait mieux que je m’échappe de cet endroit où je me noyais lentement dans mes pensées. Descendre faire la fête pour boire, consommer et me trouver une proie. Il s’agissait là de la meilleure idée de la soirée.

La porte ne tardait pas à claquer derrière moi tandis que je quittais mon bureau. Le bruit ne se faisait même pas entendre. Pas de ce côté en tout cas. Pas dans ce lieu où la fête battait son plein. La musique envahissait les lieux. Le monde envahissait l’espace. Je soupirais un bref instant alors que je restais immobile. Je demeurais en hauteur à observer mon royaume avec délice. Je restais un instant perché à balayer les lieux du regard. Les différents programmes défilaient dans ma tête et me faisaient hésiter. Je pouvais aller directement me mêler à la foule sur la piste de danse pour trouver une proie le plus rapidement possible. Je pouvais me faufiler entre les gens pour trouver des pilules qui viendraient enchanter un peu plus ma nuit. Ou je pouvais faire un tour au bar me prendre un nouveau verre avant de m’enfoncer dans les méandres de la déchéance. Mes prunelles bleues se promenaient un moment sur les danseurs. Je ne repérais pas de proie me sautant aux yeux. Il y en avait sans doute dans cette foule. Il y en avait toujours de toute manière. Cependant, sur l’instant, il n’y avait aucune proie assez intéressante pour retenir mon attention. Il n’y en avait aucune qui me sautait aux yeux. Le programme se décidait alors lentement. J’allais commencer par prendre un verre – ou plusieurs peut-être bien – avant d’aller chercher de quoi plonger encore plus avant de trouver un corps – ou des corps – avec lequel passer une partie de ma nuit pour fuir le sommeil et les cauchemars bien trop intenses qui étaient de retour. Descendant tranquillement les marches, je prenais la direction du bar me faufilant entre les groupes de personnes qui se trouvaient sur mon passage. Et, alors que j’allais atteindre ma destination, mes prunelles se posaient sur une silhouette solitaire. Une silhouette qui me disait quelque chose. Une silhouette qui me poussait à m’arrêter soudainement. Mes dents venaient mordiller ma lèvre. Ange hésitant. Après avoir tant remué le passé ces dernières semaines, est-ce que les hallucinations s’invitaient même lorsque j’étais éveillé et pas encore drogué ? Est-ce qu’il s’agissait d’une hallucination ? Est-ce qu’il s’agissait de la réalité ? Je bifurquais sans attendre bien trop curieux de lever le voile. Au pire, si je me trompais, cet homme pouvait devenir une proie peut-être. M’approchant doucement, le sourire s’invitait de plus en plus sur mon visage alors que j’étais sûr de moi. Ce n’était pas une hallucination. Il se trouvait bien là. Perceval. Je me hâtais de faire les derniers pas pour me rapprocher de lui. Mes doigts tapotaient son épaule avant de glisser le long de son dos pour une brève caresse. Je m’étais rapidement fin au contact bougeant pour me placer face à cette figure de mon passé. Sourire aux lèvres, je soufflais sans attendre « Bonsoir beau voyageur ! » Je laissais passer quelques secondes comme pour lui laisser le temps de me remettre. Moi l’Ange avec qui il avait déjà partagé des soirées. Perceval et moi nous étions croisés plusieurs fois dans plusieurs pays différents au fil des années et, à chaque fois, nous partagions quelques verres et quelques rires. Une connaissance agréable du passé. M’appuyant sur la table, je reprenais « Alors que fais-tu donc dans mon bar ? » Je plaçais tout de suite le contexte pour lui faire savoir que ce lieu était mien et que cela signifiait que l’Ange un peu trop voyageur s’était posé quelque part. Foutus dés. Fichu hasard. Ange posé et déchiré.

