tw ✧ none  

And this 'real'
It's impossible if possible
At whose blind word
So clear but so unheard

À chaque mardi après-midi, depuis deux ans, William fuyait son bureau. Cette habitude parmi tant d’autre prenait naissance dans une certaine banalité. Leur rencontre d’équipe hebdomadaire se déroulait chaque mercredi matin et, de ce fait, une grande majorité d’agents devaient faire face aux conséquences de leur procrastination constante face à la bureaucratie.

Résultat ? Les bureaux étaient anormalement occupés les mardi après-midi, par des agents beaucoup plus grognons que d’habitude. Et donc, Bennett se sauvait sans gêne de cette ambiance un peu plombée. Il allait systématiquement prendre un café avec une pointe de tarte aux pommes ‘à la mode’ au diner chez Jerry, à trois coins de rue de là. Lire ses journaux. Réfléchir à ses dossiers. S’aérer les méninges. Un véritable homme d’habitude.

Malheureusement, chez Jerry n’avait pas survécu au passage des générations, et il y avait un peu plus d'un mois de cela, William s’était retrouvé face à une porte close. Et le hasard l’avait conduit à mettre les pieds dans ce… café littéraire ? Il entretenait à peu près la même relation envers les bouquins qu’un pingouin envers la cocaïne : ça serait super, mais ça n’arrivera jamais. Cependant, leur comptoir à pâtisserie l’avait conquis comme jamais Beaudelaire ou James Joyce ne sauraient le faire.

Et depuis, chaque mardi, il poussait la porte vers 14h pour se commander un grand café noir, une part de leur délicieux paris-brest ainsi que ce… truc hallucinant qu’il n’avait jamais vu ailleurs, mais il dont il ne se rappelait jamais le nom. Pour tranquillement lire le New-York Times et le Washington Post, vaquer sur son cellulaire, et doucement quitter les lieux vers 15h30, avant le renouvellement de la clientèle.

Au fil de ses visites et à force d’observer, par seconde nature, autant les clients que les employés, il avait bien entendu fini par remarquer la jolie blondinette qu’il suspectait être la propriétaire. Et par un beau mardi pluvieux, elle vint elle-même récupérer son assiette et sa tasse vides, quelques minutes avant 15h30.  

«Merci beaucoup… Hey, dites-moi, je me trompe où vous êtes une gestionnaire de l’endroit ? JE vous vois pratiquement à chaque fois que je m'arrête ici. Je peux vous accaparer une petite minute ?  »

tw ✧ none  


«Je…»

Cherchait-il réellement ses mots, tel un jeune écolier ? L’image le fit sourire. Lui, le grand William Bennett, pris de court parce qu’une libraire lui adressait la parole ? Après de machiavéliques joutes verbales avec de jeunes héritières milliardaires, après avoir manipulé des criminels de tout acabit, après des années de double-vie où il jouait parfois du côté de la loi, parfois contre elle, venait-il finalement de trouver son Waterloo ? En la personne de cette jeune et rayonnante entrepreneure ?

«D’abord, félicitations. Cela faisait des années que je n’avais pas mis les pieds dans une bouquinerie, et maintenant, votre établissement fait partie de mon quotidien. Merci beaucoup, au passage. Vos cupcakes ont changé ma vie.»

En quelque sorte. Mais moins que cette étrangère qui exerçait chez lui, pour des raisons qui le dépassait complètement, une sorte de profond magnétisme. Comme si son âme, épuisée par toute la noirceur qui l’habitait maintenant, souhaitait chercher un peu de réconfort dans la lumière qu’irradiait cette inconnue.

«On dit aussi que faute avouée est à moitié pardonnée. Il y a belle lurette que je ne me suis pas arrêté sur les pages d’un livre. Et ça m’a fait réaliser que, quand j’étais gamin, il y avait ce vieux roman, tout usé, que mon grand-père m’avait donné, avec la couverture toute pliée à force d’être laissé entre-ouvert un peu n’importe où, n’importe comment. C’est drôle, parce que même si je me rappelle l’avoir lu, et relu, et relu encore, je n’arrive presque plus à me rappeler de ce dont il agissait.  »

À quoi jouait-il, exactement ? Il savait vers où il se dirigeait, mais il ne comprenait absolument pas pourquoi.

Certains besoins fondamentaux sont parfois plus fort que la raison.

«Vous devez connaître beaucoup de livres. Pensez-vous que si je vous raconte ce dont je me rappelle, vous pourriez m’aider à en retrouver le titre ? »