2:15pm Ji-hun se rendait à la bibliothèque les lundis, après sa formation doctorale, et les samedis, avant de se rendre à la Luna Caffe. L’ambiance de travail lui permettait de se concentrer, et la présence d’autres étudiants le rassurait, notamment parce qu’il était un homme sociable, et qu’il se sentait incapable de s’épanouir sans les autres. Un fossé aurait pu se créer pourtant, puisqu’il venait d'un pays où tout était différent, – la politique, la justice, la langue, la culture, les pensées et les comportements –, mais il n'en était rien, ou presque. Le brun réussissait à s’intégrer malgré les quelques incompréhensions qui subsistaient. Il était curieux, et avide de nouvelles expériences. Il profitait de la liberté que lui offrait les États-Unis, et se montrait chaque jour reconnaissant envers ce pays.

Il se plongeait alors corps et âme dans ses objectifs professionnels, dans l’espoir de pouvoir apporter sa pierre à l’édifice en intégrant l’un des meilleurs laboratoires. Il pianotait sur le clavier, faisait tourner entre ses doigts le stylo en forme de poisson multicolore, qui lui servait à écrire au quotidien. Ses yeux étaient rivés tantôt sur son écran d’ordinateur, tantôt sur ses notes étalées,… et tantôt sur Elle. Elle, la jeune femme qu’il croisait souvent à la Widener Library. Que ce soit en début de semaine après dix-sept heures, ou le samedi après la pause méridienne, elle était là, assise à cette table de l’autre côté de l’allée. Leurs regards s’étaient croisés plus d’une fois, plus d’un jour. Et ils en souriaient, – se souriaient –, mais ils n’avaient jamais pris le temps d’échanger ne serait-ce que quelques mots.

Alors, avant de la voir se lever et quitter l’établissement comme ce fut le cas la semaine passée, et celle qui avait précédé, Ji-hun prit les devants. Il déchira un morceau de page blanche, agita son bic noir et écrit de sa police la plus studieuse. Une fois fait, il plia le papier en quatre et le jeta en direction de la demoiselle. Ils devaient garder le silence, mais il n’était pas interdit de se lancer des petits mots, pas vrai ?

Me regarder comme ça, tu comptes le faire toute l'année,
sans oser me dire ton prénom ? (*´▽｀*)

Les vacances étaient terminées et les cours avaient repris. La routine de ta vie d'étudiante de nouveau en place. Ce qui expliquait pourquoi tu étais  de nouveau souvent à  la bibliothèque.  Tu pourrais très  bien étudier et faire tes travaux à  ton appartement. Ta colocataire ne te dérangerait pas, elle savait ce qu'impliquait  le fait d'être aux études.  Mais disons que l'envie de faire totalement autre chose était là beaucoup plus facilement que si tu te trouvais à la bibliothèque.  Donc, tu y es. Tentant d'avancer dans une profil psychologique que tu avais à  faire suite à  un vidéo que vous aviez visionné en classe. Tu as d'ailleurs la vidéo sur ton ordinateur ouvert devant toi, ton cahier avec une page contenant tes entités notes à  côté.  Et pourtant, ton regard passe à plusieurs reprises de ton plan de travail au jeune homme assis un peu plus loin. Ce n'est pas la première fois que tu le croisés ici depuis le début de l'année.  Et tu as l'impression de l'avoir déjà vu ailleurs également mais tu ne pourrais pas dire où  sûrement croisé dans un des nombreux corridors d'Harard.  Vous étiez tellement nombreux comme étudiants ici que de nouvelles têtes,  tu en croisais souvent. Et pourtant, vous vous échangez des regards puis des sourires, compatissant un et l'autre sur le fait que vous passiez probablement  plus de temps ici, sur le campus, à  faire ce qu'on vous demandait plutôt qu'à profiter de la vie étudiante comme certains disent. Sur ce côté là, tu avais des efforts à  faire. Pas du genre à sortir en boite tous les week-end ou à faire la fête avec tes copines. Non, ce n'était pas toi. Toi, tu préférais les soirées tranquilles,  les heures de bénévolat que tu pouvais donner de temps en temps, t'impliquer dans les causes qui te tiennent à  coeur. Concentrée sur ton analyse psychologique,  la tienne utot que celle de la vidéo,  tu finis par être tirée de tes pensées par un petit bout de papier qui atterri sur ta table de travail. Regard jeté vers l'inconnu et sourire aux lèvres alors que tes yeux parcourt la phrase qui y est inscrite. Réponse simple, tu prends ton crayon et tu y inscrit 4 petites lettres "Evie" avant de lui retourner le bout de papier, tassurant que l'employé de bibliothèque n'avait pas les yeux vers vous à ce moment là.

Retour dans les années high school, période durant laquelle les salles d’études servaient également à accueillir les retardataires récalcitrants, les abonnés aux devoirs non-rendus et les rebelles à la prise de paroles intempestives. Pièce froide où les tics tacs de l’horloge ne faisaient pas avancer les aiguilles, et où l’ennui faisait soupirer les punis, au point de les pousser à communiquer de façons innovantes. Ji-hun n’avait pas connu ça. Déjà parce qu’il avait toujours été un élève exemplaire, mais surtout parce que les sanctions ne supposaient pas d'enfermer les indisciplinés dans une pseudo salle de classe au carré, à faire vœu de silence, à copier des lignes ou à faire des devoirs ; c’était bien pire. L’idée ne lui vint donc pas de son expérience personnelle, mais de films vus ou d’anecdotes entendues. Lancer de projectile réussi, son mot atterrit sur la table de l’étudiante, et d’un coup de menton, il l’invita à le déplier.

