Samedi 18 novembre. Début d'après-midi.

Douleur atroce. Être en chute libre. J’attaquais aujourd’hui mon sixième jour au sein du Massachussets Bay Care Centre. Cela faisait six jours que j’avais commencé cette cure de désintoxication. Il fallait que j’apprenne à vivre sans les substances qui avaient presque toujours accompagné mon existence. Pour ma santé. Pour mon couple. Pour ma vie en générale. Il fallait que j’apprenne à survivre sans ces poisons qui pourrissaient mes veines et enchantaient mon existence. Le combat était loin d’être gagné. L’addiction était bien trop présente. Le besoin était bien trop fort. Six jours… Cela faisait six jours que je tenais ici un peu trop coupé de mes habitudes. Pas de drogues. Pas d’alcool. Pas de soirée. Pas de réconfort. Pas de contacts avec l’extérieur. Je venais même de passer mon anniversaire totalement coupé du monde sans savoir qui pouvait bien avoir pensé à moi ou non. Pour dire vrai, cela ne faisait même pas partie de mes préoccupations actuelles. J’étais bien trop en souffrance pour me focaliser sur cette réalité de fête qui me semblait si futile. De toute manière, mon anniversaire n’avait plus d’importance à mes yeux. Il faisait partie de cette période de l’année où tout devenait flou, sombre et foutrement compliqué. C’était pour ça que j’avais choisi de rentrer en cure à cette période. Il s’agissait de la période la plus dure pour moi et celle où j’avais l’habitude de chuter encore plus que tout le reste de l’année. Six jours… C’était l’Enfer ici. Je me retrouvais tout seul avec mes démons et ma souffrance. Je n’avais personne pour tenter de m’apaiser. Je n’avais personne à qui parler. Enfin… Il y avait le personnel de l’établissement bien sûr. Cependant, la carapace de l’Ange refusait de s’ouvrir face à ces étrangers. Alors, je tentais de m’en sortir malgré tout ça. Cette solitude. Cette douleur. Ce mal-être. Tout était bien trop intense. Les cauchemars me réveillaient toutes les nuits. Le manque de sommeil était bien trop présent à tel point que j’avais du mal à conserver les yeux ouverts. Les tremblements ne cessaient presque jamais. Le corps passait son temps à subir ces vagues tandis que la chaleur m’oppressait. La sueur collait désagréablement les vêtements à la peau. La douleur dans tout l’être me tordait vivement par moment. Les vomissements s’étaient invités aussi m’empêchant de garder le peu de repas que j’avalais. J’avais perdu du poids en six jours. Trop peut-être. C’était visible. Je peinais à tenir sur mes pieds plus de quelques minutes. Tout ces symptômes étaient les symptômes physiques qui se manifestaient.

Néanmoins, il n’y avait pas que ça. La panique ne me quittait presque jamais à présent laissant les crises s’enchaîner désagréablement. La tête avait du mal à se poser entraînant le corps dans une agitation qu’il avait du mal à supporter. Les hallucinations s’imposaient un peu trop mêlant passé et présent, vérité et mensonge. L’Ange s’était réellement transformé en démon. Méchant. Irritable. Violent. Envers les autres. Envers lui. Mes ongles avaient plus d’une fois gratté ma peau jusqu’au sang obligeant les poignets à être entravés lors de certaines crises. Parfois les choses s’apaisaient lorsqu’ils venaient m’injecter un produit miracle pour m’aider à supporter cette cure. Néanmoins, ça ne durait jamais longtemps et les prises étaient bien trop espacées. En ce sixième jour, j’étais allongé sur mon lit plié en deux sous les attaques physiques et mentales de cette cure lorsqu’un membre du personnel venait me chercher pour m’annoncer que j’avais de la visite. Je m’empressais de secouer négativement la tête comme refusant de voir qui que ce soit. Il n’y avait qu’une seule personne qui pouvait être ici : Yohan. Il était le seul au courant de ma présence en ces lieux. Il était le seul à qui j’avais parlé de cette cure que j’allais suivre. Après tout, il était le seul à m’y avoir plus ou moins poussé. C’était en partie pour lui que je me retrouvais en ces lieux. L’homme du personnel insistait avançant des arguments que je peinais à entendre. Ange à la tête sous l’eau. Ange si déconnecté. Je finissais par me redresser avec lenteur avant de me mettre sur mes deux pieds. Mes prunelles claires croisaient mon reflet dans le miroir. C’était une horreur. Pâle, en sueur, trop maigre, les traits tirés… Il ne fallait pas que mon copain me voit comme ça. J’attrapais mon sweat pour l’enfiler rabattant la capuche sur ma tête comme si cela pouvait m’aider à me cacher un peu plus. Déglutissant difficilement, je me mettais à suivre l’homme présent. Il me conduisait je ne savais même pas où. Ce n’était pas une pièce avec du monde. Ça semblait être une pièce isolée au sein de laquelle Yohan se trouvait. Mes mains s’enfonçaient dans les poches de mon sweat. Mon regard se posait un bref instant sur celui que j’aimais avant que je ne baisse les yeux soufflant un « B’jour… » incertain. Et, sans attendre, je m’approchais de la chaise pour me laisser tomber dessus gardant la tête basse. Ange effrayé de la suite. Ange paumé dans cette réalité.