Image du passé sous les yeux. Souvenirs de l’avant sous mon regard. Mes iris bleues ne lâchaient plus cette silhouette qui avait soudainement retenu mon attention. Cette silhouette m’interpellait non pas parce qu’elle allait devenir une proie – quoique rien n’était écrit et ça pouvait toujours arriver – mais parce qu’elle me parlait. Ça éveillait des souvenirs. Ça m’attirait comme un aimant. J’étais incapable de changer de trajectoire. Ange bien trop curieux. Ange bien trop intéressé. Au fil des pas pour me rapprocher de l’inconnu, je me rendais compte que j’avais raison. Ce n’était pas un inconnu. C’était bien une figure de mon existence. Je ne pensais guère tomber sur Perceval ce soir. Je ne pensais pas tomber sur lui à Boston et encore moins dans mon bar. Enfin… Pour tout vous avouer, à chaque fois que ma route avait croisé la sienne, je ne m’attendais jamais à le voir. Ce n’était pas prévu. Ce n’était pas décidé. Il s’agissait toujours de coïncidences. À chaque fois. À chaque rencontre, ça ne semblait être que des coups du hasard. C’était presque comme si quelqu’un bougeait nos pions de là-haut pour nous pousser à nous retrouver sur la même route. Souvent. Un peu trop souvent même. Est-ce que je devais y voir un quelconque message ? Est-ce qu’il y avait quelque chose à lire entre ces lignes ? Est-ce que je devais en déduire quelque chose ? Je me souvenais des mots de Perceval. Lui qui m’avait demandé si je n’étais pas son ange gardien qui en avait marre de tout regarder d’en haut. Lui qui m’avait fait rire avec ces propos parce que je ne venais clairement pas d’en haut moi. Je n’étais absolument pas un ange gardien malgré ce prénom qui collait à ma peau. J’étais plus un diable moi. Mais, si Perceval avait eu cette impression, c’était une autre impression qui s’invitait à l’intérieur de mes pensées. Une impression qui se renforçait un peu trop ce soir. Ange en manque de contact et de présence. Ange défoncé et déchiré. Ange fichu en l’air et heurté. Ce soir, je ne pouvais m’empêcher de penser que peut-être l’univers m’envoyait un quelconque message. Peut-être que l’univers foutait de nouveau Perceval sur ma route pour une raison précise. Parce qu’il était mon âme-sœur ? Non… C’était ridicule ça. Parce que je devais coucher avec lui ? C’était tentant, mais ce n’était jamais arrivé jusque là alors pourquoi maintenant ? À chaque fois, Perceval et moi ce n’était que des verres et des soirées agréables comme deux potes. Ce soir n’allait pas déroger à cette règle. Si ? F*ck, je n’en savais rien. J’avais le cerveau déjà bien trop retourné. Est-ce que Perceval était là juste pour me sauver ? Parce qu’il était un peu comme cette dernière béquille lancée sur ma route lorsque je m’enfonçais trop loin ? Oh bordel. Ça faisait bien trop de réflexion. Ça faisait bien trop d’interrogations. Je n’avais pas envie de m’y perdre. Nos rencontres n’étaient que le coup du hasard et il ne fallait pas chercher d’explications à celles-ci. Juste du hasard. Rien de plus.

