Tout était parti d’un putain de cauchemar… Un putain de cauchemar qui m’avait poussé à quitter la chambre que je partageais avec Nixon en pleine nuit… Un putain de cauchemar qui m’avait conduit à sortir de l’hôtel avec une bouteille de Tequila que j’avais descendu tout seul si rapidement… Ma soirée s’était améliorée lorsque Tomas m’avait retrouvé sur le plage. J’avais passé des heures fabuleuses avec mon Sweetheart avant de nous dire au revoir pour aller dormir chacun de notre côté. Je voulais retrouver les bras de Nixon. Malheureusement, ma tête semblait contre ce repos et elle s’était mise à me charcuter de nouveau. Elle m’avait tellement heurté que j’avais fini par reprendre une bouteille de tequila avant de m’éloigner de l’hôtel. Un peu plus… Toujours plus… Et, lorsque j’avais fini la bouteille, j’avais écris à Lukas. Pourquoi lui et pas Nixon ? Je n’en savais rien. Peut-être que j’avais juste envie de laisser Nixon se reposer. Ou peut-être que, dans le fond, une part de moi savait déjà que des secrets allaient être révélés et que c’était Lukas qui devait les entendre. Peut-être pour le faire fuir… Bordel j’en savais rien. Tout était parti d’un putain de cauchemar… Tout s’était terminé avec des confessions que je n’aurais jamais dû faire. Tant de révélations avaient glissés dans notre conversation. Des révélations que j’avais volontairement occulté à mon réveil. Des révélations auxquels j’étais obligé de faire face tandis que mes yeux parcouraient de nouveau de notre conversation de ce matin. Mon cœur cognait de plus en plus fort. Mon ventre se tordait si violemment. J’aurais aimé me précipiter aux toilettes pour vomir, mais plus rien ne sortait. Et voilà que Lukas me disait qu’il voulait m’appeler. Je pesais le pour, le contre. Je ne savais plus. Finalement, je quittais le lit dans lequel j’étais couché pour aller m’isoler sur la terrasse acceptant ce coup de fil. Je ne voulais pas sortir de la chambre. Je m’installais à même le sol tant je n’avais pas le courage de m’asseoir sur une chaise. Et son nom apparaissait sur mon écran. Lukas m’appelait comme je lui avais dit de faire. J’avais donné mon accord. Cependant, maintenant que je voyais sa photo s’afficher, j’avais envie de le faire basculer sur répondeur. Tellement envie. Non. Mon doigt appuyait sur le bouton vert et je portais le téléphone à mon oreille où sa voix résonna aussitôt. Mon prénom. Mes surnoms. Et un sanglot passa la barrière de mes lèvres sans que je ne sois capable de le retenir, sans que je ne sois capable de le passer sous silence. Je ne répondais pas. Et il reprenait bien vite la parole pour me demandait comment ça allait mal. Mes yeux se fermaient. Je reniflais bruyamment avant de babiller « Je… J’mal au ventre… Je… J’me sens pas bien… J’veux tout casser… J’veux disparaître… Je… J’sais pas… J’mal au cœur… J’arrive pas… J’arrive pas à respirer normalement… Je… J’veux que tout s’efface... » Putain ouais, j’en savais rien en fait. Tout se mélangeait tellement dans ma tête. Je ramenais mes genoux contre mon torse me plongeant de nouveau dans le silence parce que je n’avais pas le courage de parler. Je n’avais pas le courage de commencer une discussion.

Les larmes dévalaient mes joues à une vitesse folle sans que je ne sache comment parvenir à les arrêter. Je ne savais même pas comment faire pour les retenir. Heureusement que je m’étais mis dos à la baie vitrée pour éviter que Nixon puisse me voir en train de chialer comme un abruti. Je ne voulais pas l’inquiéter, mais là il fallait que ça sorte. C’était trop. Ça bouleversait la totalité de mon existence. Ça bouleversait la totalité de ma relation avec Lukas. Ce n’était pas possible que son avis sur moi n’ait pas changé. Ce n’était pas possible qu’il pense toujours les mêmes choses de moi. Non, ce n’était pas possible. Je confiais à quel point j’allais mal sans même chercher à tergiverser, sans même tenter de le cacher. Ça servait à rien maintenant. Il en avait déjà tellement lu… Peut-être pas le pire encore. J’avais été capable de garder pour moi les horreurs que j’avais commises… Mais combien de temps serais-je capable de garder le silence ? Mes prunelles se tournaient vers l’intérieur de la chambre accrochant un instant la silhouette de Nix’ toujours sur le lit. Et ça m’apaisait de le savoir là à quelques mètres. Ça m’apaisait de savoir que je pouvais laisser tomber le téléphone et le rejoindre si ça n’allait pas. Je soufflas un coup détournant les yeux. Je fixais la vue ramenant mes genoux contre mon torse. Je restais foutrement silencieux parce que je ne savais absolument pas quoi souffler. Je ne savais même pas par où commencer. Merde, j’ignorais pourquoi Lukas avait voulu m’appeler au final… Est-ce qu’il voulait parler de mes secrets de vive voix afin d’éviter de conserver des traces écrites de cette histoire ? Est-ce qu’il voulait juste pouvoir vraiment me montrer à quel point il était sincère ? Ou peut-être qu’il voulait me dire de vive voix qu’il était dégoûté par moi, par mon corps ? Peut-être qu’il voulait me balancer qu’il ne pourrait plus jamais me toucher après avoir appris tout ça et avoir pris un peu de recul ? Sous ces folles idées, un nouveau sanglot franchissait mes lèvres de façon foutrement incontrôlable. Je me mordais la lèvre pour éviter de faire trop de bruit, pour éviter d’attirer l’attention de Nixon. Je déposais mon front contre mes genoux et ma respiration s’emballait de nouveau. C’était comme si elle courrait des mètres devant moi et que je n’allais pas assez vite pour l’atteindre et me réguler. Mon cœur me faisait si mal que j’avais l’impression qu’il était en train d’exploser en morceaux. Mon ventre était si douloureux que je ne pourrais sans doute rien avaler dans les jours à venir. La voix de Lukas résonnait de nouveau dans le combiné. Il m’appelait de ce ‘bébé’ qui retenait mon attention et me poussait à réellement me concentrer sur ce qu’il soufflait. Ouais, j’étais là et j’écoutais tout ce qu’il me disait. Il avait la totalité de mon attention. Il comprenait que j’allais mal, mais c’était normal. Et, même s’il ne pouvait pas me voir, j’acquiesçais derrière mon téléphone laissant les mots pénétrer ma tête. Lorsqu’il ajouta que je ne voulais pas que ça sorte et que c’était sorti, un nouveau sanglot glissait entre mes lèvres. La réalité me percutait de nouveau. Putain… Lukas parlait si lentement. Il semblait tellement calme et je ne comprenais pas comment il pouvait l’être après tout ça. Mais, je me concentrais sur ce qu’il disait, sur ce qu’il me soufflait de faire. Il utilisait encore ce surnom qui me faisait frisonner délicieusement. Des mots en Italien résonnèrent m’accrochant parfaitement… Et les sentiments confiés m’accrochaient encore plus tandis que je babillais un « J’taime aussi... » juste pour qu’il l’entende. Simplement pour qu’il le sache. Lukas me disait qu’il ne me laissait pas et je redressais la tête passant ma main dans mes cheveux. Ma respiration s’apaisait doucement comme si elle s’était calée d’elle-même sur celle du sexy musicien. Et le silence résonnait de nouveau. Un silence que je ne pouvais pas supporter parce que je m’empressais de babiller « Je… J’suis désolé de t’avoir balancé tout ça… T’aurais jamais dû le savoir… J’voulais pas… Pas aussi tôt… » Ma langue glissait sur mes lèvres. Coinçant l’appareil entre mon épaule et mon oreille, je fouillais mes poches à la recherche d’un paquet de cigarettes que je n’avais pas sur moi. Damn it. Reprenant le téléphone en main, je murmurais soudainement « Je… J’suis prêt à en parler… Là… Si tu veux… Je… Une fois pour toute… »

Je n’avais pas de cigarettes sous la main pour m’aider à me calmer et je n’avais aucune envie de me lever pour rentrer dans la chambre récupérer mon paquet de clopes. Je savais que si je rentrais, Nixon allait me voir dans cet état minable et il voudrait que je raccroche parce que c’était en train de me foutre en l’air. Réellement. Totalement. Mais, je ne voulais pas raccrocher. Pas tout de suite. Je voulais rester accroché à ce téléphone. J’en avais tellement besoin. J’avais besoin de l’entendre. Alors, il fallait que je fasses sans clopes pour une fois. Il fallait que je trouve une autre manière de calmer la panique dévastatrice qui cognait dans mon corps. Alors, malgré moi, malgré la présence de Lukas à l’autre bout du fil et celle de Nixon juste à côté, je laissais mes doigts traîner sur mon genou que je commençais à gratter doucement comme cherchant à y faire une trace. Comme cherchant à y faire une marque. Comme cherchant à me blesser. Je sursautais lorsque la voix de Lukas résonna de nouveau dans mes oreilles et je fermais les yeux pour tenter d’arrêter de me heurter. Il me disait qu’il comprenait qu’il n’aurait pas dû savoir, il comprenait et il ne m’en voulait pas. Encore une fois, comme un abruti, j’acquiesçais sans pour autant fournir de réponse orale au jeune homme. Mon sexy musicien prenait une profonde inspiration et je le suivais. Presque trop en mode automatique. Presque comme si toute ma respiration s’était soudainement calée sur la sienne. Comme si tout mon être s’était calqué sur lui pour atteindre un calme qui ne viendrait sans doute jamais pour moi. Lorsqu’il m’appela bébé de nouveau, j’ouvrais les yeux attendant la suite sagement. Silencieusement. Il me disait qu’il aimerait