Torture absolue. Enfer intégral. Si je devais définir cette cure de désintoxication, c’était de cette manière que je viendrais la décrire. Ces mots seraient apposés sans la moindre hésitation pour parler de cette expérience fichtrement désagréable. Ce n’était que la vérité. Ma vérité à moi en tout cas. C’était la façon dont je vivais les choses. C’était la manière dont cette tentative, effectuée en grande partie par amour, pouvait se définir pour mon être. Le corps avait été habitué à une consommation régulière au fil des années. La tête avait été habituée à échapper aux horreurs grâce à ces substances dangereuses. Ça faisait partie de mon quotidien. Ça faisait partie de moi. Depuis des putains d’années. Il était bien trop difficile de se passer de cette béquille qui ne quittait plus mes côtés depuis bien trop longuement. Pourtant, lorsque je m’étais retrouvé chez Yohan pour une semaine, ne pas consommer de drogues avait été foutrement moins compliqué. Il y avait eu des crises bien sûr. Il y avait eu un manque évidemment. Mais, bordel, ça n’avait pas provoqué toutes ces conséquences. Lorsque j’étais aux côtés de mon copain, le sevrage avait été plus facile. Ça l’avait été au point de me pousser à cette cure de désintoxication persuadé que je parviendrais à tenir. Foutue connerie. Tout était différent ici. L’impact était atroce. La douleur était terrible. La cure devenait une simple torture quotidienne qui ne semblait qu’empirer au fil des secondes. Une partie de mon être regrettait de se trouver en ces lieux. Une grosse partie de mon être s’en voulait d’avoir sauté le pas si rapidement sur un coup de tête. Ange désireux d’être un homme avec moins de bagage. Ange désireux de rendre heureux celui qui avait fait repartir mon cœur. Ange qui, au final, risquait de tout foutre en l’air tant la spirale semblait me foutre en l’air. Une partie de mon être voulait quitter les lieux et demander à Yohan de faire une cure chez lui. C’était ce dont j’avais envie dès le départ moi. C’était ce que le copain avait refusé ne se sentant pas capable de gérer cela. Et j’avais compris son point de vue. Mais, putain, il n’avait pas compris le mien. Il n’avait pas compris qu’il pouvait m’aider à me sevrer plus réellement que ces étrangers qui ne parvenaient même pas à avancer sous la carapace. Suivre une cure chez l’homme que j’aimais aurait évité tant de problèmes. Ça aurait évité un acte désespéré que j’allais commettre sans en avoir encore conscience. Ça aurait évité une fuite qui allait se lancer sans que personne ne puisse la contrôler. Ça aurait évité une rupture que j’ignorais encore. Bien trop amoureux. Bien trop désireux de faire de Yohan l’homme le plus heureux. Et ce bonheur commençait par cette cure qui me rendait malade. Cette cure où il venait me voir. Moi le cadavre ambulant qui l’évitait préférant me laisser tomber sur une chaise face à lui que finir entre ses doigts.

Sa voix brisait soudainement le silence qui s’était instauré dans cette pièce si clean et vide. Mes prunelles claires se fermaient en entendant le surnom qui était soufflé et, malgré moi, ça faisait monter les larmes aux yeux. Ange qui avait du mal à contrôler ses émotions. Ange qui se trouvait bien trop au bord du gouffre. Je ne répondais pas. Je n’étais pas capable de répondre. J’avais bien trop peur de ce que je pourrais souffler si j’osais ouvrir la bouche. Je n’osais même pas relever la tête pour le regarder. J’étais bien trop effrayé à l’idée de ce que je pourrais faire. Éclater en sanglots… Me précipiter vers lui… Et… Peut-être bien que ce qui me faisait le plus peur était surtout de voir le dégoût dans son regard. Le dégoût de voir à quel point j’étais différent. Je n’étais plus cette jolie image de l’Ange. Je n’étais qu’une ombre bien trop fade et si peu attirante. Je n’étais qu’un cadavre ambulant. Trop maigre. Trop marqué par le manque de sommeil. Trop en sueur. Trop pantin de tremblements désagréables. Trop malade. Trop mort quelque part. Un frisson parcourait mon corps lorsqu’il avouait que je lui manquais. Une larme s’échappait de mes prunelles sans que je ne puisse la freiner. Elle glissait le long de mon visage et je la laissais faire. Je la laissais tracer sa route. Cela demandait bien trop d’efforts de la stopper et je n’étais guère en mesure de les accomplir. Pas dans cet état désastreux. Pas en subissant cette torture quotidienne. Je déglutissais difficilement conservant le silence et l’immobilisme. Mes prunelles bougeaient légèrement lorsque je percevais du mouvement. Je voyais la main de Yohan se poser sur la table dans une invitation silencieuse à un contact. Je triturais mes doigts entre eux sous la table. Je triturais mes doigts foutrement hésitant quand bien même j’en crevais d’envie. Le temps filait. Les secondes s’écoulaient. Et, finalement, je bougeais. Je bougeais pour mettre ma main sur la table. Je tendais la main pour venir frôler la sienne. Et, liant mes doigts aux siens, je relevais lentement la tête pour lui laisser voir le désastre de cette cure sur mon être. Je gardais la capuche sur ma tête malgré tout comme si ça pouvait me protéger de son possible dégoût. Ma langue passait sur mes lèvres et le « Tu… T’me manques… » était murmuré en retour. Vérité absolue. Il me manquait. Follement. Atrocement. Sa voix. Son regard. Ses bras. Ses doigts. Son corps. Sa présence. Tout me manquait et ça faisait encore plus mal. Mes prunelles trouvaient les siennes. Je sentais le tremblement me parcourir. Ce tremblement qui me poussait à fermer les yeux un instant serrant sa main. Je sentais la vague de douleur et le haut-le-cœur désagréable qui cognait dans l’être. Soufflant doucement pour contrôler l’impact, je rouvrais les yeux pour planter mes prunelles larmoyantes dans les siennes. Et le « Me… M’laisse pas là… » glissait presque trop suppliant. C’était foutrement trop douloureux de se retrouver dans ce lieu. Ça allait mal tourner. Je le pressentais.