Où le vent nous mènera, avait-il dit en espagnol. Je l'avais tout de suite compris, comme quoi mes restes de castillan n'étaient pas si rouillés que ça. Je souriais. Ce qu'il me faisait craquer son petit accent .. et à me dire une chose pareille, j'avais l'impression de retourner à notre été, qui avait été tellement plein d'imprévus et de surprises. Ce que je n'aimais pas avant, mais que j'avais appris à aimé avec lui.
Je tournais à nouveau la tête vers la route et continuais mes observations en quête d'indices. Quelques minutes seulement plus tard, il prit une autre route plus étroite, ralentit, et fini par s'arrêter. Je sortis, et me laissant guider par ses paroles, le suivis, interrogative. Nous suivîmes un petit sentier, jusqu'à arriver à un poste d'observation où la vue dégagée laissait voir Boston de haut. C'était .. wow .. c'était magnifique. Moi qui n'avais jusque là pas eu l'occasion de visiter la ville, je commençais fort. Wow .. tu as eu une super idée, c'est superbe ! Je lui lançais à nouveau un sourire radieux, les yeux pétillants, puis je regardais autour de moi et vis des jumelles un peu plus loin. Je m'avançais vers elles, glissais une pièce dans le monnayeur et me baissais pour coller mon visage contre le métal de l'appareil. Chaque détails de la ville m'étaient maintenant révélé, et je les observais tous avec curiosité, bougeant les jumelles de gauche à droite à l'occasion. C'est plutôt pas mal comme ville .. y'a des choses incontournable que je devrais regarder ? Pour le coup, je ne connaissais vraiment rien de Boston. Ce serait l'occasion pour Alejandro de s'improviser guide touristique, une fois de plus.

Alejandro s'approcha à son tour des jumelles et m'indiqua les différents lieux incontournables de la ville. Le Bunker Hill Bridge, le Faneuil Hall -plutôt pas mal dans son genre dis en passant- la Custom Tower House .. je passais en revue ces lieux importants, prenant plaisir à découvrir la singularité de chacun. L'ancien Eliot se révélait être un très bon guide, mais ça, contrairement à cette matinée, ce n'était pas une surprise. Il l'avait déjà été lorsque je l'avais rencontré en Espagne, et ne semblait pas avoir changé sur ce point depuis. Je le sentis reculer alors que je restais là à regarder la ville à travers ces jumelles, scrutant chaque endroit singulier, regardant des personnes qui se trouvaient à quelques kilomètres de moi. J'étais plongée dans mes pensées lorsqu'il parla de nouveau, après s'est interrompis quelques minutes. Il évoqua le regard que j'avais eu lorsque nous étions en voiture, et évoqua l'Espagne. Ça me faisait bizarre qu'il fasse le rapprochement, ou qu'il se souvienne tout simplement du regard que j'avais à cette époque. C'était il y a tellement longtemps .. Parfois je me demandais ce qu'il pensait de tout ça, de cet été là, ou s'il partageait la nostalgie que je ressentais moi-même parfois. Oui, ça me traversait occasionnellement l'esprit, jusqu'à ce que je chasse ces pensées et retourne dans le présent, avec l'ami qu'il était devenu pour moi. Je soupirais, et me relevais avant de lui faire à nouveau face. Tu ne t'es pas trompé. Il me connaissait bien, et était fin observateur. Je restais muette quelques secondes et poursuivait. Je ne sais pas pourquoi .. je suppose que c'est parce que ma vie est un peu moins excitante ces derniers temps, un peu plus morne. Un peu comme quand je t'ai connu, en fait. Après tout, je m'étais habitué à Harvard désormais, et je n'avais pas quitté l'université depuis des mois, trop occupée à bosser. Je m'étais habitué à tout, ce qui n'étais pas forcément une bonne chose pour la personne en quête perpétuel de nouveau que j'étais. Ça doit être les révisions, je fais une overdose. ajoutais-je dans un rire, comme pour le rassurer.

