J'étais clairement en train de perdre pied et de faire n'importe quoi. En une semaine, j'étais prête à redevenir celle que j'ai voulu fuir au cours de cette année. Cette fille renfermée et repliée sur elle même, refusant la présence de quiconque, et fumant à gogo cigarette sur cigarette. Je ne m'attendais pas à ce que Jude me voie fumer, et je ne m'attendais pas non plus à ce qu'il m'allume littéralement par sms... Aussi, je ne m'attendais pas à ce qu'il m'avoue être attiré par la drogue qui circulait dans le bâtiment des garçons pas loin du mien. Ma réaction ne se fit pas attendre puisque j'ai directement attrapé un sac pour y fourrer un tas d'affaires avec ma trousse de toilettes, et pris ma voiture pour conduire jusqu'au chalet des garçons ou j'ai été récuperer Jude. Nous étions clairement tous les deux en train de plonger et je ne supportais plus cette situation, un peu de distance avec le Summer Camp nous ferait le plus grand bien, et quitte à payer plusieurs jours à l'hôtel, soit. Après tout je ne m'étais autorisé aucune grosse dépense depuis mon arrivée au Vermont, et ce n'était pas comme si j'étais sur la paille, après tout, bien au contraire. En un petit quart d'heure nous sommes arrivés à l'unique hôtel du coin, à savoir l'hôtel de Jay Peak. J'ai pris une chambre, certes pas la suite de luxe, mais tout de même une pas mal, histoire de ne pas vivre enfermés dans un trou à rat pour quelques jours. Une fois dans la chambre, Jude posa ses affaires dans l'entrée alors que je lâchais mon sac en fermant les rideaux. La nuit tombait seulement sur la ville, tardivement, mais même si le soleil apparaissait encore à l'horizon, je ne voulais pas le voir. « Bon…j’espère que ça ira cette nuit… » Jude referma la porte de la chambre et je me tournais vers lui en faisant un faible sourire, m'approchant de lui. Immédiatement il attrapa ma main que je serrais doucement. « J’voulais pas te prendre la tête tout à l’heure…c’est juste que…je m’inquiète vraiment pour toi.. » Je fronçais les sourcils légèrement, bien sur que je savais que ce n'était pas volontaire, et c'était logique qu'il s'inquiète pour moi. Dans le fond il avait même raison de le faire, même si je refusais un peu de l'admettre. « Je sais ... Je ... pardon... Je cogite beaucoup ces temps ci et j'fais n'importe quoi... » Je passais ma langue entre mes lèvres avant de lâcher la main de Jude pour retirer ma veste et la poser sur le dossier d'une chaise. « J'étais en train de ranger des affaires de Billie quand tu m'as envoyé ce sms ... J'fais que ça ces derniers jours, ranger. Progressivement. Et ça fait mal, alors je déconne.. Pardon. » Je m'asseyais sur le lit en regardant le sol, un air coupable sur le visage. Après tout, je n'avais pas le droit d'infliger d'avantage de soucis à mon fiancé.

Je voulais juste me débarrasser de tout ça au plus vite, en finir avec cette situation. J'aurais pu laisser les affaires de Billie en plan, mais c'était plus fort que moi, je ne supportais juste pas de voir Apple, ou Torrey, ou n'importe qui passer à côté de sa valise, de n'importe quoi lui appartenant. Alors j'avais progressivement tout rangé, objet après objet, chaque petit bibelot m'arrachant des larmes, dans une valise que j'avais planquée sous son lit ... ou du moins le lit dans lequel elle dormait encore il y a un peu plus d'une semaine. J'avais également défait ses draps, ne supportant plus même l'idée que ces draps ne puissent de toute manière, plus servir à rien. Personne n'allait rentrer au milieu de la nuit pour s'étaler sur le matelas et glisser entre les draps, recroquevillée contre l'oreiller... personne. Et ça me rongeait littéralement de l'intérieur, d'où le fait que je m'étais mise à fumer une clope. Puis deux. Puis de plus en plus. Alors que je disais ça à Jude, il vint s'installer à côté de moi sur le lit, alors que je gardais le regard rivé sur le sol de la chambre. « T’as pas à faire ça toute seule…j’aurais pu le faire avec toi tu sais…ça doit pas être facile ce genre de chose… » Oh que oui c'était pas facile, mais j'avais besoin de le faire. C'était une façon de m'exorciser, et surtout, j'avais besoin de ne plus