Il faisait beau aujourd'hui, bien trop beau pour passer une autre journée enfermée à la bibliothèque. Ce que, studieuse comme j'étais, j'avais fais depuis plusieurs jours en vue des examens qui approchaient. L'envie d'être la meilleure avait fait de moi une ermite, qui ne partageait sa vie qu'entre la Eliot House et la bibliothèque, étrangère à toute sorte d'évènement social. C'était presque triste à dire vu mon âge, mais l'excellence avait un prix que je payais volontiers.
Ce matin pourtant, le soleil avait eu raison de moi. Je m'étais levée tôt comme à mon habitude, mais avait décidé bien vite de me changer les idées le temps de la matinée, puisque de toute façon, je m'étais assez avancé pour pouvoir me le permettre. Je n'avais pas envie de voir des amis, mais juste de me vider la tête, alors j'avais enfilé un legging et une brassière de sport, était sortie, et avait commencé à courir. J'avais vu passé le parc, avait atteint la rivière, et couru encore si loin que j'atteignais des endroits que je ne connaissais pas. Aux vues des bâtiments autour, je devais déjà être à Boston lorsque je pris enfin le temps de m'arrêter. La respiration haletante, je posais les mains sur les genoux pour reprendre mon souffle. Je me redressai et commençais quelques étirements. Bras en l'air, gauche, droite, mains au sol, demi tour à gauche, demi tour à .. AARGH ! Un type s'était pointé près de moi qui, plongée dans mes pensées, n'avais rien vu venir. Je reculais d'un bon, encore sous le choc.

J'avais toujours aimé courir -ça, ou n'importe quel sport individuel d'ailleurs-. C'était le fait d'être seule, de me dépenser en sentant le vent sur mon visage, et cette sensation de sentir mon esprit se vider des choses superflues et d'avoir le temps de penser à l'important, de pouvoir faire le tri, le point. J'étais toujours dans ma bulle quand je courais, et c'était pour cette raison que je n'avais pas vu cette personne s'approcher de moi.

Le coup était parti tout seul, par réflexe. Réflexe que j'avais immédiatement regretté lorsque je reconnu Alejandro. Il réagit avec calme, ne lâchant qu'un petit 'aïe' en se frottant la joue, avant de glisser une remarque à laquelle je ris nerveusement, mal à l'aise. Des mois que je ne l'avais pas vu, et je l’accueillais comme ça, transpirante et en tenue de sport, avec un coup de point en pleine face. Je ne savais sérieusement plus au me mettre. Le brun se redressa et me laissa voir son visage parfait et sa peau hâlée. Punaise qu'il était beau. Non non c'est moi .. j'suis désolée .. ça va ?! Il me prit brièvement dans ses bras et je lui rendis son étreinte, encore un peu sous le choc. Lorsqu'il recula, j'en profitais pour poser une main sur sa joue et regarder de plus près l'ampleur des dégâts. Il y avait une grande marque rouge sur le côté de sa joue qui était large mais normale .. ce fut plutôt lorsque je tournais son visage que je vis une légère coupure, d'où s'échappait un peu de sang. OH MERDE ! Tu saignes !! Oh mon Dieu je suis tellement tellement désolée .. Je lui lançais un regard affolé, me sentant terriblement coupable.

J'étais tellement surprise que j'avais du dire ça en parlant légèrement trop fort, puisque Alejandro fit un petit bon en arrière. Non mais qu'est-ce qui m'arrivait là ?! Moi qui était toujours calme en apparence et pas maladroite du tout, j'enchaînais les gaffes. Était-ce le fait que ce soit lui qui me mettait dans tous mes états ? Surement. Après tout, il s'était passé beaucoup de chose entre nous. Il avait été celui qui avait remis du peps dans ma vie après ma longue relation d'avec Misha, et j'avais vécu avec lui des mois intenses et magique en Espagne, où j'avais osé être entièrement moi-même, et où on avait tisé de très bons liens. Il avait été un amour de vacances, et même si les années avaient passées et que je savais où m'en tenir, j'avais toujours cette tendresse pour lui, et un certain attachement.

