Le corps se déhanchait au rythme de la musique qui résonnait au sein du Lord Hobo avant l’ouverture prévue dans deux heures. Les yeux rivés sur mon mari que j’avais accompagné, je m’amusais à le déconcentrer dans ce travail qu’il voulait faire avant l’ouverture. J’avais lancé la musique un peu trop fort et je m’éclatais à chanter faux – en hurlant à moitié – et à danser pour allumer l’homme que j’aimais. Je voyais bien les sourires de mon mari tout comme je voyais que mon manège ne parvenait pas à le tirer hors de son occupation. Je m’apprêtais à passer à la vitesse supérieure en changeant la musique et en débutant un strip-tease lorsque la sonnerie de mon téléphone résonnait. Une sonnerie dérangeante. Une sonnerie glaçante. Je me figeais aussitôt sentant les frissons s’inviter sur mon échine. Je jetais un bref coup d’œil à mon mari. Il connaissait cette sonnerie lui aussi. Il savait ce qu’elle signifiait. La Mafia me contactait. Déglutissant difficilement, j’attrapais le téléphone pour consulter le message. Ce message qui m’ordonnait de sortir du Lord Hobo – putain comment savaient-ils que j’y étais – pour monter dans la voiture qui se trouvait devant. Le soupir m’échappait. Mes prunelles sombres se relevaient sur mon amoureux avec un regard désolé. Je coupais la musique avant de m’approcher de mon mari pour un baiser et un je t’aime. Je m’empressais de quitter les lieux sachant qu’il valait mieux ne pas faire attendre ni mettre en colère. La porte du Lord Hobo se refermait et je rejoignais cette voiture qui m’attendait grimpant à l’arrière comme le message le demandait.

La voiture ne tardait pas à se mettre en route tandis que mes iris se posaient sur Rob. Je lui jetais un regard glacial et il se mettait à rire en secouant la tête comme toujours. Il connaissait son pouvoir sur moi. Je connaissais sa domination sur ma personne. Tant que je n’avais pas suffisamment de pièces de mon côté du plateau, je ne pouvais rien tenter contre lui. Pour l'instant et pour un moment encore, je devais répondre aux demandes. Je devais travailler pour lui. D’ailleurs, je ne comprenais pas pourquoi je me retrouvais dans cette voiture avec Rob. Je ne comprenais pas pourquoi j’étais ici avec le dirigeant de la Mafia alors que nous nous étions vu en début de mois pour faire le point sur mes missions. Nos contacts étaient limités car Rob ne voulait pas que mon implication soit connue. Pourtant, je me retrouvais dans cette voiture avec lui. Mes questionnements étaient visibles et Rob ne tardait pas à prendre la parole « Les mecs ont merdé chaton et ça te concerne. Tu te souviens de ta mission la semaine dernière ? » J’hochais la tête. Gamin qui savait quand il devait parler ou non. Je me souvenais de cet homme que j’avais dragué et drogué avant de le faire monter dans une chambre. Je me souvenais du début de strip-tease que j’avais dû faire avant que cet inconnu ne s’évanouisse. Je me souvenais de cette mallette que j’avais volé. Qu’est-ce qu’elle contenait ? Je n’en avais aucune idée. Je l’avais remise à l’un des bras droits de Rob en sortant de l’hôtel. La voix rageuse du mafieux s’élevait « La drogue filée n’était pas assez puissante – crois-moi il y a des gens qui vont payer pour ça. Ta victime a gardé des souvenirs de la soirée et a été capable de donner une vague description de toi. Je ne sais pas si ça va aller plus loin. Je ne suis pas certain qu’on puisse réellement te relier. Mais, je préfère jouer les coups d’avance et nous devons voir notre avocat au cas où. Si tu es arrêté et accusé de l’avoir drogué et volé, nous devons réagir rapidement. » Mes prunelles se posaient sur Rob. Je déglutissais difficilement ne trouvant pas quoi répondre. La main de Rob glissait dans mes cheveux et dans ma nuque en une caresse rassurante à laquelle je me dérobais. Le reste du trajet se faisait dans le silence si ce n’était la voix de Rob au téléphone à gronder contre plusieurs personnes. La voiture s’arrêtait et je suivais sagement Rob. Sa main dans mon dos, je gardais ma tête baissée. Nous ne tardions pas à pénétrer dans un bureau et nous n’étions pas seuls. Une voix se faisait entendre. Une voix qui me poussaient à relever la tête soudainement. Mes iris se posaient sur lui. Cet homme qui ne semblait pas être un inconnu. Cet homme qui venait éveiller des films du passé. Ou peut-être que j’hallucinais sous l’effet de la panique. Secouant la tête, j’offrais un bref hochement de tête pour saluer l’avocat avant de baisser ma tête de nouveau suivant Rob qui me poussait à avancer. Rob saluait l’homme avant de rejoindre son fauteuil m’entraînant avec lui. Gamin qui connaissait parfaitement le comportement à avoir. Gosse soumis qui savait se mettre là où il fallait. Tête baissée, je restais sagement debout à côté de Rob à attendre.

