Mes lèvres s'étirent en constatant qu'effectivement, ma langue a fourché pour dire exactement le contraire de ce que j'ai pensé. Touchée... à la base je voulais utiliser le verbe pouvoir et non vouloir... Un rien de timidité fend subitement cette épaisse couche de culot dont j'use et abuse à longueur de temps afin de me protéger. Après tout, ne vaut-il pas mieux tout oser et se payer la volonté de le faire envers et contre tout, plutôt que de vivre en compagnie du saint regret ? Ceci étant, si ma propre armure craquelle au fil des secondes, ce n'est pas la seule. J'entrevois une fêlure chez Clive et mon sourire disparaît en une seconde. Je dois comprendre quelque chose de précis ? que je reprends, mon culot revenu au galop. Vingt ans... tu seras encore en vie, j'en suis certaine. Cette phrase, je l'ai presque murmurée tant la vérité cachée m'explose au visage en milliers de bouts de verre. Mes prunelles émeraudes se perdent quelques secondes en fixant un point dans le vague, et mes pensées baguenaudantes. Ce qui me fait reprendre contenance et le fil de la situation, c'est la phrase de l'homme provoque mon sourire une nouvelle fois. Pourquoi, t'as peur que j'aille voir ailleurs parce que t'as quarante ans ? Si tu savais... J'esquisse un non vif de la tête, comme si je voulais qu'il sache que non, les hommes de mon âge, je n'en ai cure. Le peu de temps qu'il me reste me force à forcer et détruire toutes les idées reçues, et poursuivre ma check-list, bien que Clive ne soit aucunement un tiret au sein de cette dernière. Non, il est l'étoile que je peinais à entrevoir au milieu des orages de mon existence. Je sens d'ailleurs mon cœur s'accélérer au surnom dont il m'affuble, et lèvres s'étirent délicatement alors que mes mains, désormais posées sur ses cuisses encore humides, remontent dangereusement. L'intégralité de mon être se penche jusqu'à frôler une nouvelle fois ses lèvres, en une délicate caresse, semblable au massage offert quelques instants plus tôt. Nos souffles se mêlent alors que, cabotine, j'esquisse un petit rire. Ta fée et ta princesse, hein... Puisqu'il semble d'humeur joueuse, alors je prends le risque de m'emparer de ses lèvres, armée de toute l'urgence de la situation. L'urgence se fait passion et j'ose approfondir ce baiser sans même éprouver la moindre hésitation. Je me moque éperdument de l'âge, du lieu, de tout. Ce qui compte est résumé par la caresse de mes lèvres contre les siennes, dont la chaleur crée une césure franche avec la fraîcheur de mes doigts, qui caressent délicatement sa peau. Tu n'étais pas sur ma check-list de base. Tu n'y as jamais été. Disons... que tu es la lumière sur un chemin sombre. Une lumière qui ne m'éclaire plus depuis très longtemps maintenant. Eeeet je viens de plomber l'ambiance, c'était pas le but ! Comme toujours, les confidences ne vont pas au bout, et je n'avoue les choses qu'à visage demi-découvert. L'humour me sauve de la tristesse, même si mes iris brillent d'un éclat étrange, savant mélange entre mélancolie, peur et attirance dangereuse. Un mélange qui me fragilise un peu trop à mon goût, mais je me trouve dans l'incapacité pleine et entière de bouger du plus petit millimètre.