Le nord-coréen pinça sa lèvre inférieure de ses dents postées à l’avant, jeta tantôt un regard sur la jeune femme qu’il venait d’interpeller, tantôt un œil vers l’employé de bibliothèque qui faisait mille aller-retours de son bureau aux rayonnages, surveillant discrètement les universitaires, dans le but de faire respecter les règles de l’établissement à la lettre. Il remarqua que la demoiselle prit son crayon, et il fut heureux de constater qu’elle posa sa mine sur le papier. Le brun pouvait d’ores et déjà s’attendre à une réponse de sa part, de ce fait il ne se remit pas au travail. Il n’eut pas besoin de patienter longtemps avant que le bout de page blanche lui soit renvoyé. Il put aussi constater qu’elle n’était pas si mauvaise au jet de boulettes, elle non plus. Il s’empressa de déchiffonner le billet et découvrit son prénom ; Evie . Il le lut en silence puis articula ses lippes pour s’imprégner des syllabes qui le composaient.

Il finit par regarder son interlocutrice, lui sourit puis mima un seul et unique mot de sa bouche : joli. Il lui semblait avoir déjà vu ce prénom quelque part, mais il supposait que des Evie, dans une université aussi prestigieuse qu’Harvard, il devait y en avoir des dizaines – voire des centaines. Il tapota le bout de son stylo dans un rythme régulier sur la table, leva les yeux vers le bout de l’allée qui les séparait. Il réfléchit, gonflant une à une ses joues, et trouva une place où écrire une deuxième phrase. Ses pouce et index droits manièrent son bic avant que la note ne soit boulée à nouveau et renvoyée. Elle tomba près de l'avant-bras de la jeune femme, quand celui de Ji-hun se leva pour lui permettre de poser un côté de son visage dans sa paume. Sourcils levés, il se voulut interrogateur.

Savoir le mien, tu ne veux pas ?
Le mystère, tu veux garder ? (￢‿￢ ) 

Si tu comptais venir ici pour étudier, prendre de l'avance dans les travaux que tu aurais à terminer chez toi plus tard. En bonne étudiante que tu étais. Tu y arrivais d'ailleurs plutôt bien, tu te concentrais sur ce que tu avais à faire. Jusqu'à ce que ton attention soit attiré sur le bout de papier sur ta table de travail. Regard tourné en direction de l'étudiant qui te l'a lancé, tu réponds rapidement. Quatre petites lettres qui forment ton nom. En toute simplicité. Un peu trop d'ailleurs quand tu réalises que tu manques clairement de politesse en ne retournant pas la question. Tellement concentrée sur ce que tu faisais que tu en oublie les bonnes manières. Tu dois d'ailleurs passer pour une fille snob à ce stade de votre conversation. Tu te dis presque que tu devrais plutôt fuir la bibliothèque pour ne pas aggraver ton cas. Et pourtant, tu glisses encore quelques mots sur le papier. "Ou venir ici, tu peux faire." Ouais, tu connais toi aussi. Et clairement, tu es plus à l'aise en face à face que sur papier. Tu lui retournes quand même avant de joindre l'invitation papier au geste. Tu repousses tes livres pour faire de la place sur le poste de travail que tu occupes. En même temps, il peut très bien te mettre un vent après ta réponse plus que minimaliste que tu lui a fourni comme première impression.

Papier renvoyé, il tomba de nouveau sur la table où se trouvait installée la jeune femme, et roula jusqu’à son avant-bras. Ji-hun posa sa tête dans sa paume, coude planté entre un livre de neurobiologie, son cahier de notes et quelques stylos à la forme originale. Poissons multicolores tournés de tout côté, ils attendaient une réponse eux aussi, bouches grande ouvertes ; est-ce qu’ils allaient enfin reprendre le travail là où ils s’étaient arrêtés ? Peut-être pas. Le mot retourna à l’envoyeur, et le nord-coréen prit connaissance de la phrase inscrite dans un coin du papier. Il sourit, dents apparentes, à sa lecture puis reporta son attention sur la brune qui faisait d’ores et déjà de la place pour permettre au biochimiste de changer de rang. Dernier regard jeté vers l’employé de la bibliothèque, il finit par regrouper bouquins, trousse et ordinateur.

Outils de travail rangés et empilés, il recula sa chaise dans un grincement qui le fit serrer les dents. Observation furtive qui le rassura ; personne n’y avait prêté attention, si ce n’était peut-être l’étudiante qu’il s’apprêtait à rejoindre. L’email pinça sa lippe inférieure, et il se leva de son emplacement, agrippant au passage ses affaires, remit le siège à sa place et traversa l’allée. Il se posa devant la demoiselle avant de porter ses agates sur son visage ; elle était encore plus mignonne de près. Il étala ses effets d’études de son côté du plan de travail et feuilleta son cahier à spirales de façon à trouver une page blanche. Il écrit dessus, en suivant les lignes offertes par le format et l’offrit au regard de sa comparse harvardienne.

Et maintenant ? Parler, on ne peut toujours pas. 
L'avantage, toutefois, c'était qu'ils n'avaient pas besoin de se jeter des morceaux de papier pour communiquer. L'un face à l'autre, se passer le cahier de notes semblait plus discret. Il regarda ce qui était installé du côté de l'étudiante et pensa deviner le domaine d'activité dans lequel elle s'était engagée. Il reprit délicatement ce qui leur permettait de discuter, sans enfreindre le règlement de la bibliothèque, avant même qu'elle ne puisse apposer une phrase dessus, et laissa s'agiter la mine de son stylo.

Psychologie ? En ce moment, sur quoi tu travailles ?