C'était la première fois qu'elle me parlait de son père et je me sentais bien, parce qu'elle était en confiance. C'était tout ce que je voulais après tout, qu'elle soit en confiance avec moi pour me dire des trucs qu'elle n'a pas l'habitude de dévoiler. Je pense qu'on peut avoir vraiment confiance l'un en l'autre... Après, il faut évidemment y aller pas à pas et pas en méthode bourrin. Par exemple, elle amenait doucement le sujet sur mes parents, sans y aller par la force. Et je me devais de faire la même avec mes questions. "Tu verras .. Je comprends ton point de vue, mais on sait jamais .. En tout cas pour le moment, c'est sûr que tu n'aurais aucune raison de leur pardonner." Je haussais les épaules, ne sachant que répondre. J'avais aucunement envie de les voir, de leur parler et encore moins de leur pardonner. Je la laissais déposer un baiser sur ma mâchoire, me mettant à réfléchir à la question que je pouvais lui poser. C'était délicat et je devais choisir mes mots pour pas la braquer. Mine de rien, cette soirée était un exercice à elle seule. "Mh.. Ce soir, c'était la première fois que tu mentionnais ton père... Il s'est passé quoi pour que tu veuilles pas en parler ?" Je tournais la tête, curieux de sa réponse. En même temps si j'avais posé la question, c'était que je voulais savoir ce qu'il en était. C'était loin d'être une question pour faire joli. Il est encore trop tôt pour mentionner ce que j'avais lu sur son formspring, le sujet étant bien trop sérieux pour être abordé maintenant.

Je m'étais toujours demandé ce qu'on ressentait en tant qu'enfant abandonné. Parce que j'étais orpheline depuis mes quatorze ans, mais ça n'était pas la même situation. C'était ce que je pensais jusqu'à l'année dernière en tout cas, avant que j'apprenne que ma mère m'avait purement abandonnée et n'avait pas succombé dans un tremblement de terre, comme je le croyais. Donc aujourd'hui, je pouvais certainement mieux comprendre la situation d'Alex que si je lui avais posé ces questions quand on était à NYC. J'écoutais sa réponse religieusement, émettant ensuite un avis assez vague sur la question. Il resta silencieux un moment, alors je patientais en jouant avec ses doigts. « Mh.. Ce soir, c'était la première fois que tu mentionnais ton père... Il s'est passé quoi pour que tu veuilles pas en parler ? » Ok, j'étais immédiatement repartie dans la tension, me tordant un peu entre ses bras, sentant mon estomac se retourner. J'avais réussi à faire abstraction du passage traumatisant avec mon père pour lui parler d'un souvenir heureux, mais là il me demandait d'entrer dans la vif du sujet. Déjà, je sentais ma respiration s'accélérer et je savais que je perdais le contrôle sur le calme que j'avais réussi à atteindre pour toute cette soirée. On inspire, on expire .. « Hm .. err .. » Putain, en plus il m'avait interdit le joker .. « Il est .. mort quand j'avais quatorze ans .. » Ouais, ça c'était la surface émergée de l'iceberg. J'y arrivais pas .. j'arriverais pas à cracher le morceau. Pas sans son aide, en tout cas. S'il avait vraiment besoin de savoir, il allait falloir qu'il m'épaule.

Je me rendais pas compte que cette soirée de questions réponses pour apprendre à se connaitre était une chemin semé d'oeufs et fallait marcher dessus, en tentant d'en casser le moins possible. C'était dur de demander des trucs comme ça, en tentant de rester dans la phase qui fait pas mal. On avait bien commencé, en parlant des bons souvenirs, mais forcément, fallait aller plus loin et Billie avait commencé en parlant de mes parents biologiques. Bon, ça allait encore. Mais moi, j'y suis limite allé les deux pieds dans le plat. En même temps, c'était réellement la première fois qu'elle mentionnait son père et j'en étais curieux. Pourquoi elle n'en parlait jamais alors que visiblement, c'était avec lui qu'elle avait eu ses meilleurs souvenirs ? Et je sentais, après avoir posé ma question, que son corps réagissait de façon inhabituelle. Sa respiration s'accélérait et son corps s'était tendu. Je fronçais les sourcils et puis, me voulant rassurant, je serrais ma main dans la sienne, montrant ma présence et mon soutien. "Hm .. err .." Je déglutissais, j'avais peur d'entendre la réponse, mais tellement curieux de l'autre côté. Donc je me contentais de la regarder en attendant qu'elle me dévoile ce qui s'est passé. "Il est .. mort quand j'avais quatorze ans .." Aoutch. Je baissais le visage, ne pouvant pas cacher ma désolation. "J'suis désolé.." J'avais envie d'en savoir plus, évidemment, mais j'avais pas envie de lui faire subir ça. C'était clairement une épreuve pour elle vu l'état dans lequel elle était actuellement. Je lâchais sa main et je la prenais dans mes bras. "C'est... sa mort qui te met dans de tels états ou... y'a autre chose ?" Ok, la curiosité l'a emporté, mais si ça va trop loin, j'arrêterai.

Je n'avais encore jamais parlé de l'assassinat de mon père à qui que ce soit. Bien sûr, Roxanna était au courant du plus gros de l'histoire, puisqu'elle s'était fait agresser à mes côtés il y avait maintenant bientôt deux ans et que ça en avait été la raison principale. Donc j'avais dû lui expliquer les grandes lignes de l'histoire. Mais je n'avais jamais réellement évoqué les détails de ce souvenir sordide. Le seul à qui j'en aie parlé un jour réellement, était le membre du FBI qui avait recueilli ma version des faits. Ça avait été un enfer de tout retracer dans mon esprit et je m'étais promis de ne plus jamais avoir à refaire ça. Sauf que je n'avais pas prévu qu'un jour, j'aurais un petit ami qui pourrait s'intéresser de cette façon à mon passé. Je n'avais rien pu contrôler, mon corps avait réagi sans me demander mon avis, mes muscles se crispant. « J'suis désolé.. » Je plissai mes yeux déjà fermés, m'interdisant de pleurer. Parler de ça, c'était aussi une nouveauté parce que désormais, si j'en avais envie je le pouvais. Avant, ça aurait mis ma couverture et ma vie en danger, donc je me cachais derrière cette excuse pour garder tout ça bien enfoui au fond de moi. Ses bras vinrent m'entourer mais ce fut à peine si je les sentis tant j'étais tendue. « C'est... sa mort qui te met dans de tels états ou... y'a autre chose ? » Tout était lié à sa mort. Mais surtout les conditions dans lesquelles elle s'était déroulée. Allez .. m'encourageai-je silencieusement. « Il a .. été assassiné .. » Je serrai la mâchoire, mes mots sortant de façon étouffée entre mes lèvres à peine ouvertes. J'agrippai mon pull dans mes doigts, tirant dessus nerveusement. « Et j'étais .. présente. J'ai tout vu et .. il est mort dans mes bras après quelques minutes .. » Je devais faire de nombreuses pauses dans mes phrases pour garder mon émotion sous contrôle. Et aussi pour repousser ces flashs sanguinaires qui s'imposaient brutalement à moi, comme toujours.

J'avais vraiment pas envie de la mettre mal à l'aise ou la gêner avec mes questions, parce que j'avais pas envie d'aller trop loin. Peut-être qu'il y avait des choses qu'elle voulait garder pour elle et c'était largement compréhensible. Sauf que là, elle s'était tendue comme un bâton et je ne savais pas comment faire pour arrêter cet état assez étrange. Je n'arrivais pas à cerner si c'était du stress, de l'angoisse ou une autre forme de sentiment de peur. Intrigué quand même, je lui demandais s'il n'y avait pas autre chose, parce que la mort de quelqu'un c'est pas banal mais y'a rien de très transcendant à avoir quelqu'un de mort dans sa famille. Donc je lui posais une dernière question, dont je n'espérais pas réellement de réponse. Pour tout dire, je m'attendais à ce qu'elle dise qu'elle n'ira pas plus loin et qu'elle me pose une question. Mais non. "Il a .. été assassiné .." avouait-elle doucement. Je regardais les traits de son visage et je remarquais bien que sa mâchoire était crispée. Je tentais de la calmer en la prenant dans mes bras, mais ça n'avait aucun effet visible. "Et j'étais .. présente. J'ai tout vu et .. il est mort dans mes bras après quelques minutes .." Je resserrais mon étreinte autour d'elle, me voulant rassurant. J'étais surtout désolé d'avoir apporté le sujet, parce que c'était loin d'être le premier rendez-vous qu'elle aurait souhaité, et j'avais gâché ça. "J'comprends mieux..." Sa réponse à la question "As-tu déjà assisté à un meurtre ? : Oui", venait de cet événement marquant de sa vie. "Pose moi la question que tu veux, change toi les idées.." Je voulais me rattraper, même si je ne savais pas si je m'y prenais de la bonne manière ou pas. J'suis un peu handicapé sur les bords avec ce genre de trucs.