avoir toutes ses affaires sous mon nez. Jude posa alors sa main sur mon genoux, et je tournais mon regard sur celui ci, sans dire un mot. « T’es pas toute seule, l’oublie pas… » Je me pinçais la tête avant de redresser mon regard vers lui, hochant doucement la tête de haut en bas. « Je sais ... T'en fais pas, ça va.. J'en avais besoin je pense... Et j'étais pas toute seule dans cette chambre, fallait ranger.. » Je passais ma main libre dans mes cheveux en soupirant. « Ca va, je te promets .. J'ai juste encore du mal... » Je haussais les épaules avant de poser ma main sur celle de Jude, sur mon genou. J'avais encore du mal à réaliser qu'elle m'avait quittée, alors qu'on parlait souvent de continuer de boire le même café au Starbucks de New York à 40 ans, ou d'autres conneries du genre. Le temps nous était passé entre les doigts plus vite que prévu

Avec Billie on avait prévu de faire tellement de choses, tellement d'autres conneries ensemble. Ecumer les bars en chantant des chansons horriblement, vivre près l'une de l'autre pour ne jamais perdre le contact, je pouvais même dire avec certitude qu'à mon mariage, j'aurais voulu qu'elle soit mon témoin et ma demoiselle d'honneur, mais aussi, si je devais avoir un enfant, j'aurais voulu qu'elle en soit la marraine. Billie a toujours été la seule et unique à me soutenir en toute circonstance, dans les bonnes comme les mauvaises choses, et maintenant qu'elle était partie, je n'étais pas sûre et certaine d'être en mesure de tenir le coup. Cependant, je m'accrochais, car si au début de l'année je n'avais qu'elle, aujourd'hui j'avais Jude. Ce même Jude qui venait de prendre ma main dans la sienne d'un geste rassurant, pour manifester sa présence. Je savais que je n'étais pas seule, que lui aussi était là, présent pour moi, attentif. Mais je savais également qu'il souffrait, énormément, et je ne voulais pas en ajouter à sa douleur. « C’est normal… Ça finira par passer… » Mon regard oscilla un temps entre son pouce qui caressait ma main, et son visage. Je déglutis avant de hocher doucement la tête, fronçant à peine les sourcils. « Tu l’as dit toi-même à notre premier rendez-vous…on peut tout surmonter si on est ensemble… » Bordel, si je m'étais seulement douté que je devrais appliquer à nouveau ce conseil sur nous deux... Je hochais la tête, esquissant un faible sourire en réponse au sien. « T'as raison... » Je soupirais à nouveau, secouant la tête avant de me redresser. « On est pas venus pour s'étaler sur ma misère, allez. » Je traversais la chambre pour m'appuyer sur la table, pensive. « T'as mangé ? Tu veux faire quelque chose en particulier ..? » On était bien loin de l'euphorie dans laquelle nous étions la dernière fois que nous avions passé les portes de cet hôtel. Je croisais les bras, gênée, ne sachant pas trop comment agir, quoi faire, comment, pourquoi. Rien, en fait.

Ces temps ci je n'arrêtais pas de cogiter, de me réveiller en pleine nuit, après un énième cauchemar au cours duquel je perdais les gens qui m'étaient le plus cher. En particulier Jude. Ou pire encore, une fois j'avais carrément fait un cauchemar au cours duquel je devais assister, impuissante, à la vie si je devais partir moi-même. Toutes ces choses que je voulais faire et qui m'étaient désormais incertaines.. Je voulais devenir une grande danseuse, ou une photographe même, me marier, avoir des enfants, acheter un appartement ou une maison, n'importe quoi, tous ces petits détails qu'une fille rêve de vivre... et pourtant la mort je l'avais déjà frôlée. Billie, elle, n'avait pas su l'éviter. Alors quoi, je devais jouer à la roulette russe avec mon existence, prier pour que rien ne nous arrive et qu'on soit chanceux, qu'on puisse vivre notre vie de couple heureux ? Ca me rongeait intérieurement, mais je n'osais pas en parler avec Jude ... Je ne voulais pas jouer les pessimistes, alors que d'habitude, je suis optimiste. Lui aussi avait besoin de mon soutient, malgré les apparences. Jude attrapa mon poignet et se mit face à moi, avant de poser ses deux mains sur mes épaules. « Je n’ai pas faim, merci…et je ne veux rien faire de particulier juste…m’allonger avec toi