Différente. Tu serais différente des autres enfants de ton âge. Tu l'as su dès ce jour où tu compris que tu ne verrais plus jamais ta maman, que tu ne pourrais plus te blottir dans ses bras, que tu n’entendrais plus le son de sa douce voix. Vous deviez être cinq, vous ne serez désormais plus que quatre : ton père, ton grand frère, toi et ta nouvelle petite sœur. Tu n’étais encore qu'un bébé, deux ans à peine, peut être trois. Tes souvenirs sont flous de ces jours là. Mais tu te rappelles qu'il y avait beaucoup de larmes et de colère, chez ton père notamment. Il se mit à changer peu à peu, tu ne compris pas tout de suite pourquoi, il te fallu plus de temps pour cela. Il y avait beaucoup de bruits, de casses, de violence, tu te rappelles ces odeurs de fumée, de tabac froid, d'alcool mélangés. Tu ne supportes plus. Vous vous cachiez sous le lit mais pas pour des parties de cache-cache. Tu aurais voulu aider ta soeur, la protéger mais tu ne savais pas comment. Tu étais impuissante. Tu étais différente des autres enfants à l'école. Eux ils avaient leurs deux parents, ils partaient en week end, au camping, au bord de la mer, faisaient des barbecues. Vous, vous n'aviez rien de tout cela. Du moins tu n'en as pas le souvenir. Alors pour t’évader, tu fuis, tu te réfugiais dans les livres, que ce soit à la bibliothèque ou à la maison. Tu entendais souvent tes professeurs dire que tu étais plus “avancée”, “surdouée” que les autres enfants, qu’il fallait que tu passes des “tests” pour être dans une classe avec les enfants comme toi mais tu ne comprenais pas ce que cela signifiait. Tu le compris plus tard. Ton père a toujours refusé. Tu serais différente des autres ados. Mais, toi, tu as décidé de faire de tes différences une force.  Cela ne t'empêcha pas de vivre ton adolescence comme tout le monde. Même si les ados sont parfois méchants et cruels entre eux.  Tu as juste bien compris qu’elles ne viendraient pas te chercher pour être cheerlader, ou encore la reine de la promo, comme dans les films. Tu serais également différente des autres femmes à partir du jour où cet idiot a osé poser les mains sur toi, ne comprenant pas ce que “non” signifiait. Dès que tu as pu, tu as fui. Fui cette maison dans laquelle tu as grandi. Dès que tu as eu ton diplôme en poche. Ce n’était qu’une formalité. Tu as toujours rêvé de parcourir le monde, de voyager autre que dans les livres. Tu serais différente de ton frère et ta sœur. Ton frère et sa vie de “super-héros” et ta sœur l’”artiste”. Toi, tu es l'"intello', la petite fille studieuse et calme. Tu décidais de donner ton temps aux autres, à ceux qui en ont besoin. A 18 ans, tu tombas sur une annonce recherchant des bénévoles pour une mission humanitaire dans la région du Darfour. Tu ne leur laissais pas le temps de te retenir, leur annonçant la nouvelle, tes valises bouclées, ton avion décollant dans quatre heures. Tu ne voulais pas les laisser. C’était un déchirement. Mais, tu ne pouvais pas rester non plus. Ta décision était prise. A partir de ce jour, tu n’as plus jamais remis les pieds dans cette maison. Tu t’y refuses. La mission terminée, il te fallut bien poursuivre tes études, tu choisis d'étudier la médecine dans une université loin de chez toi. Harvard. Mais tu ne manques jamais une occasion de repartir en mission. Parfois dans des zones à risques, des zones de guerre. Rien ne peut te retenir. Même si tu finis toujours par rentrer à bon port.