« Le grand secret. »
isaiha & lily

D’une simplicité enfantine, l’échange était si naturel qu’il la déconcertait presque. Elle d’habitude si loin des autres, si mal habile lorsqu’il s’agissait de faire preuve de sociabilité. Elle se retrouvait à parler avec un inconnu comme s’ils se connaissaient depuis des années. Elle n’avait pas honte de ce qu’elle était, ni de ce qu’elle devrait être. Elle ne cherchait pas non plus à se dérober face son regard car elle savait que, même inconsciemment, il la voyait sans fard. Et elle le voyait aussi, avec cette lueur presque lasse dans le regard. Pas à cause d’elle, surement à cause de lui, d’événements impromptus qui avaient dû ponctuer sa vie. Des événements dont elle ne connaîtrait probablement jamais la teneur, car leurs existences n’étaient peut-être pas faites pour être liées l’une à l’autre plus que quelques heures. « Ça me fait plaisir. » insista-t-elle en divisant malgré tout les gains. Elle n’était pas venu là dans l’espoir de gagner des milles et des cents, elle s’était d’ailleurs davantage attendue à perdre toute la somme du jeton qu’on lui avait confié en début de soirée. Au final pas de regret, elle n’aurait rien gagné en plus, mais elle aurait eu le privilège de parler un peu avec quelqu’un sur la même longueur d’ondes. Ça faisait si longtemps qu’elle ne s’était pas simplement posée, le temps d’une soirée, autour d’un verre, juste pour bavarder sans conséquences. Depuis son opération tout allait beaucoup trop vite, et les événements s’enchaînaient à une vitesse folle. Un petit répit ne lui ferait pas de mal.

Installée au comptoir du bar dans un équilibre précaire sur son haut tabouret, Lily posa son coude sur la surface boisée, lui jetant un regard biais alors qu’il répondait à sa question. Un cœur blessé. Elle aurait presque dû s’en douter. Il le portait sur lui comme un sac trop lourd, qui parvenait à faire s’affaisser ses puissantes épaules. « Oh … ça ne s’est pas bien terminé ? » osa-t-elle demander avec douceur. Au fond, le fait que cela se soit terminé, d’une manière ou d’une autre, c’était une chose dont il n’était jamais simple de se libérer. La déception d’avoir espéré construire quelque chose avec quelqu’un, puis s’apercevoir que cela ne serait jamais réellement possible. Elle comprenait cette impression-là sans pour autant l’avoir vécue à proprement parlé. « Il existe des refuges moins dangereux que l’antre du jeu tu sais. » murmura-t-elle en jetant un coup d’œil au barman derrière son comptoir, qui depuis environ cinq minutes, lustrait le même verre d’un air absent, visiblement contrarié lui aussi. « Enfin c’est mieux que rien, c’est certain. » Quand il lui retourna la question, elle parut songeuse quelques instants. A quoi bon feindre ou prétendre ? A lui elle n’avait rien à cacher. Il ne la connaissait pas suffisamment pour pouvoir la juger. Alors à quoi bon ? « Non. Je n’ai pas eu de relation très importante depuis des années. » Depuis que son premier amour était mort en fait, sauvagement assassiné. Elle n’était jamais revenue de cet incident-là. Jamais totalement. Jamais jusqu’à ces instants passés auprès d’un homme qui ne la voyait pas telle qu’elle était. « Il y a bien quelqu’un … Qui pourrait avoir de l’importance. Mais … Il ne parvient pas à me voir telle que je suis. Pas encore du moins. C’est un peu … Frustrant disons. » Elle sourit doucement, avec délicatesse, songeant à sa question en avisant la carte des boissons rapidement. Ils ne faisaient pas des choses simples dans ce Casino franchement ? Comme des bières, ou bien des diabolos fraises ? Non, leur spécialité, c’était les cocktails visiblement. « Ça, ça a l’air pas mal. Il y a de l’ananas. Et du rhum. C’est forcément un bon mélange. » fit-elle avec un sourire, ouvrant de grands yeux quand le verre fut déposé devant elle. Ah les cocktails et leurs couleurs. Leurs fioritures inutiles aussi. Pourquoi avaient-ils mis autant d’ombrelles en papier dans un seul verre ? Il y avait quelque chose à cacher là-dessous ? Quoiqu’il en soit, elle en saisit une entre ses doigts, glissant le bâtonnet entre ses lèvres pour qu’il ne goutte plus, le tournant ensuite pensivement entre son pouce et son index. « Et dis-moi, quel est ton art ? tu es dans une confrérie d’artistes, mais tu ne m’as pas dit quel était ton domaine de prédilection. »


