Wow, alors Jordan avait vu juste, les dessins qui couraient sur le corps de Narayan à l’encre noire étaient tous dessinés par ses soins. C’est fou, il était une sorte de caméléon. Certains dessins étaient bourrés de détails, très travaillés, d’autres plus simples dans les courbes mais tout aussi singuliers. Combien de temps avait-il passé à dessiner tout cela ? Jiji se demanda quel effet cela pouvait faire de se faire tatouer. Après tout, on parlait tout de même d’une aiguille qui vous perçait les couches de la peau, vous injectait de l’encre. Les poils de ses bras se hérissèrent à cette pensée. Elle attrapa le sweat-shirt un peu trop grand pour elle qu’elle trimbalait toujours avec elle dans son sac à dos, se frictionna les bras. « Ils ont l’air vraiment très jolis. » admit-elle. Elle ne pouvait les voir dans leur intégralité, mais elle en devinait quelques-uns. Les tatouages sont irréversibles, aussi Narayan devait être bien sûr de ses choix à chaque fois. La blondinette s’accouda à la table, posa son poing contre sa joue qui se ratatina. Que pouvaient-ils bien signifier ? « Si un jour j’ai un tatouage, il faudra vraiment que ce soit toi qui me le dessine. » Souffla-t-elle, émerveillée par son pirate qui prenait forme sous les traits précis du jeune homme. Jiji en oubliait subitement sa peur panique d’il y a seulement un instant ! C’était elle tout craché. Une vraie girouette. Le serveur vint à leur rencontre, leur adressa les cartes. Narayan avait pris une copieuse crème glacée, Jiji opta pour un sorbet framboise coco avec coulis de fruits rouges et noisettes. Le serveur s’éclipsa et Jiji retourna à sa contemplation. Elle n’osait pas demander à Narayan la signification de ses tatouages. Si ça se trouve, tout comme pour son village natal, il ne se souvenait pas de leur signification. Elle respectait cela. Si un jour elle lui posait la question, il lui répondrait quand il serait prêt. La jeune fille se cala confortablement dans le fond de la banquette de cuir. Elle tortura un instant les bouts de manches de son sweat-shirt entre ses doigts pour se donner du courage puis confessa ; « Je pensais que tu voulais ma peau. C’est pour ça que je me suis enfuie de la bibliothèque. » Bah oui, tant qu’à faire, autant partir sur de bonnes bases et gommer toute aspérité s’ils devaient devenirs amis.

Jiji arbora un sourire franc lorsque Nara lui dit qu’il serait heureux de l’aider dans son projet tatouage. Bon, elle n’avait pour le moment, ni l’idée, ni l’envie, ni le courage ou les moyens de se faire tatouer, mais le jour où elle serait prête, elle savait vers qui se tourner. Silencieuse un moment, elle contemplait le dessin de Narayan. Elle se lova au fond de la banquette, cala ses petits pieds sous ses cuisses. Ce n’était surement pas très bien vu, mais ainsi Jordan se sentait parfaitement détendue. Son dessin presque achevé, Narayan se mit à rire. Oui, Jiji avait décidée de se confier à lui quant aux raisons qui les faisaient se retrouver ici. Et à sa grande surprise, Narayan lui avoua à demi-mot que lui aussi, il avait eu peur. Pas en ce jour précis, mais par le passé. Il avait même toujours peur, visiblement. La blondinette s’était lourdement trompée à son sujet, elle l’avait pris pour le chasseur alors que lui aussi était une proie. Aussi elle se fit la promesse qu’à l’avenir, elle y réfléchirait à deux fois avant de se lancer dans conclusions hâtives. « Merci de ne pas m’avoir jugée aussi vite que je l’ai fait avec toi. » souffla-t-elle, honteuse. Narayan semblait être plus sage qu’elle, d’avoir un peu plus la tête sur les épaules. Etait-il plus âgé qu’elle ? Avec ses traits fins, sa silhouette qui l’était tout autant bien qu’élancée, difficile de lui donner un âge. « Il est vraiment magnifique. » ajouta doucement Jordan afin de changer de sujet, pour éviter de remuer des souvenirs douloureux à sa nouvelle connaissance. Le pirate touchait à sa fin et il était spectaculaire. Leur commande arriva après quelques instants et la petite Vietnamienne resta bouche bée devant l’imposante coupe en verre. « Tu peux manger tout ça, toi ? » Demanda-t-elle à Narayan… Avant de constater que sa crème glacée était de moitié supérieure à celle de Jiji. Elle se demanda s’il allait tout manger et si oui, où pouvait-il bien stocker tout cela ? Alors que Narayan était toujours plongé dans son dessin, Jiji en profita pour lui choper un beau morceau d’Oréo. Et hop.

