Ji-hun se demanda où Kôh pouvait bien se faufiler, ne se doutant pas que ça avait été le piano qui l'avait appelé. Comme ses amis, le Nord-coréen se tourna vers lui, et écouta attentivement la mélodie. Les émotions ressortaient, autant dans les notes que dans les paroles qu'il criait. Le doctorant savait se contenir, il ne sentit pas les larmes venir, mais il comprit forcément que c'était sa façon d'extérioriser ce qui le faisait souffrir. Une fois la première chanson terminée, il finit par l'applaudir. Les personnes présentes dans le bar demandaient à ce qu'il leur en offre au moins une autre, même ceux du comptoir se mirent à l'encourager avant de porter un toast. Et puis, une fois qu'il en eut terminé, plusieurs l'arrêtèrent pour le complimenter, même ceux autour de la table furent impressionnés. Tout ça, lança Ji-hun, étonné. En tant que coréen du Nord on lui avait demandé d'être fort dans tout ce qu'il entreprenait, mais ça n'avait été qu'en sciences et en natation qu'il avait réussi à cartonner. T'es humain au moins, se mit-il à blaguer, fit mine de le toucher pour vérifier que sa peau était vraie, sans même l'effleurer. Elle n'avait pas l'air robotisé.

L'armée avait été obligatoire pour bien se faire voir, et même s'il avait appris à manier les armes qu'on lui avait présentées, il ne se sentait pas plus en confiance que ça de les avoir portées, c'était même l'inverse qui se produisait et il espérait ne jamais avoir à recommencer. Mauvais souvenir qui venait parfois le retrouver, de cette terre froide dans laquelle on l'avait à moitié enterré pour lui apprendre à espionner, et ce des jours entiers. Vous savez ce que vous allez faire cet été, il demanda à toute l'assemblée qui l'entourait. Il écouta les réponses de chacun, avant de s'adresser aux coréens : je ne me suis pas encore décidé, mais j'ai bien avancé sur ma thèse, elle est presque totalement rédigée. Il ne faisait que réviser pour l'oral qu'il avait à passer, ne restait que la dernière partie de son écrit mais ne pouvait conclure que lorsque les expériences seront finies. Peut-être que je pourrais m'offrir un bel été, se mit-il à rêver. Mais encore fallait-il qu'il n'ait pas de contrat de travail entamé. Il n'y était pas encore, il y avait le Spring Break d'abord. Et il s'en languissait, puisque sa copine aussi y partait.

Kôh semblait s'ouvrir en cette soirée, offrir une part de lui qu'il n'avait pas souvent montré, l'artiste en herbe resta pourtant discret, comme s'il voulait qu'on taise son secret. Ji-hun ne comprit pas très bien pourquoi il le fallait, après que tous ces gens l'aient mille fois félicité. C'était une chance de pouvoir faire plusieurs activités, s'y intéresser et y arriver comme il venait de le prouver ; quels parents ne seraient pas heureux de ces réussites, nombreuses et fantastiques ? Mais le Nord-coréen ne s'aventura pas à poser des questions, ils n'étaient pas là pour se prendre le chou avec moults interrogations. Ce n'était pas souvent qu'ils pouvaient se retrouver, autour d'un verre, peu importe ce qu'ils avaient commandé. Harvard demandait de travailler, jour et nuit s'il le fallait, peu de place pour s'amuser, alors il fallait en profiter quand on le pouvait, parce que demain il faudra à nouveau se concentrer.

L'été vint se poser parmi les sujets desquels traiter ; qu'avaient-ils prévu de faire, rester sur Boston ou voyager ? Ils étaient salariés et l'un avaient un restaurant à gérer, ils n'étaient pas sûrs de pouvoir d'autoriser une pause lors de la saison la plus prisée. Ji-hun, quant à lui, pensait déjà à bouger, parce que sa thèse serait bientôt terminée et qu'une autre vie l'attendrait aussitôt le doctorat complété. Leas, tenta Ji-hun de répéter, il réfléchit de qui il pouvait bien parler, mais aucun prénom ne sut le renseigner, c'est ta copine ? Il ne savait pas qu'il était engagé, et la petite scène de tout à l'heure n'avait pas aidé. Il semblait garder une personne sous son aile, mais ne savait pas si c'était un homme ou une demoiselle. T'accompagner où, d'ailleurs, il ajouta, pas très certain de comprendre ce qu'il essayait d'exprimer. À l'hôpital ou vers une destination qu'on qualifierait d'idéale ?

Ji-hun entendit un prénom qui ne lui était pas familier. Leas, ça lui était étranger, mais de Kôh, il ne connaissait pas toutes les personnes qu'il côtoyait, il ne se voyait pas assez. Il osa donc demander si cette personne était bien plus proche qu'il n'osait l'avouer. Cette supposition fut vite contrée : il la protégeait. De qui, de quoi, c'était un peu suspect. Aller au Spring break fait du bien à tout le monde, ça serait bête qu'elle n'en profite pas, si tu veux mon avis, il dit. C'était ce que le Nord-coréen répétait à tous ses amis, il ne se garda pas de lui dire à lui aussi. T'as bien raison de t'amuser, il affirma, parce que ce n'était pas une fois marié qu'il pourra butiner.

Lui, ça ne l'intéressait plus vraiment. Depuis sa relation avec Joyce il s'était rangé, et même s'il ne réfléchissait pas à l'avenir qu'avec Lilia il pourrait partager, il préférait avoir le sentiment d'être aimé. Il saura tomber amoureux cette fois, il en était quasiment persuadé. Il leva son verre pour la deuxième fois de la soirée, à l'honneur tout ce qui pourrait les rendre heureux, ils finirent par trinquer et passeront une partie de la nuit ensemble à parler et rigoler.