Eeeeeeeeeeet finito ! Tout en refermant - non sans un enthousiasme à peine dissimulé - le dossier sur lequel je planchais depuis quelques semaines, mon corps s'étire de lui-même sur ce fauteuil ayant porté mon séant pour la seconde de trop. Si je m'en lève, ce n'est que pour mieux embarquer mon cellulaire et pianoter dessus vigoureusement. Petit café, mon bureau ? que j'envoie à Han Sol, un sourire aux lèvres, presque impatient de le voir débarquer. Mia lui et moi, c'est un peu l'histoire des trois mousquetaires. On s'est toujours serré les coudes, été là les uns pour les autres. Si j'ignore le fait qu'il sache pour l'overdose de ma petite sœur, je mets de côté cette donnée dans un coin de mon cervelet. Aujourd'hui sonne comme un grand jour, avec de belles promesses à venir. Je pianote encore un instant afin de répondre à mes différents messages les plus urgents, avant de brancher ma nouvelle machine à café capable de moudre le meilleur des Arabicas. Rien que de sentir cette odeur légèrement douce amère m'offre un voyage dans le temps. Je prépare tout ce qu'il faut pour un moment unique, passant le mot à ma secrétaire : je ne suis disponible pour personne d'autre et ne désire donc pas être dérangé. Ce n'est qu'ensuite que je dépose un dossier tout neuf sur mon beau bureau. Je le tiens comme s'il s'agissait d'un trésor, et ma jovialité à cette idée brûle dans le fond de mes prunelles sombres. Une affaire en or. Et qui changera une vie, sans l'ombre d'un doute. Entrez ! que je tonne d'une voix grave, ne laissant rien paraître de ma soudaine joie. Mon visage en devient presque grave lorsque la porte s'ouvre. Il ne faut rien gâcher de la surprise...

Pour un peu, l'attente me rendrait désireux d'avoir un jeu de mini golf dans mon propre bureau. Histoire de réfléchir intensément si le cas est complexe, ou me détendre en cas d'extrême nécessité. Après tout, ma capacité à gérer une pression folle a toujours joué en ma faveur, et valu les félicitations de mes pairs plus âgés. Quand il s'agit de Droit, personne ne me surpasse. Un vrai requin, surtout dans les cas de pénal les plus difficiles. Personne ne veut m'avoir en face, et beaucoup de jeunes lionceaux se sont cassés les dents à vouloir prouver le contraire... mais aujourd'hui, oui aujourd'hui, pas de plan tarabiscoté. Pas de pot de vin, pas de plan sur la comète. J'attends simplement un pote de longue date, désireux depuis bien longtemps de le sortir de la mouise. D'ailleurs, le simple fait d'avoir réussi à reprendre son dossier relève du miracle, mais Maître Chatelain ne se laisse toujours pas intimider par quelques flicailles désireux de faire du zèle. Papa Bo' ? Tu veux me faire prendre vingt ans en une phrase ? que je lance comme s'il ne s'agissait aucunement d'un client. Non, Han Sol n'est pas un simple client. C'est une âme perdue comme l'est celle de Mia, ou la mienne. Une âme à qui aucune autre n'a jamais prêté attention pour l'aider. Personne avant les trois mousquetaires que nous sommes devenus... Officier, je prends la relève merci. Cette fois, point de sourire qui tienne : je défie la flicaille de me défier ici et maintenant, sur mon terrain de jeu, régit par un nombre si impressionnant de lois que je ne pourrais décemment les énoncer une par une. Je sais qu'il s'agit plus ou moins du gardien de ce cabinet mais je ne lui fais pas de cadeau pour autant. Ce collègue dérange ma surprise et ne m'en rends que moins aimable de seconde en seconde. Avant même que ce dernier ne me réponde, je lui coupe l'herbe sous le pied : si vous ne voulez pas un procès au derche pour violation du secret professionnel avocat-client, je vous conseille de passer la porte avant que je n'ai besoin de me répéter. Première sommation, peu courtoise. Mais comme précédemment énoncé : je suis sur mon terrain de jeu. Et personne ne me cherche des poux sur mon terrain de jeu. J'ai dis dehors ! Le simple fait de voir Han Sol mettre sa capuche sur le haut de sa tête me rends d'autant plus hargneux envers cet officier que je suspecte fort d'aimer faire du zèle pour emmerder les clients dont la trogne ne lui revient pas. Ce n'est qu'une fois ce dernier sorti que je me tourne vers mon pote, armé d'un sourire qui tranche fortement avec mon ton précédent. J'espère que t'es resté loin des conneries parce que maintenant, c'est moi qui m'occupe de ton cas que je lance non sans un clin d’œil. Je lui laisse digérer l'information en m'approchant de la machine flambant neuve. Café ?