Peu de gens sont au courant, mais mon passé est un véritable film d’horreur, une torture psychologique et physique. Si seulement le monde imaginait le passé qu’un bout d’homme comme moi cache, ce qui m’a poussé à devenir l’homme que je suis aujourd’hui, si seulement.
Je continue mon dessin, ayant presque fini d’ailleurs, tout en discutant avec la petite demoiselle aux cheveux blonds, qui me remercie de ne pas l’avoir jugé, contrairement à ce qu’elle a fait elle, je lui souris doucement, je n’aurai pas aimé qu’à l’époque ou j’étais dans la même situation, on ne me tende pas la main pour m’aider. Je continue le dessin, m’appliquant sur les détails qui peuvent paraitre basique pour le monde qui m’entoure, mais qui a son importance à mes yeux car se sont les petits détails qui font la beauté d’un dessin.
On nous apporte nos glace, je remercie le serveur et mets les derniers coups de crayons sur le papier avant de le signer discrètement en bas de page, afin qu’il soit authentique, et qu’on lui disent pas qu’il a été trouvé sur internet, oui y a des gens bêtes et je le pousse doucement vers elle et je la vois me piquer un bout d’Oréo, ce qui me fait rire.

« Hey ca c’était à moi petit voleuse ! »
Je ris avant de lui piquer une lichette de crème chantilly avec ma cuillère et de la manger. Puis je commence a attaquer ma glace avec un grand sourire, alors je lui réponds entre deux bouchées, ouais je suis un morphale.

« Bien sur Jordan ! Ma vie c’est mangeeeeeer j’adore manger ! je crois que je suis quasiment tout le temps entrain de manger »
Et oui, j’ai beau être en sous poids, mais je mange comme…comme un panda !! je passe ma journée à manger, et pas qu’un peu. Les privations de mon enfance jumelé avec mes gênes indiens, faisant que de base, je n’ai pas une graisse proéminente et que mon organisme brule beaucoup de calorie, en faite je suis une pile électrique alors tout ce que je mange, je l’élimine voir plus encore vu ma minceur.
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Jordan croqua dans le petit biscuit noir qu’elle avait chapardé à Narayan non sans gourmandise. Elle s’en lécha les doigts et décida que Narayan avait le droit de lui chiper un peu de chantilly après cela. C’était de bonne guerre, non ? Jordan imita Narayan et entama son sorbet. Il était savoureux, étaient-ils faits maison ? Elle en mangea goulument deux cuillérées puis se ravisa : non seulement elle ne profitait plus des saveurs, mais en plus elle avait à présent une barre de métal congelé qui lui murait le front. Elle serra les dents. « Je ne comprends pas. » bougonna-t-elle. Narayan semblait ne même pas craindre le froid. Réflexion faite, il semblait simplement avoir de l’expérience, il lui confessa être un morfale né. « Ca explique pourquoi tu ne ressens même plus le froid lorsque tu manges une glace ! » Siffla-t-elle. Et hop, une première pique de lancée. Eh bien quoi, Narayan lui avait lancé une sacrée perche, il aurait été impoli de ne pas s’en saisir, non ? Jiji prit précautionneusement le dessin dans sa main, ne souhaitant pas le tâcher. Elle fit tomber sa cuillère qu’elle tenait jusqu’alors entre ses lèvres. « C’est incroyable. » conclut-elle. Il aurait pu facilement créer des bandes dessinées, des livres de contes ou mêmes des œuvres. « Narayan, tu as déjà essayé de vivre de ton art, comme tu le dis toi-même ? » Elle détacha son regard du dessin pour le tourner vers le jeune homme. Vouloir le faire, c’est bien, le faire concrètement, c’est mieux. Et s’il excellait dans les autres domaines comme il excelle en dessin, alors il n’avait pas de soucis à se faire quant à son avenir.