La panique pulsait dans la totalité de mon corps. F*ck, f*ck, f*ck. Le mot tournait en boucle dans ma tête tandis que tout se mélangeait dans mon être. J’avais échappé à la prison en acceptant de bosser pour Rob. J’avais échappé à la prison après avoir tué mon père malgré les preuves accablantes que Rob possédaient contre moi. Et, putain, je risquais peut-être de tomber pour avoir simplement rempli une mission. Je risquais de tomber pour des actes moins horribles que d’autres que j’avais pu commettre par le passé. Je ne pouvais pas aller en prison. Il y avait mon mari. Il y avait ma fille. Et je… Oh bordel… Si je continuais ainsi, j’allais finir par faire une grosse crise et Rob n’allait pas être content. Fermant les yeux, je comptais lentement dans ma tête pour tenter de faire refluer la panique. Soudainement, la voix de l’avocat parvenait à mes oreilles. Je m’empressais de me donner une claque mentale. Ce n’était pas le moment de sombrer dans le tourbillon de panique. Ce n’était pas le moment de plonger dans une méditation pour me calmer. Les sentiments devaient se taire. La panique devait s’effacer. Je devais prendre le contrôle. Il fallait que je reste concentré sur le moment et les mots qui allaient s’échanger dans cette pièce. Les premiers mots me poussaient à sourire de façon amusé sans pour autant bouger parce que je n’en avais guère la permission. Associé... Le propos était intéressant. Néanmoins, je n’étais pas réellement un associé de Rob. J’avais été son ami, son meilleur ami. J’avais été son amant un temps, presque son copain. J’aurai pu devenir son compagnon pour la vie s’il n’avait pas laissé son père Antonio prendre sa place. J’étais devenu le compagnon marionnette du père de Rob par le passé. Jusqu’à ce que je tue Antonio et quitte le monde de la Mafia. Un monde dans lequel je me retrouvais de nouveau. Rob grognait. Mon sourire s’effaçait aussitôt lorsque son regard se posait sur moi. Un bref regard avec un mouvement de tête et je bougeais. J’allais chercher une chaise avant de venir la placer aux côté de Rob. Rob qui prenait soin de la rapprocher de lui d’ailleurs. Je m’installais sur cette chaise les yeux baissés. Ainsi posé, je ne savais plus contrôler la vague de panique physique. Mes jambes s’agitaient toutes seules et la main du mafieux s’empressait de se poser sur mon genou. Une prise à laquelle je ne pouvais me défaire. Une prise qui m’apaisait malgré tout tandis que la voix de Rob s’élevait.

