Et même si la vue des lèvres du british posées sur le goulot de ma bouteille ne trouve à me dégouter sur le coup, je reste possédé par la crainte de ne pouvoir sortir tous deux indemnes de cet incident. L'alcool ne nous réchauffera pas mais parviendra à nous donner cette légère sensation de brulure, effaçant de ce fait quelques douleurs irradiantes. C'est alors que Boden demande de l'aide, mon aide plus précisément. '' Tu va bien? assez pour remettre une épaule en place?'' Et moi qui d'habitude ne me serais pas fait plus prier pour lui arracher le bras dans la foulée, j'en suis présentement incapable et le premier désolé, pas avec une épaule en vrac et des cotes que je soupçonne fêlées. A moins que le futur médecin ne connaisse une autre technique... Cela dit, l'envie de le faire souffrir empiète sur la mienne petit à petit et je me demande presque si..... si je ne pourrais tenter l'expérience. Pour l'heure j'en suis à me replonger dans mes propres souvenirs du temps où le vieux McLane m'entrainait et m'inculquait les rudiments concernant ce genre de pratiques. Toujours debout à visionner le contenu de mon sac, on dirait que mon bof le fait exprès lorsqu'il me questionne: '' t'as un t-shirt à sacrifier? je comprends que tu préférais me laisser geler à mort ici mais faut s'aider là mec.. on se détestera plus tard enfin si tu veux, on continue la guerre des insultes.''  « Fait chier »  Et bien qu'il me soit difficile de me défaire de l'un d'entre eux, ma main empoigne l'un de ceux prévus pour ce merveilleux week-end avant de revenir me vautrer à ses cotés. Le t-shirt lui est cédé à contre cœur pendant que, à mon tour, je tente de me soigner moi même comme appris durant mes entrainements, faire sortir une articulation est chose courante dans le métier. Alors ramenant près de mon torse endolori le genou se trouvant du coté de l'épaule démise, l'autre jambe stabilisée à plat dans la tourbe, les mains liées sur la rotule, je commence à me pencher en arrière et exerce de ce fait une tension progressive sur mon bras et c'est l'épaule toute entière qui au prix de quelques efforts supplémentaires, retrouve dans un bruit cartilagineux étouffé sa place. Peut-être remise mais toujours aussi douloureuse, il est hors de question d'aider Boden dans ma situation et quand à cette technique, je le vois mal faire de même avec sa fracture dont l'aspect est à gerber.

Gaspiller un si bon Scotch.... Putain. A dire vrai, je regrettais d'avantage de lui avoir donné la bouteille que le t-shirt dont il fit quelques lambeaux histoire de se panser lui-même. Au moment de le serrer, il laissa s'échapper un juron qui ne m'échappa pas et auquel j'aurais pu sourire si je n'avais pas été moi-même penché sur mon propre cas. Il fallait boire plus mon gars, tu l'aurais moins senti passer la douleur. Après quoi, il fit quelque chose d'assez surprenant je dois dire et qui ne m'aurait certainement jamais traversé l'esprit: se frapper une fracture - ouverte qui plus est - avec la bouteille... Sans doute pour tenter de remettre en place l'os fracturé mais même moi - qui pourtant ai eu un brevet de secouriste à la mords-moi-le-nœud, forcé de part mon travail - je ne m'y serais jamais risqué, à la menace de ne l'avoir suffisamment désinfectée. Manquerait plus qu'il souffre bientôt d'une septicémie. Alors le regard suspicieux, je le mate se relever sans même prendre soin de proprement bander sa plaie et faire quelques pas en direction de la route, puis tenter vainement une écharpe avant de s’écrier: "T'aurai pu rester mort dans ton trou ! Ta sœur c'est habitué à ton absence et tu me pourris la vie! Putain ..t'aurai pu avoir le respect pour elle de rester qu'un putain de souvenir! " Ah enfin... le Dunster nous pique une colère digne de ce nom pour trois fois rien... S'il avait su conduire au moins. Alors me vautrant pour récupérer la bouteille qu'il a laissée derrière lui tachée de sang,  j'observe les quelques gouttes au travers du verre qu'il a daigné laisser, la secouant légèrement avant d'en boire une maigre gorgée.  « Et si t'avais pu y rester...  » que je lâche amèrement avant de me relever en prenant appui sur la carrosserie également. Le bras en vrac, une épaule qui ne ressemble plus à rien - enfin, déjà qu'il ne ressemble à rien au sommet de sa forme -  il boite et il croit pouvoir s'en sortir seul ce con... « Elle se fera également à la tienne !  » Abruti de Boden... Alors je le laisse prendre un peu d'avance, attends patiemment que son heure ne vienne, qu'il ne s'écroule faute d'avoir présumé de ses forces qui petit à petit s'amenuisent - ainsi que ses chances de survie - au fil de ses pas.

