Mercredi 13 mars. Superblue Miami.

Programme différent. Habitudes chamboulées. Ça n'allait pas durer je le savais. Ce n'était que pour quelques heures ou peut-être moins encore. Ce n'était qu'un bref répit avant de reprendre ma chute désirée Enfers. J'avais moi-même provoqué ce répit en lançant une invitation au groupe de soutien pour aller voir une exposition. Landon avait répondu positivement et le rendez-vous s'était mis en place. J'étais même allé encore plus loin que cette simple invitation proposant de venir le chercher et même de lui apporter un petit-déjeuner. Ce n'était pas dans mes habitudes d'être plein d'attention. Encore moins envers des personnes qui n'avaient pas creusé leur place profondément dans mon cœur et dans mon lit. Je ne savais pas dans quoi j'étais en train de me lancer, mais je le faisais. Et, quelque part, le ventre se tordait d'angoisse. Ange qui était censé ne jouer que le fantôme. Ange qui prévoyait de disparaître. Le soupir franchissait mes lèvres tandis que je garais la voiture louée pour la journée devant l'hôtel de mon compagnon d'activité. J'hésitais quelques secondes. Je n'avais pas consommé de substances miracles depuis plusieurs heures et le manque se faisait sentir. Même si j'avais bu quelques verres d'alcool en guise de petit-déjeuner, ça ne suffisait pas. Fermant les yeux, je respirais profondément quelques secondes avant de décider que je consommerais une fois arrivé à l'exposition. Ça réduisait le risque d'accident alors qu'une autre âme se trouverait dans l'habitacle de la voiture. Attrapant mon téléphone, je composais un message pour Landon afin de lui signaler ma présence. Tout était prêt pour l'accueillir. Un sac était posé sur le siège passager dans lequel se trouvait un thermos contenant le thé Earl Grey, des scones à la confiture, des pancakes, un mars et même cent balles. Tout y était. En attendant l'arrivée du jeune homme, je sortais de la voiture m'appuyant contre le capot. Cigarette glissée entre mes lèvres, mes prunelles claires, masquées derrière les lunettes de soleil, fixaient l'entrée de l'hôtel. J'étais prêt à bouger afin d'ouvrir la portière passager à Landon dès qu'il arriverait. Mais, pour le moment, je profitais de cette cigarette pour tenter de calmer le manque pulsant dans l'être. Ange bien trop loin de ses fêtes. Ange si peu habitué à de telles sorties.

Tes vacances ne prenaient clairement pas la tournure que tu avais envisagée au départ. Tu étais arrivé à Miami quelque peu anxieux, dans l'expectative puis tu avais finalement décidé de crever l'abcès une bonne fois pour toutes au lieu de te traîner ce mood négatif jusqu'à ton retour à Boston. Entre la panne de bateau d'hier et tes mélodrames amoureux, tu avais eu ta dose de dramas. Aussi, quand Ange avait demandé si ça intéressait quelqu'un d'aller voir cette exposition, tu ne t'étais pas fait prier. Tu étais toujours en quête d'activités insolites pour alimenter ta soif de découvertes et ta curiosité sans bornes. Tu aurais même été capable d'accepter une promenade à dos de chameau si cela te permettait d'oublier momentanément tes déboires. Ça t'agaçait prodigieusement de te sentir aussi désespéré, désespéré parce que tu te sentais coincé dans ta vie et tu ne savais pas comment rebondir. Tu t'apprêtais à rejoindre l'irlandais au bas de ton hôtel quand ton téléphone sonna. C'était ton assureur qui te recontactait suite à ton accident de moto afin de caler un rendez-vous pour une expertise. Tu passas quelques instants au téléphone avec le gars tandis que tu guettais l'heure du coin de l'oeil. Avec tout ça tu allais être en retard et tu détestais être en retard. Voilà qu'il te tenait la jambe à essayer de te proposer des véhicules de remplacement parce qu'avec tout ça tu n'avais plus de moyen de locomotion pour te rendre à l'université. Tu te pincas l'arête du nez en l'écoutant déblatérer. Tu le congédias bien assez vite, parce que tu étais en vacances et tu avais bien d'autres choses à faire. Tu inventas un bobard à base de snowboard et de serveuses à patins dans un dinner puis tu raccrochas avant que l'autre puisse en placer une. L'important était que tu avais obtenu un rendez-vous à ton retour de vacances, et tu n'avais rien besoin d'autre, et surtout pas que l'autre raconte sa vie au téléphone. Tu rangeas ton téléphone dans ta poche puis tu descendis jusqu'à la réception de l'hôtel au pas de course. Tu te dépêchais parce que tu détestais les gens en retard, ce n'était donc pas une raison pour faire pareil à ton tour. Tu pensas tout d'abord à une erreur quand tu aperçus la voiture rouge rutilante qui était garée et ne semblait attendre que toi. Non que tu t'attendais à une camionnette puisque vous n'étiez pas nombreux, mais quand même, tu étais impressionné par ce bolide. "Moi qui pensais que tu allais louer une fourgonnette, j'étais bien loin du compte." Tu dis en guise de salutations alors que tu t'installais à la place côté passager - bah quoi, un van était quand même plus dans le mood vacances qu'une voiture de ce genre, non? "Désolé pour le retard, le mec de l'assurance m'a appelé pour ma bécane. Ça va bientôt faire trois semaines que c'est arrivé mais bon." Tu ne voulais pas penser à toute la paperasse qui t'attendait à ton retour. Tu pris précautionneusement le sac qui contenait ton festin et vis, amusé, les cent balles demandés sur le ton de l'humour. Tu pris les billets et les tendis à l'irlandais. "Je ne vais quand même pas commencer à te taxer." Tu étais certes pauvre mais tu ne passais pas ton temps à gratter tout et n'importe quoi à tes proches - au contraire, tu détestais te sentir redevable. "Merci pour le petit-déjeuner. Tu gères!" Tu mis ta ceinture de sécurité et ton regard capta le profil d'Ange, qui semblait tendu. Cela t'interpela mais tu ne fis aucun commentaire, après tout, s'il en ressent le besoin, il pourra toujours t'en parler.  

Fumée envolée. Stress cognant. Dans l’attente de mon compagnon d’activité, ma jambe s’agitait nerveusement. Mes prunelles claires ne cessaient de se balader entre l’entrée de l’hôtel et la rue grouillant de passants. L’attente n’avait pas pour habitude de me déranger. Bien au contraire. J’étais le genre de mec qui prenait tout comme cela venait. J’étais le genre de mec qui prenait ses décisions avec des dés et qui laissait le destin régir son existence. Aussi, lorsque qui que ce soit avait du retard, ça ne m’importait jamais et ça n’influait jamais sur moi. Cependant, sur l’instant, ce n’était pas le cas. Je n’étais pas dans le meilleur des états pour patienter sagement et ne rien ressentir. Je n’avais pas consommé de drogues depuis de trop nombreuses heures à mes yeux. Les verres d’alcool de ce matin n’étaient pas suffisant pour endormir la part humaine et angoissée de l’Ange. La cigarette entre mes doigts ne m’aidait guère. Et, putain, l’activité prévue n’avait aucun impact sur mon être. Ça ne me détendait pas. Ça ne me calmait pas. Aller voir une exposition n’avait rien d’habituel pour moi. Ce n’était pas quelque chose que je faisais en règle générale. Ce n’était pas un endroit où je me rendais à moins qu’il n’y ait une baise à la clé – et ce n’était pas avec Landon que ça pouvait arriver car il n’avait pas l’air d’être attiré par les hommes. Mon regard était soudainement attiré par une silhouette qui se rapprochait. Je me redressais aussitôt tandis que Landon approchait lançant une remarque sur la voiture. J’haussais un sourcil en le fixant « Tu aurais préféré une fourgonnette pour monter à l’arrière ? » Sourire amusé scotché aux lèvres, je venais lui ouvrir la portière passager pour qu’il puisse s’installer. Porte claquée, je faisais le tour m’installant à la place qui me revenait toujours lorsqu’il était question de trajet véhiculé. Je ne pouvais pas monter dans une voiture si je n’étais pas derrière le volant. Lorsque le jeune homme s’excusait et présentait ses justifications, je relevais mes lunettes de soleil pour poser mon regard sur lui et souffler un « Ne t’excuses pas » qui résonnait presque comme un ordre. Je laissais rapidement retomber les lunettes sur mes yeux et, insérant la clé dans le contact, je marmonnais « Ça traîne toujours ces histoires… » Ouais, je m’en souvenais que trop bien. Le frisson désagréable courrait sur ma peau à ces souvenirs qui n’étaient pas les bienvenus. Heureusement pour moi, mon attention était rapidement détournée lorsque Landon prenait le sac pour en découvrir le contenu. Je ne le quittais pas des yeux bien trop heureux d’avoir préparé tout ce qu’il avait demandé. Lorsque les billets étaient tendus en ma direction, je ne tendais pas la main pour les prendre. Je me contentais de secouer négativement la tête refusant de les reprendre « Tu auras qu’à les donner à qui tu veux alors ou m’acheter un cadeau ! » Un grand sourire prenait place sur mes lèvres à ces mots et je me contentais d’hocher la tête lorsqu’il me remerciait pour le petit-déjeuner. Mon regard restait sur lui jusqu’à ce que sa ceinture soit bouclée. Une fois cette sécurité en place, la voiture ne tardait pas à rejoindre la circulation. Concentré sur la route, je conduisais bien différemment de mon habitude. Je conduisais bien. Je conduisais sagement. Je respectais la signalisation. Je respectais les limites. Je ne tentais pas le destin en ayant une conduite dangereuse. Je ne nous mettais pas en danger. Et c’était foutrement compliqué pour moi d’être aussi rangé. Encore plus avec l’absence de ces substances dans mon corps et la situation si inhabituelle. Alors, mes doigts tapotaient nerveusement sur le volant comme pour calmer les démons s’agitant dans l’être.

