Ji-hun n’aurait jamais pensé crouler sous le travail au point de n’avoir plus aucune vie sociale, et il commençait à se dire que garder ses deux jobs étudiant n’était plus une si bonne idée. Une semaine s’était écoulée depuis le début de son contrat doctoral, sept jours qu’il avait ressenti vivre en continu, enchaînant formations initiatiques, préparation chronologique et événementielle de ces trois prochaines années, et buchage de l'introduction de sa thèse. Les heures de sommeil s’étaient considérablement réduites, parce qu’à côté de tout ça, il occupait toujours sa place à la Luna Caffe et comblait le manque de personnel en soirée dans un hôtel 3*. Il fallait aussi ajouter son engagement auprès de l’équipe de natation d’Harvard, et voilà qui formait un emploi du temps bien – trop – complet pour un seul homme.

Assis sur la chaise de son bureau, il faisait tournoyer le stylo entre ses doigts, s’amusant à lui faire subir quelques voltiges. Parfois il le rattrapait, parfois le poisson – forme originale de l’objet – venait s’écraser au sol. De temps en temps il attendait patiemment que son propriétaire vienne le récupérer , et plus rarement il roulait jusqu’à l’un des pieds du lit. Le biochimiste relisait les phrases qu’il avait travaillées – et retravaillées des dizaines de fois – dans le but d’être certain de ne faire aucune faute de syntaxe. Car s’il n’y faisait pas vraiment attention à l’oral ou sur meetsenger, son doctorat comptait assez pour qu’il ne s’autorise aucune erreur. Mais il commençait à fatiguer, et aucune distraction ne pouvait le tenir éveillé vu l’heure qu’affichait la montre à son poignet ; deux heures du matin. Il fit silencieusement la liste des personnes susceptibles d’être encore debout.

Regard tourné sur le plafond, il réfléchit en énumérant les noms dans sa tête, jusqu’à baisser instinctivement son regard sur l’ordinateur portable. S’il avait peur de déranger qui que ce soit, il savait où il pouvait trouver d’autres insomniaques. Depuis qu’il avait abandonné les recherches de la paramédic', il ne s’était plus connecté tant que ça, et le moment était peut-être venu de chercher à nouveau quelques amis nocturnes, avec lesquels discuter en ligne. Il approcha ses doigts du clavier, et se connecta. Très vite, il tomba sur des gens du bout du monde avec qui il échangea quelques banalités , mais la conversation ne dura jamais plus de cinq minutes. Il switcha alors, switcha encore, jusqu’à tomber sur un visage qui lui parut familier. Peau mate et cheveux roses apparurent à l’écran, et le rendirent muet. Il s'approcha de l'écran pour dévisager ces traits ; était-ce un mirage dû au manque de repos ?

Il attendit, lui laissa la possibilité d’appuyer sur ce bouton qui les empêcherait de communiquer. Celui-là même qui avait clôturé leur toute première – et dernière, session de mai dernier.  Mais elle ne le dit pas, alors … Bonsoir Clary – ou bonjour, s’adressa-t-il à elle de cet accent toujours présent, mais bien moins prononcé ; merci la pratique. De te voir, c’est rassurant, avoua-t-il, parce qu’il n’avait eu aucun moyen de savoir ce qu’elle était devenue après leur échange. Comment tu vas, lui demanda-t-il, parce que c’était ce qu’on demandait en premier, n’est-ce pas ?