Ghost town:
Métropole en faillite, quartiers défavorisés laissés là, à la ruine; criminalité grandissante et départ massif de la population, Détroit n'a plus rien du rêve américain. Ville partagée entre le passé, sombre et divisé; l'avenir aussi, les promesses crachées par les politiciens en vue d'un futur radieux pour la ville du Michigan. C'est dans le South Détroit, entre les maisons abandonnées et les plinthes bousillées qu'il voit le jour, Isaac. Symbole même d'un quotidien à deux étages, puisque la mère a perdu son job pendant la crise et tourne désormais à la came, vautrée sur le canapé; tandis que le père lutte chaque jour pour ramener la bouffe sur la table. Bien loin de la perfection, mais suffisant pour vivre sans "manquer". Etant gosse, Isaac est un enfant plein de vie, souriant et toujours curieux, en quête de l'éternel "pourquoi". En admiration constante devant son père, un homme forgé par les principes religieux et l'éducation stricte qu'il a lui-même reçu. Avec sa mère, c'est mitigé; junkie au manque flagrant de lucidité, préfère donner du fric au vent pourvu qu'il lui ramène sa dose journalière. Faire manger son fils, en revanche, c'est comme un miracle; ça tient de l'exceptionnel. Mais c'est pas grave. Isaac se débrouille et lui trouvera toujours une excuse. Les premières années sont plutôt joyeuses, en dehors des crises de manque de la Mama et du sentiment d'insécurité qui règne dans certains coins du quartier. Isa', ça le dépasse de voir toutes ces demeures laissées pour compte, des rues entières de commerces fermés. De toute cette merde, il souhaite faire renaître un petit quelque chose. Des fleurs, du soleil; quelques silhouettes aux sourires évidents. Mettre de la couleur sur ce gris, avant que cette ville ne ressemble plus qu'à un film en noir et blanc. Avec l'aide d'autres jeunes, des bombes de peinture et des pinceaux, la rue reprend vie. Ce n'est pas parfait, mais les regards extérieurs sont attirés. Le graffiti devient son premier style d'expression; une manière d'offrir un second souffle à la ruine.

Gotta stay strong:
Vingt et unième siècle, certainement pas celui des lumières. Des rivalités vieilles comme le monde; les blancs au nord de la ville, contre les noirs au sud. Un point de division entre les deux camps: la 8 mile road. La banlieue contre la ville moderne, et les affrontements qui vont avec. Son père est un homme de conviction, prêt à en découdre pour défendre ses droits. Les manifestants sont nombreux, la présence policière massive. Le poing s'abat sur le visage d'un flic, et la prison l'accueille avec grand plaisir. Pour son geste, il prendra cher. Isaac ne peut le voir qu'une fois avant sa mise en détention, et son message est clair: be the man, stay strong son. L'homme de la maison, haut comme trois pommes. Les responsabilités vont avec, et le gamin doit grandir vite. Travailler comme il le peut pour ramener la drogue à la maison. Garder quelques billets en lieu sûr pour faire les courses. Et la dernière nouvelle, la plus importante de sa vie: s'occuper de sa petite soeur, Hope. Lien fusionnel forgé entre l'aîné et la petite, toujours fourrés ensembles. Depuis sa naissance, leur mère ne cesse de sombrer. Les erreurs s'enchaînent et sa vie est mise en danger à plusieurs reprises. Isaac décide donc de toujours être là, à côté. Pour rattraper le coup. Hope sera son premier modèle sur papier, après que le garçon ait décidé d'investir dans crayon et carnet. S'il ne va pas à l'école, le brun apprend tout de même des leçons du quotidien. Il dévore les livres, dérobe les plus intéressants aux logements abandonnés; s'attarde toujours sur les contes pour enfants, extraits chuchotés à sa soeur lorsque vient l'heure de dormir.

