« Tu oserais, sachant que je vais partir avant toi ? » Mais qui a dit une chose telle que celle-là ? Certainement pas elle, sachant pertinemment que l’avenir est incertain, même lorsqu’on croit au destin. Pour y avoir cru la majeure partie de sa vie, elle le sait bien.
Cela dit, elle aime qu’il puisse douter, ne serait-ce qu’un peu, des agissements qu’elle pourrait avoir dans ce futur imaginaire. Alors qu’elle sait, en son âme et conscience, que s’ils vivaient ensemble depuis des années, jamais elle ne le laisserait. Convaincue que c’est jusqu’au bout qu’elle l’aimerait. Une de ces histoires que les plus romantiques envieraient. Un fantasme qu’elle n’a pas envie d’envisager, faute des maux qu’il parvient à engendrer.

Alors elle secoue le visage, et faute de mieux, se contente de suivre le grand-père que ne désire en faire qu’à sa tête, avec un peu de chance, à force d’errer dans le magasin, elle arrivera à récupérer tout ce dont il a besoin. C’est avec rapidité que l’étudiant les rejoint, aux commandes des chariots, il continue à faire l’idiot. « Pardon, tu disais ? J'ai pas bien entendu. » Si elle n’avait pas compris le pourquoi il désignait son oreille une fraction de seconde avant, c’est limpide maintenant, et s’arque les commissures de la Haiwee. Elle en secoue même la tête d’amusement, des preuves de son affection, c’est tous les jours – ou presque – qu’il en a, même lorsqu’elle se sacrifie pour lui tout n mois, alors elle trouve presque drôle cet inversement de rôle. « Je disais, » elle reprend, à l’aide d’un aplomb maitrisé, une sournoiserie à laquelle elle s’essaie, plutôt que son amour, à nouveau, l'avouer, pas assez courageuse même pour rigoler, « qu’on te choisira un aide-soignant. » et pas une soignante, parce qu’elle sera jalouse, même âgée de quatre-vingts et quelques ans. Elle qui ne voulait pas faire des plans sur la comète, elle a d’or et déjà, le scénario complet dans sa tête.

- JOURNAL: 1/1 REUSSI
- PILES: 2/2 REUSSIS
- DENTIFRICE: 1/1 REUSSI
- POMMES: 1/3 REUSSIS

Ce qui lui plaît le plus dans cette hypothèse, c’est qu’il vient la remettre en cause quasiment directement. « Un ? » Bien sûr, elle estime que plus tard, elle sera en droit de ne plus vouloir supporter la jalousie comme torture. Déjà aujourd’hui c’est parfois difficile, alors lorsqu’ils seront vieux… Ca ne fera plus parti de leur jeu. Tandis qu’ils marchent encore, que son grand-père se refuse toujours à faire le tour du magasin avec eux, elle laisse traîner sur lui, ses yeux. « Ils sont plus chers, » le raisonnement la laisse perplexe, Sheng n’étant pas de ceux qui se laissent perturber par les soucis d’argent. Presque, ça lui rappelle que sur ce point, ils sont différents.

Elle s’apprête à lui rétorquer une phrase sans grand intérêt, un manque de répartie flagrant, quand il expose un autre argument. « Et plus brutaux. » Celui là, il est à double tranchant. Soit, elle le prend en pitié, lui, l’homme qu’elle aime qui sera plus tard maltraité, ou alors elle s’agace à nouveau, contre ces femmes []douces[/i] qui parviennent à lui filer la nausée. C’est étrange tout ce que ces suppositions peuvent lui inspirer, à croire que d’être proches de personnes âgées, ça la conduit à une précoce sénilité. Un esprit embrouillé.

Et comme il est toujours plongé dans l’observation du flacon qu’il tient, elle articule, en continuant d’un rythme lent, son chemin, « Dans ce cas… » elle fait semblant d’être dépitée à cette idée, alors que comme une idiote, ce que par-dessus tout elle sait, c’est qu’elle en rêve de vieillir à ses côtés, « je m’occuperai de toi. » La supposition première de l’étudiant remise sur le tapis, mais sans trop l’assumer, parce que les mots sont baragouinés. Au milieu de toutes ses pensées, Haiwee, elle craint de se projeter. Et elle chuchote, en se détachant au maximum de celle qui, à sa personne, est harponnée, « tu ne veux pas la récupérer ? »

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