Ma secrétaire me prévient au moment même où une cliente, et pas n'importe laquelle, apparaît dans l'entrée de ce cabinet que j'ai monté seul, à la sueur de mon propre front. Cesarini... voilà maintenant un mois que je démêle chacune de leurs affaires, quelles qu'elles soient, à l'aide de mon esprit brillant et de ce carnet d'adresses que n'importe quel autre avocat en ville m'envierait. Je quitte donc mon second bureau, secret, dont le sol est jonché des papiers et des procédures en cours sur le affaire pénale délicate pour me rendre à celui qui fait vitrine. Erika entre sans autre forme de procès, et un sourire amusé me trahit en jonchant mes lèvres. Mais bonjour à vous également, Mademoiselle Cesarini que je lance, sans me dépêtre de cette insolence en moi m'allant parfaitement au teint. A peine ai-je d'ailleurs la possibilité de rejoindre mon bureau, sans même m'asseoir dans le fauteuil que déjà, une enveloppe en tombe dessus, implacable. Okay, encore une histoire de gros sous, voilà qui ne m'étonne guère. Sans répondre quoi que ce soit, j'écoute, ignorant un instant le fait que je suis encore pieds nus : évidemment, tête en l'air que je suis de temps à autre, mes chaussures sont restés dans le second bureau, offrant à mes oreilles endoloris le confort d'une moquette hors de prix. Note à moi-même : retenter l'expérience bientôt. Je vois... Sans même toucher ladite enveloppe ou même m'asseoir en vérité, j'observe les prunelles émeraudes de mon interlocutrice tout en conservant un masque maitrisé et illisible pour tous ceux ne me connaissant pas suffisamment. La preuve est sous mes yeux : elle me tutoie alors que je lui donne du Mademoiselle Cesarini, aucunement effrayé par de potentielles conséquences. Non. Avant de me faire peur, encore faut-il se lever tôt. Très tôt. Vous pouvez préciser qui sont eux afin que je ne fasse pas faute route ? En faire des caisses, ainsi que des effets de manche, fait partie de quelques avantages de mon jeune âge d'un côté, de mon métier de l'autre et, enfin, de mon tempérament. Ce n'est qu'à la fin de ma précédente phrase que je m’assoie non pas à mon fauteuil, mais sur la chaise à côté d'Erika, histoire de bien casser les codes de bienséance une fois pour toute. Elle y est douée, moi aussi. Et cela m'amuse follement, si je dois demeurer honnête. Vous êtes au courant que transformer une telle somme et la mettre sur son compte en banque va demander plus qu'une visite chez le banquier ? Oh je ne recule pas, non. J'ai trop l'habitude pour ce genre de choserie.

Pour le coup, le fait d'être pieds nus sort rapidement de mon esprit toujours en ébullition. J'analyse, je fragmente, j'oppose et comprends chaque parole de mon interlocutrice afin d'obtenir une vue d'ensemble, et ce sans même énoncé le plus petit mot. Depuis que la matriarche Cesarini m'a testé et placé à la tête de ses affaires, je pense sans crainte de me tromper que j'en ai vu plus que n'importe quel avocat de première catégorie dans cette grande ville. Pour sûr, mon jeune âge a été cause de multiples questionnement dans cette famille dont je ne connais pas encore chaque membre sur le bout des doigts. Et pourtant, mes renseignements sont à la pointe de ma maniaquerie. J'estime ne plus avoir rien à prouvé depuis que j'ai remporté chaque challenge de la tête de famille. Une haute satisfaction fait naître peu à peu un léger sourire alors que, ni plus ni moins, cette jolie tête blonde me demande de la sortir de la mouise. Donc ce n'est pas qu'une question de transaction, il faut que Johanne ne sache rien, et que l'affaire soit close... discrètement. L'enveloppe n'as pas bougé depuis que Erika l'a déposée sur mon bureau, et elle n'en bougera pas tant que l'étudiante ne quittera pas ce bureau. La prudence est le maître mot de mon business, de ma carrière, et il n'est pas question que je me fasse avoir comme un bleu. Un avocat de seconde zone se ferait avoir, mais pas moi. Effectivement collectionner les cadavres ne t'irait pas au teint que je réponds d'un ton un brin provocateur, jouant de mes doigts afin que mon attention se fixe sur la situation présente et non pas sur la montagne d'autres dossiers en cours. Le désavantage de posséder un esprit brillant et vif : ce dernier ne se repose jamais. Je vois le topo que je reprends en me levant pour finalement regagner mon fauteuil. Non pas en vue d'écraser mon interlocutrice avec une quelconque autorité, mais plutôt pour lui faire comprendre qu'elle pouvait compter sur moi... du moins pour l'instant. Un marché, hein ? Le principe d'un marché, c'est d'offrir quelque chose en échange de ce que l'on demande. Comment comptes-tu honorer ton marché dans ce cas ? Je ne parle pas de sexe ou de la plus petite tentative de charme. Elle est certes très agréable à regarder, mais je ne travaille pas pour une poignée de cacahuètes et, comme elle l'a très justement énoncé plus tôt... c'est pour Johanne que je travaille essentiellement. Je suis curieux de savoir ce que tu entendais par-là... Provoquant ai-je dis ? Totalement.