« Ce n’est pas directement pour moi, Emilien. C’est pour lui. »

Mordillant nerveusement ma lèvre, je continuais d’attendre en silence sachant que, même s’il m’avait désigné, je n’avais pas le droit de bouger. Ne pas parler. Ne pas relever la tête. Ne pas me faire remarquer. Juste obéir. Toujours suivre les règles. Rob ne tardait pas à reprendre « Il a rempli une mission à ma demande. Une mission que des putains de connards ont fait foirer en se trompant dans leur connerie de marchandise. » La voix grondait trop fort. La main serrait mon genou. Mes prunelles se fermaient sous la douleur que ça provoquait dans ce genou déjà bien trop abîmé. Je restais silencieux encaissant la vague de douleur. Je savais le faire. J’avais toujours su le faire. La main du mafieux ne restait pas longtemps. Il ne tardait pas à la retirer pour placer ses deux mains sur le bureau avant de continuer à livrer les détails de l’histoire « Teo… Putain... » Oops, ça ce n’était pas bon prénom qui venait de commencer à glisser entre les lèvres de Rob. C’était ce prénom sous lequel il m’avait connu au lycée avant même que je n’entre réellement dans la Mafia. C’était ce prénom par lequel il m’appelait avant que les choses changent. C’était ce prénom qui ressortait quand les sentiments de colère étaient trop élevés et qu’il perdait le contrôle. Un contrôle qu’il reprenait en un quart de seconde puisqu’il n’avait même pas soufflé le prénom en entier. « Neal a dragué et drogué un homme avant de le faire monter dans une chambre. Une fois l’homme évanoui, Neal a récupéré une valise. Cependant, ce putain d’homme a gardé des souvenirs et a donné une description de Neal. » Rob se tournait brièvement vers moi pour m’ordonner « Debout chaton et vire ton haut ! » Sans la moindre hésitation, je me levais mâchouillant ma lèvre quand la douleur du genou s’éveillait. Je retirais mon pull et mon tee-shirt le plus vite possible et je restais torse nu, debout et immobile. Rob faisait un bref signe de tête vers moi comme pour inviter l’avocat à observer avant qu’il ne poursuive « Yeux et cheveux foncés. Silhouette grande, mais frêle. Torse avec des cicatrices. Accent Irlandais. » Le mafieux faisait de nouveau un signe à mon attention. Je m’empressais d’obéir enfilant de nouveau les vêtements avant de m’asseoir sur la chaise et de baisser la tête sagement. « Voilà ce que l’homme a donné comme description. Est-ce que ça permet d’identifier Neal à coup sûr ? Je ne pense pas. Presque personne ne sait qu’il bosse pour moi. Les rares personnes au courant sont sous contrôle. Je me doute aussi que le chaton a fait exprès d’utiliser l’accent Irlandais alors qu’on ne l’entend pas tous les jours dans sa voix. Néanmoins, si Neal vient à être identifié, je préfère avoir un coup d’avance. Il ne doit pas tomber. » Les mots étaient froids et sans appel. La demande était claire et impossible à éviter. Je ne devais pas tomber. Je ne devais pas finir en prison. Est-ce que Rob le demandait pour pouvoir continuer à m’utiliser ? Ou est-ce qu’il le demandait parce qu’il tenait réellement à moi et ne voulait pas que je finisse derrière les barreaux loin de ma fille et de mon mari ? Je n’en savais rien. Je n’aurai même sans doute jamais la réponse.

Je haïssais cet instant. Je détestais ce moment. Ce n’était guère ce qui était prévu dans le contrat. Ce n’était pas ce qui était prévu au sein de mon engagement pour la Mafia, pour Rob. J’avais accepté de bosser pour lui. J’avais accepté d’accomplir des missions. Mais, zut, je n’avais jamais accepté d’être traité de cette manière. Gosse qui avait l’impression de revenir des années en arrière. Gamin qui avait la sensation d’être pris au piège et d’étouffer lentement. Le frisson désagréable courrait sur ma peau à cette idée. Je ne voulais pas être de nouveau cette marionnette dont on faisait ce qu’on voulait. Je n’avais pas envie d’être ce gamin complètement soumis qui se retrouvait pris au piège dans un monde le bousillant de plus en plus. Je ne voulais pas que Rob agisse comme l’avait fait son père à mon égard. Je refusais de n’être que cet espèce d’objet utilisé comme il le désirait. Je ne voulais pas être cet être qui devait juste se taire, suivre, obéir. Je n’aimais pas cette sensation. Je ne l’aimais plus. Si par le passé, elle ne m’avait pas dérangé pendant des années, c’était différent maintenant. Dans ce présent, ça me dérangeait déjà. J’avais envie de tout envoyer en l’air. Je voulais trouver la faille pour reprendre le pouvoir de cette histoire. Je voulais reprendre le pouvoir sur Rob et peut-être que je pourrais finir par le faire. C’était la première fois que je découvrais son bureau. Et, putain, Rob était clairement trop protecteur à mon égard. Il semblait tomber de nouveau et ça ça ne pouvait que jouer à mon avantage. Les propos de l’avocat me confirmaient ce que je pensais alors que la réalité s’invitait. Rob s’était beaucoup trop inquiété pour pas grand-chose juste parce que ça me concernait. La description donné par la victime pouvait correspondre à d’autres personnes. Les souvenirs de l’homme drogué pouvaient coller à beaucoup d’autres. Il n’y avait rien de trop distinctif sur moi. Il n’y avait aucune cicatrice précise. Il n’y avait aucun détails me sortant clairement du lot. Si Rob m’avait donné la description avant ce rendez-vous, je l’aurai rassuré et il aurait peut-être laissé tomber l’affaire. En tout cas, il ne m’aurait sans doute pas traîné à ce rendez-vous en me mettant un peu trop en avant alors qu’il voulait que je reste dans l’ombre. Je levais mes prunelles sombres sur l’avocat lorsqu’il m’interrogeait. Pourtant, je ne répondais pas. Mes iris se détournaient pour se poser sur Rob comme en attente d’un accord pour ouvrir la bouche. Gamin emprisonné. Gosse dominé. De toute manière, l’avocat continuait à parler et il me donnait des consignes. Des consignes ? Mordillant nerveusement ma lèvre, je baissais les yeux parce que merde ça sonnait plus comme des ordres. Heureusement pour moi, les ordres n’étaient pas contraignant. Je n’utilisais pas mon accent Irlandais. Il m’échappait parfois lors de grosses crises, mais c’était rarement en public. Je ne comptais guère me déshabiller en public donc aucun risque sur ce point. En revanche, l’idée d’éclaircir mes cheveux me déplaisaient. Il faudrait voir si Rob allait m’y obliger.

Rob semblait d’ailleurs se détendre au fil des propos que l’avocat soufflait. Son inquiétude semblait s’envoler tandis que sa mine se renfrognait. Je le connaissais. Je savais qu’il devait se sentir ridicule maintenant. Ridicule d’avoir paniqué si vivement. Ridicule d’avoir demandé un rendez-vous pour si peu. Ridicule de ne pas avoir pris le temps d’analyser réellement la situation. S’il l’avait fait, il aurait pu obtenir les mêmes conclusions que celle de l’avocat non ? S’il l’avait fait, il aurait pu se rendre compte que le risque pour moi demeurait moindre. Le soupir de Rob résonnait dans la pièce. Je me tendais automatiquement conscient qu’il pouvait soit prendre sur lui, soit péter un câble. Je me tendais dans l’attente de voir. Je me tendais de peur que des objets se mettent à voler dans la pièce parce qu’il serait en colère après lui. Quoique… Il n’allait pas avoir un tel comportement face à l’avocat n’est-ce pas ? Non sans doute pas. Rob s’apprêtait à ouvrir la bouche lorsque des coups étaient frappés sur la porte l’obligeant à lever les yeux. Un des bras droits du mafieux faisait quelques signes. Lorsque la porte se refermait, Rob fixait de nouveau l’avocat avant de souffler d’un ton calme « Bien. Comme toujours, je vois que tu auras la situation bien en main en cas de besoin. Je vais devoir vous abandonner là. On m’attend ailleurs. » Vous? Je sentais mon cœur cogner plus fort dans ma poitrine. Rob me faisait signe de ne pas bouger. Rob allait me laisser là avec l’avocat ? La réponse ne tardait pas à tomber lorsqu’il reprenait « Emilien merci de t’être déplacé et désolé de ne pas pouvoir rester plus longtemps. Je te laisse Neal pour qu’il puisse répondre à tes questions en rapport avec cette histoire afin que tu aies tout ce qu’il te faut s’il y a besoin. » Effectivement, j’allais me retrouvé abandonné en tête à tête avec l’avocat. Un avocat qui éveillait des images du passé. Un avocat qui provoquait d’étranges sensations à chaque fois que mes prunelles se posaient sur lui. Mon regard se posait sur Rob lorsque sa main s’abattait sur mon épaule. Il captait mon attention pour souffler « Tu réponds aux questions qu’il a en rapport avec cette histoire chaton. Quelqu’un te déposera de nouveau au travail dès que vous aurez terminé. » Certains mots étaient clairement appuyés. Les consignes étaient claires. Je ne devais pas répondre à des questions sans rapport