@Isaiha J. Buchanan

© ACIDBRAIN

« Le grand secret. »
isaiha & lily

De tout cela ? De quoi parlait-il ? Du Casino ? Du jeu ? Sans en être sure Lily se demanda furtivement s’il n’avait pas un problème d’addiction avec cet univers-là. Cela expliquerait la lueur de désillusion lorsqu’il jouait, cette expression qu’il arborait, discrètement, et qui donnait le sentiment qu’il était davantage là par habitude et mécanisme que par envie véritable. « C’est toujours délicat de prendre une telle décision pour quelqu’un d’autre … » Là pour le coup, elle ne le suivait pas. Jamais elle n’aurait toléré qu’un homme prétende prendre une décision à sa place. La notion de « quitter pour le bien de l’autre » lui semblait terriblement biaisée et égoïste. Elle partait rarement d’une intention pure. Elle venait souvent de ceux qui ne peuvent accepter l’idée que celle qu’ils quittent n’était pas celle qu’il leur fallait. Ceux qui ne parviennent pas à se rendre à l’évidence. Mais elle ne le connaissait pas assez pour le juger, lui, et cette relation dont elle ne connaissait rien. L’empathie de sa nature faisait juste qu’elle se sentait un peu triste, de constater que la décision qu’il avait prise l’avait fait souffrir, et visiblement le touchait encore. « Malheureusement, on dirait que parfois le temps joue contre nous. Il y a des périodes qui ne sont pas promptes à l’épanouissement de certains êtres ensembles … c’est triste, et douloureux … mais c’est ainsi. » Un petit sourire triste éclaira sa peau diaphane, et elle ajouta pour répondre à sa remarque, dont l’image lui semblait vraiment bien trouvée. « Tu finiras par trouver … Il faut juste peut-être … Changer de cap ? » proposa-t-elle avec un certain entrain, filant sa métaphore jusqu’au bout. Le but n’était pas de lui miner le moral, au contraire.

« Non. C’est le problème lorsqu’on s’attache à quelqu’un de plus âgé. Il y a toutes les barrières liées aux préjugés, aux habitudes … Aux expériences aussi. » répondit-elle en écho en portant le verre qu’on venait de lui apporter au bord de ses lèvres. Aimait-elle Lawrence ? Elle n’en savait rien. Lily n’avait aimé qu’une seule fois, étant plus jeune. Un amour naïf, intense, exubérant aussi. Un amour de jeunesse qui avait forgé celle qu’elle était aujourd’hui, et qui s’était terminé dans une mare de sang. Si elle nourrissait des sentiments pour Lawrence, ils n’avaient rien à voir avec ceux qu’elle avait déjà connu. Ils étaient plus prudents, plus subtiles aussi. Moins … Moins enfantins peut-être. « Oh le bois ? je serais curieuse de voir ce que tu fais, c’est une matière terriblement difficile à travailler … » Le bois. Une matière capricieuse, difficilement domptable. C’était révélateur de sa personnalité. Une part de lui devait aimer les défis. « Tu es flatteur mais non. En photographie je suis plus à l’aise derrière l’objectif que devant. Et, ma matière, c’est la peinture … L’art en général. Je suis fascinée par l’histoire de l’art et l’univers de certains artistes. » Elle hésita un instant, parlant peu de sa fascination pour l’art en général, préférant le montrer. Mais elle se sentait à l’aise avec Isaiha, comme s’il n’y avait pas besoin d’y avoir de tabou. Aussi ajoute-t-elle : « J’ai toujours été fascinée par le corps humain. C’est ce que je dessine le plus. C’est une machine sublime, qui varie d’un être à un autre. Il y a toujours une sensualité qui s’exprime quand on sait observer les corps, même ceux qui sont considérés comme « laids » par les conventions. Les courbures, les lignes … Je pourrais passer des heures à les observer, juste pour essayer de comprendre ce qu’ils dissimulent. Car le corps parle tu sais … C’est comme une énigme. Il suffit d’en suivre les bons sillages, et on peut comprendre quelle a été son histoire. » Les rides, les creux, les pleins, les cicatrices. Tout n’était que signes, indices d’une vie différente d’une autre. C’était dans cette étude-là que résidait l’essence de l’univers créatif de Lily. Un univers dérangeant et souvent incompris, qui montrait l’être dans ce qu’il a de plus cru, de plus beau et de plus laid à la fois. Et alors qu’elle parlait elle se rendit compte que jamais elle n’avait confié sa vision à quelqu’un, que s’en était presque sensuel. Une sensualité naturelle pour elle, sans ambiguïté, mais qui pour une oreille non avertie pourrait paraître étrange. « Tu dois penser que je suis folle. » termina-t-elle en riant, buvant une longue gorgée de son verre en espérant ne pas l’avoir mis mal à l’aise.



