Cinq années nous séparent, ce qui n'est pas rien effectivement. Mais je ne suis pas du genre à me formaliser de ce genre de choses, n'en déplaise, c'est ainsi que va ma mentalité. Il y a peut-être des réalités dont je devrais me soucier mais ce n'est pas mon cas. « Ok. » Je souris, réfléchissant à cet âge encore jeune selon moi, mais qui ne t'empêche pas d'avoir des projets concrets et sérieux. « Je sais t'en fais pas. C'est juste une chose que je pense. » J'ai été bien plus paumée, bien plus torturée et plus encore brisée. Alors oui, je ne regrette pas ma vingtaine comme la plupart des gens, j'ai conscience que vieillir est un privilège et je me sens bien mieux à présent. Je me contente donc de sourire à tes propos qui se veulent rassurants. Je ne sais pas comment tu réagiras lorsque je viendrai te raconter mon histoire, mes erreurs, ces cases qui ne me correspondent pas vraiment. Je doute pas de ton empathie sur ce propos mais quoi qu'il advienne l'angoisse demeure, tenace au cœur.

Le petit déjeuner étant terminé, on va pouvoir passer à une activité plus légère et simplement profiter de nos derniers instants ensemble avant de longs mois. « ça me va. » dis-je en t'encourageant du regard, je sais que t'es pas ce type d'hommes et que tu cherches simplement à équilibrer la balance sur mes propres frais, je suis tout de même un peu gênée parce que je sais que ces dépenses sont pas forcément prévues et raisonnables te concernant, mais t'es un grand garçon alors je vais pas polémiquer parce que je sais aussi que lorsque tu as décidé quelque chose, on ne te fera pas changer d'avis. Du moins, concernant ce genre de choses. « Non pas de soucis. » Et nous quittons donc l'endroit pour faire rapidement un saut par la chambre afin que vous soyons frais et dispo pour la suite des aventures. « Yep ! » Je suis curieuse d'essayer ce genre de véhicule. « J'ai fait beaucoup de vélo gamine mais jamais de tandem. » Dans mon village, le vélo c'était même le principal moyen de locomotion pour mes copines et moi et combien d'aventures nous avions vécu à travers champs et campagnes. Finalement, lorsque je repense à l'italie, il ne me vient que de la douceur, des rires et du soleil. J'imagine qu'avec les années, j'ai un peu idéalisé cette partie. Je t'observe télécharger l'appli et repérer un spot pas très loin. Réfléchissant à ton propos... « Hum, je sais pas... difficile à dire. J'ai jamais fait de plongée sous marine, ni de deux roues comme tu sais... » Mais les choses simples sont difficiles à dire lorsqu'on les a jamais faites. J'écarquille les yeux à ton propos, sincèrement étonnée. « Whaaaat ??? » Je rigole. « Parce que ça t'a jamais attiré ? » Je cherche une explication plausible à ce boycott. « Sinon, je te préviens, on y va tout de suite après. Tu peux pas repartir d'ici sans y être jamais allé. Le cinéma a déjà trop attendu Dean Hassani. » Un de mes endroits favoris, et j'y avais vécu nombre de mes émotions cinématographiques.