Suivant ses instructions, je passais mon doigt sous sa blessure pour enlever le sang qui coulait, prenant bien soin de ne pas toucher directement la coupure et risquer de l'infecter. J'étais douce, appliquée, et un peu plus calme grâce à sa remarque. Après avoir terminé, j'essuyais mon doigt contre mon pantalon et m'approchais un peu plus de l'espagnol pour lui déposer un baiser sur la joue, doucement. Et voilà. Ça va mieux ?

J'aimais quand il parlait espagnol, son accent chantant avait des airs de vacances et une chaleur toute particulière, bien différente de l'ambiance harvardienne. Je me remis de mes émotions, le suivit lorsqu'il s'écarta de la piste, et lui fis signe de m'accompagner vers un banc que je venais de repérer, à quelques mètres de nous. J'avais assez couru pour mériter une petite pause, après tout. Non c'est la première fois que je passe par ici, j'ai jamais couru aussi loin hors du campus .. on doit être à Boston là non ? Je connais pas du tout le coin. Je m'assis en lui faisant face, et continuais, plus calme et souriante que tout à l'heure. Ça va ! Bientôt la fin d'année, j'arrive pas à croire que ça fait déjà presque un an que je suis là .. Les cours ça va en tout cas, le reste aussi. J'ai emménagé à la Eliot House il n'y a pas longtemps, j'étais surprise de pas t'y voir, mais j'ai cru comprendre que t'avais quitté la confrérie ? demandais-je, interrogative. Je déviais un peu le sujet. Les occasions de voir Alejandro étaient rares, et je ne n'avais pas tellement envie de lui parler d'entrée de jeu des mathers qui avaient saccagé ma chambre, de mes histoires de cœur, ou du fait que j'étais un peu perdue par rapport à ce que Tate avait fait pour moi et pour m'inviter au bal. Déjà que j'avais cumulé les maladresses jusque là, je n'allais pas en prime faire étalage de mes petites histoires. Et toi comment tu vas, racontes moi tout !

J'avais été surprise d'apprendre qu'il quittait la Eliot House. Après tout, Alejandro partageait lui aussi les valeurs de la confrérie et je ne l'imaginais pas ailleurs, alors ça m'avait beaucoup surprise d'apprendre qu'il nous quittait en cours d'année. J'avais bien sûr eu vent de ses raisons, du fait que ne pas avoir été élu vice-président après plusieurs tentatives l'avait énervé, et qu'il avait préféré partir. Honnêtement, ça ne m'avait pas étonné. Je le connaissais trop bien pour savoir qu'il avait ce petit côté sanguin et fier, et je le comprenais presque, même si j'aurais de loin préféré qu'il reste. Ce qu'il me répondit confirma ce que j'avais déjà entendu, même si cette histoire de 'trouver une nouvelle troupe' me laissa perplexe. Je te reconnais bien là .. même si je t'aurais préféré à la Eliot House. Tu ne comptes pas rejoindre une autre confrérie quand même, si ? Ça, je ne l’envisageais même pas. Il parla ensuite de sa vie, de comment ça allait pour lui ces derniers temps, de ses études, et d'une fameuse très jolie cavalière. Je ne pu m'empêcher de ressentir un légère jalousie. Malgré le temps qui s'était écoulé depuis notre été, et même si j'en avais connu d'autres, je restais toujours légèrement possessive envers lui, sans trop savoir pourquoi d'ailleurs. Je savais qu'il ne se passerait plus rien entre nous, mais ce sentiment persistait .. peut-être parce qu'il avait été celui qui avait ajouté ce petit grain de folie dans ma vie, à un moment où j'en avais précisément besoin, ou parce que mes vacances avec lui avait été magiques et fortes, et que malgré les années qui avaient filées, le revoir me rendait un peu nostalgique, car ce qui s'était passé lui avait donné une place spéciale dans mon cœur. Et bien, que du positif ! Et je la connais, cette cavalière ? dis-je avec un sourire taquin. Il parla ensuite de Tate, et du fait qu'il m'accompagnait au bal. Dis donc, les rumeurs tournaient vite. Tu me connais, je ne veux que le meilleur. Je ne m'y attendais pas pour tout te dire .. mais je suis contente, Tate est un bon ami. On verra ce que ça donne. Je lui lançais un clin d’œil avant d'ajouter, suite à sa remarque. Merci ! Je ne savais pas que Tate et toi étiez proches ?

HJ: