Mes joues devenaient encore plus rouge lorsque Lukas confirmait que nous avions fait ça dans la grande roue. Oh bordel... Mon meilleur ami était réellement plus qu'un meilleur ami dans cette vie oubliée. Et j'avais tellement de mal à voir ça. Malgré le cœur qui s'accélérait et le souffle qui venait à manquer en observant le trajet de mon doigt sur sa peau, je ne pensais pas qu'il puisse y avoir quoi que ce soit entre Lukas et moi. Du sexe peut-être... Et encore... Jamais je n'aurai pris le risque de tenter ça car la peur de le perdre était trop grande. Pourtant, dans cette vie, nous étions plus que deux gosses d'une dizaine d'année à se jurer amitié. Il confirmait l'acte en apportant plus de question. Malgré moi, je marmonnais « D'autres endroits uniques... » comme une question qui ne voulait pas glisser de peur de la réponse. Je me concentrais sur le trajet de mes doigts en sens inverse. Ce trajet qui prenait fin dans sa paume tout en le questionnant sur les mots incompréhensibles soufflés. Des mots qui venaient prendre tous leur sens. Des mots qui me poussaient à me tendre. Encore plus en l'entendant confirmer qu'il n'était pas que le meilleur ami d'avant. Mon doigt tombait sur sa jambe. Au-dessus de son genou. Geste qui m'avait échappé. Doigt qui se figeait là. Je mâchouillais ma lèvre avant de relever les yeux sur lui. Lui qui souriait doucement. Nos regards s'accrochaient et je me sentais rougir encore plus retirant doucement mon doigt de sa jambe. Et soudainement tout s'enchaînait. J'allais me reculer pour m'éloigner lorsque ma main qui me maintenait sur le lit décida de lâcher. Tremblement sous l'angoisse ou sous l'effort peut-être un peu trop long. Elle me lâchait et je me sentais chuter un peu trop en avant. Dans un réflexe pour ne pas m'écraser sur les pizzas, ma main libre venait se poser sur la cuisse de Lukas. Bien trop haut. Lorsque je fus certain d'être stabilisé, je m'empressais de reculer. Inconscient qui ne réagissait même pas lorsque mes doigts frôlaient le membre de Lukas. Gamin qui reculait à sa place en bafouillant un « D'solé... » les yeux baissés.

Lukas hochait la tête à cette interrogation qui n’en était pas une. L’information percutait lentement ma tête. J’avais couché avec mon meilleur ami d’enfance. Ce meilleur ami qui avait l’air d’être tellement plus au sein de cette vie oubliée. J’avais couché avec lui plus d’une fois dans de nombreux endroits uniques. Je ne savais pas comment gérer cette information. Je ne savais pas comment encaisser cette histoire qui me semblait si folle. Gamin perdu dans une réalité qu’il avait du mal à imaginer. Lukas était mon meilleur ami. Jamais au monde je ne chercherai à gâcher ça pour autre chose. Surtout pas pour une histoire d’amour. Ça faisait toujours mal ça. Elles brisaient toujours le cœur ces histoires. Évitant de laisser ma tête m’entraîner follement, je me concentrais sur le trajet de mes doigts sur son bras. Mes doigts qui s’échouaient lentement dans sa paume alors qu’il venait encore plus confirmer le statut d’une réelle relation plus qu’amicale. Je me tendais presque aussitôt. Réalité si difficile à croire. Vision qui faisait mal. Ou peut-être qu’elle faisait du bien. Je ne savais plus. Mon doigt s’échouait au-dessus de son genou. Geste déplacé que je n’avais pas contrôlé. Emporté par le corps. Emporté par ce que j’avais oublié. Nos regards s’accrochaient. Le rouge coloraient mes joues. Et j’allais me reculer pour échapper à cette drôle de tension qui montait. J’allais me reculer lorsque ma main me retenant sur le lit en décida autrement. Elle me lâchait. Je chutais en avant. Ses mains sous mes épaules. La mienne sur sa cuisse dans un réflexe pour ne pas gâcher la nourriture en tombant sur elle. Et je m’empressais de reculer à ma place dans le lit sans avoir conscience du chemin que mes doigts avaient emprunté pour se défaire de Lukas. Je bafouillais des excuses les yeux baissés. Il m’ordonnait de regarder alors j’obéissais. Les prunelles sombres sur lui alors qu’il tentait de me rassurer. J’hochais doucement la tête alors qu’il m’invitait à questionner ou qu’il me proposait de chanter. Je mâchouillais alors nerveusement ma lèvre hésitant. Gamin aux milliers de questions. Gosse qui n’osait pas prendre la parole. Enfant qui finissait par babiller « Veux… Veux bien tu chantes... » parce qu’au moins tant qu’il ferait ça, je pourrais rester dans le silence moi.

