Groupe de parole, encore. Mia a tellement insisté que je n'ai pu lui refuser : après tout, partir du principe que si je l'oblige à faire face à ses démons, il faut que je fasse de même de mon côté... hélas, parler de moi n'a jamais été mon fort. Je suis un taiseux devant l’Éternel, j'évite les questions personnelles et fuit toute relation comme la peste. Dès qu'une personne, quelle qu'elle soit, s'approche un peu trop de ma personne... je suis suffisamment cinglant et blessant pour passer l'envie à quiconque de se trouver dans mon espace. Me voici donc assis, les prunelles sombres décortiquant chaque aspect de la pièce sans écouter vraiment les doléances des uns et des autres. Mon esprit baguenaude vers les horizons lointains, songeant à une vingtaine de choses dans la même seconde, coupable d'être un cerveau brillant mais sans repos. Pas mon soir, suivant que je lance, tranchant tel un sabre. Pas une œillade envers mon interlocuteur, histoire que le message passe sans que je n'ai besoin de me répéter. Une seule chose me préoccupe : en finir avec cette mascarade et partir vite. Loin. Sans me retourner. Mon attention est pourtant happée malgré elle par Electra, que je connais depuis longtemps maintenant, lorsque sa voix parvient à mes oreilles. Merde, une nouvelle ? Sourcils froncés, je l'embarque délicatement vers le buffet où personne ne s'est encore rendu. Je prends à mon tour un verre de ce jus d'orange si acide que cela risque d'être aigreur land dans mon estomac, afin d'avoir une excuse pour ne pas retourner m'asseoir : après tout, celui qui gère le groupe de paroles connaît mon diabète. Il sait que mon besoin en sucre peut, dans certaines circonstances, devenir urgent et vital. Tu peux me la décrire ? Manuscrite ou tapuscrite, le moins détail... Là, tout de suite, l'avocat est venu prendre place dans la conversation. L'excuse rêvée pour ne plus être seulement Bohème dans ces lieux, mais surtout Maître Chatelain.

Si ma petite sœur Mia me voyait me refermer telle une huître plutôt que de m'exprimer sur mon mal être probablement me botterait-elle le cul par ses propres moyens. Être un livre ouvert ne m'intéresse pas, et ce qui ne regarde que moi me donne davantage l'impression d'être une cible de curiosité déplacée qu'autre chose. Aussi, cette porte de sortie est trop belle pour que je ne la saisisse pas au vol... bien que je sois profondément désolé de ce que j'apprends à l'instant. Bande de petits bras... que je murmure plus pour moi-même qu'autre chose en regardant la photo de la lettre sous toutes les coutures. Mon côté chien enragé avec un os, sans doute... mais abandonner simplement parce que l'affaire est compliquée ne fait pas partie de mes attributions. J'avale une nouveau gorgée de ce concentré d'aigreurs en puissance avant d'afficher un petit sourire satisfait. Dis-moi, il les paient cher ton père, ses avocats ? Sourcil levé, le téléphone toujours en main, je zoome autant que possible sur un détail absolument minuscule sur lequel, il faut bien admettre, personne de sain d'esprit ne se serait penché. Tu vois la toute petite tache d'encre, là ? C'est une sorte de bavure. Ce qui fait qu'il faut chercher l'imprimante... Pour fouiner et remuer la merde, je suis toujours présent, la preuve en est. Ma satisfaction m'a précédemment fait sourire... mais toute trace de joie disparaît aussitôt de mes traits face à la question d'Electra. C'est... un mélange de choses. Mia, mes parents... ma petite sœur allait me crucifier si je ne venais pas ce soir. Elle saura juste pas que j'ai fait ma tête de con, comme d'habitude !

Je crois que je ne comprendrais jamais comment un avocat digne de ce nom peut ne pas prendre au sérieux une menace de mort, quelque soit le nombre déjà traité. Ils prennent ça par-dessus la jambe, quoi que je grogne à moitié, le cocktail jus d'orange immonde et incompréhension me poussant à réagir ainsi. Je crois que cette chose qu'ils appellent jus n'a jamais été aussi dégueu que je lance sur un ton plus humoristique, histoire de dédramatiser un brin les évènements, si tant est que j'y parvienne ne serait-ce qu'un peu. Clairement ton père les paye pour un non boulot si tu me permets ! Quand bien même n'en n'aurais-je pas le droit, je me contente de prendre le gauche. L'amateurisme est peut-être la donnée qui m'irrite le plus chez mes confrères, connus du milieu ou pas. Si on pardonne à un jeune bleu à peine sorti de la fac, c'est inadmissible chez les vieux briscards avec de nombreuses heures de vol au compteur. Je ne me serais pas imposé, tu me connais... mais je serais plus rassuré si c'est moi qui reprends le dossier, oui. Tu peux être certaine que je ne vais pas juste prendre ça par-dessus la jambe... juste parce qu'il y a des précédents et que rien ne s'est passé pour le moment. Mon sérieux m'étonne, pour être tout à fait honnête. Mais Electra compte à mes yeux, elle connaît mes démons et ne m'a jamais jugé. Rien que pour cette raison, elle mérite tout mon respect. Mes parents sont au boulevard des allongés que je lance sans une trace d'émotion, n'ayant même pas l'envie de prononcer le mot cimetière tellement ce dernier me fout la haine. Quant à Mia... elle est à l'hôpital. D'où ma présence ici. Si je n'étais pas venu, j'aurais encore passé des jours sans avaler quoi que ce soit, risquant gros vis-à-vis de mon diabète. Tu veux qu'on se barre discrétos histoire de boire quelque chose de moins immonde ? L'émotion ne dure jamais chez moi. Et l’apitoiement ne fait pas partie de mon vocabulaire.