Tes soucis d'assurance réglés il était temps pour toi de profiter enfin de ta journée, même si en ton for intérieur tu savais que profiter était un bien grand mot tant tu avais la tête pleine. D'ailleurs, c'était marqué sur ta gueule que tu n'étais pas au top de ta forme, tu avais les traits tirés, le teint blafard et le regard alourdi de cernes monstrueux. Le sommeil était une denrée rare et tes nuits agitées, tu en étais réduit à devoir prendre des cachetons pour pouvoir dormir. Le petit-déjeuner n'était donc pas du luxe après une nuit très courte, ponctuée d'insomnies. Tu faisais pourtant bonne figure devant Ange. Un bref coup d'œil vers l'irlandais t'indiquait qu'il n'était pas au meilleur de sa forme lui non plus mais tu ne fis aucun commentaire, à la place, tu fis une vanne sur son choix de véhicule. "Non, mais on ne peut pas dire que cet engin fasse très...touriste." Tu dis en mettant tes lunettes de soleil sur le bout de ton nez - quitte à passer pour des frimeurs, autant jouer le jeu jusqu'au bout. "J'ai presque la dégaine de l'emploi, comme quoi, les grands esprits se rencontrent." Tu raillas, faisant allusion au polo et au bermuda que tu portais. Il ne manquait plus que les mocassins et tu avais la panoplie parfaite du petit bourge. Installé côté passager, tu regardais le tableau de bord avec curiosité. Tu avais plutôt hâte d'entendre le bruit du moteur - un des principaux points d'intérêt de ce genre de véhicules, il fallait bien l'avouer - et ton vœu silencieux fut bientôt exaucé lorsque Ange démarra le contact. "Sacré bébé, en tout cas." Tu commentas, satisfait, tu parlais de la bagnole bien entendu. Lorsque tu examinas le contenu du sac préparé à ton attention, tu remarquas avec une certaine gêne que l'irlandais avait pris un peu trop au pied de la lettre ta demande concernant l'argent. Tu n'étais pas du genre à gratter de l'argent à tes proches, même si tu étais toujours dans le rouge financièrement parlant, face à l'adversité, tu étais adepte du système D plutôt qu'emprunter. " T'acheter un cadeau avec ton propre argent, sacré concept." Tu marmonnas, t'enfonçant dans le siège pour profiter du trajet le plus confortablement possible, considérant ta côte fêlée qui te faisait toujours un mal de chien. Le silence s'invita dans l'habitacle et le trajet se déroula dans le calme. Toi-même tu n'étais pas un grand bavard, et les moments sans paroles ne te dérangeaient  pas. Tu ne faisais pas partie de ceux qui jacassaient à tort et à travers, tu étais en fait un taiseux. Dans un silence presque méditatif, tu voyais la route défiler devant vous, le cerveau occupé à enregistrer les numéros des plaques d'immatriculation des autres véhicules même si ces informations ne te seront d'aucune utilité. Aussi loin que tu puisses te rappeler, tu avais toujours fait ça, lors des trajets en voiture. C'était une de tes nombreuses bizarreries, que tu ne partageais pas nécessairement avec les autres. Ta concentration fut toutefois distraite lorsque tu entendis un bruit répétitif qui semblait venir de ta gauche. Tu fis une moue agacée - les bruits répétitifs à avaient tendance à te faire câbler - mais tu ne fis aucun commentaire, même si ton regard glissait par intermittence vers les mains du conducteur. Tu soupiras avant de changer de position, t'asseyant un peu mieux sur ton siège. "Et donc, pourquoi ce choix de véhicule? Est-ce une passion pour les belles voitures ou c'est juste pour le kif?" Après tout, si c'était la deuxième hypothèse qui se vérifiait, il ne serait ni le premier, ni le dernier à faire des folies en vacances.