 C'est presque hilare de joie que je le vois s'écrouler à peine à une vingtaine de mètres de moi, ne visualisant de sa chute que le résultat. En piteux état mais j'ai déjà, par mon travail, vu bien pire que çà. C'est sans cacher mon rire qui me déchire pourtant sur place que je me fous de sa folie passagère, de ce regain de courage qu'il a cru se trouver en quelques secondes... " Ta gueule Clayton.. '' Ah, on en est au prénom complet. Première fois qu'il l'utilise ce qui n'éveille pas une certaine surprise et me coupe de ce fait toute envie de rire. Mais toujours amer de cette putain de famille, de tout ce qu'il représente - quoique tâtonnant sous mes doigts fébriles la carrosserie éventrée de sa berline, je peux assurer qu'il vient d'être amputé d'une bonne partie de sa fortune - j'exècre encore l'idée de pouvoir lui venir d'avantage en aide. Toujours appuyé sur la carcasse, je reste là, les chaussettes trempées, à scruter les alentours en quête de mes chaussures perdues dans le crash, sans doute éjectées au moment même où les vitres se sont brisées.  Mais rien, seulement des troncs éventrés, des branches pliées et ce dédale de boue par lequel la voiture a dévalé.  '' La fumée...'' Putain et le voilà qui divague déjà, n'ayant pas entièrement saisis à cette distance. Ce n'est que lorsqu'il lève le doigt vers la cime des arbres que je comprends: une habitation pas loin. Avec un peu de chance, ils auront le fixe et des habits secs pour nous réchauffer.

Mais en attendant, il nous faut bouger. « Putain...  » La bouteille de Scotche est jetée sans ménagement à coté pour pouvoir tituber dans sa direction et arrivé à sa hauteur, je l'observe un moment lui et ses pompes dont il n'aura plus besoin dans quelques temps... Moi oui par contre. Et par conséquent, je m'abaisse maladroitement pour les examiner d'avantage « Tu chausses du combien enfoiré...»

  ''Du..9? 10?'' Voilà qui est mieux, enfin une bonne nouvelle. Sur ce point, nous nous accordons et je n'aurais pas à le soulever pieds nus dans la neige. Mais à peine ai-je posé la main sur la chaussure qu'il trouve encore l'énergie nécessaire pour se défendre, fendant l'air jusqu'à choquer l'endroit de mes propres souffrances. J'atterris sur le cul à la renverse dans le manteau neigeux lorsque le comateux se met à beugler  '' tu vient me dépouiller ..avant de me ..tuer?'' Ma main campée sur l'endroit de l'impact, les traits crispés je réagis sans plus réfléchir en l'injuriant « Si seulement ça pouvait te faire fermer ta gueule!Quelle excellente idée. Le tuer après l'avoir dépouillé. Il aurait été plus judicieux de procéder dans le sens contraire. Et soudainement il se met à ricaner lorsque je m'allonge pour reprendre mon souffle, les côtes encore douloureuses suite à son coup. '' Désolé connard de ...zombie..allez fait ce que t'a ..à faire...mais..je veux..pas mourir...ta froid toi?'' Non juste des engourdissements ici et là. Chose logique puisqu'il suffit de nous regarder cote à cote quelques secondes pour savoir qui des deux est le plus ....enrobé. J'ai pour moi quelques dons de la nature comparé à Boden qui font que je suis plus apte à survivre à ce genre de situations. Voilà pourquoi sans doute j'ai beaucoup moins morflé que lui dans l'accident, plus entrainé, plus résistant. Alors à mon tour, je prends conscience du ridicule de la scène et me mets à rire convulsivement de cette farce grotesque: l'un à l'agonie et l'autre - son unique espoir de s'en sortir - qui l’exècre au plus haut point. Mais tout va bien... « Ouais... Mais c'est pas toi qui pourra me réchauffer...» Pour sûr, tu n'as pas l'échine d'Annalynne. Alors une main dans la boue glacée mêlée aux gravats que laisse transparaitre la neige fondue, je me redresse avant de prudemment chercher son bras, le valide tant qu'à faire sans quoi il chialera, et l'aide à se relever dans le but de faire quelques pas vers cette fumée.

Les lueurs du jour commencent doucement à décliner tandis que nous nous enfonçons un peu plus parmi les tronçons de bois et de résineux plantés ici et là par la main d'une quelconque divinité. '' Putain si on s'en sort vivant.. je te paye toute les tournées que tu veux..'' Quel élan de bonté, dommage que depuis le début d'année, j'ai pris cette foutue résolution de ne plus boire une gorgée...ou seulement qu'en cas d'extrême urgence comme cela l'a été pour la fiole précieusement gâchée. Les pas se font de plus en plus lents et lourds à mesure que les secondes s'égrènent, trébuchant de temps à autres sur les racines dissimulées par la fine pellicule de neige.  Et lorsque mon regard s'élève au ciel, pas pour une prière à la con je vous rassure bien que je sois croyant à mes heures perdues, j'observe une dernière fois la volute de fumée se dissipant dans les nuages empourprés par les derniers rayons et tente d'en apprécier la distance. Mais ce n'est qu'à présent qu'une pensée m'anime, sans doute un peu mieux remis du choc: je le sais pour avoir passé presque tous mes étés ici durant les dix dernières années ( ou presque): il n'y a aucune habitation dans les parages normalement, pas avant quelques bons kilomètres à ma connaissance. Mais nous n'avons d'autre choix que de continuer. Autant il peut s'agir d'un groupe de chasseurs ou de campeurs ayant établi son campement non loin d'ici pour la nuit. Au moins pourrons-nous être reconduits sur Boston au plus vite dans la soirée.

Quelques minutes plus tard et c'est ce que je craignais: il ne s'agit que de trois ou quatre gars armés venus se la raconter. Sur l'un des capots de leur pickup git une carcasse de cerf fraichement vidée, ficelée comme un trophée. Et subitement, je doute que ces hommes aient de permis pour s'adonner à une telle sauvagerie. De l'autre coté, trois s'affairent autour du feu de camp improvisé tandis que le dernier éventre un autre gibier pendu par les pattes. Alors que nous sommes toujours sous les branches boisées à l'orée, je préfère m’arrêter net avant qu'ils ne puissent nous repérer.  « J'doute que ce soit'une bonne idée. »

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