Parler de tout ça, je n'aurais pas pensé que je serais capable de le faire sobre. Voire même bourrée, je n'en avais pas le courage. La preuve, j'avais quand même tenté à quinze ans d'aller à mes séances de thérapie complètement saoule et pas un mot n'était sorti de ma bouche. Donc en fait, ça non plus, ça ne marchait pas. J'avais ces images horribles qui s'imposaient à moi alors que je confiais ça à Alex ; je revoyais mes mains couvertes du sang de mon père, sa carrure tremblant contre moi, qui avait du mal à le maintenir droit alors que je pesais un tiers de son poids. Ses derniers mots qui avaient été un avertissement, la fuite .. puis tout le reste .. Dès que j'y repensais, c'était comme si j'avais une cassette de cette période dans mon cerveau, qui s'enclenchait en avance rapide pour me faire une piqûre de rappel. J'étais tendue, tétanisée et je le sentis finalement me prendre dans ses bras. J'avais du mal à me laisser aller à son étreinte, parce que ma respiration était encore trop agitée et refusait de se calmer. « J'comprends mieux... » Malheureusement, oui. « Pose moi la question que tu veux, change toi les idées.. » J'inspirai longuement avant d'expirer tout aussi doucement, faisant un réel effort pour me calmer. Je m'enfonçai enfin dans son étreinte, mes mains venant s'agripper à ses avant-bras tandis qu'il me serrait. Ouais, ça marchait petit à petit .. Il me fallait juste un moment pour revenir à la normale. Je laissai passer quelques minutes de silence, fixant un point devant moi pour m'assurer que j'étais réellement apaisée. Et accessoirement, pour retrouver les moyens de m'exprimer. Une question me trottait dans la tête depuis le début de notre relation. Et même si ça n'allait certainement pas être très plaisant pour lui non plus, je me lançai. « Les cicatrices sur ton corps .. Elles viennent d'où ? » Lui demandai-je à voix basse, toujours un peu chamboulée par les minutes qui venaient de s'écouler. Mais j'essayais de passer à autre chose en m'intéressant à lui.

La réconforter du mieux possible, voilà mon but premier à cet instant. Je voulais pas qu'elle aille encore plus mal qu'elle ne l'était déjà. Dans le but de contribuer à ce qu'elle aille mieux, je la prenais doucement dans mes bras. Sérieusement j'avais le don de poser les questions qu'il ne faut pas vraiment.. Finalement, je me résignais à lui poser des questions qui la rendait si... malade. Ouais, elle était vraiment mal, au moins que ça devienne physique. C'était pas du tout ce que je souhaitais pour un premier rendez-vous. Je lui proposais de me poser alors une question, n'importe quelle question, histoire que ça lui change les idées. Pendant un moment, elle restait silencieuse, se calmant comme elle le pouvait. Ses mains s'étaient agrippées à mes avant-bras, son regard fixant un point devant nous. Visiblement, ça marchait puisque je la sentais doucement mais sûrement se calmer. Si bien que finalement, elle arrivait à s'exprimer et me demander ce qui lui passait par la tête à ce moment précis. "Les cicatrices sur ton corps .. Elles viennent d'où ?" Je serrais les dents, repensant à cette période de ma vie. J'avais pas vraiment envie de répondre à cette question mais j'avais pas vraiment le choix. "Mh... Tu sais que j'ai été abandonné à la naissance ? Mes parents n'étaient pas... capable de s'occuper de moi. Et j'ai donc été placé dans une famille quand j'avais quelques mois, parce qu'il me fallait un suivi médical et bref, il me fallait une famille." Ca aurait été compliqué d'avoir un suivi régulier avec les services sociaux donc ils se sont démerdés pour me placer dans une famille qui récupérait les enfants "non désirés". "Et en fait... cette famille, les Strudwick, ils n'étaient pas si parfaits que ça." lui confiais-je. J'inspirais avant de reprendre. "Pendant plusieurs années, ils m'ont... affligé des coups. C'était diversifié.. Y'avait les mains, la ceinture... des fois des coups de bâton. Puis la cigarette." La cigarette, j'avais l'impression d'être un cendrier à chaque fois qu'ils l'écrasaient contre moi, c'était horrible.