avec l’histoire. Je ne devais pas suivre l’avocat en sortant. Hochant la tête, la main de Rob glissait dans ma nuque avant qu’il ne fasse le tour du bureau pour serrer la main de Emilien. Il se dirigeait ensuite vers la porte qu’on lui ouvrait sans perdre de temps. Alors qu’il la franchissait, Rob se retournait soudainement pour lancer avec un sourire et un clin d'œil « Oh et Emilien, si tu désires un petit supplément pour ce déplacement soudain, Neal sait faire des merveilles. » Je relevais soudainement la tête « Mais je… » Les mots mourraient dans ma gorge lorsque mon regard croisait celui de Rob. Je baissais aussitôt la tête et j’attendais d’entendre la porte se refermer. Lorsque le bruit parvenait à mes oreilles, je relevais les yeux balayant brièvement la pièce du regard avant de poser mes prunelles sombres sur l’avocat. Les questions posées plus tôt se rejouaient dans ma tête. Tout en triturant mes doigts fichtrement mal à l’aise, je prenais pour la première fois depuis le début de l’entrevue la parole « Je n’ai pas donné mon identité. Ni prénoms, ni nom de famille. Je n’ai pas beaucoup parlé. Je l’ai écouté surtout. Je… Il a parlé de ses problèmes. Et je… Nous avons parlé de l’ambiance du bar et je… » Me raclant la gorge, j'hésitais un instant avant de murmurer « Je l’ai juste chauffé surtout… Alors non aucune information ne peuvent mener à moi. » J'en étais sûr et certain.

Les choses avaient été claires avec Rob. J’avais été suffisamment limpide pour qu’il sache où se trouvait mes limites dans ce que je pouvais faire pour lui. J’acceptais de droguer, de vendre, de draguer, de me déshabiller, de torturer, de tuer. J’acceptais déjà beaucoup putain. Le seul truc que je refusais dans ce deal était de me faire toucher par qui que ce soit. Je n’étais plus ce prostitué du passé. Je n’étais plus ce gamin dont le corps pouvait être utilisé. Je mentirai si je vous disais que cela ne me manquait pas. Je mentirai si je vous disais que je n’avais aucune envie de revenir à cette position de gosse soumis qui prenait son pied avec des étrangers. Mais, putain, ce n’était plus possible à présent. J’étais marié. J’avais promis fidélité. Et ça je voulais m’y tenir même si le manque pouvait pulser parfois dans mes veines. Parfois l’envie s’éveillait. Parfois le manque était si intense que j’avais envie de céder à l’appel de cette déchéance passé. Je n’avais pas fait de faux pas. Pas encore. Et j’espérais ne jamais en faire au cours du reste de mon existence. Néanmoins, rien ne pouvait être certain et mon mari le savait. Mon mari était conscient de mes efforts et d’un possible dérapage un jour. Il y avait certaines choses qu’il ne pouvait pas m’offrir. Il y avait certaines choses dont je me passais depuis notre mariage et ça manquait parfois. Fortement. Je tenais pourtant. Je faisais tout pour tenir quitte à m’enfermer dans une routine. Je restais sagement à cette place de mari fidèle et je l’avais fait savoir à Rob. Je pouvais faire beaucoup plus qu’il ne le pensait même puisque le mafieux avait beaucoup de mal à me croire capable de torture ou de meurtre même s’il avait vu ce que j’avais fait à mon père. Je pouvais faire énormément, mais il y avait cette limite et il l’avait accepté dès le départ. Le pacte avait été passé de cette manière et je refusais de revenir dessus. Aussi lorsque les derniers mots avaient quitté la bouche de Rob, je n’avais pas été capable de rester à ma place. Il avait fallu que je réplique comme pour rappeler les règles du deal. Gamin qui osait parler sans y être autorisé. Gosse qui se permettait de remettre les choses en question. Pourtant, je n’osais pas aller bien loin. Deux mots et je me taisais. Deux mots et un regard me poussait à retourner sagement dans mon rang. Un regard qui en disait tant. Un regard qui en disait trop. Un regard qui me filait les frissons dans le dos et qui me rappelait un peu trop les regards d’Antonio. Je baissais la tête et je restais sagement à ma place. Silencieux. Immobile. Je sursautais lorsque l’avocat pestait contre Rob. J’aurai aimé sourire devant les mots, mais quelque chose m’en empêchait. Ce sentiment qui me tordait le ventre. Cette sensation qui me compressait douloureusement. Je me contentais d’hocher brièvement la tête aux mots de l’avocat quelque peu rassuré à l’idée de savoir que je n’allais pas rompre ma promesse aujourd’hui.

