Je ne savais pas trop comment interpréter le comportement de Roxanna. Elle avait l’air à la fois totalement confuse et déboussolée, mais aussi terriblement gênée, alors que je ne comprenais pas trop pourquoi, car elle n’avait pas du tout à l’être. Elle avait raison, à notre âge, à force de côtoyer autant la mort, ont fini par se dire qu’il ne faut pas perdre son temps à s’empêcher de faire des choses qu’on a envie de faire, mais qu’on ne fait pas de peur de gâcher notre jeunesse ou notre vie. Car la vie pouvait s’arrêter à tout moment, que ça soit à vingt ou à cinquante ans. Et en ce moment, la vie faisait vraiment sa grosse salope avec nous, alors on est jamais trop prudent. Je demandais alors à Roxanna pourquoi elle me poser cette question, mais elle baissa assez vite son regard, riant nerveusement avant d’annoncer, « C'est sans importance chéri.. » Je continuais de la regarder, ça n’avait pas l’air d’être sans importance puisque ça avait l’air de la préoccuper, mais ça ne servait à rien d’insister, si elle voulait me parler de quelque chose, elle savait qu’elle pouvait le faire et ça, sans aucune gêne. Je la laissais m’attirer vers elle pour la prendre dans mes bras quelques secondes avant qu’elle ne me lâche pour traverser à nouveau la chambre sous mon regard perplexe. « J'pars dans mes délires, ça doit être le confinement qui me fait dire et penser n'importe quoi voilà tout... » J’haussais les épaules et je m’approchais du lit pour retirer mon t-shirt puis mon jean pour rester en boxer. J’allais poser mes vêtements sur la table de la chambre, les pliant correctement pour ne pas les froisser même si j’en avais pris de rechange. « Tu ne dis pas n’importe quoi… après je sais pas à quoi tu penses mais tu peux m’en parler tu sais », répondais-je en regardant rapidement Roxanna avant de me rediriger vers le lit, me laissant tomber dessus. Je souris en me rappelant à quel point les lits de cet hôtel étaient confortables, bien plus confortables que ceux dans les chalets du Summer Camp. Je restais allongé sur le ventre quelques instants avant de me redresser pour m’asseoir en tailleurs sur le draps, tendant la main vers Roxanna pour qu’elle vienne me rejoindre.

J’avais l’impression que Roxanna pensait beaucoup trop. Elle avait l’air vraiment perturbée, comme si quelque chose la tracassait mais qu’elle n’osait pas me dire quoi exactement. Pourtant, au risque de me répéter (tousse) elle savait très bien qu’elle pouvait tout me dire, sans que je ne porte aucun jugement ou quelque chose dans le genre. Je finis donc par me mettre à genoux sur le lit, lui tendant ma main pour qu’elle vienne me rejoindre et qu’elle arrête de faire les cent pas dans la chambre parce qu’elle allait finir par me donner le tournis si elle continuait. Elle avait l’air d’hésiter quelques secondes puis elle s’avança vers le lit, pour s’y assoir en tailleur face à moi. Je m’asseyais également plus confortablement, ne la quittant pas du regard alors qu’elle attrapait finalement ma main. « J'suis désolée si j'ai l'air un peu névrosée sur les bords bébé.. » Je souris légèrement et j’haussais les épaules, je comprenais qu’elle soit un peu déboussolée, mais à vrai dire, je pensais plus qu’elle se mettrait contre moi pour pleurer un bon coup, comme elle avait fait quand elle était venue m’apprendre la mort de sa meilleure amie une semaine plus tôt. Je fermais les yeux lorsqu’elle se pencha pour embrasser ma joue, c’était le genre de chose dont je n’avais plus beaucoup le droit en ce moment. « Le plus important c'est que je t'aime, et tu m'aimes, on est jeunes, et j'dois arrêter avec mon pessimisme. » J’ouvrais les yeux pour la regarder, fronçant légèrement les sourcils. Mais de quel pessimisme me parlait-elle ? Elle n’avait rien dit, comment est-ce que je pouvais la qualifier de pessimiste ? J’allais ouvrir la bouche pour dire quelque chose, mais elle lâcha d’un coup ma main pour s’allonger sur le lit, dos à moi. Je soupirais légèrement et je me penchais vers la table de chevet pour éteindre la lumière, nous plongeant dans le noir. Je m’allongeais alors aussi, m’approchant d’elle, collant mon torse contre son dos en passant mes bras autour de sa taille. Je posais mon front contre l’arrière de sa tête, sentant doucement le parfum de ses cheveux blonds. « Je vois pas pourquoi tu dis être pessimiste… et puis au fond... j’m’en fou qu’tu le sois, j’suis toujours pessimiste alors tu sais quoi ? Pour une fois, j’vais faire l’optimiste, et toi tu peux faire ta pessimiste… » Je me redressais un peu pour pouvoir voir son visage, ajoutant doucement, « T’es sûre que ça va… ? J’ai l’impression que quelque chose te tracasse… »

Roxanna n’était pas du tout le genre de fille qui va se plaindre aussi facilement. Et je voyais bien que quelque chose la tracassait. Je ne m’attendais pas à la voir dans son état normal, mais je ne m’attendais pas à la trouver aussi tendue, aussi préoccupée. Et même si j’avais envie qu’elle me dise ce qui ne va pas, je n’allais pas m’acharner trois ans à essayer de savoir. Si elle ne voulait pas m’en parler, tant pis pour elle. J’étais beaucoup trop fatigué pour lui faire passer un interrogatoire. « Oui.. Oui oui ça va... » J’haussais les épaules et je me rallongeais correctement derrière elle, me disant que tant pis, je renonçais à savoir de quoi il s’agissait. Je fermais les yeux, décidant qu’il était peut-être venu le temps de dormir quand tout à coup, sa voix résonna dans la chambre. « Non ... En fait non ça ne va pas. » Je fronçais les sourcils, la sentant s’agiter d’un coup, me faisant ouvrir les yeux pour la regarder alors qu’elle s’était tournée face à moi. Je la laissais prendre une de mes mains, de la même manière que tout à l’heure, la serrant doucement dans la sienne. Tout à coup, je pensais que le problème venait peut-être de moi, et que c’était aussi peut-être pour ça qu’elle était distante. Et si elle regrettait les fiançailles ? Et si…elle voulait rompre ? Ça a l’air con maintenant, mais sur le moment, c’était les questions que je me posais. « Tu te souviens de ... Notre discussion quand on venait d'arriver au Summer Camp... La fausse alerte ... » J’hochais la tête positivement, bien sûr que je m’en souvenais. Enfin, si elle parlait de celle que nous avions eu lorsqu’elle pensait être enceinte et qu’en fait, elle ne l’était pas. Elle avait eu peur de me réaction et je l’avais rassurée en lui disant que si elle avait été enceinte, j’aurais été plus heureux qu’autre chose. Est-ce qu’elle…était enceinte ? Elle semblait très gênée, tellement qu’elle calla son visage contre mon torse. Je baissais mon regard pour la regarder, « J'sais qu'on a dit qu'on voulait avoir un enfant l'moment venu mais ... Depuis le départ de Billie j'ai .. J'ai peur de ce qui adviendrait si je devais m'y prendre trop tard, et .. » Je passais ma langue entre mes lèvres, ayant peur de ne pas totalement comprendre ce qu’elle était en train de me dire. « Je veux plus prendre mon temps, si la vie peut être aussi éphémère ... J'veux plus.. » Plus prendre son temps ? Est-ce qu’elle était en train de me dire qu’elle voulait avoir un bébé ? Nous venions de perdre une amie commune, elle avait perdu sa meilleure amie, et elle, elle voulait quoi ? Un bébé ? Je dois bien avouer que j’avais un peu du mal à comprendre. « Pourquoi est-ce qu’on s’y prendrait trop tard ? On a la vie devant nous… », murmurais-je doucement avant de soupirer, comprenant enfin le lien entre ce qu’elle venait de dire et tout à l’heure, quand elle essayait de me faire comprendre qu’elle avait peur que la vie soit trop courte pour faire tout ce que nous avions envie de faire ensemble. Je me reculais un peu, glissant mes doigts sous son menton pour soulever sa tête, l’obligeant à me regarder avant de demander calmement, « Tu crois que c’est le bon moment ? » Je souris un peu et j’ajoutais, « Comment tu vas faire pour danser quand t’auras un ventre gros comme un ballon de basket ? Quand t’aura les hormones en vrac et que tu… » Je me coupais, reprenant soudainement mon sérieux avant de dire, « ..tu veux vraiment qu’on ait un bébé ? C’est ça que tu me demandes ? Ça se trouve, demain t’aura déjà changée d’avis.. »

Je dois dire que si il y avait bien quelque chose à laquelle je ne m’attendais pas, c’était bien à ça. Je savais bien que Roxanna avait été déçue lorsque le test de grossesse qu’elle avait fait était négatif, au point de pleurer toutes les larmes de son corps, mais je pensais que c’était uniquement parce qu’elle s’était donnée de faux espoirs, se pensant enceinte. Là, elle me réclamait carrément de lui faire un enfant, ce qui impliquait tellement de chose. J’avais déjà Samara qui était enceinte et qui allait accoucher courant Août et maintenant, c’était Roxanna qui voulait un bébé. Ca impliquait qu’on doive vivre ensemble à la naissance du bébé ? Avec mes études de médecines, et en entrant en internat, j’allais passé le plus clair de mon temps à l’hôpital, et quand je ne serais pas à l’hôpital, ça sera pour travailler mes cours afin de réussir mon internat et enfin devenir médecin. Je n’aurais pas le temps de m’occuper d’elle ou d’un bébé, sans compter qu’elle aussi avait des études, et des études qui demandaient à être dans une très bonne forme physique, et pas enceinte. « Je.. » J’avais regretté mes paroles dès qu’elles étaient sorties de ma bouche. Je me doutais bien que ça n’était pas qu’un caprice, une chose non réfléchie qu’elle me demandait, sinon, elle ne m’en aurait pas parlée. Mais je dois bien avouer que ça me faisait un peu peur. Décider de faire un enfant était quelque chose d’important. Elle secoua la tête et baissa son regard vers le lit, « Je fais que penser à ça depuis des jours .. Depuis qu'on est rentré de Boston en fait.. » Je passais ma langue entre mes lèvres, me sentant tout à coup…nerveux et mal à l’aise. Jamais je n’aurais pensé parler d’avoir un bébé avec elle aujourd’hui, ni même ce mois-ci ou dans l’année à venir à vrai dire. Elle lâcha mes mains, et j’étais totalement immobile, ne bougeant pas d’un pouce, peut-être sous le « choc » ? Je la regardais, ne sachant pas quoi dire, aucun mot ne sortait de ma bouche. « J'passe vraiment pour une folle.. » J’hochais tout de suite la tête de droite à gauche, négativement. Je passais à mon tour ma main dans ses cheveux et j’inspirais un coup avant de dire, « Mais non t’es pas folle… » Je souris un peu et j’haussais les épaules. Je ne savais pas trop si je devais lui donner une réponse maintenant, ou si il fallait que l’on en discute tous les deux avant de prendre une quelconque décision. Et en discutais me semblait être un bon compromis. « Comment tu vas faire pour la danse ? », murmurais-je avant de reprendre sa main dans la mienne. « Et…ça inclurait le fait qu’on vive ensemble dans un peu plus de neuf mois ? » Je ris un peu et je me pinçais la lèvre inférieure, ajoutant, « On fait tout à l’envers…normalement je suis censé te demander de vivre avec moi, ensuite te demander en mariage et après qu’on ait un bébé… » Mon sourire s’effaça en repensant à toutes les contraintes, « J’ai même pas d’argent pour me payer un appart’…j’ai déjà tout juste pour Harvard avec ma bourse… j’pourrais pas subvenir à vos besoins à toi et au bébé, tu le sais ça ? » Je me sentais carrément honteux, normalement je devrais pouvoir lui payer cette chambre d’hôtel, nous offrir un bel appartement mais j’étais fauché alors que Roxanna méritait d’avoir le meilleur.