La flicaille sort enfin de mon champ de vision, mais ce n'est qu'une fois la porte de mon grand bureau refermée que je reporte mon attention sur Han Sol. Fidèle à lui même, capuche recouvrant ses cheveux, les yeux rivés sur l'un de ces jeux où je l'ai toujours vu excellé. Si mes traits ne laissent échapper aucune émotion dans la seconde, c'est parce que mon esprit analyse la situation présente. L'un des nombreux désavantages à posséder un cerveau ne se reposant jamais... le moindre détail est scanné, fragmenté puis analysé dans les méandres de mes neurones. Un rien de stupeur se lit cependant dans le fond de mes prunelles d'ébène, et ce alors que mon pote de toujours s'exprime. Tu peux me la refaire ? que je lance un brin éberlué, tandis que mes paupières se ferment l'espace d'un dixième de seconde. Merde. Pourquoi juste aujourd'hui le jeune homme a décidé de me compliquer la tâche ? Non pas que je ne sois pas un amateur de défis, mais là... T'as décidé de me faire de la merde le jour même où je reprends ton dossier ? Sérieux ?! J'inspire et j'expire doucement. Depuis toujours j'ai appris à ne jamais hurler ni avoir de gestes brusques en sa présence. Parfois, Han Sol m'apparaît tel un animal blessé et apeuré, délaissé par le monde entier et broyé même par ce dernier. Voilà le genre de dossier pour lequel je suis prêt à me battre sans pitié. Sans crainte. Sans limite aucune. Alors attends je reprends... tu ne peux pas changer d'instructeur j'imagine ? Quoique si j'en fais la demande... Main dans ma tignasse bouclée en bataille, je réfléchis à voix haute. Mon plan d'action se dessine peu à peu dans mon esprit brillant, n'attendant qu'une chose : confirmation.

Incapable de me retenir, je lâche un bref ricanement n'ayant pourtant rien de moqueur. Han Sol me connaît suffisamment pour savoir que non, jamais je ne lui manquerai de respect. T'es au courant du coup de vieux que tu me flanques en m'appelant papa Bo au moins ? Manquerait plus qu'il m'appelle papy et la boucle serait définitivement bouclée. Mmh... qui te dis que j'allais demander ? que je lui lance de ce petit ton jovial alors que, dans mes prunelles sombres danse une espèce d'insolence qui m'est propre. Je pense que tu me connais assez pour savoir qu'aucun secret ne sort jamais de ce bureau, à moins que tu ne me fasses pas confiance ? Alors que je croise mes bras sur ce costume hors de prix signé Savile Row, je ne quitte pas mon interlocuteur des yeux. Probablement que mon esprit est trop occupé par l'analyse de chaque mot prononcé pour faire preuve d'une réaction quelconque. Et dire que je me pensais roi pour attirer la merde par la merde... mais pour le coup, j'ai trouvé mon maître absolu. Han Sol m'en avait fait beaucoup, mais je dois lui tirer mon chapeau, il s'est surpassé ! Tu peux chercher ce que tu veux sur cet ordi, les données les plus inavouables sont cryptées par mes soins que je lui lance en levant un sourcil. Pourtant, à force de me côtoyer il devrait le savoir ; je reste avant et contre tout un homme extraordinairement prudent. Aucune des données précédemment évoquées ne devait tomber entre les mains de n'importe qui... et j'ai beau adorer mon pote, le boulot c'est le boulot. Mais avant même que je ne puisse répondre et le rassurer, mon collègue revient à la charge en apportant des biscuits. De façon implacable, ce type va me rendre chèvre... je n'use d'ailleurs aucunement de ma voix mais plutôt d'un simple