J'aurais voulu prendre le premier avion pour une destination inconnue, partir loin, explorer. J'aurais voulu connaître à nouveau l'excitation des matins où l'on se réveille sans savoir de quoi la journée sera faite, où l'on vit au jour le jour, guidé seulement pas nos envies et nos rêves. Un sentiment que je n'avais pas connu depuis très longtemps, guindée et respectable comme je devais l'être pour un œil extérieur.
Alejandro posa sa main sur ma joue, et mon rire s'arrêta. Comme lorsque je lui avais dis que ma vie était morne, mon regard se fit plus sensible, plus vrai. A nu. Sa peau était douce, chaude. Il s'avança encore et déposa un baiser sur ma joue. Mon cœur se mis à battre plus rapidement qu'il ne l'aurait dû, et lorsqu'il recula, je lui lançais un regard vulnérable, presque supplicateur, qui dura une fraction de seconde. Je ne savais pas à quoi il jouait, mais cette intimité ne me laissait pas indifférente, et si je n'étais pas si raisonnée et raisonnable, j'aurais peut-être succombé à la pulsion qui m'avait prise à ce moment là. Il rit, et je sortis de mes pensées. Reculant à mon tour, je répondis à son défi par une moue taquine. Là, tout de suite ? C'était soudain et plutôt inattendue comme question, même si j'aimais plutôt ce retournement de situation. Je réfléchis quelques secondes, me mordillant la lèvre inférieure et répondis, comme une évidence; Je veux me baigner. Emmènes-moi où tu veux, je tuerais pour pouvoir piquer une tête, n'importe où. Je lui lançais un sourire radieux, fis quelques pas en arrière et, motivée par la tournure des évènements, repris la direction de sa voiture avec entrain.

Alejandro pressa à son tour le pas, et sembla s'amuser de mon entrain nouvellement retrouvé. Nous avions aussi ce point en commun, celui de l'amour de l'eau. Lui pour la mer, moi pour la nage, sport que je pratiquais depuis des années. Si j'avais besoin d'évasion, ou de réfléchir, la piscine était toujours le premier endroit où j'allais, alors c'était tout naturellement que cette idée m'était venue lorsqu'il m'avait demandé ce que je voulais faire. J'arrivais enfin à la voiture, et rentrais à l'intérieur dès qu'il l'ouvrit. Ceintures mises, il démarra, et reprit la route. Apparemment, il connaissait l'endroit idéal. Je le regardais avec une moue interrogative, bien que je ne lui demandais pas plus de précision. Je m'étais prise au jeu des surprises, et savoir où nous allions n'avait au final pas grande importance. Lorsqu'il suggéra qu'on aille m'acheter un maillot de bain par contre, je ris de nouveau, et ce fut à mon tour de lui lancer un regard de défi. Non. Soyons fous, allons-y directement. Je n'étais pas si impulsive d'habitude, à croire qu'il faisait ressortir mon côté aventurière.

A nouveau, nous étions sur les routes et je regardais les paysages défiler devant moi. Nous avions quitté l'endroit plus reculé et sauvage où nous étions pour retrouver un Boston plus urbain et gris. Alejandro profita du trajet pour me parler de ses activités extrascolaires, ou plutôt de l'abandon de celle-ci. Sérieux ? Tu ne t'ennuies pas trop ? Je tournais la tête vers lui, surprise. Enfin .. je te comprends. Je fais toujours partie de deux clubs, sans m'investir vraiment comme avant. Le club de voyages humanitaires, c'est plus pour la forme et faire beau sur un cv .. je reste plus fidèle au club de natation par contre, j'ai bien l'esprit de compétition qui y règne, ça me booste. Même si je commence un peu à passer à autre chose .. Je n'avais plus participé aux compétitions depuis un bon moment déjà, et j'allais aux entrainements de l'équipe avec une assiduité moins rigoureuse, certes, mais je ne me voyais pas résister à l'appel des bassins pour autant. Et puis, peu importe l'université, j'avais toujours rejoins le l'équipe de natation, c'était une tradition. Alejandro parla ensuite d'Harvard, et me demandait mon avis. Universitairement parlant, c'est une très bonne fac. Leur réputation n'est plus à faire, et j'aime assez les cours qu'ils proposent. Il y a de très bonnes têtes ici, et je m’éclate bien à ce niveau là. C'était presque bizarre à dire, mais c'était vrai. J'avais beau en avoir marre des révisions, je n'en restais pas moins passionnée par mes études. Et sinon .. ça change. C'est .. l'atmosphère américaine, tu vois ? Ce n'est pas aussi classe et traditionnel que l'Angleterre .. ça me manque un peu ça, je dois dire. ajoutais-je en rigolant. Et puis ces histoires de confrérie, la façon dont ils vivent les choses .. c'est parfois un peu too much pour moi. Mais sinon je m'y plais bien. Qu'est-ce que tu en penses-toi ?

hj: