Douze avril mille neuf cent quatre vingt douze, je pointais le bout de mon nez en plein milieu de la nuit - chiante dès la naissance. Autant dire que le signe astrologique du Bélier est fait pour moi : fonceuse, ambitieuse, déterminée, aventureuse. Mes parents l'ont vite découvert à leurs dépends. Je suis la première d'un fratrie de quatre enfants : Sofia est ma première soeur, nous n'avons que dix mois d'écart, nos parents ont vite fait leur affaire disons nous. Le troisième, c'est Sven, il y a eu vingt et un ans le jour de Noël, si c'est pas mignon. Et la petite dernière, c'est Kallista, elle vient tout juste de fêter ses dix ans, c'est un peu ma petite protégée. Je ne m'entends pas très bien avec les deux autres, nos caractères s'avèrent être relativement différents et nous n'avons pas pris les mêmes voies dans nos vies. À ce propos, mes parents m'en ont beaucoup voulu d'avoir quitté la Russie. En effet, j'avais absolument tout ce dont une jeune fille pouvait rêver : l'argent, la popularité, la beauté, la réussite. Ce n'est pas pour autant que je voyais ma vie d'adulte là bas. J'avais soif de découvrir de nouveaux horizons.

J'ai passé toute mon enfance dans la capitale, à Moscou, dans une somptueuse villa. Mes amis m'enviaient énormément. Je ne sais plus de combien est la surface de notre maison mais c'est absolument démentiel. Bien que le cadre paraisse idyllique, mes relations avec les membres de ma famille se sont bien vite dégradées. J'ai commencé à boire, à fumer, à me droguer, et mes parents en ont vite eu vent par le biais de Sofia. Je me cherchais. Et je peux même dire que je me cherche toujours sur certains points. J'ai été privée d'un tas de choses mais ça ne m'a pas empêché de continuer mes conneries. Ça forge.

Brillante, j'ai été détectée surdouée par un spécialiste à l'âge de sept ans. J'ai toujours réussi à plus ou moins le cacher, bien que mes camarades de classe se posaient souvent des questions quand je n'amassais que des notes excellentes. N'ayant pas pour habitude de travailler énormément, j'ai pris goût au dessin, très jeune. On peut me laisser avec un crayon pendant des heures, je ne me lasse pas. J'adore dessiner, peindre et ébaucher de nouvelles choses quand mon temps libre me le permet.

Un des événements marquants de mon adolescence, c'est Kirsan, mon premier amour. Je ne m'étais jamais posée avec un quelqu'un, j'avais quinze ans à l'époque. Je suis tombée folle amoureuse de lui au fil des jours, des mois puis des années sont passées. Il était détesté par mes parents - il n'a jamais pu poser un pied là bas, à part quand mes parents s'absentaient pour une raison ou une autre. Malgré l'amour que l'on se portait, notre relation était destructrice, ravageuse et néfaste pour moi. On se droguait, on s'engueulait, on se battait même parfois. J'ai énormément souffert de notre relation à la fin. Mes amis et ma famille avaient beau me dire de le quitter, je l'aimais, je ne pouvais pas me résigner à l'envoyer balader comme s'il n'était rien. J'ai réussi à prendre ma décision quand mon frère m'a avoué que Kirsan me trompait. Depuis des mois. Nos trois ans de relation se sont envolées à partir de ce moment-là. C'est surtout à cet instant que j'ai su me reprendre en main, le cœur en mille morceaux et l'esprit totalement ravagé.

J'avais dix-huit ans quand je me suis retrouvée seule du jour au lendemain. C'est très dur à gérer au début, la solitude. J'ai eu énormément de mal à m'en remettre, et je ne pouvais pas compter sur mes frères et sœurs pour cela. J'ai trouvé du réconfort auprès de mes amis, ou de Kallista qui avait tout juste cinq ans. Pour elle notamment, j'ai arrêté toutes mes conneries. Je ne voulais pas montrer le mauvais exemple. J'ai beaucoup changé depuis l'adolescence, je ne suis plus cette jeune femme non conformiste et complètement dépassée par la drogue. On peut dire que je me suis assagie, et surtout que je me suis sevrée. Voyant cela, mes parents ont accepté que je parte étudier à Harvard, la plus prestigieuse des universités du monde. Sans aucune surprise, mon dossier avait été acceptée. Et sans surprise, je m'étais dirigée en l'architecture, ainsi qu'en français - j'ai toujours adoré ce pays où je passais nombreuses de mes vacances étant plus jeune.

Je prenais enfin mon envol pour autre chose, coupant les ponts avec la Russie une bonne fois pour toutes. Peut être que je ne m'y étais jamais sentie réellement à ma place. Bien que mes rapports soient toujours tendus avec mes parents, ces derniers m'ont promis de m'aider financièrement jusqu'à la fin de mes études - et au delà, même s'ils ne me l'ont pas dit. Je suis née une cuillère en argent dans la bouche, et ça ne changera jamais, je le sais pertinemment. J'ai besoin de me sentir en sécurité vis à vis de ça.

Depuis que je suis à Harvard, j'ai connu des tas d'événements plus dramatiques les uns que les autres : l'attente à la bombe, les prises d'otages... J'ai une vie plutôt rythmée il faut le dire. Je suis rentrée en quatrième année d'architecture et français. Je parle couramment maintenant, et je peux me rendre en France quand ça me plaît sans avoir peur d'être totalement paumée. Je suis très peu retournée à Moscou, à part pour quelques fêtes de Noël et surtout pour voir ma petite sœur qui me manque énormément. Je ne regretterai jamais ma vie là bas, appréciant bien trop celle que j'ai aujourd'hui à Boston.