Si mon ton est demeuré extrêmement léger, peut-être un brin provocateur, il n'existe plus aucune trace de jeu dans les propos suivants : ta grand-mère n'en saura jamais rien. Certes, j'aurais pu négocier encore, voir même mettre une petite pression sur les épaules d'Erika afin d'obtenir un quelconque Saint Graal mais il n'en n'est rien dans mon esprit. L'idée, ce n'est pas de la faire paniquer ou enrager... mais plutôt de lui offrir quelque chose dont elle semble dépourvue : un choix. Abattre toutes mes cartes d'un coup d'un seul ne me ressemblerait pas une seconde, voilà pourquoi je me lève pour faire quelques pas dans le bureau, mes doigts caressant délicatement cette moquette dont j'aime la sensation sur mes pieds nus. Si je me tourne brusquement vers ma cliente, ce n'est que pour mieux éclater de rire. Tu penses que j'ai une tronche à consommer ? A vrai dire, la donne m'amuse plus qu'elle ne me vexe. Je tâche de ne pas penser à Mia là, tout de suite. Si ma petite sœur se retrouve toujours accroc après sa quatrième cure, c'est justement parce que quelqu'un comme Erika existe. Ceux qui fabriquent, ceux qui vendent... bonnet blanc et blanc bonnet à mes yeux. Et que dirais-tu d'un défi, au lieu de subir la situation ? Preuve formelle que je détache aisément l'activité de mon interlocutrice de sa personne, sans quoi jamais mon esprit brillant n'aurait fomenté pareil plan. Mes pieds nus me rapprochent d'elle et, pour la seconde fois depuis le début de notre entretien, je m’assoie sur la chaise d'à côté, visage fermé, regard mystérieux. Je me trompe peut-être... mais tu ne vas pas faire dans le deal toute ton existence, n'est-ce pas ? Il se trouve que j'ai besoin de quelqu'un de confiance. Appelle ça comme tu veux : secrétaire, assistante, partenaire... le fait est que tu auras accès à des données sur des dossiers dont tu n'aurais même pas osé cauchemarder. Je ne veux pas d'une bleue qui aura peur de se péter un ongle... mais quelqu'un sur qui je puisse compter. En somme, je te laisse le choix : découvrir un monde totalement différent du tien... ou bien, comme tu disais tout à l'heure, je te garde sous le coude pour une négociation quelconque, ou un différend avec ta grand-mère, ou que sais-je. A toi de voir ce que tu préfères, Miss Cesarini... Et sur ces propos sortis de nulle part, je me relève. Je laisse la graine plantée grossir... ou mourir. Tout dépend de son état d'esprit... à elle.

Si c'est un argument pour toi et qu'il te rassure quant à ma parole, sache que je n'ai strictement rien à perdre non plus. En revanche, une fois ma parole donnée, elle est donnée. Qui aurait cru qu'un membre de l'illustre famille des Cesarini puisse être autant dans la merde ? Erika me semble pourtant avoir tout : un nom célèbre, un corps à en damner plus d'un - à moins de ne pas avoir les yeux en face des trous - une intelligence et un caractère parlant pour elle... pourtant, la situation dans laquelle elle se trouve m'a tout l'air d'être profondément injuste. Comme quoi, cette chienne de vie n'épargne personne, pauvre, riche, mince, gros, timide ou déluré... ma propre folie m'étonne alors que je pose sur la table, sans prévenir, un défi des plus croustillants. L'écoute de mon interlocutrice semble d'ailleurs stimulée et notre conversation, qui prend un tournant inattendu, fait bouillir mon esprit sans repos. Camé ou hippie... mouais, ça pourrait prêter à cette confusion... mais putain si tu savais comme cette moquette est top pour les pieds ! Si mon expression demeure relativement sérieuse, un petit rictus moqueur prend bientôt place sur mes lèvres. La drogue est mon interdit, l'enfer dans lequel je refuse de plonger. La situation de ma sœur me prend aux tripes dès que mes prunelles sombres se posent sur son corps amaigri, faible et sans défense. Je ne sais que trop bien qu'un jour, jour que je redoute de toutes mes forces, la came l'arrachera à moi. Dès lors, je ne serais probablement plus que l'ombre de moi-même... Tu seras payée. Très bien payée, même. Sache que je n'offre jamais un service gratuit, ce n'est pas pour en demander un... ton job au Dyonisos nous servira, d'ailleurs. Beaucoup de clients s'y rendent et la collecte d'infos pour certaines affaires passe par là. Tandis que j'effleure mon menton du bout de mes doigts, j'ouvre un tiroir de mon immense bureau pour en sortir un téléphone, un micro ordinateur ainsi qu'un dossier papier tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Ce téléphone est crypté, tout comme les données sur l'ordi. Ils sont tous les deux à toi si tu acceptes ce job. Dans le dossier, la première mission pour laquelle j'aurais besoin d'une assistante qualifiée... quelqu'un