J’essaie de me souvenir, mais je n’y arrive pas. J’essaie de rassembler les pièces du puzzle de mon histoire mais elles m’échappent. Quand est-ce que tout à basculer ? Pourtant je le sentais que quelque chose n’allait pas dans cette relation mère-fille, dans ma vie, dans mon couple. Oui, tout m’échappe mais depuis quand ? Pourquoi je n’ai pas su reconnaître les signes ou même les cris d’alarmes que me lançaient mon propre corps ? Non-dit sur non-dit et angoisse sur angoisse… il me reste quoi ?

Je n’arrive pas à avoir les idées claires tandis qu’il a un genou à terre, scrutant mes lèvres en quête d’un oui. Ma mère est derrière lui, à me répéter de sourire. Ben oui, sinon tu vas lui faire peur Lili et faut surtout pas faire cette tête là même si t’es en pleine crise d’angoisse. C’est pas grave, hein, si ton palpitant cogne fort comme en plein sprint, faut avant tout maintenir les apparences et ne surtout pas laisser tomber le masque. Tu ne savais même pas que t’en avais un mais maintenant tu jurerais qu’il est bien réel et qu’il te brûle la peau. Alors on fait quoi ? Est-ce qu’on creuse un peu plus profond pour s’enterrer dans le déni ou bien on lâche tout ?

Mais oui, souviens toi Lior, tu étais la jolie petite poupée à sa maman, celle à qui elle s’interdisait de refuser quoi que ce soit. Seule fille de la fratrie Leonardis, tu es son bijou et bien plus que ça, son objet, mais il t’en faudra du temps pour le comprendre. Tu es le mannequin de sa vitrine, la marionnette de son numéro de ventriloque, le piédestal vers les plus hautes sphères, le coffre-fort de son avenir assuré et le pire c’est que « c’est pour ton bien ». Maman est narcissique… peut-être perverse mais tu refuses de l’envisager . La communication est toujours dans un sens unique et tu sens bien qu’elle ne te comprend pas ou qu’elle ne s’intéresse ni à ce que tu penses, ni à ce que tu ressens. Toi tu croyais vraiment que c’était de l’amour maternel, et certainement qu’elle aussi mais en réalité elle ignore ce que c’est : elle oscille entre la pote cool et la boss intransigeante. Tu croyais qu’elle te faisait passer avant la terre entière, t’offrant tout sur un plateau, te poussant à faire des shootings avec son photographe et t’encourageant à faire des conneries de gamines de ton âge avec tous les gars qui te plairait. Mais à son grand dam, tu n’avais d’yeux que pour un seul. En réalité, tu n’étais que l’extension d’elle-même, sa réplique : elle t’a formé à son image afin de te faire marcher dans ses pas et tu n’as pas vu la prison dorée se refermer sur toi. Et tu restes planté là à la laisser te dicter tes choix comme si c’étaient les tiens pendant qu’elle réalise ses plans pour toi : devenir l’épouse d’un milliardaire. Et avec lui elle a visé en plein dans le mille : sa famille est riche, et il a une carrière prometteuse dans le milieu sportif. Tes followers sont enthousiastes et soutiennent votre amour qui remonte aux bancs du lycée. Ils assistent même en live à ta demande en mariage, devant tes yeux effarés.
Tout est faux, toi qui laisses les haters te traiter de nepo baby inculte ; et ta bande de super amis populaires mais hyper faux qui cassaient du sucre dans ton dos il n’y a même pas dix minutes. Réveille-toi !
Qu’est-ce que je fais ? La douleur dans ma cage thoracique s’intensifie et mes muscles me lâchent, ils tremblent et je ne peux pas les arrêter.

Mais la vraie question c’est : est-ce que je l’aime ? Oui. Du moins je crois. Mais je ne suis plus sûre de savoir où j’en suis. C’est ma mère qui m’imagine m’avancer vêtue de blanc vers l’autel. Moi je voulais juste être appréciée et reconnue à ma juste valeur, comme mes frères.
Je n’arrive pas à prendre de décisions parce que j’ai les pensées embrouillées. Je me sens piégée alors je fuis. Je me retourne et me précipite vers la sortie, les yeux fixés sur la porte pour ne pas les regarder eux, en train de me scruter et de me juger. Je me cacherais dans le premier coin, recroquevillée sur moi-même en attendant que la crise passe. Je ferais de même avec ma vie pendant plusieurs mois, en me posant toutes sortes de questions et au risque qu’on pense que je joue à l’autruche. Ce qui n’est peut-être pas erroné.

Ils sont passés où mes rêves et mes envies à moi ?  Pourtant, j’étais une môme vivace qui s’imaginait tantôt artiste, tantôt créatrice de parfums.  Je me rappelle d’un noël où j’avais demandé une panoplie de chimiste mais à la place j’avais reçu un microphone pour karaoké. Je voulais voyager, parcourir le monde, découvrir d’autres cultures, et pas que pour défiler dans les capitales de la mode. Mais dans l’histoire, je me suis perdue en cours de route. Est-ce qu’il est trop tard pour revenir à la croisée des chemins ?
Sur un coup de tête, je remplis des dossiers de candidatures pour plusieurs universités, et que les plus réputées. Je me dis que je vais sûrement échouer mais ce n’est pas grave, je me dois bien ça : oser viser la lune. Mais même si je n'ai jamais été la meilleure des élèves, j'étais tout de même dans la moyenne haute malgré ma fâcheuse habitude de rêvasser en classe. J'aurais peut-être pu améliorer mes notes si elle n'avait pas chuter dès que mes activités de mannequin ont débuté. En fin de compte, mon trouble neurodéveloppemental en serait la cause mais en l'absence de signe d'hyperactivité, on ne m'avait pas diagnostiqué, jusqu'à récemment.
Se remettre à un style de vie et une organisation étudiante n’est pas facile, surtout quand on souffre du TDA, mais je ne baisse pas les bras même si parfois je me frappe la tête contre le mur, tout en luttant pour faire taire la peur et la honte de reprendre les études à 24 ans. Même après avoir été acceptée à Harvard, ça ne change pas, au contraire. Je dois m’accrocher pour suivre le rythme, en espérant que la sensation de mal-être diminue petit à petit. Mais ma première année ne fait que commencer et je n’ose imaginer ce qu’elle me réserve.