D’ailleurs, j’avais bien envie de quitter les lieux au plus vite. J’avais bien envie qu’on me conduise de nouveau au Lord Hobo où je pourrais retrouver mon mari et souffler loin de cette histoire. Mais, pour se faire, il fallait que je réponde aux questions de l’avocat. Il fallait que j’offre toutes les réponses aux questions nécessaires. Alors, je ne perdais pas de temps et je m’empressais de lancer les réponses aux questions qu’il avait posé plus tôt. Les mots étaient lancés sans trop d’hésitation. La réalité était soufflée avec facilité. Je n’avais rien à cacher de toute cette histoire. Je ne devais rien cacher de tous ces événements. Et, de toute manière, il n’y avait pas grand-chose à en dire. Le tour allait vite être fait. Ma voix se taisait pour laisser place à celle de l’avocat et j’hochais la tête comme pour partager son avis. Ne rien avoir partagé de personnel était clairement un gros avantage qui m’empêcherait sûrement de finir comme le coupable de cette histoire si jamais elle allait plus loin. Je m’apprêtais à demander s’il avait d’autres questions lorsque l’homme refermait son carnet. Mes sourcils se fronçaient. C’était tout ? Il n’y avait rien de plus ? Je pouvais le quitter dès à présent et retourner à ma routine stable loin du monde mafieux. Oh… Peut-être pas. L’avocat me tendait son étui à cigarette et je secouais la main devant sans en prendre une. La nicotine me manquait. J’aurai bien aimé fumer une clope à l’instant pour tenter de me détendre après ces montagnes russes émotionnelles. Cependant, nous étions dans le bureau de Rob et je ne me sentais pas à l’aise d’oser faire quelque chose sans son accord préalable. Il avait bien dit que je devais juste répondre aux questions à propos de cette histoire avant d’être raccompagné au boulot. Juste ça. Rien de plus. La voix de l’avocat s’élevait de nouveau dans la pièce me poussant à me concentrer sur lui. Mes iris se relevaient sur lui lorsque le Teodoro lui échappait. Un peu trop doux. Un peu trop chaud à mes oreilles. Ça faisait bouillir le bas-ventre. Je gigotais sur la chaise déglutissant difficilement. Ainsi je n’avais pas halluciné et l’avocat avait bien fait parti de mon passé. Ce n’était pas la panique. Les films étaient bien réels. Il était bien présent. Le passé face à moi. Je me sentais avoir un peu trop chaud soudainement alors qu’il rajoutait quelques mots avec un surnom un peu trop agréable à entendre. Je me raclais la gorge gigotant de nouveau avant de souffler « Je… Je suis juste là pour parler de cette histoire qui dérange Rob. Rien de plus. Alors si tu… Pardon… Si vous n’avez pas d’autres questions à ce sujet, je vais m’en aller. » Gamin bien trop enfermé dans ses règles. Gosse bien trop paniqué à l’idée d’être surpris à désobéir. Peut-être que c’était un test tout ça. Mes prunelles sombres se promenaient un instant autour de nous dans ce bureau. Je repérais une caméra au mur dans un coin de la pièce. Je l’observais de longues secondes, mais j’étais incapable de dire si l’enregistrement était en cours ou non. Reposant le regard sur Emilien, je rajoutais « Je m’appelle Neal… » Et pas ce second prénom que peu de personnes utilisaient. Pas ce second prénom qui me liait trop à mon passé d’avant la Mafia. Baissant doucement la tête, je me remettais à triturer nerveusement mes doigts dans l’attente de l’accord pour quitter les lieux.