@Isaiha J. Buchanan

ACIDBRAIN

« Le grand secret. »
isaiha & lily

Aussi loin qu’elle se souvienne, Lily n’avait jamais eu à prendre une telle décision concernant une relation amoureuse. Son premier amour avait été brutalement assassiné, ne leur laissant ni à l’un ni à l’autre le temps de voir jusqu’où leur relation aurait pu aller. Avec le recul Lily savait qu’il n’aurait probablement pas été l’homme de sa vie, mais la mort lui avait donné un statut presque intouchable, immuable dans son cœur. Il aurait toujours cette place indicible, inaccessible par aucun autre. Et c’était peut-être pour cela qu’elle n’avait pas eu beaucoup de relations après lui. Que des amours illusoires, qui s’étaient éteins d’eux-mêmes, au point parfois de ne même pas commencer. C’était « triste » à dire, mais finalement jamais Lily n’avait été quittée, ou avait pris l’initiative de rompre avec quelqu’un. L’occasion ne s’était simplement jamais présentée. Étrange n’est-ce pas ? Au moins lui avait-on épargné la souffrance qui vient après la rupture en bonne forme. « Oui, tu as sans doutes raison. L’essentiel c’est qu’aujourd’hui tu ne regrettes pas ta décision. » lui répondit-elle avec douceur, esquissant un petit sourire pensif en portant de nouveau son verre à ses lèvres. Une lueur venait de traverser son regard, l’éloignant un instant de l’espace dans lequel ils se trouvaient ensemble. Elle le soupçonnait d’être en train de penser à quelqu’un en particulier. Quelqu’un qu’elle ne connaîtrait sans doutes jamais, et dont l’existence même lui importait peu sur l’instant, mais elle avait noté l’expression de ses traits lorsqu’il y avait pensé. Comme s’il avait été traversé par un sentiment agréable, c’était tout à fait fascinant à observer. Il faut dire que Lily était passionnée par l’observation des expressions de ceux qui l’entouraient. Avec le temps c’était devenu une habitude, d’essayer d’élucider ce qui se cache derrière un sourire plus rêveur, ou un regard plus espiègle.

« Contrariées ou inexistantes ? Entre les deux mon cœur balance … » fit-elle avec humour en levant son verre avec entrain, émettant un léger rire qui contre toute attente la détendit un peu plus, la mettant réellement à l’aise en sa présence comme s’ils se connaissaient depuis un moment, alors que ce n’était pas le cas. « Je veux bien … ça me plairait de voir ce que tu fais. » Et elle était sincère. Elle était toujours curieuse de voir les travaux d’autres artistes, ne comprenant pas l’esprit de compétition qui existait entre certains. Un peu gênée une fois son petit monologue terminé, ses joues s’empourprèrent légèrement en réalisant qu’elle était peut-être partie un peu loin. En voyant son sourire, elle fut rassurée de constater qu’il n’avait pas l’air plus outré que ça. « Je ne sais pas si j’oserais lui parler de l’art ainsi. Il n’y est pas très sensible je crois … Enfin … C’est différent. » Elle parut pensive un instant, et son index traça le rebord de son verre, jusqu’à ce que son regard l’interroge à sa dernière remarque. Son cœur en avait presque loupé un battement, et elle demeura interdite un instant, à l’observer avec de grands yeux empreints de douceur. Convoquant toute la hardiesse délicate dont elle était possible, la réponse lui apparut évidente alors : « Il faudrait que tu me laisses te dessiner dans ce cas… » Sens propre, sens métaphorique ? Les deux ? Sur le coup elle n’était pas bien sur, mais grisée qu’elle commençait à être par les vapeurs de l’alcool, cela lui permettait au moins de prendre un semblant d’assurance.