De toute évidence, Clive avait dû vivre des histoires complexes avec les femmes pour garder une telle réserve. A croire que nous soyons champions et spécialistes ès carapace de glace afin de nous protéger du monde, bien que les raisons soient sensiblement différentes. Je ne sais pas ce que t’ont fait les femmes, mais... je les hais pour cela que je murmure, laissant mes mains froides et habiles caresser sa joue. L'expression marquant mon visage se fait douce, tendre. Sans me forcer, je me sens mue par la volonté de prendre toute cette peine et ainsi la faire mienne. Sans doute ce sentiment m'habite alors que nos lèvres se rencontrent, s'apprivoisent, se domptent. Je voudrais que ce moment n'arrête jamais, mais mon souffle s'épuise plus vite que je ne le souhaiterais, m'incitant à marquer une courte pause, à regret. Tu tuerais mon amant, vraiment ? que je réplique avant de laisser mon rire s'emparer de l'atmosphère sonore, plutôt douce et calme la seconde précédente. Serait-ce un brin de jalousie que je sens, votre Honneur ? Mes doigts s'agitent à nouveau, et prennent son annulaire gauche où se trouve une alliance de toute beauté. Je la touche à l'aide de mon pouce, et soupire. Cet homme qui bouleverse toutes mes certitudes, toutes mes prévisions est évidemment pris par une autre. Je n'ai pas la prétention d'être suffisante, ou même autre chose que transparente dans son existence. Je devrais avoir envie de la tuer, elle aussi ? Non sans grâce et airs félins, je monte carrément sur les cuisses de Clive et, alors que mes doigts caressent délicatement sa nuque, je profite de cette proximité pour picorer çà et là, quelques baisers semblables à une brise printanière. La légèreté de l'instant fait trembler mon corps, à qui je n'offre aucun répit depuis que je me sais mourante. Une sorte de fragilité s'empare de mon être alors que mes prunelles émeraudes se font légèrement humides. L'émotion transperce chaque pore de ma peau, et autant dire qu'en cette seconde suspendue, il est mon ancre. Oh que si j'aime ces mots. J'aime les entendre de ta bouche. J'aime me plaire à imaginer que tu les penses profondément... Ma voix se fait fragile, elle aussi. Brisée. Tu sembles persuadé que personne ne peut te vouloir, t'aimer, et te considérer comme important... lorsque je parle de check-list, ce n'est pas tout à fait vrai en ce qui te concerne. Tu n'es pas seulement un nombre que comporte cette fameuse liste, tu es un rêve. Un rêve que j'ose à peine effleurer de peur que tu ne me voies comme toutes ces autres femmes qui t'ont piétinées. Tu parles de ma jeunesse, du fait que je pourrais avoir « mieux »... mais je peux retourner la chose dans ta direction. Qu'est-ce que tu ferais avec une femme vierge, sans expérience, qui brûle la chandelle par les deux bouts jusqu'à être consumée entièrement ? Contrainte de marquer une pause afin de ne pas chanceler, j'ose poser son front contre le sien, et ainsi nous entourer d'une sorte de bulle que nul autre ne pourrait atteindre. Là encore, je voudrais que rien ne vienne briser cette coque de simplicité, de douceur et... de bonheur. Et je crois que c'est la première fois que je peux ressentir une telle émotion. Je ne serais pas éternelle, Clive. Un compte à rebours est au-dessus de ma tête telle une épée de Damoclès. Si je suis venue ici aujourd'hui, si je t'ai cherché avec autant de volonté, c'est parce que je ne voulais pas ressentir le regret de n'avoir pas osé. Oser de débarquer sans être voulue, sans être attendue, juste pour un moment en ta compagnie. Je ne voulais rien d'autre. Juste être à tes côtés... sans rien attendre en retour. Mon corps ne m'emportera pas beaucoup plus loin, alors oui, j'ai une check-list de tout ce que je voudrais faire avant de partir. Partir où nul ne peut me suivre. Et c'est la première fois que ça me fait peur. Que je ne veux pas abandonner... même si ma maladie ne me laisse aucun autre choix que celui d'attendre que mon heure vienne. Une larme s'écoule contre ma joue pâle et froide, alors que mes doigts tremblants, eux, caressent toujours la nuque de Clive avec une délicatesse que peu me connaissent. Je ne pouvais pas te mentir. Parce que tu comptes pour moi.

Jusque dans les tréfonds du Styx... que je murmure à son oreille, désormais assise contre ses cuisses puissantes et humides malgré la serviette les recouvrant à peine. Mon sentiment actuel est partagé : le délice de trouver nos deux âmes aussi proches que nos corps ne peut être plus puissant, mais la peur panique de voir cet instant rompu par je ne sais quel imprévu me tétanise. Maintenant que mon cœur s'est ouvert, que la vérité occupe l'espace, les battements n'en sont que plus douloureux encore. Me rapprocher de l'ancien juge tout en énonçant la fragilité de ce lien qui nous unit face au peu de temps qu'il me reste... oui, j'en souffre dans tous les sens du terme, et mon être frêle n'en tremble que plus violemment. Je suis atteinte de la même maladie qui a emporté mon jumeau il y a deux ans... la mucoviscidose. Voilà, c'est dit. Les neurones de mon cerveau se déconnectent un bref instant, comme pour m'offrir un répit ô combien délicieux après une telle annonce. Aussi délicieux que les bras cajoleurs de ma bête, dont la force s'insinue doucement avec toute la chaleur que m'offre cette étreinte. Bientôt, ce sont mes propres bras qui entourent ses épaules merveilleusement carrées, alors que mes doigts frôlent et caressent la peau légèrement humide de son dos. Je sais que je n'ai rien le droit de demander. Que je ne suis personne en comparaison des femmes qui ont peuplé ton existence. Mais rien que pour ce qu'il me reste à vivre... laisse-moi rester à tes côtés. Tu as ma parole, je ne prendrai aucune place. Je désire juste... te voir. Te parler. Te... toucher...