Je me sens con, d'avoir laissé mon plat de bouffe sur le pas de la porte après entendu Persie s'envoyer gentiment en l'air. Avec qui, pourquoi, je crois que je n'en n'ai rien à cirer. Peut-être que cette paix qu'elle m'a offert jusqu'à lors n'était pas faite pour durer... et forcément, j'ai la haine. M'être engagé émotionnellement plus loin que je ne le souhaitais, que je ne me l'étais promis je rends semblable à un loup en cage alors que je quitte ma chambre, vêtu d'un simple débardeur et d'un short, écouteurs sur les oreilles, prêt pour mon jogging matinal. Il ne doit pas être plus de quatre heures du matin et je délaisse un temps le dossier compliqué sur lequel j'ai planché toute la nuit pour pénétrer dans l'ascenseur, vide. Je tapote sur mon smartphone afin de saisir une playlist, n'ayant pas conscience que dans quelques instants, ces quatre murs de métal seront certainement les témoins d'un mauvais remake de tragédie grecque.

Je suis pensive. Ces derniers temps, Bo ne me donne plus de nouvelles. je me demande ce qu'il se passe. Lorsque je sors de la chambre d'hôtel, je me conforte dans l'idée de devoir profiter. de ne pas me laisser chagriner par ce genre de situations. Là, je vais aller manger un bon petit déjeuner avant de partir en excursion. Je vais profiter de mon séjour, après tout, j'ai économisé des mois pour cela. Depuis que Soenn m'avait offert celui de l'an dernier. J'avais eu l'espoir, à l'époque, de le refaire de moi-même à ses côtés. Mais ce n'est plus le cas. Ma vie d'avant ? ça me semble si loin. L'esprit ailleurs, je monte dans l'ascenseur sans faire attention à la personne qui y est déjà. Les portes se referment puis par réflexe, je tourne la tête. Silhouette que je reconnaitrais plus que facilement, palpitant qui s'affole, qui s'énerve. " Bohème ! " je me permets de crier soudainement. " Putain ! " je le frappe contre le bras, je lui en veux de me faire ça. je ne comprends pas ce que j'ai pu faire pour qu'il ose ça. m'ignorer. je me pensais proche de lui. bien plus depuis plusieurs semaines, qui plus est. " Pourquoi tu me parles plus ? C'est quoi ton problème ? " à nouveau, ma main frappe son torse. la tension a monté sans aucune transition.

Si mes écouteurs se trouvent sur les oreilles, il n'en demeure pas moins qu'aucun son ne s'en échappe, me laissant pleinement entendre la voix contrariée de Perso parvenir à mes tympans. Expression fermée, aucun sentiment ni émotion ne filtre. À cet instant précis, je me blinde derrière un bunker en acier anti atomique afin de me protéger, moi. C'est quoi mon problème, t'es sérieuse là ?!! que je rétorque d'un ton glaçant en la regardant droit dans les yeux, mes prunelles d'ébène lançant des éclairs. La seule raison pour laquelle je n'explose pas et me sois bien gardé de faire tout commentaire, c'est justement car je la respecte. Je ne serais pas de ceux qui la jugent ou l'insultent. Mais lui parler après ça... il me fallait digérer d'abord. Sans quoi j'aurais effectivement énoncé des propos que je regretterai aujourd'hui. Je te parle pas car ça évite de te sortir des sales trucs désagréables. Persie peut pester, me cogner, je reste campé sur mes positions et maintenant que les portes de l'ascenseur se sont refermées, ma patience devrait être de mise afin de continuer à me contenir.