et essayer de dormir, de…nous calmer parce que toute cette histoire est en train de nous bouffer de l’intérieur… » Je me pinçais la lèvre et je hochais la tête. Je comprenais parfaitement, il avait raison, nous étions littéralement à cran ces derniers temps, et un peu de calme ne nous ferait pas de mal. « Mais toi si t’as faim, commande toi un truc… »Je secouais la tête de gauche à droite avant de dire : « Nah.. j'ai pas faim.. » Je fermais doucement les yeux en sentant la paume de la main de Jude effleurer ma joue lorsqu'il attrapa une de mes mèches de cheveux pour la remettre en place. Je souris faiblemetn. « Et si y’a quoi que ce soit que j’puisse faire pour que t’aille mieux…hésite pas à me le dire…même si t’a envie qu’une nuit j’vienne te rejoindre à trois heures du mat’ parce que t’arrive pas à dormir…n’importe quoi… » Je ris doucement, gênée, avant de le regarder s'éloigner jusqu'à la salle de bain avec ses affaires. Je soupirais avant de moi-même me tourner vers mon sac que j'ouvrais, en sortant un tee shirt ample tout con. J'avais pas eu le courage de chercher un pyjama bien sexy, je dois l'avouer. je retirais rapidement mon tee shirt et mon short pour m'habiller, avant de me mettre à tourner en rond dans la chambre. J'ai même pris la peine de me coiffer, démaquiller, de ranger quelques affaires, avant de m'assoir en tailleur au pied du lit. Jude revint dans la chambre, et je me redressais sur mes genoux, l'air pensif, avant de l'attraper par la main pour l'approcher de moi. « Jude ... » Je passais ma langue entre mes lèvres avant de l'embrasser doucement. « Tu sais que je t'aime, hein..? » Je fronçais les sourcils avant de redescendre du lit, lâchant la main de Jude pour aller près de la fenêtre en croisant les bras. Je tirais un peu le rideau pour regarder le paysage avant de souffler d'un air distrait, presque comme si j'avais l'impression de penser : « T'as .. Jamais eu peur à la fois d'aller trop vite, mais trop lentement ? J'veux dire... Pas vouloir brûler les étapes, et en même temps avoir peur de s'y mettre trop tard.. » Je m'embrouillais totalement. je secouais la tête, recouvrant mes esprits, avant de balbutier « Nan, rien. » A nouveau, je traversais la chambre pour aller sortir une ou deux fringues de mon sac.

Je ne sais pas ce qui me prenais, de me mettre à parler comme ça. Agitée, des milliers de choses me traversaient l'esprit en même temps, et sans doute cela jouait sur mes nerfs, mes réactions... A tel point que je me mettais à balancer des choses sans le moindre sens à Jude... Du moins, ayant du sens dans mon esprit, mais qui, une fois passé la barrière de mes lèvres, ressemblait plutôt à un amas de conneries ou le délire d'une psychopathe. Je traversais la chambre, me mettant alors à plier deux tee shirts que j'avais mis en boule dans mon sac plus tôt. Cependant, ma phrase n'était apparemment pas tombée dans l'oreille d'un sourd puisque mon fiancé répondit : « J’ai toujours eu peur d’aller trop vite…surtout par rapport à…à nous mais depuis ce qui est arrivé à Billie…j’ai peur de pas aller assez vite…peur qu’il arrive quelque chose à l’un d’entre nous et qu’on ait pas pu vivre tout ce qu’on voulait vivre tous les deux… » Je lâchais d'un coup le tee shirt que j'avais entre les mains, mon estomac se contractant. Il pensait comme moi alors ? Je sentis les doigts de Jude autour de mon poignet et je pivotais à nouveau pour lui faire face en un rien de temps : « Pourquoi tu me demandes ça.. ? » Je soutenais son regard un long moment, avant de baisser la tête en haussant les épaules avec un rire nerveux. « C'est sans importance chéri.. » Je le prenais rapidement dans mes bras pour l'étreindre doucement, avant de traverser la chambre à nouveau. « J'pars dans mes délires, ça doit être le confinement qui me fait dire et penser n'importe quoi voilà tout... » J'essayais de justifier comme je le pouvais cet élan de folie, bien que sachant que dans le fond je pensais parfaitement ce que je venais d'aborder. J'avais peur d'aller trop vite entre nous, mais en même temps de perdre un temps précieux à attendre pour vivre vraiment.. J'étais mitigée et ça me rongeait.