Hochant la tête comme pour terminer de m’en convaincre, je finissais par franchir les derniers mètres qui me séparaient de cet ami de voyage. Mes doigts venaient tapoter son épaule comme n’importe quel pote aurait pu le faire. Cependant, mes doigts glissaient dans son dos avec cette brève caresse un peu trop déplacé peut-être. Cette caresse qui pouvait laisser penser à plus que de l’amitié. Est-ce qu’il y avait plus que ça ? F*ck it. Le soupir glissait brièvement entre mes lèvres avant que je ne m’installe face à Perceval pour le saluer avec un grand sourire. Ange qui reprenait le contrôle. Ange qui se remettait à sa place. M’appuyant sur la table, je ne pouvais que sourire encore plus lorsque le voyageur me saluait semblant aussi amusé et heureux que moi de cette nouvelle rencontre hasardeuse. Néanmoins, les choses étaient différentes aujourd’hui. Je n’étais pas simplement de passage dans un endroit. Je n’étais pas juste une ombre qui allait disparaître. Et, je l’annonçais bien vite en profitant en même temps pour savoir ce que Perceval faisait au Queer Lips. Était-il venu boire ou draguer ? Était-il venu faire la fête ou chercher à se trouver quelqu’un ? Mes prunelles claires ne le quittaient pas et je m’amusais de voir sa réaction. Lui aussi joueur. Lui aussi surpris. Lui qui ne répondait même pas à mon interrogation préférant attaquer avec une interrogation. Une interrogation qui venait me faire rire. Marquer mon territoire… Être possessif… Non, ça ne me ressemblait pas ça. Tendant le bras, je venais piquer le verre du voyageur pour le porter à mes lèvres. Je piquais une gorgée avant de reposer le verre sur la table et de glisser mes mains dans mes poches. Tandis que les dés roulaient doucement sur la table, mon regard se plantait dans celui de l’homme et je soufflais « C’est eux qui ont décidé pour moi… » Comme toujours. Comme bien trop souvent. Dès qu’il y avait une décision à prendre, les dés régissaient la totalité de mon existence. Les dés venaient choisir mon destin. Haussant les épaules, je rajoutais « Ils m’ont poussé à m’installer ici il y a deux ans… Ils m’ont poussé à rester ici… À acheter cet endroit… Et même à revenir alors que je comptais partir voguer ailleurs… » Ange qui ne tenait pas en place. Ange qui aimait bouger. Ange qui avait déserté Boston tout le mois de décembre avant d’être contraint de revenir ici à cause de ces dés qui décidaient de ma vie. Relevant les yeux, j’apercevais un employé du bar à qui je faisais signe pour avoir un verre. N’importe quoi. Juste boire. Encore. Toujours. Simplement m’enivrer et oublier la déchirure. Ma langue glissait sur mes lèvres avant que je ne reporte mon attention sur Perceval pour le questionner « Et toi alors ? Tu es seulement de passage à Boston ? Au Queer Lips ? » J’avais envie de savoir si nos routes allaient se croiser de nouveau. J’avais envie de savoir si j’avais des chances de le revoir dans les parages. À Boston. Au Queer Lips. Ces retrouvailles étaient hasardeuses, mais si Perceval restait dans le coin, le hasard n’aurait plus rien à voir avec nos prochaines rencontres. Et ça croyez-moi, ça me pousserait à avoir beaucoup moins de questions en tête et c’était agréable.

Soirée modifiée pour le meilleur. Sauvetage imprévu me faisant face. Perceval venait me tirer de ma soirée de déchéances pures. Cela n’allait sans doute pas durer des heures bien évidemment, mais cela allait retarder le moment où je sombrerais trop loin. J’allais savoir me tenir quelques minutes auprès du voyageur. Je pouvais tenir une conversation et descendre quelques verres d’alcool avant de réellement plonger plus loin dans la déchéance et l’oubli. Je pouvais y parvenir avant de m’enfuir vers les substances miracles et les corps qui faisaient oublier la réalité. Ouais, je le pouvais. D’autant plus que cette surprise était des plus agréables. La route de Perceval et la mienne se croisaient bien trop souvent. Ce n’était jamais prévu. C’était toujours un coup du hasard. Et, ça provoquait toujours d’excellentes soirée parce que nous ne savions jamais si nos chemins se croiseraient de nouveau. Pas de pression. Pas de codes. C’était presque comme un coup d’un soir sans en être un. C’était une discussion d’un soir, un ami d’un soir. Ouais, ça sonnait comme cela et ça ne me dérangeait pas. Les barrières pouvaient valser un peu sans déranger. Les mots pouvaient glisser sans que ce ne soit gênants. De toute manière, nous n’étions que deux étrangers dont les chemins s’emmêlaient par moment pour un très court temps. Ce soir, nous nous retrouvions au sein du Queer Lips et j’étais prêt à profiter de ce moment. Peut-être que j’étais aussi prêt à un peu trop chambouler nos habitudes. Ange qui avait follement besoin d’oublier. Ange en quête de contact humain. Ange défoncé qui n’avait plus la moindre limite. Les limites tremblaient déjà lorsque je laissais mes doigts glisser dans son dos avant de m’installer face à lui à cette table. Cette table sur laquelle je m’appuyais heureux de me retrouver face à un visage agréable et connu. Les mots tombaient entre nous. Ça faisait du bien. C’était léger. C’était joyeux. Ça apaisait un peu l’âme un peu trop teintée du noir désespoir. Tendant la main, je finissais par piquer le verre du voyageur pour en prendre une gorgée. Je crevais de soif… Enfin… Non. Je crevais d’envie de noyer ma tête encore plus. Ange qui voulait s’enivrer. Ange qui désirait toujours plus d’alcool. Je ne tardais pas à rendre le verre à son propriétaire avant d’expliquer rapidement la situation. Mes dés se retrouvaient posés sur la table. Le secret était livré. Si je m’étais installé à Boston et si j’avais acheté le Queer Lips, c’était parce que ces foutus dés m’avaient dit de le faire. Sourire aux lèvres, je croisais le regard d’un employé faisant signe pour avoir de quoi boire avant de questionner Perceval sur sa présence ici. À Boston. Au Queer Lips. Était-il simplement en voyage ? Son air joueur me poussait à froncer le sourcil tandis que le choc ne tardait pas à prendre place sur mon visage lorsque j’apprenais qu’en fait il vivait à Boston. Shit, ça ce n’était pas très bon en fait. Cette vérité poussait nos chemins à potentiellement se recroiser plus aisément. Encore plus maintenant qu’il savait parfaitement où me trouver. J’hochais simplement la tête en réponse tournant le regard vers le bar avec l’espoir que l’alcool arrive rapidement entre mes mains.

La voix du voyageur me ramenait soudainement à sa présence lorsqu’il me demandait si j’acceptais de lui expliquer. Sur le coup, je n’y comprenais rien m’apprêtant à lui demander de quoi il parlait. Cependant, lorsque je tournais le regard vers lui, je voyais ce regard qu’il lançait aux dés. Ce regard empli de curiosité qui me faisait sourire. J’haussais doucement les épaules comme si l’incertitude planait sur mon acceptation et je soufflais « Cela dépend si tu es prêt à jouer avec moi ce soir… » Je n’avais rien à demander aux dés. Je n’avais pas envie de jouer seul pour lui montrer comment cela fonctionnait. Je ne voulais pas me perdre dans des demandes qui m’éloigneraient de lui juste pour qu’il comprenne comment ces objets régissaient ma vie. Il fallait qu’il accepte de jouer avec moi. L’Ange prêt à le dévorer. L’Ange sans la moindre limite. Sourire amusé collé aux lèvres, je venais faire doucement rouler les dés à l’intérieur de ma main. Je me perdais quelques secondes à fixer ce manège foutrement enchanteur à mes yeux. J’aimais voir les dés bouger alors qu’ils avaient mon destin en main. J’aimais les regarder glisser alors que j’étais juste là à attendre le résultat pour savoir la route que j’allais emprunter. Les yeux toujours rivés sur les dés, j’expliquais alors « C’est assez simple en vérité… Je défini deux choix possibles… Deux chemins à emprunter… Chaque chemin est associé à un type de chiffre si je peux dire ça comme ça… Chiffre pair ou chiffre impair… Je lance les dés… Le chiffre apparaît et j’obtiens ainsi ma réponse… » Ouais, ce n’était pas si compliqué au final. Enfin ce n’était pas compliqué pour moi qui avait l’habitude de fonctionner ainsi depuis le décès du mari. Je ne saurai même pas expliquer comment j’avais fini par tomber dans ce fonctionnement pour prendre mes décisions. Je savais juste que je ne pouvais plus m’en passer et qu’il me fallait ces objets pour choisir mes chemins. Relevant les yeux sur le voyageur, je l’observais un instant avant de lancer un peu trop joyeux « Attends… Je te montre, ce sera beaucoup plus simple à comprendre… » Sourire amusé aux lèvres, j’avais déjà une idée derrière la tête. Une idée que je ne tardais d’ailleurs pas à exposer «  Si c’est un chiffre pair, nous restons autour de cette table… Si c’est un chiffre impair, je t’emmène dans mon bureau… » Haussant doucement un sourcil, je laissais passer quelques secondes comme pour laisser l’opportunité à Perceval de protester. Rien ne venait alors j’agitais les deux dés avant de les lancer. J’observais leur danse sur la table. Ça m’hypnotisait toujours autant que la première fois. Le premier dé tombait sur le chiffre quatre. Mes iris bleues suivaient le second qui roulait encore avant d’atterrir sur le chiffre un. Ça faisait donc cinq. Relevant le regard pétillant sur Perceval, un sourire satisfait se dessinait sur mon visage. Le chemin du hasard me plaisait. Avant que je ne puisse reprendre la parole, deux verres arrivaient à notre table. J’en poussais un vers le voyageur tandis que je portais le second à mes lèvres. Je le buvais cul sec sans la moindre hésitation. Ange qui avait besoin de plonger. Déposant le verre vide sur la table, je lançais alors « Les dés ont fait leur choix et je suis obligé de leur obéir… Bien sûr, si ce n’est pas ton désir, tu n’as pas à leur obéir et tu peux parfaitement continuer à profiter de ta soirée ici… » Ange qui ne forçait jamais. Ange qui suivait les ordres des dés, mais qui n’imposait jamais quoi que ce soit aux autres. Je n’étais pas ce genre de personne. J’avais mon fonctionnement et je savais que je ne pouvais pas l’imposer aux autres. Alors, je les laissais toujours choisir leur chemin sans la moindre obligation. Me levant de ma chaise, je manquais de tomber me rattrapant de justesse à la table. Ange déchiré. Ange défoncé. Je fermais les yeux un instant avant de me placer devant Perceval pour lui tendre la main « Très cher voyageur, désirez-vous visiter un nouvel endroit ? » Sourire amusé collé aux lèvres, j’attendais sa décision rajoutant un « Tu pourras même jouer à ce jeu des dés… ». Invitation à jouer à ce jeu dangereux. Un jeu fichtrement délicieux à mes yeux. Un jeu de hasard qui pouvait nous mener sur tant de chemins. Un hasard qui nous correspondait bien à nous dont les routes se croisaient de façon imprévues.

Vie particulière. Existence unique. Les personnes auraient pu croire que ce n’était que pour le fun et le plaisir que je menais une telle existence. Les gens auraient pu croire que ce n’était qu’une façon de faire mon intéressant ou Dieu seul savait quoi. C’était d’ailleurs ce qu’ils pensaient la majorité du temps. Je le savais. Je les entendais. Je n’étais qu’un Ange beaucoup trop fou qui se plaisait à jouer avec le destin. Je n’étais qu’un être humain inconscient qui adorait l’inconnu. C’était en partie vraie. Cela me correspondait un peu. Néanmoins, ma façon d’agir avec les dès pour décider relevait avant tout d’un traumatisme. Avant, je n’agissais pas de cette manière. Avant, j’étais maître de mon destin et de mes choix. Enfin… Bien sûr, il m’était arrivé de jouer à pile ou face pour choisir quelque chose. Il m’était même arrivé de lancer des dès pour le fun dans des soirées. Avant c’était ainsi. Ce hasard n’était là que pour pimenter des instants. À présent, ce hasard était là pour m’aider à vivre. À survivre. Cette façon d’agir avait fini par s’ancrer totalement au sein de mon existence. Ça avait fini par devenir la seule ligne de conduite imaginable pour moi. C’était le seul moyen pour que je continue d’avancer. Sans lui. Seul. Lorsque le choix s’imposait dans ma vie, les dès venaient le prendre pour moi. Je n’étais plus le maître de ma vie. Les dès l’étaient à présent. Je n’étais qu’un mec qui n’était pas foutu de prendre une décision seul. Je n’étais qu’un Ange déchu qui ne savait plus comment choisir son chemin seul. Dès lors que les dès n’étaient pas là et qu’une décision était à prendre, j’en devenais malade. Le ventre se tordait douloureusement. Le cœur cognait bien trop fort dans la poitrine. Les frissons d’effroi glissaient sur la peau. L’horreur frappait dans la tête. Je n’étais plus capable de choisir sans ces fichus dès. Je n’étais plus capable de prendre en main mon destin. Plus maintenant. Pas après l’accident. Mon choix avait conduit à la mort de mon mari. Je ne voulais pas prendre le risque de choisir seul la voie d’une autre mort. Les dès étaient préférables. Puis, je ne me servais pas toujours d’eux. Après tout, je n’en avais pas besoin tous les jours. J’évitais simplement d’avoir des décisions à prendre. Je me laissais porter par la vie. Je laissais les autres choisir pour moi parfois même. Ce soir, je me laissais juste porter. Ce soir, j’avais prévu de plonger pleinement dans la déchéance et de la laisser me guider dans le cheminement de cette soirée. Ce soir, le heureux hasard décidait pour moi en mettant Perceval sur ma route. Ce voyageur déjà rencontré par le passé modifiait ma soirée et je m’y laissais aller sans le moindre problème. Je sombrerais plus tard. Pour l’instant, je glissais avec l’étranger pas si étranger et pourtant encore tant étranger. Ce Perceval qui s’intéressait à ma manière de vivre et aux dès. Sans le savoir, il m’offrait une partie que je n’hésitais pas à saisir.

J’étais prêt à lui expliquer le concept qui régissait la totalité de mon existence. J’étais prêt à lui offrir les détails sur ma manière de procéder. J’étais prêt à lui ouvrir les portes sur mon monde particulier. Mais, j’étais surtout et avant tout prêt à jouer. Ce soir, je prenais conscience que les dès allaient servir cette partie. Ce soir, les dès allaient influer sur la destinée de cette soirée avec Perceval. J’avais hâte de découvrir ce que la vie me réservait. J’avais hâte de savoir comment le destin allait faire tourner cet instant. Ange joueur qui désirait s’amuser. Ange en manque qui avait envie de faire valser les barrière. Ce soir, je n’avais pas la moindre limite. J’étais ouvert à tout. J’étais pleinement offert. Ce soir, je voulais oublier et profiter de la chaleur humaine pour quelques heures. Perceval était une proie parfaite. Je le connaissais sans trop le connaître. Je ne risquais pas de m’enticher. Je ne risquais pas de m’attacher. Et, putain, il était loin d’être désagréable à regarder. J’étais persuadé qu’il serait parfait dans un corps à un corps. Encore fallait-il que les dès nous mènent jusqu’à cette issue et cela n’était guère certain. Pourtant, je tentais ma chance. Je donnais un coup de pouce au destin quand bien même je laissais le hasard prendre la main sur le cheminement de cette soirée. J’expliquais le fonctionnement des dès de façon assez sommaire. De toute manière, il n’y avait rien de compliqué dans cette utilisation. C’était basique. Les règles pouvaient être suivies à n’importe quel moment et dans n’importe quel état. Au lieu de me limiter à cette explication générale, je lui montrais un réel exemple. Je donnais ce coup de pouce à ma destinée et le hasard faisait pencher la balance de mon côté. Entre rester ici parmi la foule et partir s’isoler dans mon bureau, le chiffre impair s’était dessiné sous nos yeux. Ce chiffre qui nous poussait à quitter la foule. Enfin moi en tout cas. J’étais obligé de suivre les décisions des dès. Ce soir. Demain. Toujours. Je ne pouvais pas leur désobéir. Je ne voulais pas leur désobéir. Après avoir vidé mon verre cul sec, je me plaçais bien vite devant Perceval pour lui proposer de me suivre. Lui avait le choix. Il pouvait rester ici sans moi ou il pouvait venir avec moi pour que la soirée prenne une autre tournure. J’osais même aller plus loin en lui offrant la possibilité de jouer avec les dès et ce fichu destin. Perceval prenait le choix de me suivre avec un sourire ce qui entraînait le mien aussitôt. Il posait une simple condition avant de bouger et je soufflais un « Tu es libre de tout » avec un sourire rassurant. Il pouvait poser son veto s’il le voulait. Il pouvait refuser de suivre les dès. Il pouvait mettre fin à la partie. Ouais, lui il le pouvait. Moi, je ne le pouvais pas. Je ne le pouvais plus. J’étais enchaîné aux dès. Attrapant la main du voyageur, je le guidais à ma suite. Nous traversions la foule avant d’atteindre les escaliers au fond du Queer Lips. Je n’avais plus le risque de le perdre à présent alors ma main lâchait la sienne et je me hâtais de grimper les marches pour atteindre la porte de mon bureau que j’ouvrais à la volée. J’invitais Perceval à l’intérieur refermant derrière lui et lui indiquant le canapé d’un signe de la main pour qu’il puisse s’y mettre à l’aise. De mon côté, je me dirigeais vers l’armoire du bureau pour sortir une bouteille de whisky et deux verres que je ramenais sur la table basse. Remplissant les deux verres, je me mettais à fouiller dans mes poches pour en sortir mes dès. Ces dès que je posais sur la table devant Perceval. Mon regard se relevait vers lui. Mes prunelles croisaient les siennes. Sourire amusé accroché aux lèvres, je lançais alors « À toi de jouer mon cher voyageur… » Je lui laissais les pleins pouvoirs. Je lui offrais l’arme qui allait choisir notre destin, mais c’était à lui de tout fixer. Il pouvait choisir les voies des dès. Il pouvait lancer les dès. Il pouvait tout faire. Les yeux rivés sur lui, je venais déboutonner quelques boutons de ma chemise avant de tendre la main pour attraper mon verre. Ce verre que je portais à mes lèvres sans le quitter des yeux. Ange curieux. Ange joueur. Ange qui avait hâte de découvrir le plateau de jeu du soir.

Plateau de jeu instauré. Partie lancée. À l’instant même où j’avais lancé les dés une première fois, le jeu s’était mis en place de lui-même. Le compteur de la partie avait démarré sans que personne ne le demande. Ça arrivait simplement. Ça se lançait réellement. Pourtant, ce lancé n’était qu’un exemple afin que Perceval comprenne réellement la façon dont je menais ma vie. Ce lancé n’était là que pour rendre l’explication plus concrète et réelle. J’aurai d’ailleurs pu me contenter d’en faire un simple exemple sans la moindre incidence sur notre moment. J’aurai pu me contenter de faire un choix fichtrement banal simplement pour illustrer mes propos comme ça devait être le but. J’aurai pu proposer un pair où je devais boire un nouveau verre d’alcool et un impair où je devais boire un verre d’eau. Perceval aurait ainsi pu parfaitement saisir ma façon de vivre mon existence depuis que mon mari n’était plus à mes côtés et que je sentais cette malédiction peser sur mon être. Peut-être que j’aurai dû me contenter de cet exemple bateau qui n’avait aucun impact. Cependant, je n’avais pas su me restreindre. Je n’avais pas voulu me contenter de si peu alors qu’une porte s’était entrouverte face à moi. J’étais bien trop joueur pour ne pas sauter sur cette occasion. J’étais bien trop en manque de corps pour ne pas tenter ma chance. J’avais envie d’une proie, d’une chaleur humaine sans le moindre risque de m’enticher derrière. Perceval était une proie parfaite. Alors, je n’hésitais pas à me lancer sur ce chemin qui me tentait beaucoup plus que le chemin sage. Ange diabolique. Ange damné. Je préférais proposer une autre dualité. Je préférais lancer ces possibilités qui avaient le pouvoir de bouleverser la totalité de la soirée. La mienne. La sienne. Rester ici parmi la foule ou s’isoler dans mon bureau… Le hasard semblait pencher de mon côté lorsqu’il m’offrait la chance de l’isolement. Rejoindre mon bureau était la destinée que je devais accomplir à présent. J’étais bien trop obéissant à ces petits objets. J’avais le réel désir que Perceval m’accompagne dans cette aventure, dans ce jeu. Cependant, il avait le choix. Et il entrait sur le plateau de jeu à l’instant où il acceptait de me suivre même s’il avait posé une condition. Une condition que j’avais accepté sans la moindre hésitation car il était libre lui. Le voyageur et moi avions traversé le Queer Lips afin de rejoindre mon bureau. Ce bureau dans lequel nous nous isolions. Ce bureau dont la porte se refermait derrière nous. Ce bureau allait être le terrain de jeu de notre partie et j’ignorais totalement la finalité de cette soirée. Perceval et le hasard étaient les seuls à avoir le pouvoir dans ce jeu. J’étais prêt à totalement m’y plier. Indiquant le canapé à l’homme qui m’accompagnait, je sortais la bouteille de whisky et les deux verres avant de venir poser le tout sur la table basse. Je servais l’alcool et je déposais bien vite les dés sur la table. Que la partie commence pour de vrai.

