C'était une journée pluvieuse. L'hôpital de Cardiff était bondé, plus une chambre de libre dans la maternité et pourtant c'était maintenant. C'était le moment pour Grace d'accoucher. Le confort n'était pas au rendez-vous puisqu'elle s'est allongée à même le sol. Entourée d'infirmières et de sages-femmes elle contracte ses muscles, on lui demande de pousser alors elle pousse. Encore et encore. Elle ne veut pas garder ce bébé en elle, elle n'en veut pas non, plus vite il sera sortie, plus vite il sera oublié. C'est ainsi que toi, Blake, tu nais le 4 novembre 1994.

Tu as passé un long moment en orphelinat, tes cinq premières années plus précisément. Tu voyais les autres partir, rejoindre leur nouvelle famille et toi tu étais toujours là parmi ces enfants qui n'intéressaient pas, ceux qui étaient beaucoup trop vieux pour la demande. Tu passais tes nuits à rêver de ta famille à toi, t'imaginais ton père et ta mère en train de te raconter des histoires, de te bercer la nuit pour t'endormir, de te couvrir de bisous et de câlins. Cependant quand ton rêves s'est réalisé tu n'en as pas profité.

A 5 ans, t'es adoptée par un couple irlandais. T'as jamais réussi à leur rendre tout l'amour qu'ils t'ont donné, t'étais trop préoccupée par autre chose. T'avais peur qu'ils t'abandonnent à leur tour, si ça devait arriver tu voulais être prête cette fois-ci. T'as passé ton enfance et ton adolescence à les repousser, tu faisais tout pour ne pas t'attacher à eux. Ils n'avaient pas beaucoup d'autorité sur toi, t'étais un sale gosse il faut le reconnaitre. Et cette distance tu l'as appliqué avec tout le monde, t'as jamais vraiment eu d'amis. Puis tu as rencontré cette petite bande irlandaise et t'as baissé ta garde. Ils sont devenus tes premiers amis, tu t'entendais bien avec eux, tu franchissais les barrières que tu t'étais imposée, mais tu n'aurais jamais dû. T'as passé les meilleurs années de ta vie avec eux et quand tous c'est arrêté tu l'as très mal vécu. Tu as gardé contact avec certains membres mais la plupart ont disparu précipitamment de ta vie. Ils t'ont abandonné et ça t'as fait très mal. Ton cœur déjà bien fragilisé a commencé à se fissurer.

A la fin du lycée, tu réussis à intégrer le Trinity College à Dublin. Tu entâmes des études de journalisme. Mais tu te concentres plus sur ta vie étudiante que sur tes cours. T'es présente à toutes les fêtes, tu goutes à toutes sortes de drogue et d'alcool et ça te plait. T'as pas froid aux yeux toi, t'as pas peur de tester de nouvelles choses même si elles peuvent te mettre en danger, non toi t'aimes le risque. Tu l'aimes tellement qu'un soir, complètement défoncée, t'as couché avec un mec sans protection. Une chose en entraînant une autre, t'es tombée enceinte. Tu n'as pas voulu avorter, tu voulais que ton enfant ait une chance de vivre. Tu n'as plus jamais revu le père. C'est donc seule que tu te rends à l'hôpital après tes neuf mois de grossesse, t'avais 22 ans. Tu t'étais préparée à devenir mère, tu te sentais prête à assumer ce rôle mais après ton accouchement tu as paniqué. Tu t'es posée beaucoup de questions. Et si c'était trop tôt ? Si tu n'étais pas aussi mature que tu le penses ? T'as peur, t'as soudainement peur de ne pas être à la hauteur et tu préfères laisser ton petit garçon. Ça a sans doute été la plus grosse erreur de ta vie.

Tu reprends tes études mais tu n'es pas performante, tu n'arrêtes pas de penser à ton fils et surtout tu regrettes, tu regrettes de ne pas l'avoir gardé. Tu commences à réellement t'en vouloir, à te détester même, t'as l'impression de l'avoir abandonné comme on t'a abandonné, tu ne veux pas qu'il ressente la même douleur que toi, qu'il ressente ce vide qui ne peut être comblé qui t'habite depuis ta naissance. T'as mal au cœur, une fissure de plus, il ne tiendra plus très longtemps. Tu commences à sombrer, l'herbe et la cocaïne deviennent tes meilleures amies. Avec elles t'as l'illusion de te sentir mieux. Tu te rends vite compte que non. Alors tu prends une décision, tu veux récupérer ton fils. Tu fais des tas de recherches, tu harcèles l'orphelinat pour avoir des informations et tu finis par apprendre qu'il se trouve à Boston. Sans hésiter tu prends un aller simple pour les États-Unis. Tu ne sais pas si t'es en état de gérer un enfant, t'as beaucoup d'addictions, la drogue, la boisson et la teuf sont les plus problématiques, mais tu veux le récupérer ça t'en es certaine. Tu ne sais même pas à quoi il ressemble, ni comment il s'appelle et ça te ronge de l'intérieur.