@Isaiha J. Buchanan

ACIDBRAIN

« Le grand secret. »
isaiha & lily

« Et oui tu as surement raison. » répondit-elle en écho avec un sourire enthousiaste. Il lui aurait dit ça il y a quelques mois qu’elle lui aurait probablement ri au nez, au fond du gouffre qu’elle était alors. Et puis il y avait eu cette opération, cette chance inespérée et attendue patiemment depuis plus de vingt ans. Elle serait éternellement reconnaissante envers Lawrence d’avoir joué la divine providence en lui permettant d’avoir cette greffe. C’était une seconde chance qu’on lui avait accordé à ce moment-là, et depuis, elle voyait les choses d’une toute autre manière. Elle avait l’impression de devoir réapprendre à vivre, avec de nouvelles perspectives, en se détachant de toutes les anciennes qu’elle portait à bout de bras jusqu’alors. Après la mort de son petit ami elle n’avait plus envisagé de vivre une histoire d’amour à nouveau. D’être ainsi confrontée brutalement à la mort, cela l’avait confortée dans l’idée que pour prémunir ceux qui tiennent à vous, il valait mieux ne pas s’attarder dans des sentiments trop complexes qui par la suite seraient douloureux à supporter. Mais ça, c’était parce qu’elle avait un pied dans la tombe alors, et une peur bleue de l’engagement. Les choses étaient différentes aujourd’hui. « Peut-être bien … mais dis-moi … ça ne t’ennuie pas si on parle d’autre chose que de lui ? Il n’est pas là, et je n’ai pas envie d’y penser ce soir. J’aime discuter avec toi et … Seulement avec toi. » murmura-t-elle du bout des lèvres. Pourtant elle ne put s’empêcher de penser encore à cet homme qu’elle évitait malgré elle depuis leur retour du chalet, où ils avaient surpris son père avec la mère d’Alysse. Alysse qui était nouvellement sa sœur apparemment. Toute cette histoire l’avait un peu chamboulée, tout comme cette façon que Lawrence avait de la fuir chaque fois qu’ils étaient un peu trop proches. Chose qui arrivait certainement trop souvent selon lui. Elle en avait marre de tourner autour du pot, d’avoir l’impression de ne pas être à la hauteur parce que trop jeune. Alors ce soir elle ne voulait plus y penser non plus. Elle voulait simplement jeter un voile qu’elle soulèverait de nouveau plus tard.

La spontanéité de sa réponse la désarma presque sur le coup, et elle observa la lueur vacillante dans son regard avec un intérêt non dissimulé. Ce petit côté charmeur lui allait bien, lui donnait presque un petit côté espiègle qu’elle trouvait particulièrement charmant et avec lequel elle avait envie de « jouer » un peu. Lily était loin d’être une « prédatrice », charmeuse par nature. Draguer, elle ne savait pas vraiment comment s’y prendre, maladroite qu’elle était souvent. En revanche elle était joueuse, et espiègle aussi. « D’habitude les gens sont toujours réticents à l’idée d’être observé sous toutes leurs coutures. Ils éprouvent une certaine pudeur … Tu me surprends. » Dans le bon sens, qu’on se l’entende. Elle le regarda entre ses cils, un sourire énigmatique venant fendre la commissure de ses lèvres. « Dommage oui. » Elle se mordilla l’intérieur de la lèvre inférieure discrètement, avant de pousser l’audace en ajoutant : « Comment pourrais-je faire à ton avis pour pallier ce problème-là ? » Elle avait bien une idée, follement … Tactile dirons nous, mais n’était pas assez hardie pour l’énoncer de but en blanc. Elle lui plaisait, elle le savait. Mais elle était si peu habituée à ce genre d’échange … Comment cela fonctionnait ? Par quoi commencer ? Elle se sentait d’une maladresse affligeante tout à coup, d’arriver à vingt-cinq ans, et d’être incapable de séduire un jeune homme charmant sans s’affoler. Parfois elle enviait toutes ces femmes sculpturales pleines d’aplomb. « On peut aller faire un tour si tu veux. Sauf si tu préfères rester là, à ce comptoir de bar. »