C’était au tour de Perceval de jouer à présent. J’avais tiré une première fois les dés en bas alors, à présent, c’était à lui de le faire. Est-ce que nous allions réellement tirer les dés chacun notre tour ? Peut-être ouais. Ça me semblait logique de procéder de cette manière. Ça semblait être une règle à laquelle il était difficile de déroger. Pourtant, j’avais follement envie de laisser Perceval tirer mes précieux toute la soirée. J’avais bien trop envie d’abandonner le peu de contrôle que je pouvais avoir ce soir. J’étais si habitué à lancer mes dés que voir quelqu’un les lancer toute la soirée pour décider de la suite des événements pouvaient être amusant. F*ck ouais, j’avais envie de laisser le contrôle aux mains du voyageur et du hasard. Ça pouvait être le pied de simplement se laisser porter sans chercher à jouer activement dans la partie. J’étais prêt à obéir à chaque résultat des dès, mais je n’avais pas envie de lancer les possibilités. Néanmoins, je ne pouvais pas me résoudre à prendre cette décision seul. C’était ces petits objets posés sur la table qui devaient la prendre pour moi. Je verrais. Plus tard. Après. Pour le moment, ce n’était plus mon tour de jouer. Déboutonnant quelques boutons de ma chemise pour me mettre plus à l’aise maintenant que nous étions en privé, je portais mon verre à mes lèvres en observant le voyageur qui se trouvait là. Je le voyais réfléchir. Je le voyais hésiter. Ça me faisait sourire sans que je ne sache le cacher. Si incertain. Si innocent. Moi, j’avais tant d’idées à l’intérieur de ma tête. J’avais tant de propositions qu’il était possible de souffler aux dès pour qu’il prennent en main le reste de cette soirée. J’avais tant d’idées pour faire totalement basculer nos retrouvailles. La question finissait par résonner. Elle ne s’adressait pas aux dès cependant. Non. C’était moi que Perceval questionnait et j’hochais doucement la tête en réponse. Je n’opposais pas la moindre résistance. Je ne présentais pas le moindre refus. Si le voyageur désirait tirer les dès pour moi, qu’il le fasse. Il devait simplement être conscient que j’allais obéir coûte que coûte au résultat qui s’afficherait sous nos yeux. Je n’avais pas de limites. J’allais juste me plier au choix du hasard. Les deux propositions tombaient alors accentuant mon sourire. Ça restait sage. Beaucoup trop sage. Ça restait simple. Mes iris claires suivaient le mouvement des dés. Un puis trois pour un total de quatre. Chiffre pair. Je devais donc m’installer près de l’homme. Aucune précision n’avait été donné quand à ma réelle position. Terminant mon verre cul sec, je venais m’en servir un nouveau avant de bouger. Je me laissais tomber sur le canapé aux côtés de Perceval. Je me laissais tomber assis aux côtés du voyageur et je le collais sans doute un peu trop. Nos corps se touchaient, mais c’était encore bien trop léger. Me redressant à peine, j’attrapais les dés que je faisais rouler dans ma main un instant. Ma langue glissait sur mes lèvres et je soufflais « Pair, je me déshabille entièrement. Impair, je lèche un bout de ta peau à l’endroit que tu veux.» Mon regard se posait un bref instant sur mon compagnon de jeu alors que le sourire amusé étirait mes lèvres. Et, sans attendre plus longtemps, je lançais les dés. Ils roulaient. Je les fixais. Quatre puis trois. Sept donc. Chiffre impair. Me tournant lentement vers Perceval, j’haussais un sourcil demandant « Alors dis-moi où veux tu sentir ma langue ? » Ange prêt à se plier aux choix des dès. Ange prêt à suivre la décision du voyageur.