Gamin effondré dans cette réalité si difficile à encaisser. Gosse perdu dans cette relation qui me semblait un peu trop impossible. Lukas. Mon Lukas. Mon meilleur ami. Il était devenu bien plus que ça au cours de ces années effacées. Il était devenu bien plus qu’un simple meilleur ami pourtant déjà si important. Face à face dans cette chambre d’hôpital, l’hésitation cognait bien trop fort. Et le dérapage arrivait incontrôlable. J’avais failli m’échouer sur les pizzas. J’avais failli m’échouer sur lui. Je ne savais pas ce qui m’aurait le plus gêné. Écraser le repas et être obligé d’aller me changer en sachant qu’il était là ? Ou l’écraser lui et peut-être ressentir quelque chose ? Peut-être subir l’attaque de l’envie et du désir qui cognaient parfois dans mon corps. Enfant habitué à coucher tous les jours qui subissait un sevrage forcé. Gamin qui n’avait même pas le droit de se faire du bien et qui ne savait guère gérer le désir s’allumant parfois à cause de rêves érotiques. Je m’éloignais rapidement de Lukas et des pizzas. Je bafouillais des excuses comme un enfant qui avait commis une trop grosse faute et qui allait se faire réprimander. La remontrance n’arrivait guère. Cependant, l’ordre tombait et je levais les yeux sur lui. Lukas. Mon Lukas. Identique et trop différent. Meilleur ami et plus que ça. Pouvait-il réellement redevenir plus que ça pour moi ? Je n’en savais rien. Gamin qui avait encore du mal à comprendre que sa vie allait être ici. Gosse qui ne parvenait pas à accepter les sept années écoulées avec leur lot de changements. Lukas m’offrait alors deux options pour la suite de ce tête à tête et je choisissais le chemin qui me semblait moins dangereux. Je lui demandais de chanter. Pas d’ordre. Juste un désir. Je n’avais pas envie de poser de questions. Je ne voulais pas être envahi de réponses. Pas prêt à ça. Il acceptait terminant sa part de pizza et me donnant l’autorisation de manger. Appétit bien trop coupé par la situation angoissante qui se jouait là. Il prenait une grande inspiration et il se lançait. Yeux rivés sur lui, je me laissais avoir par sa voix magique. Je me laissais emporter par son talent si réel. Les frissons couvraient ma peau en entendant sa voix. Et, au bout de quelques secondes seulement, je baissais les yeux. Tout ça faisait quelque chose. Les larmes me montaient aux yeux et je restais sagement silencieux. Attentif au concert privé qui m’était offert.

