Finalement, moi qui passait toujours pour le connard de service, je viens de me prendre des propos aussi aiguisés que la lame d'un couteau. Il ne faut pas davantage que ces quelques mots pour que je lâche des poignets de Persie, sans violence aucune. Comme tu voudras. Je n'ai esquissé aucune violence, ni même ne me suis montré vraiment désagréable. Mais ses mots me perforent. J'en viens à remettre mon t-shirt et à soupirer. Tu ne veux pas que l'on parle à ta place mais tu le fais pour deux, Perséphone. La preuve, tu juges mes actes en te cachant derrière ta souffrance, en me mettant soigneusement dans le même sac que ceux qui t'ont piétinés. Tu sais quoi ? Je suis fatigué de devoir me justifier. Tu veux que je te lâches ? Contradictoire vis-à-vis de ce que tu as dit plus tôt, à savoir ne pas vouloir que je m'efface de ta vie. Ma main commence à trembler et je ferme un instant les yeux pour finir par me laisser tomber sur le sol de ce fameux ascenseur. J'ai oublié - encore - mon insuline et mon esprit devient un ensemble de trois béants. Je ne veux pas perdre la lumière... que je répète en jouant un balancier avec mon corps, deux larmes s'écoulant de mes joues. Je ne suis que souffrance, physique comme mentale. La lumière m'abandonne... Je ne peux pas... Mains plaquées bientôt contre mes oreilles, mon mouvement de balancier s'intensifie lorsque l'appareil de métal s'arrête brusquement. Mais moi... je n'en n'ai déjà plus conscience.

Je lève les yeux au ciel en couvrant sa phrase en même temps. " Bordel, c'est toi qui le dit que tu vas disparaitre de ma vie ! Arrêtes de me le reprocher ! " Je lui lance un regard noir quand il souligne que c'est contraire à ce que je venais de dire. " Ouai ! Entre temps, tu as dit que tu m'abandonnerais ! Comme ils le font tous ! " Cette engueulade n'aboutira à rien. Rien de bon pour nous deux. Je commence à lâcher l'affaire et je veux tout faire pour ignorer Bohème. Mais ces mots et ses gestes m'alertent. Je le regarde se mettre dans un état dans lequel je ne l'ai jamais vu. Le problème, c'est que je ne sais pas comment agir. L'ascenseur s'arrête soudainement. " Bohème ? " je demande calmement. je ne me sens pas à l'aise avec cette situation. " Bohème... " je répète encore, essayant de me rapprocher de lui. Je pose ma main sur son épaule. " ça va... aller ? " je n'ose pas trop bouger à cause de l'ascenseur qui nous lâche. et Bohème qui fait une crise, je suis complètement paniquée. je prends sur moi pour ne pas m'effondrer avec lui.

Bien ce que je dis, tu me mets dans le même sac que tous les enfoirés qui t'ont fait du mal ! Je t'ai déjà lâché moi ? J'ai fait autre chose que de répondre présent quand tu me sifflais ? Rien de bon ne ressort de cette dispute où, foncièrement, personne n'a raison et personne n'a tort. Perséphone a tous les droits du monde de vouloir se protéger d'une souffrance potentielle et moi, je réagis comme je peux tout en ayant conscience de cette putain d'épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Jusqu'ici, je me suis plutôt bien démerdé pour que la jolie brune n'ait pas conscience de la réalité des choses... sans nul doute par peur d'être un poids mort. Mais la vérité me rattrape sans crier gare, alors que l'ascenseur ralenti. Je ne me rends même pas compte de la panne, d'ores et déjà recroquevillé sur moi-même à répéter envers et contre tout la même phrase. Quelque chose autour de la lumière, que j'ai peur de perdre, alors qu'au fond de moi je me sais déjà dans les ténèbres les plus absolus. Plus de vie sans lumière... plus de vie... Mes propos ne portent pas le moindre sens et l'appareil subit une secousse plutôt violente et inattendue. Mon cerveau tâche de raccrocher les wagons tandis que mon corps, lui, s'est mis à trembler violemment.

Je fronce les sourcils. ça m'insupporte qu'on me dise que je le traite ainsi. je lui ai jamais mis le couteau sous la gorge pour me rejoindre. vraiment, je n'en peux plus. ce tournant entre nous est vraiment mal venu. Et en plus de ça, le voilà partir dans un état de crise. je ne suis pas capable de gérer ce genre de choses. j'ai déjà du mal avec ma propre personne. En plus de ça, l'ascenseur qui part dans une panne angoissante. Tout pour rendre fou. " Bohème, calmes toi s'il te plait.. ." je lui demande en le contournant afin de pouvoir appuyer sur le bouton d'appel tandis que de l'autre main, je la maintiens poser dans le dos du français en espérant que ça lui passe. Je ne savais pas quoi faire de plus. Et clairement, incompétente face à ce qu'il vit. J'ai l'impression qu'il y a une part de son être qui est complètement déconnectée de la réalité. Sûrement que ça fait partie de ses démons. Je continue d'appuyer sur le bouton d'urgence de l'ascenseur mais rien ne se produit. je pousse un soupir, posant mon regard sur Bohème en espérant que ça ne s'aggrave pas pour lui.