@Isaiha J. Buchanan

© ACIDBRAIN

« Le grand secret. »
isaiha & lily

La conversation prenait des allures étranges. Pas dans la forme, ni dans les paroles échangées. Plutôt dans les regards. Des regards qu’elle connaissait car même si elle n’avait pas une expérience longue comme le bras, elle en avait déjà appris les codes. Ce sont les regards que s’échangent ceux qui se cherchent sans savoir comment se trouver. Lily était toujours partie du principe qu’elle ne pourrait jamais avoir de relation avec quelqu’un pour qui elle n’éprouvait rien. Elle n’avait jamais compris ceux d’ailleurs qui font des relations éphémères un principe de vie, et qui collectionnent les corps anonymes sans plus savoir à la fin ce que cela a bien pu leur apporter. Elle ne comprenait pas la consommation des chairs à outrance, ceux qui pensent qu’aimer s’apprend dans l’anonymat. Pourtant elle avait cette envie qui naissait au creux de son ventre : de voir et d’être vue, de cesser de se poser mille questions et dilemmes. Se sentirait-elle mieux dans sa peau si elle s’adonnait à ces plaisirs illusoires qui ne durent que le temps d’un soupire ? Sans doute pas. Mais elle ne pourrait pas se sentir pire pour autant. A avoir trop longtemps côtoyé la mort, à l’avoir considérée comme compagne, elle en avait oublié d’apprendre à vivre, de profiter des instants qui se présentent puisqu’il n’y en aura peut-être plus d’autres. Et puisqu’elle était incapable d’aimer avec son cœur pour l’instant, pourquoi ne le pourrait-elle pas avec son corps ? Qu’y avait-il de mal à cela ?

« Tu me donnes l’impression d’être une énigme à déchiffrer. C’est presque …Plaisant en réalité. » lui répondit-elle avec douceur, un sourire suspendu à la commissure de ses lèvres. Une gorgée plus tard elle avait terminé son verre, et les effluves de l’alcool lui réchauffaient agréablement le ventre. Elle n’avait pas assez bu pour être inconsciente, mais assez en tout cas pour être détendue. Ce qui facilitait l’échange en un sens, et des deux côtés, maladroits qu’ils étaient à se tourner autour. « J’ai plein de défauts pourtant … Cela rendrait le travail d’une beauté imparfaite. » Si gauche puisse-t-il se sentir, Lily ne s’en rendait pas trop compte. Elle aimait la façon dont il avait de s’exprimer, employant des métaphores qui lui parlaient plus que d’autres parce qu’ils étaient passionnés par la même chose : l’art, dans ce qu’il a de plus brut et de délicat. Employer ces termes là avec elle valait plus que n’importe quelle phrase séduisante surfaite. « Oui allons-y. » dit-elle finalement, se laissant glisser du tabouret de bar, marchant à ses côtés jusqu’au vestiaire du Casino où elle récupéra son manteau.

A l’extérieur il faisait un froid de canard, et un silence subtil s’était installé entre eux alors qu’ils foulaient enfin ce fameux parc dont il lui avait parlé. Il n’y avait pas un chat. Ou si, justement, un chat était étendu sur un banc, entrain de s’accorder un petit somme. Mais à part lui il n’y avait pas âme qui vive. Seuls les lampadaires et les devantures lumineuses des établissements alentours se réverbéraient dans l’obscurité pour égayer la nuit. Inconsciemment, avec délicatesse, sa main avait fureté du côté d’un pan de sa veste, jusqu’à glisser ses doigts autour des siens, affublant d’une caresse presque craintive chaque phalange, décrivant une arabesque sur sa paume qu’elle trouvait immense par rapport à la sienne. N’osant le regarder au début, au cas où il trouverait son geste trop aventureux, elle l’interpella pourtant du bout des lèvres. « Isaiha ? » Elle attendit qu’il se soit arrêté, qu’il la regarde enfin. Dans sa cage thoracique elle sentait les battements de son cœur qui pulsaient à un rythme effréné, né de la crainte d’être rejeté, et de l’envie irrépressible en même temps d’oser. Délaissant l’habit de réserve derrière lequel elle se murait d’habitude, avec lenteur elle se permit d’effleurer la rugosité de sa joue avec le revers de ses doigts, effleurant sa lèvre inférieure avec son pouce, comme suspendue à son souffle. « Montre-moi … Montre-moi comment tu sculptes. »  Avait-elle finalement murmuré à l’orée de ses lèvres, se hissant sur la pointe des pieds jusqu’à pousser l’audace au point de l’embrasser, mais au début avec cette prudence toujours, qui trahissait sa crainte d’être rejetée.



@Isaiha J. Buchanan

© ACIDBRAIN