Terror time again: TW: racisme, abus sexuels, violence infantile, pédophilie, violence physique/verbale & troubles du comportement alimentaire.
Cette vie n'était pas parfaite, mais elle n'en restait pas moins gérable. Avec compromis, efforts et patience, ils s'en sortaient. Isaac se serait damné pour que l'histoire fonctionne. Jusqu'à l'arrivée de cet homme, l'intrus à la peau diaphane entre les murs de la maison. Qui était-il ? D'où venait-il ? Aucune idée. Pour Isaac, c'était la personnification du démon. Une entité malsaine ramenée par sa mère, pour satisfaire son manque d'affection. Un connard de service, un "blanc pas à sa place" comme disaient les autres du quartier. Son emprise sur leur quotidien est montée crescendo. Pas franchement aimable de base, mais pire ensuite. A traiter sa mère comme une véritable chienne, une vulgaire "black bonne à rien". Les coups ont commencé à pleuvoir. Isaac a compris, faute au manque d'isolation, qu'il abusait de sa mère jusque dans les moments intimes. Et le gamin n'a rien dit. Spectateur terrifié à l'idée de s'en manger une. Jusqu'à vivre l'enfer le plus total. L'inconnu emmène régulièrement Hope en promenade, et la petite fille en revient toujours fermée, inconsolable. Isaac remarque les bleus sur son corps, et particulièrement entre ces cuisses. A cet instant, il avait déjà compris; mais le déni était plus fort. Ce n'était pas possible, ça ne pouvait pas être vrai. Jusqu'à cette fameuse nuit, son sommeil interrompu par les sanglots étouffés de la cadette; les grognements évocateurs de l'homme qui vont avec. Le grincement du lit, la légère vibration des murs. Et sa mère dans le canapé, îvre morte. Mais il n'a rien dit. La peur l'a arrêté, littéralement bloqué. Et Isa' a commencé à se détester. Refus de s'alimenter, incapable de dormir; partageant ses nuits entre le besoin de se faire vomir et la musique, volume à fond sur ses oreilles. Pour étouffer les sons d'à côté, pour ne plus entendre Hope pleurer. Se haïr peut-être, mais le faire en silence. Perte de poids à vue d'oeil, maigreur apparente; tremblements incontrôlables et perte progressive de l'ouïe. Ses tympans ne supportent plus la musique à haut volume, son sytème nerveux remplace le phénomène par des acouphènes. Isaac est méconnaissable, et bien incapable d'aller aider Hope. Trop faible pour tenir tête à l'agresseur.

'Till I collapse: TW: violence, drogue.
Le cauchemar s'est étendu dans le temps, se jouant des mois et même des années. Isaac a terminé une fois à l'hôpital, clairement déshydraté. Mais son calvaire n'a jamais rien eu de comparable, en comparaison du sort de sa soeur. Jusqu'à cette rencontre imprévue, à l'école, un jeune athlète pratiquant football américain et boxe. Une bête, en comparaison; mais également une source d'inspiration. Le premier à le faire monter sur un ring, le premier à l'envoyer au tapis par la même occasion. Sa rage impressionne et 'Shawn' fait la rencontre d'un coach, prêt à l'aider pour améliorer sa technique. Forgé à l'ombre des projecteurs, par les soins d'un professionnel; motivé par le rap d'Eminem, voilà qu'il reprend du poil de la bête. Excès de confiance sans doute, organisme encore fragile et Isaac se fait défoncer. Les murs tremblent, les meubles sont fracassés et Isaac termine avec un couteau planté là, dans son outil de travail. La main. Plus jamais tu ne pourras écrire, frapper ou dessiner. L'adolescent écope en plus d'un tour en détention juvénile, pour avoir agressé l'homme sans raison apparente. Mais il persévère et revient plus fort. Sa main droite peine encore à recouvrir ses facultés, aussi décide-t-il de tout faire avec la gauche. Ambidextre par nécessité. La musculation se mêle aux heures de dessin, la boxe remplace le graffiti. Et il patiente, attend le bon moment pour agir. C'est la visite au parloir qui influence la suite; quelques minutes si précieuses avec son père, et cette phrase qui résonne encore aujourd'hui dans son esprit: " tu sais ce que t'as à faire fils, alors prends tes responsabilités. " La sanction tombe un soir, lorsque l'adulte prétend qu'il va aller lire une histoire à sa soeur. Et qu'il sait, Isa', qu'il ne supportera pas cette merde une nuit de plus. Ni lui, ni Hope. La lutte s'amorce et le combat fait rage entre les murs. La haine s'expose là, dans chaque crochet que le garçon libère. La liberté pulse dans les veines, la sécurité de sa famille en motivation suffisante pour retourner le démon. Aux ténèbres, Isa' répond par les mêmes forces obscures, guidé par la lumière au bout du tunnel. L'uppercut sonne la fin de charge. L'homme s'écroule et s'enfuit en hurlant qu'il obtiendra revanche. Mais pour l'heure, le garçon obtient la satisfaction de savoir Hope en sécurité. Un regard à sa soeur, et ce "merci" silencieux qu'il perçoit au fond de ces orbes juvéniles, promesse tacite de rester soudés, de ne jamais se lâcher. Quoi qu'il puisse en coûter.

Tomorrow's light would mourn his freedom:
C'est de sa liberté qu'il va le payer. lsa' pensait avoir gagné, mais la véritable épreuve l'attendait au tournant. La police débarque au domicile suite à une plainte pour violence, coups, blessures et détention de drogue. Le diable joue habilement ces cartes, déplace les pièces sur l'échiquier avec une précision qui dépasse totalement Isaac. L'appartement est retourné; les preuves, mises en évidence. Isaac serait l'un des dealers du quartier, et consommateur par la même occasion. Un jeune enclin à la violence, tout comme l'était son père avant lui. La haine du "visage pâle" revient sur la table, devient le mobile de son adversaire. Sa mère témoignera contre lui devant le tribunal, décrivant avec précision l'acharnement de son fils contre son conjoint. Hope lui fait promettre de ne rien révéler sur les abus, et Isaac reste silencieux. Sans surprise, on le condamne à la détention juvénile, avec possibilité d'aménagement de peine si bonne conduite. Les fers aux poignets, le gamin rejoint un centre de détention du Michigan, dans un premier temps. Traité comme n'importe quel criminel, tabassé par les blancs qui auront eu vent des accusations à son encontre. Blessé peut-être, mais déterminé à ne pas abandonner. Shawn possède encore une raison, vivante au dehors des barreaux, de s'accrocher. Et pour elle, il donnerait tout.

Wish I had an angel:
Le vent semble - enfin - décidé à tourner lorsque sa tutrice lui propose un transfert dans un camp de détention pour mineurs aux programmes visant à la réinsertion, avec de potentielles offres universitaires à la clef. Isaac est prêt à tout pour échapper à l'enfer de Détroit, et se fait la promesse de revenir plus fort, pour sa petite soeur. L'offre est acceptée, son transfert programmé du côté de Santa Monica, aux côtés de deux autres détenus, anciens rivaux de la rue désormais considérés comme des alliés de taille. L'intégration est complexe, la place se crée au prix des poings et de la sueur, sur le terrain. Isaac s'enrôle dans le club de théâtre et participe aux entraînements de l'équipe de football américain. C'est en se faisant positivement remarquer lors des activités extra-scolaires qu'il obtiendra une seconde chance. Son coach devient le moteur de sa renaissance, le poussant sans cesse à viser plus loin, à devenir plus fort. C'est lui, le soir, qui veille à ce que le gamin étudie et apprenne ses leçons. C'est avec lui qu'il rattrape son retard, et fait éclore son talent. Si le jeu du ballon en cuir n'est pas une passion, il détient néanmoins le pouvoir de l'affranchir.
Derrière les barreaux, le temps semble distendu; suivant les jours ou les mois, tout va trop vite ou bien trop lentement. Pas de visite, seulement quelques correspondances avec Hope, juste pour lui affirmer que tout va bien; dans son malheur, Isaac ne se plaint pas. La petite ne lui exprime pas clairement l'étendue de son calvaire, mais le grand frère sait lire entre les lignes. Le monstre est de retour à Détroit, dans la maison; il imagine à peine la suite. De son côté, s'il n'est pas encore libre, il a au moins la chance d'avoir un toit imperméable au dessus de la tête. Toujours tranquille, peu enclin aux conversations, le jeune homme s'éprend du silence et comble le vide en y ajoutant de la matière. L'art fait son retour, le dessin par dessus tout. Certains demandent des livres, d'autres des clopes; pour lui, ce sont des craies colorées. Isaac utilise littéralement sa cellule comme outil de travail, profitant des murs gris comme d'une toile à échelle humaine. Des heures durant, devant l'air surpris et un brin admiratif des surveillants, il retape son espace de vie. Les yeux tournés vers ce ciel artificiel, les étoiles vivantes dans son regard désormais déposées sur le béton; les constellations telles qu'il s'en souvient, quelques avions et cette poussière blanche dans leur sillage, certains iront prétendre qu'il s'agit en fait de grotesques représentations d'objets célestes. Puisqu'on lui a repris sa croix, mais qu'on ne peut lui enlever sa foi, un mur portera l'église de son quartier. Le plus merveilleux dans tout ça, c'est que le décor est libre de changer d'une journée à l'autre; au rythme de son inspiration. Ainsi, la reproduction sommaire de Détroit fait place à la forêt de son choix, puis à un lac bordé par la montagne, tirée directement de son imagination. Cette épreuve lui sera finalement utile, puisqu'elle lui permettra de trouver sa voie. Retaper des murs, faire revivre des habitations, ramener la lumière même dans les sphères les plus obscures, c'est sa mission.

