Mon histoire commence, je le crois, avant ma naissance, lorsque Adam Foster, amoureux, décida d'enlever ma mère, Daya, à son Inde natale pour l'amener vivre dans le Kentucky. Je ne suis pas certaine que c'était ce dont elle rêvait pour sa vie, je ne sais d'ailleurs pas ce que ma mère désirait à cette époque là, mais elle l'a suivi. Elle a dit au revoir à ceux qui l'avaient élevé. Malgré le fait qu'ils aient essayé de toute leur âme de l'en dissuader.

Et d'aussi loin que je me souvienne, elle m'a toujours dit, que c'était la plus belle de ses décisions, elle en parlait, je le jure, avec une telle émotion.
Elle invoquait souvent, la volonté de certains de ses dieux pour justifier son acte, mais la seule vérité, je la connaissais, c'était que malgré toute la bonne éducation reçue de la part de mes grand-parents, elle ne pouvait s'empêcher de l'aimer. Un américain même pas baptisé.

Ils se sont mariés, dans la plus petite église de Georgetown, des photos vieillies traînent certainement dans l'un des placards de mon appartement. Il n'y avait pas grand monde, et ce n'était pas une de ces cérémonies indiennes que l'on voit au cinéma, mais sur leurs visages, plusieurs fois, on pouvait remarquer du bonheur, l'éclat.

Et quelques mois plus tard, ils ont décidé de réparer leur erreur, réparer la fuite et le déshonneur. Ils sont retournés en Inde, et mes grands-parents n'ont pas eu le choix. Surtout que ma mère me portait en elle, déjà.
Je suis donc née, dans un pays dont je porte les trait. Arrivée, un jour d'avril un peu trop ensoleillé, petite fille à son papa qui ne quittait que très peu ses bras. Et mes grand-parents maternels ont mis de côté leur rancœur, bien au contraire, d'ailleurs. Ils se sont amourachés de moi, et de mon joli minois ainsi que de mon père et de son grand coeur.
Quand j'y réfléchis, je me dis, qu'elle était là, toute la beauté de ma vie. Nous n'étions pas les plus riches, mais nous avions, ce que peu de personnes peuvent se vanter de posséder, des cœurs battant à l'unissons.  

J'étais le parfait mélange, l'amalgame subtil entre l'Amérique et l'Inde et j'en aimais, je l'avoue, tous les aspects. Thanksgiving me rendait reconnaissante, et la Holi me donnait toutes ses joies. On vivait entre les deux pays, mon père étant attaché au Kentucky. On allait pas en Inde bien souvent, mais je chérissais ses instants. Lorsque j'étais enfant, j'avais cet étrange sentiment, celui que tout irait bien... Pour longtemps.

Longtemps, finalement, s'est arrêté l'année de mes seize ans. Mon père avait mal à la tête. Vraiment mal. Lancinant mal.
Et faute de ne savoir plus, cette soirée là, alors qu'il délaissait notre rituel d'émission télévisée pour aller s'allonger, je me suis contentée de lui donner du paracétamol avec un sourire désolé.

Et puis ce fut le brouillard, un trou noir. Les lumières aveuglantes des pompiers. Les flashs et les questions auxquelles je ne savais plus répondre. Les larmes d'un mère effondrée, et mon envie de lui dire de se relever. Je ne sais plus qui m'a conduite à l'hopital ce soir là, c'était comme si mon cerveau avait effacé toute cette nuit alors que l'enfer s'ouvrait sous mes pas. Je n'avais pas vu mon père depuis son départ dans l'ambulance, et dans cette salle d'attente j'avais froid.

La peur nous donne froid, l’incompréhension aussi, l'ignorance. Cela engendre l'errance. J'ignorais pourquoi je ne pouvais pas encore le voir et espérer le ramener chez moi. Ce n'est qu'au moment où on m'a amené dans un bureau médical inconnu que j'ai compris. J'ai compris combien elle peut s'arrêter vite, la vie. Combien elle peut basculer. Sans encore avoir entendu les mots prononcés, je le savais. " Mademoiselle Foster, votre père a fait un AVC. " Mais ce pompier, ne m'avait-il pas dit qu'il allait le réveiller ? Ce n'était pas cette promesse qui était sortie de sa bouche écorchée ? " Où-es ma mère ? " Parce que c'était à elle qu'il fallait dire cela, pas à moi. Je n'étais qu'une enfant, et je n'avais pas les épaules pour ça.

" Nous avons été obligé de la calmer... " Elle est morte en même temps que lui. J'en suis encore plus consciente aujourd'hui. Lorsque mon père nous a quitté, j'ai perdu mes deux parents. Elle est partie en même temps que son amant. " Il est dans le coma, en mort cérébrale... Il ne se réveillera pas. Mademoiselle Foster, je suis désolé. " Les mots ont la force des balles, parfois. Ils explosent le cerveau en un claquement de doigts. Bien que toute la délicatesse du monde se trouvait dans son regard, il m'a heurté, il m'a achevé, comme une bête en train d'agoniser. Cet homme de médecine que je ne connaissais pas, celui qui a fracassé mon monde de sa voix. Mon propre Lucifer celui qui à ouvert les portes comme personne ne pourrait plus jamais le faire. Il m'a fait prendre un allé simple et direct pour l'enfer.

L'enfer, pour moi, c'était Georgetown, ville devenue trop petite, rues ne représentant que les souvenirs d'une enfance qui ne serait plus. Le monde a complètement changé, il y avait la vie d'avant et celle d'après. Et j'en porte en moi encore toute la colère. Pour partir, il me fallait tout faire. Alors j'ai étudié, plus que de raison, me suis coupée du monde afin d'obtenir ce que je voulais. Je suis devenue la major de toutes mes années. Surdouée. Je me suis fixée un but à atteindre pour ne pas sombrer dans la folie, puisqu'elle ne s'arrêtait pas pour tout le monde, la vie.

Mon père n'aurait pas voulu que je fasse comme celle qu'il avait aimé, plongée en permanence dans son errance. Submergée par sa souffrance. Alternant entre moment de lucidité et instants de folie incontrôlée. Ma mère, victime de la fin d'une ère.
Je voulais devenir médecin, je voulais pouvoir croire que mes mains se devaient d'être celles du destin. Ca n'a pas été facile, je ne peux le cacher, mais Harvard était ma priorité, et bien que certains diraient que j'en ai oublié de vivre, cela n'avait pas d'importance âgée de dix-huit années, je l'avais, mon ticket d'entrée pour la plus prestigieuse des universités.

Les remords ont commencé à me ronger à ce moment, comment pourrais-je partir et la laisser ? Cette mère qui sans moi était forcément destinée a couler ? Mais j'en avais besoin, égoïste dans le fond, forcée de constater que ma vie ne devait pas se résumer à aider une mère devenue son ombre depuis deux ans déjà. Je voulais autre chose, et surtout, je croyais en moi. Avec une valise étriquée, un compte en banque pas des plus pleins, boursière grâce à mon dossier hors du commun, j'ai pris l'avion pour Boston et je n'ai versé aucune larme de quitter cet endroit qui m'avait vu grandir mais m'avait aussi brisée.

Dix ans ont passé depuis ce vol. Dix ans d'acharnement, d'amusement, de prise de tête, de confiance et de perte d'assurance. Dix ans avant de commencer le réel but, l'ultime, le Graal. L'internat en médecine et mon non-droit à l'erreur. Je le jure, je ne ferais jamais s'arrêter de battre les coeurs.