Il fallait souffrir pour être beau mais Dieu que Kristofer avait toujours détesté aller au dentiste. Il n’y avait pire sensation que d’entrer dans le cabinet médical de ce dernier. Le bruit qui lui faisait crisper la mâchoire alors que précisément il ne fallait pas. L’instinct qui lui faisait repousser la tête en arrière quand le médecin approchait sa roulette infernale. L’odeur qui lui retournait l’estomac et lui faisait battre nerveusement la jambe. Non, il détestait plus que tout autre chose que d’aller rendre visite à ce dernier même si cela était nécessaire. Il se souvenait des publicités de son enfance, quand il pensait qu’il lui suffisait de se brosser les dents trois fois par jour pour que ces dernières soient belles, immaculées et éclatantes. La réalité des faits l’avait fait se questionner : était-il sale ? devait-il cesser de manger des frites ? et s’il buvait du coca en lieu et place du jus d’orange, ses dents deviendraient-elles marrons ? Evidemment, la réponse avait toujours été négative mais les enfants demeuraient si crédules. Pas suffisamment malheureusement pour que l’acteur puisse échapper à ce rendez vous annuel chez le dentiste, surtout quand il avait une carie qui l’avait fait se réveiller en pleine nuit de douleur. Il en avait même oublié où il était, quand il était et jusqu’à son propre nom. Assommé par la douleur, il avait eu la chance que l’un de l’équipe technique avec qui il s’entendait bien avait un frère dentiste de sorte qu’il avait pu le glisser entre deux patients pour une opération en urgence. Ce dernier n’avait pas manqué d’éclater de rire en voyant le visage du néerlandais perdre toute couleur en pénétrant son domaine et avait convenu qu’il valait mieux l’anesthésier pour procéder aux opérations nécessaires. Ce quand bien même cela était réservé aux enfants. Mais n’était-il pas l’enfant de quelqu’un ?

C’est donc bougon, la mâchoire endolorie et l’esprit un peu ailleurs qu’il pénétra dans l’ascenseur pour retourner se reposer chez lui après ce qu’il estimait être une épreuve particulièrement insurmontable. Lorsque les portes de ce dernier s’ouvrirent, il fit un pas en avant mais hésita le pied en l’air comme si une barrière invisible l’empêchait d’appréhender le seuil de ce dernier. « Il faut faire attention aux bébés tortues. » murmura-t-il pour lui-même en levant le genou comme pour enjamber le seuil et pénétrer l’intérieur avec la grâce d’une danseuse étoile sur le retour. Ne lâchant pas du regard les tâches sombres qui bougeaient sous ses yeux et qu’il avait analysé comme des tortues de mer, il se positionna dans l’un des coins de l’ascenseur et attendit que les portes se referment, se soutenant à la barre qui l’empêchait de tanguer comme dans un navire. Il attendit quelques secondes sans que rien ne bouge avant de réaliser qu’il n’avait pas appuyé sur le bouton pour descendre mais avant qu’il ne l’atteigne, l’ascenseur se mit à bouger tout seul et à suivre ses indications en pensée. « Whoa trop fort. » s’étonna-t-il avant de comprendre qu’il n’était pas forcément le professeur Xavier mais qu’une jeune femme avait appelé l’ascenseur à son tour quelques étages plus bas. Les portes s’ouvrirent sur cette dernière et il ne put s’empêcher d’observer avec appréhension le seuil de l’ascenseur, craignant qu’elle n’écrabouille les bébés tortues.

La sensation n’était pas désagréable et lui rappelait des souvenirs mais s’il avait conscience d’être sous l’emprise puissante de l’anesthésie c’était comme s’il s’observait de loin, comme il était totalement détaché d’un corps qui avait les idées les plus farfelues sans possibilité d’acter d’une quelconque manière sur celui-ci. Simple spectateur, il s’observait de loin espérant secrètement que comme pour les ivrognes, la main de Dieu abaisse sur lui un écran protecteur quant bien même il ne soit pas particulièrement croyant. Ses prières silencieuses ne purent être exaucées lorsque les portes de l’ascenseur s’ouvrirent sur une somptueuse créature qui, aux yeux d’un Kristofer sous emprise, semblait entourée d’une lumière évanescente, les boucles blondes retombant en cascade sur ses épaules auréolant un doux visage qui lui rappelait instantanément Ariel la petite sirène de Disney. Il se contraignit à se pincer les lèvres pour ne pas commencer à chanter Sous l’océan et il transforma cette grimace en un sourire qui se croyait poli mais qui ressemblait certainement au ricanement de la vilaine sorcière des mères. Un rapide coup d’œil sur ses tongs, il constata soulagé qu’elle n’écrabouillait les pauvres bébés tortues qui avaient profité de l’ouverture des portes pour continuer leur avancée, une partie d’entre eux s’échappant dans le couloir. Il se racla la gorge et, incapable d’arrêter sa langue avant qu’elle ne commence à formuler des mots, il s’entendit lui demander dans le plus grand des calmes : « Comment vous avez fait pour avoir des jambes si vous savez parler ? » Il y avait entrée en la matière plus subtile et il ferma les yeux pour tenter de se reprendre, espérant que les effets du médicament se dissipent plus vite qu’il ne l’espérait. « Pardon, ce n’est pas poli. Bonjour. » Il pointa le doigt vers le ciel pour tenter de s’expliquer. « Je viens de là-haut. » avant de glisser son doigt vers sa joue, espérant par la même qu’elle comprendrait qu’il sortait du dentiste mais dont il avait oublié le nom et non pas du cabinet psychiatrique situé au même étage.

« Vous allez où ? » demanda-t-il en se glissant avec précaution, adoptant la démarche d’un crabe pour appuyer sur les boutons de l’ascenseur. Manquant manifestement de coordination, il glissa et sa main s’écrasa malencontreusement sur plusieurs boutons en même temps. Quelques millièmes de secondes après, l’ascenseur eut comme un soubresaut avant de s’éteindre. Une voix stridente de femme, ou plutôt de goule fantomatique, de dame blanche en colère ou de gamine ensorcelée après avoir été jetée dans un puit et en être ressortie sur une VHS résonna dans l’espace clos. Il fut que des lumières rouges se rallument pour que le néerlandais réalise que ce cri s’était échapper de sa poitrine en constatant dans le miroir qu’il avait la bouche grande ouverte et s’était accrochée à l’inconnue comme si sa vie en dépendait. Indubitablement, il était le symbole même de la virilité en cet instant précis.

@Lola Lovegood