Je le regarde fixement, ahurie lorsqu'il me demande " c'est quoi mon problème ". Je ne comprends vraiment pas la situation. Je ne lui ai jamais rien fait de mal. Au contraire, on a passé que des bons moments. Rien que le dernier week-end en Equateur, j'étais si bien. Alors que ça m'énerve d'autant plus ce qu'il fait. Il ne bouge pas, ses mots me surprennent et me laissent encore plus dans le flou. " Pardon ? " Ma poitrine me fait mal sous cette tension, la respiration haletante, douloureuse. L'énervement est impossible à contenir. " Me sortir des sales trucs ? C'est toi qui a un problème, c'est pas moi ! " Même si Bohème me dépasse de presque 2 têtes, je ne me démonte pas. Non, ça ne m'arrive jamais même face à plus fort. Plus depuis que j'ai repris le pouvoir sur ma vie. " Tu me ghostes depuis des jours ! Qu'est-ce que je t'ai fait pour que tu me parles comme ça ? " et parce que la logique se perds, je viens à faire le parallèle avec une connaissance commune à nous. Je grimace tout de suite. " C'est Priam, c'est ça ? T'as décidé de me faire faux bond comme lui pour faire plaisir à ton meilleur pote, c'est ça ?! " alors que je pensais que notre amitié, à Bohème et moi, n'avait pas été influencée par la leur. après tout, j'ai rencontré Bohème autrement que par mon ex. J'en ai les yeux qui brillent à tel point que la tension me saisit.

Je n'avais pourtant qu'une règle, une seule : celle de ne jamais laisser personne prendre trop de place, trop d'importance dans mon existence. Le métier d'avocat apporte son lot d'ennemis, et soutenir le Brotherhood en tant que membre actif en rajoute une couche qui n'est, hélas, pas des moindres. Il n'empêche que les propos de Persie me touchent, me piquent au vif et donne autant de grain à moudre à cette colère sourde toujours aussi brûlante qu'une coulée de lave en fusion. Mon problème ?! Mon problème ?! que je répète l'air de plus en plus menaçant et glacial. Finalement, la référence à Priam me fait exploser. Ah non non non tu laisses Priam en dehors de ça, j'ai pas besoin d'un maître à penser ni quelqu'un qui me dit comment agir !! Ma respiration s'est faite plus vive, plus erratique sous l'effet de la colère et de l'incompréhension. Tu t'es pas demandé pourquoi t'avais de la bouffe devant la porte de ta putain de chambre pendant que tu t'envoyais joyeusement en l'air ? Un élan de douceur qui ne risquait pas de se reproduire. Bah non, t'étais trop occupée à te faire soulever pour que le reste du monde compte un minimum à tes yeux. Et c'est moi le problème ? Long soupir. T'inquiète va, si c'est un si bon coup je vois pas pourquoi tu perds ton temps avec le friendzoné des bas fonds.

Bohème explose. Je ne l'ai jamais vu comme ça, c'est la première fois que ça se passe ainsi entre nous. Ca me mets dans un état d'alerte, j'ai peur autant que j'ai envie de le frapper. J'obtiens déjà un premier élément de réponse. Je peux déjà rayer l'ex des problèmes. Cependant, Bohème vient à me reprocher quelque chose qui me semblait impensable. A vrai dire, je ne savais pas qu'il comptait venir me voir. Encore moins, je n'aurais pensé qu'il me surprendrait. Avec Clive, j'en conviens. Le plat, je l'ai vu mais je n'ai pas compris. Je n'ai même pas osé y toucher. Je me sens heurtée de plein fouet par la réalité à ce dernier mot. " Friendzoné ". Terme évident, pas besoin d'être ingénieur pour comprendre le message qui se cache dedans. " Comment ça ... Bo ? " j'ai envie de me convaincre que je me l'imagine. " Pourquoi tu dis ça ? Comment tu... " mes mots se perdent. Je suis totalement sur le cul. je me dis que ce n'est pas possible. J'inspire lentement, me reculant de quelques pas, mon dos touchant déjà la paroi de l'ascenseur. Je ne sais pas expliquer pourquoi, mais je me braque. " C'est culotté de ta part de me dire. Va pas me dire que tu as soulevé zéro fille en dehors de moi depuis le début de ton séjour ici ! Donc me sors pas cette carte de ta manche ! " je grimace, refusant d'entendre tout cela. je ne comptais pas me donner à qui que ce soit sur d'autres plans que ceux horizontaux. sans aucune exclusivité possible. je ne veux plus souffrir.