Nos pas nous conduisent vers les fameux tandems. « Oui c'est clair. » Un petit rire vient appuyer mes propos. Le tandem c'est une chose que j'ai toujours regardé de loin mais avec toi l'expérience devrait être sympathique, je n'ai pas trop de doutes à ce propos. Et tu viens me questionner sur d'autres choses que j'aurais jamais faite. C'est pas si évident à déterminer mais lorsque t'avoues jamais avoir été au ciné, je suis étonnée oui, parce que même si je n'y allais pas super souvent, venant d'un petit village italien, on s'octroyait souvent ce luxe lors de nos vacances où la petite station de montagne dans laquelle on séjournait possédait un cinéma. Et puis mes années adolescentes m'avaient amené à fréquenter plus régulièrement cet endroit au grand écran. « C'est vrai mais honnêtement j'ai jamais pensé que certaines personnes avaient pu ne jamais fréquenter un cinéma. Et pour le reste, théâtre, opéra, t'as déjà été ? » dis-je curieuse à ce propos. J'étais déjà allée au théâtre mais jamais à l'opéra. « Ah oui, c'est compréhensible, c'est vrai que j'oublie que ta famille est nombreuse et clairement ce genre de sorties ne prend pas la même dimension. » Mes parents pouvaient se le permettre de temps à autre parce que nous étions deux, mais si nous avions été autant que toi les choses auraient été différentes également je pense. « Ma mère aussi est restée à la maison. » Pays et génération où ces choix étaient communs et en vérité même la norme. « Et en vrai, tu peux pas discuter au cinéma donc c'est pas le choix prioritaire. » Je ne le fréquentais qu'avec des amis que j'avais l'habitude de voir, ou même seule, parce que c'était un de mes plaisirs de temps à autre mais il fallait que je sois réellement motivée par le film. Mais pour un après tandem, ça me semble être un programme de choix, histoire qu'on se pose. « Oui ! Attends je regarde. » Sortant mon smartphone, je laisse l'écran défiler rapidement. « Cyrano est sorti hier, si t'aimes l'historique et Joe Wright est un de mes réalisateurs favori, autrement, American Underdog sur le foot américain, A journal of jordan mais je suis pas certaine que ça te change les idées. » Puisque le film traitant d'un militaire laissant un journal pour son fils. « King's man, une valeur sûre si tu aimes l'action. » Et le propos était en général plutôt léger, voué au divertissement, ce qui me conviendrait bien pour l'occasion. « Le dernier Matrix, Spiderman, Ou Nightmare Alley qui est un genre thriller. » Il y a pas mal de choix et que ce soit l'un ou l'autre de ces films, cela me conviendrait.

« Mais non, ça n'annule aucunement notre soirée Netflix, ne crois-pas t'en tirer comme ça ! » Je ris cette fois de bon cœur alors que tu tentes de déverrouiller les tandems. « c'est pas la même chose, une soirée à la maison et une au cinéma. » On partage pas la même ambiance, mais pour ma part, j'aime les deux. Ce n'est d'ailleurs pas le même genre de films que je regarde à la maison ou au cinéma. Une fois le véhicule libérer, je me réjouis de pouvoir faire cette ballade avec toi. « Devant je pense que ce sera mieux pour que je puisse voir la route. » Mes épaules se haussent avec un sourire puisque naturellement, tu es plus grand que moi et que je ne profiterai pas pareil des choses si c'est dans ton dos que je me trouve, pas que je trouve à m'en plaindre mais ce n'est pas forcément le but premier de la manœuvre. « Tu as une idée de l'itinéraire ? » Parce que si je suis en première, j'imagine que je devrais guider notre route.

Passant ma surprise de savoir que tu n'as jamais fréquenté de cinéma, nous rebondissons naturellement sur la conversation comme on en a l'habitude. « Six enfants, je trouve ça nombreux oui, dès que ça dépasse le nombre de trois. » En tout cas, lors de mon enfance en italie, on considérait les choses ainsi. « Mais quand je suis arrivée à Los Angeles, y'avait beaucoup de grandes fratries, elles étaient rares les familles de deux gosses comme la nôtre. » Sourire qui se révèle parce que j'ai débarqué dans un véritable melting pot et des familles souvent très nombreuses oui. « Parfait , je résiste pas à Taron Egerton ! » Langue que je viens te tirer en toute complicité, faut dire que cet acteur a un charisme disons plutôt agréable et que le film offre à la fois un divertissement par l'action et par l'humour dont la franchise sait faire preuve. C'est une valeur sûre et adaptée aux grands écrans. « Oui et je suis pas certaine que ce soit ton truc. » Joe Wright est avant tout un peinte et il est connu par la photographie méticuleuse de ses œuvres on va le dire, bien souvent , romantiques, même si certains films sont plus neutres, voir sombres. Je me mets à rigoler lorsque tu évoques les thrillers. « Dans la vraie vie, je peux avoir cette tendance à me faire des films, et l'horrifique c'est pas ce que je préfère c'est clair, disons que le gore pour le gore m'attire pas, mais si y'a un bon scénario pourquoi pas ? » c'est pas le genre vers lequel je vais me précipiter mais certaines œuvres de cette trempe sont valables. Mais je comprends aussi qu'il vaut mieux éviter la tentation de certains rapprochements que la peur pourrait favoriser. Il faut savoir prendre son mal en patience Ludo...

On arrive donc face au tandem et je propose de monter devant pour des raisons disons pratiques... Rigolant une nouvelle fois (comme souvent), à ton propos. « Oh ça va !! Je fais la taille normale. Parfaitement dans la moyenne. » Mon mètre soixante cinq est disons la taille la plus basique qui soit pour une femme. « Tu vas voir ! » Gamine qui s'engouffre dans la plaisanterie mais de son plein gré. J'enjambe le vélo et monte ainsi sur la selle. « Voilà ! » Contente de l'avoir fait seule, ce qui est ridicule faut l'admettre, mais un peu drôle. J'amorce donc le mouvement, te laissant te caler à mon rythme sans savoir où je vais vraiment par moment, car je connais pas encore super bien la ville, mais c'est l'occasion. J'en aime les contrastes , comme les bâtiments historiques peuvent côtoyer les buildings, la proximité de l'océan mais aussi de la verdure, et cette histoire qui vient parler partout entre les lignes.

Une fois la ballade terminée et le matériel rendu. On dispose d'un peu de temps pour se rendre au cinéma et réaliser ton baptême cinéphile, en vrai j'ai trop hâte. Mais bien trop faim aussi. « Je me contenterai bien d'un sandwich ou d'un burger ! » Oui, journée prononcée sur la malbouffe, et je suis pas de celles spécialement a régime alors, faut bien que tout ce sport serve à quelque chose. 'Y'a peut-être quelque chose sur le chemin du cinéma? » Laisser la ville nous surprendre, et plus largement la vie, c'est aussi une des choses que j'aime particulièrement faire.

Tu me laisses déployer une sorte de monologue concernant le cinéma, et je ne m'en formalise pas. De ce que j'ai compris, c'est un lieu que tu n'as jamais fréquenté et peut-être même que tu n'es pas films tout court. Moi je me suis toujours enfuie dans cette dimension parallèle, celle qui exacerbe les images, les sensations, les idées tordues dont fourmillent nos têtes. Mais pour l'heure, place au tandem. Effrontée face à ta moquerie, ma taille n'a rien à se reprocher alors, me voici toute fière lorsque mon séant prend place sur la selle. Les joues qui rosissent sans doute un peu trop à ta remarque. Si pour toi sans doute, le sous entendu est absent, mon esprit tordu fait inévitablement le rapprochement. « Crois-moi, t'as rien à m'apprendre sur ce point. » Mon regard te fixe et quelque part dans cette gêne un peu juvénile, je viens te dire que je me démonte pas pour autant. C'est tout le paradoxe dont je suis capable.

Nous profitons finalement de la ballade, de la légèreté du moment et des cerveaux qui viennent se reposer dans la manœuvre. J'ignore encore comment je vivrai tes mois d'absence et comment toi aussi tu gèreras de ton côté, j'imagine que tu auras autre chose à penser, que de donner des nouvelles, de penser à tes proches qui sont restés ici, et peut-être c'est sans doute normal que je n'en serai pas la priorité. L'important à mes yeux, c'est que tu restes sain et sauf et que tu fasses ce qu'il faudra pour te préserver. Nous déambulons dans les rues citadines à la recherche de nourriture pour un encas suffisant et pour nous permettre d'aller à la suite de ces aventures quotidiennes, mais tout de même ludiques. Tes pas semblent inexorablement se mêler aux miens et si d'habitude, je serai allée provoquer davantage, rire de la situation, là je n'en dis rien, respectant simplement cette distance que tu imposes. « T'inquiète. » Mon regard glisse vers le tien alors que je t'offre un discret sourire comme une manière de te rassurer mais aussi de t'affirmer que je n'en profiterai pas pour dépasser certaines de tes limites. « Non effectivement. Le régime végétarien de base est ovo-lacto végétarien. Certains se disent végétariens alors qu'ils consomment du poisson et ils sont en réalité pesco-végétarien. Je consomme donc les produits laitiers et les œufs à la différence des végétaliens. » Quelques détails techniques qui viennent expliquer les subtilités de mon alimentation mais je ne m'en formalise pas et suis très habituée à exposer ces nuances.

Je souris en te voyant un peu hésitant face au manque de choix. Je peux le comprendre et pourtant les choses ont énormément évoluer avec les années, rare sont les endroits où il n'y a pas d'option végétarienne. « Il faut savoir simplement où chercher. » Et en réalité, ici aux états-unis je ne suis jamais en difficulté. Je ris cette fois. « Non le tofu soyeux c'est une céréale sous sa forme plus crémeuse. » utilisée notamment pour tartiner, pour les quiches ou ce genre de choses. « Je vais prendre le dernier, ça me semble bien, et toi quelque chose te tente ? » Puisque évidemment, il y avait toutes sortes d'alternatives carnées.

Nous poursuivons ensuite notre chemin tranquillement jusqu'à la devanture du cinéma où nous nous rendons pour ta première séance. « Alors jeune homme, nous sommes devant le cinéma, cela vous fait quel effet ? Quelles sont vos impressions ? » Alors que je viens te tendre mon sandwich comme si il s'agissait d'un micro. Mon rire retentit au devant de l'endroit, mais je suis heureuse de partager avec toi ce moment. Un dernier relent d'amusement plus innocent avant que le devoir ne t'appelle et que mes ténèbres ne reviennent m'enlacer une nouvelle fois.

Mon rire résonne à tes mots. Mon intervention était certes stupide en improvisant une interview avec un sandwich mais tu joues le jeu et il n'en faut pas plus pour m'amuser. « On peut compter sur eux pour être là au bon moment. » Sourire qui vient accompagner mes propos dans une mimique sérieuse qui est tout à fait contraire aux paroles. J'en profite pour prendre une nouvelle bouchée du dit défenseur, tout en écoutant ta réponse pour cette fois plus sérieuse. Je vois que tu ne sais pas trop quoi penser de ce moment, ça reste pour moi étonnant, le cinéma est pour moi un lieu des plus communs et je trouve ça amusant d'observer que tu le découvres pour ta part. « C'est le principal et puis au moins tu seras fixé pour savoir si ça te plaît ou non. » Je suis ainsi, je pars du principe qu'il faut essayer les choses avant de savoir si on aime ou non, du moins à partir du moment où ça attise notre curiosité. En ce qui concerne le cinéma, il n'y a pas grand danger.

Mon regard passe en circulaire rapidement aux alentours avant que je ne prenne pas décision. « Non allons-y ! » dis-je maintenant que mon encas est terminé. Mes sourcils se haussent instinctivement lorsque tu viens attraper mon avant-bras mais un nouveau sourire vient accompagner ma démarche vers l'entrée du cinéma. D'extérieur, on a tout d'un couple et cela m'amuse plutôt. « Yep ! » Kingsman une valeur sûre et adaptée au grand écran afin qu'on passe tous les deux un bon moment d'évasion et de divertissement. Je te laisse payer, prenant note de l'invitation future pour le dîner. « Ok. » Je n'ai pas trop de soucis avec l'argent tant que les choses sont équitables, je ne vais pas non plus surveiller chacune des lignes du compte. Tu es tout perdu et j'avoue que je trouve ça trop mignon. Cette fois c'est donc moi qui vient prendre ton bras puisque tu te l'es autorisé quelques instants plus tôt, nous rendant face à l'ouvreur qui vient déchirer nos billets et nous indiquer la salle, nous passons les portes battantes de la salle avant de découvrir un ensemble de rangées de sièges. La salle est quasi vide pour ce premier jour de l'année, et je ne vais pas m'en plaindre, j'aime d'autant plus le cinéma lorsque c'est calme. « Sur le côté, vers le milieu. » Je n'aime pas être au centre, j'aime être un peu plus à l'écart plus tranquille. Je lâche donc ton bras et prends les devants en choisissant une rangée et avançant de quelques sièges, mon regard tourné vers l'écran puis en ta direction. « ça te va ? » Autant que ce soit confortable pour nous deux. Je pousse la perfidie à choisir un siège duo, que les cinémas développent maintenant depuis quelques années, souriant en te voyant prendre place, je crois bien que je suis plus excitée que toi par ce baptême du grand écran. « L'accoudoir se relève. » dis-je en levant le dit accessoire, puis en le rabaissant alors que mes joues se colorent un peu plus. « Enfin si tu veux... » Mais au moins, comme ça, mon envie est claire.