Onze ans, c’est l’âge où elle passe les portes de sa nouvelle maison. C’est l’âge où tout commença à basculer. « Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept. » Elle compte sur ses doigts les sept membres de la famille quand elle est anxieuse, et se le répète à voix haute jusqu’à ce que son angoisse disparaisse. « Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept. » Elle inspire profondément et une poupée barbie entre les mains, se tourne sur le côté, pour mieux observer son lit. « Tu penses qu’il faut que je lui fasse une nouvelle coupe de cheveux ? Les cheveux courts, c’est joli aussi. » Elle sourit et reporte son attention sur sa poupée barbie. Elle lui caresse les cheveux et fredonne « Love of my life you’ve hurt me. You’ve broken my heart and now you leave me. » Queen. Magistral. Intense. Une musique qu’elle a souvent entendue grâce à sa mère qui la chantait souvent au moment où elle devait aller se coucher. Son regard se tourne vers la porte entrebâillée de sa chambre. Monroe. Elle lui sourit et lui fait un signe de la main. « Monroe, viens jouer avec moi et Samantha. » Probablement était-elle encore dans l’une de ses euphories. Il n’y avait pas de Samantha. On lui avait répété maintes et maintes fois. Et pourtant, elle savait qu’elle n’était pas folle. Qu’elle était bien réelle, puisqu’elle était assise sur son lit à ce moment même. Deux ans étaient maintenant passés, notre petit oiseau a treize ans, mais elle n’est pas l’une de ces ados pré-pubères qui fait des crises et qui est blasé de la vie. Non Birdy, elle est curieuse. Elle veut apprendre de nouvelles choses, elle souhaite connaître tous les secrets qui ne doivent pas être dévoilés. Peut-être même un peu trop curieuse. Les choses se sont dégradés dans la maison des Barlow. Réveillée à quatre heures du matin par une vive douleur, le cri strident, et griffé dans le dos, elle éveille les soupçons. Maman n’est plus la même. Elle ne fredonne plus mais elle a eu peur. Elle prit Birdy dans ses bras, en sanglots, lui caressant la naissance des cheveux pour l’apaiser. La dernière année fut sûrement la plus difficile. Les événements étranges ont continués à se réaliser. Ils se sont même multipliés. Birdy, elle, était partagée entre la peur et la plénitude. Maintenance c’est papa qui nous fait la cuisine. C’est lui qui nous borde le soir et pourtant, son regard est sombre. Il semble triste et Birdy, elle ne peut rien faire pour le refaire sourire. Elle a essayé, elle a essayé de le faire rire mais rien n’y faisait. Il n’était plus que l’ombre de lui-même. « Birdy. Birdy réveille toi. On s’en va. » Les yeux collés du sommeil, la voix enfarinée. « Mais papa… Il est quelle heure ? » Elle se frotte les yeux, mais n’a pas le temps de dire quoi que ce soit. De toute façon à quatorze ans et cadette d’une fratrie de cinq, on n’a pas son mot à dire. Sortie du lit, bien trop tôt à son goût, son père lui tiens la main, alors qu’il tient celle de Monroe avec l’autre extrémité de son bras. Birdy, elle tourne les yeux vers son frère, elle ne comprend pas ce qui se passe. Misty les suit au pas de course. Tous les enfants Barlow sont en pyjamas mais qu’importe. Soudain apeurée, et une fois sortie de la maison, le petit oiseau tourne son regard vers l’immense bâtisse. « Prim, Nolan et maman, ils sont où ? » Elle fut mise de force dans la voiture par son père. Il enferma Misty, Monroe et Birdy à l’intérieur avant de lâcher un mystérieux : « Vous m’attendez ici. Vous restez dans la voiture. Vous ne bougez pas. » Birdy, elle angoisse et comme à son habitude, elle ferme les yeux et passe son index droit sur ses phalanges gauches. « Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept. » Misty pose une main sur son épaule, tandis que Monroe ne bronche pas. C’est le dernier souvenir sombre qui lui vient de cette période.




Papa il est différent. Elle le regarde Birdy, lui qui est en peignoir sur le canapé. Une bière à la main et l’odeur de la cendre froide qui vient jusqu’à ses narines. Elle grimace, elle n’aime pas ça. Elle n’aime pas non plus cette nouvelle maison. Tout est différent. « C’est moi qui cuisine ce soir ! » Qu’elle lâche à ses frères et sa sœur. Primrose elle est partie. Primrose elle a fuie et Birdy elle a été dévasté de voir son modèle prendre son envol. Ils avaient tous vécus des choses horribles, alors pourquoi est-ce qu’ils étaient obligés de se séparer ? Incomprise, éternelle optimiste, elle faisait toujours en sorte de voir le verre à moitié plein et non à moitié vide. Mais le problème, c’est qu’elle commençait à se poser des questions sur sa répartie, trop inexistante. Il fallait qu’elle s’endurcisse. Elle n’en pouvait plus de voir Nolan se décarcasser pour toute la petite famille, sans jamais faillir. Et le côté obscur le devint un peu plus à son départ. Ras-le-bol général. Nouvelle déception pour Birdy qui avait ce sentiment d’être abandonnée par toutes les personnes qu’elle aimait. Sa mère s’était donné la mort, sa sœur avait fuie le cocon familial pour vivre sur le campus de son université de New York. Et Nolan foutait le camp à des kilomètres de notre point d’ancrage. Front contre front avec Misty, elle inspire profondément. « Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept. » Elles le disaient en chœur, cela avait le don d’apporter le baume dont Birdy elle avait besoin sur son petit cœur. Monroe il n’est pas là ce soir. Et Birdy, elle ne veut même pas réfléchir à où il peut bien être. Lui aussi avait terriblement souffert de leur enfance. « NOOOOON ! » Réveil en sursaut, les gouttes de sueurs qui perlent sur le front de la peau laiteuse de Birdy. Elle se lève, elle va dans la salle de bain. Une vision horrible. Samantha, celle qu’elle avait finalement rangé dans la case de l’amie imaginaire. Celle qu’elle tentait d’occulter. Elle la montrait du doigt, la bouche largement ouverte. Le petit oiseau ferma les yeux, elle se passa de l’eau sur le visage comme pour se réveiller de son vilain cauchemar. Visage redressé. Plus rien. Cette maison la hantera jusqu’à sa mort. Alors, elle prend la décision de s’affirmer. De se prendre en main. La nouvelle Birdy arrive. Comme un réveil d’entre les morts. Elle se plonge dans les études. Elle va réussir à s’assumer et à sortir de son cercle vicieux. Le jour de ses dix-neuf ans, elle prends la décision de poser sa candidature pour la prestigieuse université d'Harvard, elle allait devenir une brillante étudiante en histoire de l'art et architecture.



Birdy elle reçoit la lettre tant attendue. Elle la déchire, fébrilement. Nous avons le plaisir de vous annoncer que vous êtes admise à l’université d’Harvard en qualité d’étudiante en histoire de l’art et architecture. Sourire difficilement dissimulable. Elle avait réussi. Et elle n’avait pas à s’inquiéter de l’argent. Elle avait réussi à obtenir la bourse du mérite. Une nouvelle vie commence pour notre petit oiseau. « Bisous papa. Prends soin de toi. Tu as de quoi manger pour un mois. Je t’ai cuisiné des plats, il y a un qui est dans le four, tu as juste à le faire chauffer. Le reste est au congélateur. » Elle lui embrasse la joue. Même si la tristesse le ronge, Birdy elle l’aime. Elle aime toutes les personnes de sa famille. « Le vol au départ de New York City et à destination de Boston, vient d’ouvrir ses portes d’embarquement, terminal 2. A tous les passagers de ce vol, merci de vous présenter aux postes de contrôle. » Birdy, elle est impatiente. Elle fait un signe de la main à son père et s’engouffre dans la foule. Lorsqu’elle arrive à Boston, tout lui semble si nouveau et bien qu’elle fasse toujours des cauchemars, elle sait qu’elle aussi, elle a droit à un nouveau départ. La vie est différente, le campus est vivant. Et elle sait que même si elle en veut terriblement à sa sœur Primrose, se rapprocher d’elle, lui fera le plus grand bien. Il fallait qu’elles discutent de son livre. Du livre sur la maison. Birdy, elle, elle a été choquée de voir à quel point Primrose avait vu ce qu’elle avait vu. Alors, elle voulait comprendre. Comprendre pourquoi on lui avait toujours dit qu’elle inventait des histoires alors que chaque enfant Barlow, savaient ce qu’il s’était réellement passé. Elle caresse de son index droit, les phalanges de sa main gauche, elle ne dit rien et pourtant, ses frères et sœurs auraient vus qu’elle comptait. Ce geste était resté ancré dans sa personnalité, impossible à s’en défaire comme un chewing-gum que vous collez dans vos cheveux. S’étant toujours considérée comme mise à l’écart, elle fit le choix de se tourner vers la Currier House. Une confrérie, qui lui apporterait tout ce qu’elle désire. L’esprit familial qui lui manquait. Elle vit désormais entre ses murs et travaille à mi-temps au Starbucks situé sur le campus. Elle a réussi à prendre sa vie en main, même si elle avait connu beaucoup de bas. Elle ressent toutes activités surnaturelles, disons que ce don ou cette malédiction ne l'enchante pas plus que ça. Mais elle n'y peut rien. C'est pour ça qu'elle ne se déplace jamais sans son pendule, correctement rangé dans son écrin en velour, toujours dans son sac à main.