Face à cette situation surréaliste, je place mon point serré contre la paroi en métal de cette espèce de cage améliorée, exécutant une sorte de boum boum régulier afin de focaliser mon esprit dessus. Je me sens faible, frêle, exposé comme jamais. Que je donnerais-je pas pour revenir en arrière, à ma vie certes chaotique mais belle et bien sous contrôle, le mien, dans une certaine mesure. Au lieu de cela, non seulement j'ai entendu des choses me donnant presque l'envie d'être sourd, mais en prime je passe pour le sale type au passage. Ah non non non tu ne me feras pas cumpabiliser car il se trouve que non, je n'ai soulevé personne d'autre. Je ne laisse personne m'approcher, ça ne m'intéresse pas. Mais toi je t'ai laissée faire. Pas de truc sorti de la manche. J'avais juste besoin de paix. Paix que tu m'as offerte avant que je t'entendes prendre ton pied bien comme il faut avec un autre type. C'est sûrement un bon coup d'ailleurs ! La mauvaise humeur laisse bientôt place à la lassitude. Mais cela ne m'empeche pas d'ôter mon débardeur afin de lui montrer mon dos, couvert de cicatrices sont je n'évoque jamais la provenance. Mon dos est meurtri, ni plus ni moins. Tu ne t'es jamais demandé pourquoi certaines parties de mon corps, personne ne les touchaient jamais ? Tu as ta réponse. Personne ne veut d'un éclopé ou de quelqu'un avec un tel défaut physique. Toi non plus. Alors ouais, peut-être que l'autre gars te feras grimper aux rideaux et que tu te languiras de lui ? Je cesse tout contact visuel pour appuyer énergiquement sur le bouton de mon étage. Mon débardeur est serré dans ma main, et je n'ai qu'une envie : partir. Allez active ferraille de merde !! que je peste sans réelle force, au bout du compte. Je ne serai plus un boulet dans ta vie, Perséphone. Tu as ma parole. Jusqu'ici je ne l'ai jamais appelée que par son surnom. Mais là, d e suite, c'est moi qui met une distance entre nous. Tel un mur érigé solidement et indestructible.

La situation me donne l'impression de marcher sur des petits couteaux sans aucun moyen de me protéger. Je n'étais pas préparée à ça : Bohème et ses attentes à mon égard. Je ne pensais être qu'une aventure parmi tant d'autres pour lui. Je pensais être un grain de sable dans sa vie. Ce n'était pas le cas. Son énervement me stresse et je suis énervée de tout cela. Cette paix dont il parle, je la ressentais aussi avec lui. Nous sommes deux bombes qui explosent, chacune à leur tour. Bohème mets en lumière ce que je n'avais jamais remarqué jusqu'ici. Quand son dos se dévoile et ses marques du passé s'offrent à mon regard. " Arrêtes de parler à ma place. " j'en ai toujours eu une sainte horreur de cela. Qu'il dise cela, c'était faux. Il s'acharne à vouloir fuir la cage de métal. A me tourner le dos pour fuir. Je voudrais le faire aussi à sa place, j'ai clairement envie de pleurer. " Arrêtes... t'es pas un boulet pour moi. " Je lève les yeux au ciel et vient plaquer brutalement ma poitrine contre son dos. Mes doigts se tiennent à ses abdominaux alors que je pose mes lèvres sur ces cicatrices. " Elles ne me dérangent pas. Tu as sûrement une histoire douloureuse derrière elles, mais ça ne fait pas de toi quelqu'un de repoussant. " Même si je ne pouvais répondre à ce qu'il ressent, je ne voulais pas m'éloigner de Bohème. Il a fait partie des personnes qui m'ont permise de ne pas me noyer après ma rupture avec Soenn et Priam. Lentement, je finis par reculer. "Je suis touchée de ce que tu ressens pour moi. Et ce serait mentir de dire que ce n'est pas un peu réciproque. Je ne suis juste pas capable de t'offrir cette exclusivité. Parce que c'est moi le problème, pas toi. " Mes doigts se serrent aux hanches de Bohème, calant mon front contre sa peau. " Je suis cassée à l'intérieur. Un véritable poison ambulant. je te ferais souffrir. je t'étoufferais comme j'étouffais Priam. Mais je ne veux clairement pas que tu disparaisse de ma vie. Je le refuse. "