La secousse de l'ascenseur n'aura pas eu l'effet désastreux que cela aurait très bien pu avoir. Au contraire, les wagons de mon esprit se raccrochent finalement les uns aux autres, et je cligne plusieurs fois des paupières afin de me remémorer de ce qui se passait avant la crise... car il est bien évident qu'avec la pose actuelle de mon corps, je ne mets pas longtemps à faire a+b. Je suis... Désolé ? En colère ? Perdu ? Un peu des trois à la fois lorsqu'une voix masculine s'élève dans l'habitacle. L'appareil a subit une panne d'origine inconnue, nous mettons tout en œuvre pour réparer cette dernière au plus vite. Nous vous prions de bien vouloir garder votre calme.A cet instant précis, je pourrais paniquer, finir claustrophobe ou réagir de façon étrange... mais à la place, je passe et repasse mes deux mains sur mon visage afin que la réalité revienne peu à peu s'emparer à nouveau de mon organisme. Je ne sais pas pour combien de temps nous en avons, mais je sais une chose... Je ne te courrais pas après, Perséphone. Clair, net, précis, sans bavure ou presque. Pour être tout à fait honnête, je ne pense pas en être capable. Un long soupir s'échappe de mes lèvres alors que je rends ni plus ni moins les armes. Et je ne veux pas être de ceux qui te casse en mille morceaux. Le corps toujours aussi tendu que précédemment, je serre mon t-shirt avec un point moins de force que précédemment, alors qu'une larme s'écoule le long de ma joue. Il viendra un moment où je ne serai plus moi-même. La démence m'emportera pour changer celui que je suis actuellement à jamais. Alors... je vais tâcher de vivre aussi intensément que possible avant que cela n'arrive. Et toi... tu mérites quelqu'un qui ne risque pas de te blesser dans un élan de démence incontrôlé. Je n'en reviens pas de cette confession. Et dire que je m'étais juré de ne jamais en parler avant d'y être absolument contraint... Et si je m'efface de ta vie... ce n'est pas vraiment que je t'abandonne. Prends ça plus comme une précaution. Et lorsque nous passerons les portes de cet ascenseur... reprends ta vie. Éclate-toi. Ne perds pas une seconde.

Je remarque que Bohème commence à retrouver ses esprits. Je retire ma main et prends un peu de distance physiquement. Le service de maintenance de l'ascenseur réagissent enfin. Je ne pipe pas plus de mots que demandé. Je regarde Bohèm alors qu'il se remet à parler, cette fois-ci, plus distinctement. Je ne pensais pas qu'il reprendrait si vite la contenance. Cette conversation m'a fatigué et je m'efforce d'écouter le grand brun. Je n'ai pas la force de l'arrêter alors qu'il continue. Qu'il avoue ce qui le ronge. Je comprends ce qu'il dit, qu'il est destiné à se perdre malgré lui. Je comprends qu'il agisse ainsi. Qu'il veuille protéger ceux qu'il apprécie. Mais je reste butée sur un point. " Ta précaution reste un abandon. Quelques soient les raisons. Et cela parce que tu veux me protéger. " je connais ce discours. je connais cette situation. même si les raisons s'entendent, il y a toujours un loup quelque part. Là, je n'ai même pas le temps de tomber sous le charme, sous la spiritualité d'un être, que je suis déjà sur le banc de touche. J'ai l'impression que c'est à ça que je me destine. Tomber sur des personnes qui finiront par partir. Soit je suis prévenue comme là, soit je suis abandonnée sans rien comprendre. " Te casses pas la tête, Bohème. J'ai compris. Une fois sortie de cet ascenseur, on fera notre vie chacun de son côté. ça sert à rien d'entretenir quelque chose de malsain. Et je n'ai pas les épaules pour te soutenir. " Je croise les bras contre ma poitrine, le coeur lourd. Ce sont des échanges douloureux sur l'instant. Je tourne la tête à l'opposé d'où il se trouve et plaque mon front contre la paroi métallique en espérant que les minutes s'écoulent vite. Que cet ascenseur s'ouvre et nous libère, voilà ce que j'espérais.

Les mots de Perséphone me font mal. Beaucoup plus que je ne saurais le décrire. Sans doute ai-je besoin de tout mon contrôle pour ne pas balancer quelque chose de venimeux, afin de la blesser autant qu'elle me blesse, voire même davantage. Cette montée de mayonnaise me donne la nausée et au final, je me contente de soupirer. Effectivement, poursuivre cette conversation ne nous mènera nulle part, si ce n'est nous déchirer avec des mots grimpant en escalade sur une échelle de rancune quelconque. J'use de toute la force encore présente en moi pour me relever, sans pour autant la regarder dans un premier temps. Malsain, hein... que je soupire de plus belle, pour finalement m'approcher et la serrer très délicatement, calant son dos contre mon torse. Effectivement, tu n'as pas les épaules pour me soutenir. Parce que je ne veux pas que tu les aies, et que ce n'est pas ton rôle. J'embrasse doucement sa tempe, au moment où l'ascenseur se remet en marche et ouvre bientôt ses portes, sonnant le glas de la libération, et d'autre chose de nettement plus sombre. Prends soin de toi... Sont les derniers mots que je prononce avant de disparaître à la vitesse d'une respiration. M'éloigner. Retourner dans cette bulle de solitude ayant toujours été la mienne et qui le restera très probablement jusqu'à ce que ce putain de diabète ne m'emporte avec lui.