TW : Mafia, drogue, allusion à la prostitution, sexe, meurtre

J’avais pris la fuite pour échapper totalement à mon passé. J’avais pris la fuite et je m’étais mis à parcourir le monde en espérant me défaire entièrement de mon ancienne existence. Je ne voulais plus de Mafia dans ma vie. Je ne voulais plus de ces personnes qui m’avaient accompagné des années. Je ne voulais plus ces personnes qui me reliaient au Teodoro ou au Neal qui appartenait à Antonio. Non. Je ne voulais plus tout ça. Alors, j’avais pris la fuite pour tenter de n’être que Neal. Neal libre. Neal sans passé. Pendant de longues années, la fuite avait composé mon quotidien. Je n’étais qu’un gamin toujours sur le qui-vive. Je n’étais qu’un gosse qui n’osait jamais se poser. J’avais peur que mon père apprenne que j’avais survécu et qu’il vienne achever le travail. J’avais peur que la Mafia apprenne que j’étais celui qui avait tué Antonio et qu’il vienne s’en prendre à moi. J’avais peur des représailles. J’avais peur de ces clients du passé qui pourraient me retrouver et me vouloir de nouveau. J’avais peur de cette Mafia qui aurait eu le pouvoir de m’enrôler de nouveau. Alors, je bougeais. Partout. Toujours. Je n’étais qu’un fantôme dans les villes. Et, au fil des années, l’apaisement s’était invité. Personne ne me retrouvait. J’étais toujours cet inconnu au passé secret et au présent agréable. J’étais juste ce Neal libre qui n’avait pas à se justifier. J’étais simplement ce Neal qui pouvait prendre la route dès que ça devenait dérangeant. Mais, à force de bouger, la fatigue m’avait gagné. J’en avais assez de tout recommencer à chaque fois. Le danger ne semblait plus présent. Alors, je m’étais posé quelque part. Boston m’avait accueilli. Je m’étais senti apaisé. J’avais eu la sensation de pouvoir recommencer une vie à zéro. Stupide idée. Le passé s’était pointé ici. Soudainement. Réellement. Le passé avait repris possession de ma vie. Au départ, ce n’était que des personnes de mon passé. Lukas. Katalia. Ce n’était que des liens de ma vie passée et ce n’était peut-être pas si dérangeant que ça. Ils ne l’étaient pas en tout cas. Ils étaient des souvenirs agréables. Mais, bien trop vite, les choses s’étaient emballées. Côme était revenu et, bien trop rapidement, la Mafia était revenue sur le terrain aussi. Elle était revenue dans ma vie comme un cercle vicieux auquel je ne pouvais guère échapper et dont je ne pourrais jamais me défaire. Je n’étais plus Teodoro. Je n’étais plus le Neal appartenant à Antonio. Mais, à présent, même si j’avais la majorité du contrôle de mon existence, je devenais de plus en plus le Neal de Rob. Le Neal de la Mafia. Une Mafia qui n’avait pas changé. Une Mafia pour laquelle j’avais refusé de donner mon corps alors que je donnais déjà tant de mes capacités. Une Mafia qui voulait pourtant m’utiliser comme avant alors que Rob semblait vouloir m’offrir à l’avocat comme récompense supplémentaire. Ça me déplaisait. Je me révoltais et… Non. La révolte se taisait. Je redevenais le gosse soumis et sage qui acceptait simplement sa position. Rob disparaissait. Je m’empressais de répondre aux questions de l’homme qui provoquait des souvenirs. Je me hâtais de souffler les mots pour quitter les lieux au plus vite. Néanmoins, la porte de sortie ne semblait guère se dessiner même lorsque l’avocat refermait son carnet. Je n’étais qu’un gamin pris au piège.