Overcome adversity:
Ce programme de réinsertion est capable de miracles. Après une année, Isaac constate par lui-même que plusieurs membres de l'équipe sont admis à la fac; joueurs de football et boursiers capables de poursuivre des études supérieures. Les rivalités sont nombreuses, les enfants de Détroit mal perçus par les délinquants de Californie. Isaac évite les altercations, se focalise sur ses objectifs; l'université et Hope, qu'il doit écarter des griffes du diable. Ses résultats scolaires sont excellents, son talent pour le théâtre tend à se faire reconnaite et l'équipe de football échoue aux portes de la finale régionale. Pour des détenus de seconde zone, ce sont de véritables victoires, des tickets pour l'espoir. 18 ans et la libération conditionnelle, Isaac doit encore rendre des comptes à la justice mais accède néanmoins à l'université. Direction l'Indiana et le campus de Notre-Dame-du-Lac pour la suite de son cursus, en arts plastiques et architecture. La bourse d'études lui impose de s'impliquer dans la vie sportive du campus, et le jeune homme se voit contraint de remettre le casque sur la tête. Sa motivation, l'essence de son moteur, c'est Hope. Et pour elle, le gamin ferait n'importe quoi. A commencer par bosser, en permanence ou presque. Aux études se greffent les entrainements, puis les petits boulots pour mettre des ronds de côté. D'une façon ou d'une autre, Isaac finira par l'adopter, lorsqu'il aura prouvé à la société qu'il "vaut la peine". En attendant, il se rachète comme il peut. Le théâtre et le free-fight complètent la boucle, visent à l'améliorer sur tous les plans. Sportif, intellectuel et créatif, Isa' met toutes les chances de son côté. Il s'oublie au passage, mais qu'importe, ce sacrifice n'est rien à côté des souffrances quotidiennes de sa soeur.

To the future:
Hope est une battante, et son frère apprend qu'elle fugue régulièrement et file se réfugier chez une copine de quartier. Les étoiles ne s'alignent que rarement en leur faveur et Isaac peine à la retrouver. Le diable est sur son passage, et lui rentrer dedans reviendrait à admettre qu'il est l'erreur de l'histoire. Alors, il prend son mal en patience. Accueille la plus jeune dès qu'ils le peuvent, dans sa chambre étudiante, évite le sujet qui fâche et reprend les rituels qui leurs sont chers. Le ténébreux agit en secret, commence à monter un dossier avec l'aide d'étudiants en droit. Hope rentrera bientôt à l'université, et Harvard pourrait devenir sa porte de sortie. 22 ans, Isaac est enfin "clean" aux yeux de la loi. Les restrictions sont levées, et le jeune homme prépare sa demande de transfert. Un an pour s'organiser, faire valoir son dossier tout en poursuivant sur sa lancée; ses notes sont excellentes, son profil sportif intéressant et les options qu'il apporte avec lui en font un candidat de choix. 23 ans et la rentrée à Boston, quotidien chargé pour que les portes lui restent ouvertes; l'ange noir déploie ses ailes et vient couvrir les cicatrices de sa soeur, rempart érigé et prêt à accueillir l'agresseur. Sur le papier ou sur un ring, avec les poings comme avec les mots, Isaac devient maître du jeu.