Qui aurait cru que déglutir puisse être un jour si douloureux ? Tout n'est que douleur dans ce corps que je reconnais de moins en moins. Bien que je n'ai mis aucun mot particulier sur des sentiments quelconques, ma façon d'énoncer des faits est plus claire encore que je ne le voudrais de prime abord. Persie approche, m'enlace dans le dos et sur l'instant, je me tends telle la corde d'un arc bandée au maximum. La fatigue et la lassitude frappe contre ma nuque telle le couperet de la guillotine sur Marie-Antoinette, et j'arrête brusquement d'appuyer encore et encore sur ce putain de bouton d'étage. Ne pas la regarder, ne pas la voir m'aide dans une certaine mesure, et à digérer ses propos, et à énoncer ce que je m'apprête à dire. Oh si je suis repoussant. Peut-être pas selon tes critères, mais on ne m'aurait pas systématiquement abandonné si ce n'était pas le cas. Cette fois, mon ton est froid, distant. J'impose un bloc de béton entre nous, et ce bien que le front de la jolie brune soit toujours présent sur la peau meurtrie de mon dos. Mon poing se serre encore un brin contre le t-shirt, comme si la douleur provoquée par cette tension pouvait me sortir de cette galère, de ces quatre murs que je ne peux déjà plus voir en peinture. Ceci dit... Mes poumons se gonflent d'un air vicié avant que je ne reprenne, d'un ton si distant qu'il m'étonne moi-même : un jour, bientôt, le Bohème que tu vois ne sera plus vraiment là. Sans davantage d'explications, je me tourne et je prends ses poignets entre les miens, les prunelles si brillantes que l'évidence s'impose : je suis à deux doigts de me briser tout seul, en mille morceaux, dans une seconde ou deux. Je disparaitrais très certainement de ta vie, alors tu as raison de ne pas miser sur moi. Surtout, surtout... ne mise jamais sur moi Persie. Je n'ai pas lâché ses poignets, et je ne lâche pas davantage son regard afin qu'elle comprenne tout le sérieux de mes mots.

Je lâche un soupir. " Je m'en cogne totalement des autres. Là, on parle de toi. et de moi. " je rétorque, toujours énervée à son égard, même si je suis touchée par l'état dans lequel il est. Je sens bien sa détresse. Mais je ne sais pas comment la gérer. Il me perturbe et ses gestes lui permettent de reprendre le dessus. Il m'annonce qu'un jour, le bohème que je connais disparaitra. La sensation de ses mains sur mes poignets sont comme de la lave brûlante. Je déteste cette sensation. Être prisonnière de cette cage métallique. De sa force à lui. Retour à un passé pourtant mort, mais toujours ancré. " Lâches moi. " que je lui ordonne. Ses mots sont encore plus difficiles à digérer. " C'est bien pour ça que je veux pas me poser. Que je veux pas répondre à ta putain de jalousie. Parce que tu feras comme les autres. Tu le dis là mais je le sais déjà. Soenn m'a abandonné. Priam aussi. Je ne crois plus en rien et personne. J'attends plus rien de qui que ce soit. Je ne veux rien de tout ça. " Je force sur ses mains, le pousse, me tord pour me libérer de son emprise. Je veux sortir de là. Cette situation est devenue malsaine et les larmes ne sont plus seulement par l'énervement. Je viens à me reculer contre la paroi métallique, à la plus longue distance de Bohème. Les bras contre la poitrine, je ne veux plus revivre cette sensation. " T'approches pas de moi, Bo. " je finis par dire, sèchement. j'ai besoin de me protéger.