Maiiiiis bien sûr que si que Jordan arrivait à ne pas se geler le cerveau en mangeant une glace ! Simplement, aujourd’hui, elle n’y parvenait pas. Ni la plupart du temps d’ailleurs. L’un des défauts de la belle est qu’elle veut tout faire trop vite : elle a voulu courir avant de savoir marcher correctement, comme nombre d’enfants ma foi, et s’est récolté des gamelles à la pelle. Lorsqu’elle a commencé à parler, à seize ans, elle a voulu sortir de longues tirades alors qu’elle peinait encore à articuler son propre prénom et s’est énervée toute seule, rentrant dans de sombres colères. Aujourd’hui ne faisait pas exception : lorsqu’elle aime un plat, elle n’en savoure que la première bouchée. Elle englouti littéralement le reste sans mâcher ou presque, un vrai canard. C’était ses parents qui la freinaient, aujourd’hui, son patron, comme elle vivait sous le même toit que lui et son fils. « J’en mange sans doute moins que toi, ce doit être pour ça. » Dit-elle, mauvaise joueuse. Elle ne savait que trop bien qu’elle était goinfre et trop têtue pour se jeter la pierre. De toute façon, ils étaient repartis à parler de son somptueux pirate que venait d’achever Narayan, c’était bien plus plaisant à ses yeux. Le jeune homme lui avoua cependant que, s’il souhaitait vivre de ses arts, il n’avait encore jamais tenté. La petite blonde haussa les épaules. « Tu n’as pas assez confiance en toi, pourtant tu as la volonté de te lancer dans mille choses différentes. Je ne sais pas si tu maîtrises tout tes arts aussi bien que le dessin ou les langues, mais si tu essayais de te révéler ne serait-ce que dans un seul domaine, je suis sûre que tu pourrais te surprendre toi-même. Je veux dire… Regarde ! » Elle lui tendit son dessin. Avait-il conscience de ses capacités ? « On ne m’a jamais fait un aussi beau dessin, et rarement un aussi beau cadeau, Narayan. » Enchaîna-t-elle, si bien qu’elle n’écorcha qu'à peine sa phrase. « Tu n’as jamais tenté d’avancer dans ce qui te passionne ? Pour en vivre, je veux dire. Eh bien, maintenant, il faut essayer ! » Avait-elle ajouté. Elle avait une étincelle dans le regard, celle qui ne brillait qu’en cas de détermination intense. Elle ne saurait dire pourquoi, mais cet homme et elle semblaient avoir beaucoup en commun, elle le sentait. Et s’il n’osait pas faire les choses, tout comme elle, il aurait besoin d’un coup de main.

Mince, loupé. Jordan avait voulu persuader Narayan de se laisser une chance. Il parlait de ses passions avec tant d’amour qu’il serait dommage que le jeune homme ne trouve jamais la force de tenter quoi que ce soit. Au final, Narayan baissa les yeux. Le jeune homme lui avoua que ses arts étaient ses échappatoires, ce qui lui permettait de tenir face aux épreuves qu’il endurait. Jiji eu du mal à déglutir lorsque Narayan parla de survie. A quel point était-il enlisé dans la souffrance, au juste ? Plus qu’il ne le laissait paraitre. Il arborait des manières, un visage, un parler si doux qu’on ne devinait pas au premier abord qu’il était si torturé. Prier pour être encore là le lendemain, pour que le lever de soleil qui nous caresse le visage ne soit pas le dernier. Jiji avait cessé de manger depuis que Narayan lui avait dit cela, faisant tourner sa longue cuillère dans le sorbet framboise qui fondait lentement. « Moi aussi, j’ai peur. » La petite blonde avait aujourd’hui encore de grandes frayeurs, peur que les autorités la retrouve et l’expulse, peur de ne jamais revoir ses parents en vie. Cette pensée lui serra le cœur et une larme glissa sur sa joue avant qu’elle n’ait eu le temps de se rendre compte qu’elle pleurait. Elle s’empressa d’essuyer ses yeux, ses joues avec les manches de son sweat. Elle inspira profondément, serra le poing et le présenta à Narayan. « Rien n’est perdu ! » Décréta-t-elle. « Il faut se serrer les coudes. » Elle sourit, se disant qu’elle avait de la place sur son fier navire pour un flibustier supplémentaire. « Je ne sais pas ce que tu as traversé, Narayan. Mais moi aussi j’ai peur. Peur de perdre le peu que je possède. Je pense que si notre passé nous fait du mal, alors on doit regarder devant nous et tout donner pour s’en détacher. »