qui, comme toi, n'as pas peur de se salir les mains. Je laisse les trois objets en évidence, sous les yeux d'Erika, alors que je scrute discrètement ses moindres réactions. Après tout, l'acceptation n'est pas encore sur la table, elle. Je n'en doute pas une seconde... que je réponds dans un petit sourire, franc cette fois. Si tu veux le job, il est à toi. Je ne garantis pas que ce soit un job safe, cependant. Mes clients sont parfois... compliqués. Mais je sais par expérience que tu as les épaules pour, et que tu vaux mieux que toutes ces fausses idées que l'on peut avoir sur toi... j'émets une petite condition toutefois... Sans me dépêtre de ce regard profond et mystérieux, je tente de la sonder alors que je reprends, d'une voix légère : j'attends une totale implication. Je peux avoir besoin de toi de jour comme de nuit, pour un taff de bureau comme sur le terrain. Si tu t'en penses capable - comme je le suspecte - alors ce job est à toi. Si tu préfères te faire du fric autrement... alors passe ton chemin. Voilà ce que je lui offrais : un choix. La possibilité de faire quelque chose pour elle-même, uniquement elle-même, et d'aider au passage de nombreuses personnes. Car après tout, pénaliste et affaires ne sont pas mes seules qualifications... je gère des familles en détresse, aussi.

Un petit rire dépasse la barrière de mes lèvres, peuplant quelques secondes l'atmosphère sonore de mon grand bureau. Erika a de la réparti, et c'est une qualité à laquelle j'attache beaucoup de prix. Mmh... je ne pense pas avoir les pieds sur terre, j'en ai peur ! Je ne sais pas où ils sont, ils vivent leur vie... que je rétorque en cassant définitivement le peu de crédibilité qu'il me restait en quand qu'image d'avocat balai dans le cul. Je pense que mon interlocutrice l'aura compris, aucun code d'aucune sorte n'a de place dans mon métier, ou tout du moins, dans ma façon de travailler. Voilà l'une des nombreuses raisons pour laquelle je me suis fait un nom en si peu de temps, et si jeune. En me détachant de tous les poncifs entourant soigneusement la digne profession de conseil, je me suis également démarqué. Bosser tel un taré, ne pas dormir ou presque, risquer beaucoup de choses dont de nombreuses crises de démence du fait de mon diabète... cette jolie équation a fini par obtenir le résultat voulu : on me connaît, on me reconnaît même, et cette satisfaction vaut tout l'or du Klondike. Je n'aime pas le nom de taupe c'est très dévalorisant par rapport à la place que tu vas occuper. Disons que laisser traîner l'oreille à ton poste au Dyonisos sera une première étape. Qui pourrait nous rapporter pas mal d'infos, c'est clair. Mais cela reste une étape. Si je veux que l'on soit partenaire, la dévaloriser ou la rabaisser n'est pas le but, en plus du fait que c'est à des années lumières de ce que je pense à son sujet. Mais je n'en doute pas un seul instant... Mes prunelles sombres se plissent légèrement et mystérieusement alors que j'ouvre un nouveau tiroir de mon bureau, à code celui-là. Une sorte d'arme, semblable à un pistolet mais en plus petit, plus maniable et surtout... dissimulable n'importe où, ainsi qu'un taser un tantinet plus sophistiqué. Le premier lance des balles à air comprimé. Mais de quoi tuer, mais de quoi assommer plusieurs heures sans laisser de trace. Le second est un taser, je pense que tu l'avais compris avant que je le dise, mais avec un voltage plus... important. Et surtout, tu peux tirer à distance. Mon esprit décortique une nouvelle fois la moindre de ses réactions. Quelque part, je veux qu'elle sache que nous sommes une équipe, qu'en soit elle se trouve donc mon égale et qu'il n'est pas question de la laisser se jeter dans la fosse aux lions sans aucune protection. Quelque chose comme ça. Disons que certaines affaires vont réclamer notre réaction immédiate, tandis que d'autres se feront plus avec un plan ficelé d'avance. Chaque affaire est très différente, et j'en conviens, ça va te demander une adaptation constante. Si je ne lui offre pas un job facile... la rémunération et les avantages compensent largement le temps passé. Pour le lui faire comprendre, je réponds à son clin d’œil, sans me dépêtre de ce petit sourire qui ne m'a pas quitté depuis tout à l'heure. Une affaire pénale... un enfant est maltraité par sa mère, père absent de l'équation, et c'est sa grande sœur qui est venue me trouver. Les sévices supportées par ce gosse sont inimaginables... dans le dossier, tu verras des photos, la transcription écrite des échanges d'avec la sœur, ainsi que quelques détails familiaux à connaître. Je te préviens, c'est une affaire moche et délicate. L'enfant n'a même pas encore cinq ans...