Pendant un bref instant, le temps semblait s’être suspendu. Pendant quelques minutes, la situation avait échappé à tout contrôle. Gamin qui chutait. Gosse qui le touchait un peu trop. Enfant qui s’en voulait. Être humain qui avait peur de ressentir quelque chose qu’il ne savait plus gérer. Heureusement pour moi, mon meilleur ami ne s’attardait pas sur l’événement. Nous basculions sur autre chose. Sur ce concert privé qui entraînait trop de choses. Les larmes se mettaient à glisser lentement sur mes joues tandis que la voix de mon meilleur ami se faisait entendre dans la chambre. Une voix qui faisait quelque chose. Une voix qui faisait trop de choses. Frissons réels glissant sur la peau. Désir léger s’allumant dans le corps. Flamme étincelante faisant pulser le cœur un peu trop fort. Et, peut-être que j’avais soudainement l’impression de pouvoir réellement lâcher prise. Impression de ne plus avoir à tout supporter sur mes épaules. Impression de pouvoir craquer sans être jugé. Impression d’être entouré d’une aura sécuritaire. Un bref instant. Un bref moment. Ces quelques minutes pendant lesquelles je me disais que peut-être ici c’était encore mieux que l’Italie. Le morceau prenait fin et je venais passer l’une de mes mains tremblantes sur mon visage pour essuyer les larmes. Ces larmes qui m’avaient échappés malgré moi. Ces larmes qui avait juste fait un peu de bien. La voix de Lukas s’élevait dans la chambre proposant quelque chose. J’hochais doucement la tête relevant les yeux pour voir son léger sourire et son air triste. J’aurai aimé lui dire que j’étais désolé de faire subir ça. J’aurai aimé lui dire que je m’en voulais. Mais, les seuls mots glissant ne signifiaient pas ça. Je me contentais de marmonner un « Oui… Si tu veux… » Gamin qui voulait entendre des chansons tous les jours. Gosse qui n’osait pas réellement s’imposer. Enfant qui laissait tout de même la liberté et le choix final à mon meilleur ami. Ce meilleur ami avec qui je finissais la soirée comme toutes les autres. Du silence. Trop de silence. Peut-être une nouvelle part de pizza parce que je finirai par avoir faim. Et finalement les bras de Morphée pour un sommeil entrecoupé de rêves trop chauds et de cauchemars trop horribles.

Vendredi 7 Mai. 04:14 pm.

L'heure était venue. Le moment tant redouté s'approchait. Les blouses blanches avaient lancé l'autorisation. J'avais le droit de rentrer chez moi... Enfin chez moi ici à Boston. Je ne devais pas voyager pour le moment. Il fallait que je reste sagement ici à redécouvrir une vie qui n'était pas mienne. Plus mienne. Une vie que je n'avais pas envie de découvrir. Le choix ne m'était pas donné pourtant. Liberté un peu trop erronée. Liberté mensongère qui me filait entre les doigts. Je me retrouvais à suivre docilement Lukas jusqu'à un appartement. Mon appartement... Notre appartement ? Je ne savais plus exactement. Ça se mélangeait beaucoup trop dans ma tête. Les clés tournaient dans la serrure. La porte s'ouvrait. J'hésitais sur le palier. Gamin incertain qui n'osait pas entrer sans invitation. Gosse qui n'avait pas l'impression d'être chez lui. Je voulais mon Italie, mon Antonio et mon job de prostitué. Rien de plus. Me taire et obéir. Est-ce que je pouvais faire la même chose ici ? Juste rester silencieux et obéir sagement ? Mes iris sombres se posaient sur Lukas. Je mâchouillais nerveusement ma lèvre. L'invitation d'entrer était là dans son regard, mais le voulais-je vraiment ? Venir m'enfermer ici revenait à accepter de découvrir à nouveau non ? Et je ne voulais pas. Je voulais rentrer chez moi. Je n'en disais rien cependant. Enfant silencieux qui baissait la tête. Le choix n'était pas vraiment possible. Alors, tremblant, je passais le pas de la porte. Je sursautais légèrement lorsqu'elle se refermait. Gamin prisonnier loin des blouses blanches. Gosse enfermé dans une vie qui n'était pas sienne. La voix de Lukas s'élevait. Mes yeux parcouraient l'endroit sans rien reconnaître. C'était comme me retrouver au sein d'un lieu qui ne serait pas chez moi. Du bruit dans mon dos. Des objets posés. Et une proposition qui glissait. J'hochais la tête marmonnant « Je... J'veux bien... S'il te plaît...  » parce que les photos ne suffisaient pas. Il fallait que je découvre sous mes yeux les murs de ma nouvelle prison. Prison m'enfermant dans cette vie si différente. Prison me coupant des souvenirs qui me restaient.