Le prénom de mon passé résonnait. Ce Teodoro que je n’entendais quasiment plus. Pas en entier en tout cas. Pas de la bouche d’un autre que mon mari. Pas comme ça. Putain. Mon ventre se tordait. Je gigotais. Je déglutissais. Et, je tentais de garder le contrôler. Je tentais de remettre la réalité en place comme si j’avais le pouvoir de Rob pour faire respecter les choses. Je n’étais là que pour répondre à des questions sur une histoire. Rien de plus. La question de l’avocat ne tardait pas à résonner dans la pièce. Le sourire amusé passait sur mes lèvres tandis que je baissais la tête. J’aurai eu tant de choses à souffler à cette interrogation. J’aurai pu lancer tant de choses qui justifiaient mon respect des demandes de Rob en son absence. Ouais, il y avait tant de mots à l’intérieur de ma tête. Pourtant, pour toute réponse, Emilien n’avait le droit qu’à un bref haussement d’épaules. Un bref haussement d’épaules comme pour dire que je n’en savais rien alors que, bordel, je savais parfaitement les choses. Je connaissais la réalité. Je connaissais Rob. Je connaissais son pouvoir sur moi. Mes prunelles ne tardaient pas à bouger dans la pièce pour trouver la caméra. Une caméra qui me poussait à me féliciter d’avoir fermé ma bouche. Je ne savais pas si elle était allumée. Mais, je savais que je ne voulais pas prendre le risque de tenter. Emilien soufflait des propos qui se voulaient rassurant. Il lançait la réalité d’un accord qu’il avait passé avec Rob. Néanmoins, ça ne me suffisait pas à moi. Malgré ces propos, je ne prendrais pas le risque de déroger aux règles. Je ne prendrais pas le risque de m’écarter du chemin si ce n’était pour souffler que le Teodoro n’existait plus. J’étais Neal. Juste Neal à présent. Un Neal qui attendait l’accord pour quitter les lieux. L’accord n’allait guère tomber. Emilien bougeait. Il faisait le tour du bureau pour venir s’asseoir dessus trop proche de moi. Mon souffle se coupait un instant. Le flash s’invitait dans le crâne. Emilien et mon père. Emilien et moi. Emilien nu. Emilien en train de… STOP. Je fermais les yeux pour mettre fin à ce flux tandis que les doigts attrapaient mon menton avec tendresse. Je ne me défaisais pas du contact. Je n’en avais pas le droit n’est-ce pas ? Rob m’avait offert après tout et il fallait bien que je l’accepte. Les questions tombaient encore. Elles n’avaient pas le moindre rapport avec l’affaire importante. Elles portaient sur des choses auxquelles je ne pouvais répondre. Je gardais la bouche close. Je restais sagement dans mon rang. Je restais parfaitement à ma place. Gamin soumis et sage. Gamin obéissant et docile. Le pouce frottait ma joue et j’osais ouvrir les yeux lorsque Emilien s’éloignait en soufflant de nouveaux mots. Des mots qui me poussaient à soupirer. Toute cette situation jouait avec mes nerfs. Entre l’histoire de Rob et ce risque qui pesait sur moi et la présence de cet homme qui m’avait chamboulé dans le passé entre les draps, il m’était foutrement difficile de rester là où je devais. Me redressant soudainement, je me mettais sur pied en soufflant « Je vois que vous n’avez pas d’autres questions en rapport avec ce que Rob demande alors je n’ai plus de raisons de demeurer ici… » Non plus la moindre raison de rester dans ce lieu. Je pouvais quitter le bureau n’est-ce pas ? Contournant le bureau, je n’attendais pas de réponse tandis que je me dirigeais vers la porte. Cependant, avant même de l’ouvrir, je me retournais de nouveau vers Emilien pour lancer « Il y a tant de choses que tu ne sais pas Emilien… Ma vie a dû prendre un autre tournant. Je suis Neal maintenant. Et je… Rob a le pouvoir alors je sais parfaitement où est ma place et ce que je suis censé faire même en son absence. Quant à donner mon corps sans mon avis, ça a été ma place un temps... À croire qu'on ne peut pas échapper à son passé. » Ma langue glissait sur mes lèvres tandis que je me taisais soudainement. J’en avais trop dit. Je n’étais pas censé souffler tout ça. Me détournant de nouveau, je posais ma main tremblante sur la poignée sans être capable de l’actionner. Après tout, je n’avais pas encore eu l’accord oral de quitter les lieux et Rob ne serait pas content si je partais comme ça sans autorisation. Gamin bien trop enfermé dans sa nouvelle cage de règles.