Les cicatrices sur son corps .. je me rappelais de la première fois où j'avais pu les voir. Enfin non .. la première fois où je me souvenais les avoir vues. Parce que je les avais d'abord vues à Key West, mais j'avais été trop défoncée pour me souvenir de quoi que ce soit. À Harvard, c'était quand on avait retiré nos tee-shirts pour la première fois, avant de se faire interrompre par ma coloc. Maintenant que j'y réfléchissais, c'était dingue à quel point on avait été doucement dans notre relation. D'habitude, si je mettais plus de quarante-huit heures à mettre un mec dans mon lit, je lâchais l'affaire. Bref, ce soir-là, j'avais complexé à mort pour la première fois, à cause de mes propres cicatrices, celles qui barraient mon corps en large et en travers. Mais quand j'avais vu les siennes, je m'étais en quelques sortes sentie connectée à lui et mon complexe s'était estompé. Seulement, je n'avais jamais demandé d'où elles provenaient et je devais dire que c'était une question que je me posais depuis le tout début. « Mh... Tu sais que j'ai été abandonné à la naissance ? Mes parents n'étaient pas... capable de s'occuper de moi. Et j'ai donc été placé dans une famille quand j'avais quelques mois, parce qu'il me fallait un suivi médical et bref, il me fallait une famille. » J'avais déjà la plupart de ces informations donc je me contentai de hocher la tête en me mordant la lèvre, craignant ce qui allait arriver. « Et en fait... cette famille, les Strudwick, ils n'étaient pas si parfaits que ça. » Je voulais lui dire d'arrêter, lui dire que j'avais compris où il voulait en venir. Mais je le laissai quand même s'exprimer, il fallait que ça vienne de lui. « Pendant plusieurs années, ils m'ont... affligé des coups. C'était diversifié.. Y'avait les mains, la ceinture... des fois des coups de bâton. Puis la cigarette. » Je fermai les yeux, m'imaginant l'horreur qu'il avait dû vivre étant gosse. Il n'avait vraiment pas eu une enfance facile, entre ça et les problèmes que l'addiction à la drogue avaient provoqué alors qu'il venait à peine de naître. « Putain, c'est horrible .. » dis-je en ayant du mal à arrêter de me mordre les lèvres. « T'as vraiment dû vivre un enfer .. » Il n'y avait pas à dire, on formait une sacrée paire avec nos passés pourris. « Heureusement que t'as fini par être placé ailleurs, » terminai-je en serrant sa main dans la mienne en un geste se voulant réconfortant.

On avait dit qu'on déballait notre passé et c'était ce que je faisais ce soir. Billie m'avait demandé par curiosité d'où venaient mes cicatrices présentes sur tout le corps et je devais lui répondre. C'était le but du jeu après tout, elle s'était mise dans un état pas possible pour assouvir ma curiosité, je me devais d'en faire de même. Alors je lui racontais tout depuis le début... Mentionnant alors les Strudwick. Ils n'étaient pas parfaits non... je lui expliquais pourquoi. "Putain, c'est horrible .." avouait-elle, toujours dans mes bras. Ouais, c'était horrible. Je me souviens encore de la première fois qu'ils ont porté la main sur Typhène... Elle était innocente et elle ne méritait pas ça. Ces gens nous avaient détruit. Ils nous ont détruit et ça ne sera jamais réparable. "T'as vraiment dû vivre un enfer .." Je me pinçais les lèvres, tentant d'oublier alors tout ce que j'avais vécu, en vain. Après tout, c'était une des raisons pour lesquelles j'étais tombé tôt dans la drogue. J'cherchais à oublier tout ça... Mais rien ne marchait, rien du tout. "Heureusement que t'as fini par être placé ailleurs" Je souriais, repensant alors à mes parents actuels. Je leur menais la vie dure quand même, alors qu'ils m'avaient épargné des années seul dans un orphelinat. "Ouais... L'année de mes huit ans, j'ai été aux urgences à cause d'une blessure causée à l'école.. J'étais aussi un peu casse cou dans mon genre. Le médecin qui s'occupait de moi trouvait mon dossier suspect et il a contacté les services sociaux. J'ai été placé dans un centre pendant plusieurs mois, presque un an avant que les Reynolds-Kovalevski m'adoptent." Je resserrais mes bras autour d'elle, collant ma tête à la sienne. "Ca a pas été facile avec eux non plus... j'avais pas confiance au début, j'étais souvent seul, même si Dia cherchait vraiment à passer du temps avec moi."