geste de tête qui parle de lui-même : débarrasse le plancher ou je te transforme en chair à pâtée. Du calme, du calme. Ils n'ont rien demandé du tout, ton cher Bo' ici présent vient de récupérer ton dossier. J'avoue que j'ai confiance en personne d'autre pour te sortir de là... Maintenant que Han Sol se trouve sur mon siège ou à proximité, je joue le jeu en partant m'affaler sur ce sofa que j'affectionne tout particulièrement en cas de besoin, qu'il s'agisse d'une micro sieste ou d'une nuit blanche. On va reprendre : tu es amoureux de ta belle indienne, tu l'as invitée au bal, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants, blablabla. Sauf que tu es grimpé aux rideaux avec un instructeur... policier aussi si je ne manque aucun détail du tableau. Ne crois pas que je me moque... tu sais bien à quel point j'ai à cœur ton bonheur mais là bordel Han'... t'as pensé à quoi ? Décidément, dans le genre il veut tester mes capacités d'avocat, on est en plein dedans. J'écoute. Tu sais bien que y'a pas grand chose pour me choquer... qu'est-ce que tu souhaites ?

Moi vivant, il n'y aura pas la plus petite trace de religion pourrie et pervertie dans ce putain de bureau ! Mon ton est calme, posé, comme à chaque fois que je m'adresse à Han Sol. Je sais qu'un rien peut le briser là, tout de suite, me prouvant une fois encore que si Dieu en avait quelques chose à foutre, cette situation n'existerait même pas. Hélas, mon interlocuteur ne me laisse pas le temps d'en placer une, s'envolant dans les tours pour mieux quitter la pièce, se heurtant à la flicaille au passage. Si cela ne dure que quelques secondes, je ferme intentionnellement mes paupières afin de rassembler tout le self control dont je suis capable. Je quitte le bureau en trombe une fois à nouveau maître de mes mouvements, questionnant mon collègue sur l'endroit où il a bien pu se rendre. Ce n'est qu'après obtention de cette donnée que je m'élance dans les escaliers, n'ayant pas à descendre bien loin pour le trouver, lui, recroquevillé tel le gamin perdu qui me semble toujours être. Chacun de mes pas est calculé pour faire le moindre bruit possible, et ce jusqu'à ce que je puisse m'asseoir à ses côtés, entourant mes bras puissants autour de son être. Han Sol me paraît tellement perdu, tellement fragile que l'image de Mia me saute à la gorge. Effectivement, on s'en cogne de ce que je pense que j'annonce dans un petit rire, non sans reprendre aussitôt : et je me tape pas Maître Walsh si c'était vraiment une question... Tant bien que mal, j'essaie de ramener mon petit mousquetaire à de meilleures pensées, caressant sa nuque du bout de mon pouce. Han, est-ce que tu me fais confiance ? Contre toute attente, cette fameuse question a beaucoup d'importance pour moi. Armé de la confiance de quelqu'un, on peut soulever des montagnes. Armé de la confiance de quelqu'un, les miracles sont possibles. J'ai justement récupéré ton dossier pour te sortir enfin de là. Pas pour t'enfoncer. Mais pour te faire voir que y'a autre chose que cette chienne de vie. Ma propre âme blessée par les années d'enfer déjà vécues, je peux dire que je ne fais pas que sympathiser... j'essaie de le comprendre. Papa Bo' c'est quand même mieux que prêtre... putain j'ai failli avoir une crise cardiaque quand t'as parlé de confessionnal ! Au secours ! Mon rire s'empare de l'atmosphère sonore, toujours désireux de détendre Han Sol. En espérant y parvenir, au moins un peu...