Il allait falloir peser le pour et le contre pour être sûr que l’on ne regretta pas cette décision. Ça n’était pas rien, avoir un bébé et ça signifiait beaucoup plus de responsabilités à prendre que des fiançailles. Néanmoins, l’idée ne me faisait pas peur. J’avais déjà été père une fois, alors ça n’était absolument pas la paternité qui m’effrayait, au contraire. Kyle avait été une des meilleures choses qui me soit arrivé ces dernières années et j’étais sûr que d’avoir un bébé avec la femme que j’aime ne serait pas une erreur. Mais les plus grosses répercutions seraient sur la jeune femme, avec la prise de poids, les examens médicaux, le regard des gens aussi. On avait beau être à la fac, nous étions encore relativement jeunes quand on pense qu’aujourd’hui, les femmes ont des enfants à environ une trentaine d’année et plus une vingtaines comme dans le passé. « Je sais plus si je veux devenir danseuse ou photographe.. Devenir danseuse impliquerait de voyager, et surtout, ne jamais avoir de famille, et je veux pas ça. » Je me mordais la lèvre inférieure, ça m’étonnait qu’elle me dise ça, elle ne m’en avais jamais parlée. Mais si elle ne voulait plus faire ça, qu’allait-elle faire ? Je ne lui posa pas la question, et je lui parlais du fait qu’on doive emménager ensemble. C’est vrai, nous n’avions tous les deux plus de parents, donc personne pour garder le bébé en semaine comme ma mère faisait avec Kyle. Emménager ensemble était la seule solution possible, « Pas .. pas forcément si c'est pas c'que tu veux .. » Je fronçais les sourcils et je secouais tout de suite la tête, « Sois pas idiote Rox…j’adorerai vivre avec toi », dis-je à la jeune femme pour la rassurer. Je devais avoir l’air d’un idiot en ce moment, elle allait finir par croire que je ne voulais pas d’elle ou d’un bébé avec elle. Tout à coup, la jeune femme vira au rouge tomate, sans que je comprenne pourquoi, « Je sais oui.. pardon t'as raison. C'est n'importe quoi. » Nouveau froncement de sourcils, je regardais Roxanna, secouant la tête à nouveau et j’allais ouvrir la bouche pour dire quelque chose quand elle lança, « J'ai oublié de.. Me laver les dents. » Elle sauta d’un bond hors du lit pour courir dans la salle de bain, et j’entendais clairement le verrou de celle-ci se tirer. S’enfermer pour se brosser les dents ? Je savais tout de suite que j’avais merdé, à encore une fois lui faire croire que je ne voulais pas d’un bébé avec elle alors que ça n’était pas ça du tout le problème. Je me levais immédiatement, toquant à la porte de la salle de bain, « Roxanna… c’est pas n’importe quoi… » Je soupirais et je m’asseyais contre la porte, dos à celle-ci en callant ma tête sur le bois, regardant droit devant moi. « J’te pose juste toutes ses questions pour être sûr que c’est ce que tu veux… » Je me mordais la lèvre, un peu hésitant sur ce que j’allais lui dire. Tout ce que je voulais, c’était qu’elle soit heureuse. Et si avoir un bébé la rendait heureuse, alors soit. « Si tu crois qu’avoir un bébé pourra te rendre heureuse…si t’es consciente de tout ce dont je t’ai parlé alors… ayons un bébé. » Je souris un peu et j’haussais les épaules, même si elle ne le voyait pas, « Mais j’te préviens, j’veux pas être ton esclave quand t’auras toujours envie de fraises ou que tu rentreras dans la période où t’auras envie de faire l’amour n’importe quand et n’importe où ! » Je me reculais un peu pour regarder la porte, « Allez sors de là… »