que je l’écoute, que je l’entende et je babillais un oui sans doute trop inaudible juste pour lui prouver que j’étais là et que je l’écoutais vraiment. Lukas me soufflait qu’il ne me poserait pas de questions et je ne savais pas comment réagir à cette affirmation. Était-ce bien ? Était-ce mal ? J’en savais rien. J’aurais aimé qu’il puisse me demander ce qu’il voulait comme ça je n’aurais pas eu à tout dévoiler en babillant sans ligne de conduite. Mais, putain, j’appréciais qu’il ne tente pas de me tirer les vers du nez. Il me laissait juste faire parce qu’il n’avait pas de questions et qu’il ne comptait pas me forcer à lui en parler. Il ne me forcerait jamais. Si je voulais parler, je le faisais. Sinon, je ne le faisais pas. Je tiquais un instant ouvrant bien trop vite la bouche sans même réfléchir à ce que je foutais. « Je… Bébé… Pourquoi t’as cherché à m’pousser à propos de l’argent la dernière fois alors ? » Il devait s’en souvenir aussi bien que moi. Il devait se rappeler la façon dont il m’avait poussé en tentant de comprendre des choses dont je lui avais parlé sans vraiment en parler. Il avait voulu me contraindre à parler alors qu’il disait qu’il ne me forcerait pas… Ou alors ça ne valait que pour ces sujets sur lesquels je m’ouvrais. J’en savais rien. Mais, je ne comprenais rien. J’étais prêt à discuter avec lui et il refusait si je ne me lançais pas tout seul. Je ne savais pas me lancer tout seul. Pas sur un tel sujet. Je ne savais pas comment m’en tirer. La voix de Lukas me tirait de mes pensées alors qu’il me disait qu’il voulait que je comprenne qu’il pouvait être l’oreille dont j’avais besoin. Il ne voulait pas que je l’écarte de ma vie parce qu’il savait tout ça, parce que son regard aurait changé. Il me disait qu’il aurait été un monstre de coucher avec moi ce matin s’il n’était pas sincère. Je ne pensais pas ? J’haussais les épaules comme un idiot parce que j’en savais rien. Lorsqu’il souffla que s’il n’était pas sincère avec moi, il ne vaudrait pas mieux qu’eux, mon cœur se mettait à cogner plus fort et je déposais de nouveau mon front sur mes genoux pour retrouver un ancrage. Ma langue passa sur mes lèvres et je demandais soudainement « Je… Ce matin… Est-ce… Est-ce que tu regrettes ? » Je voulais savoir. J’avais besoin de l’entendre me dire réellement s’il regrettait ou pas de m’avoir fait sien ce matin. C’était plus fort que moi. Une partie de mon entre semblait crier qu’il y avait une part de regret dans l’air et j’avais besoin de l’entendre tant et si bien que je soufflais suppliant « Me mens pas… Steuplait... » Et, comme si cela pouvait aider à faire tomber la vérité, comme si cela pouvait le pousser à me parler pour de vrai, je redressais la tête fixant au loin avant de reprendre la parole pour conter mon histoire, pour balancer la réalité « Papa a jamais été tendre avec moi…  Quand j’étais gosse, il m’frappait pour m’endurcir qu’il disait… Et je… Maman… Elle a été assassinée et j’me suis retrouvé qu’avec mon père… Il est d’venu accro à l’alcool… Plus qu’avant… Et je… Il a pas arrêté… Tous les jours, il me frappait… La ceinture… Les flammes… Les étranglements… Les coups... » Je soufflais difficilement. Les sanglots s’entendant dans ma voix alors que les images me revenaient en flash. Mais, je reprenais bien vite « Et… Un soir après mes dix-huit ans, il m’attendait à la maison… Saoul… Fou… Il… Il savait que j’couchais avec des hommes et c’était trop… Il s’est déchaîné ce soir… Je… J’ai cru que j’allais mourir cette nuit là… Je… J’étais à moitié mort quand il a quitté la maison… Je… J’l’ai plus jamais revu… J’sais pas où il est… S’il vit encore… J’sais pas... » L’angoisse résonnait si violemment dans mes mots. J’avais tellement peur que mon père débarque un jour dans ma vie de nouveau. Envoyant cette angoisse valser au loin, je babillais « Ce soir-là, j’ai appelé un ami… Il faisait parti de la mafia et je… Vu que papa était flic, j’bossais pour la mafia comme pour m’venger… T’sais récolter des infos ou ce genre de trucs… Alors je… J’ai appelé cet ami avant de m’effondrer… Et je… C’est là que j’ai rencontré Antonio… Il m’a accepté dans sa famille… Comme un père,  un amant, un compagnon… J’sais pas… Tout… Je… J’me sentais bien… Tout allait bien… Puis je… Il… Il a fini par m’emmener avec lui sur des affaires… Il… Il a commencé à m’vendre à ses clients… Quelques heures… Des nuits complètes… » Je fermais soudainement les yeux. Mes doigts tremblaient si violemment. Mon cœur cognait si atrocement. « J’ai accepté parce que je… Je l’aimais et je… Il semblait heureux… Et je… Au fil du temps, j’y trouvais un certain plaisir aussi… Pendant quatre ans je… Mon corps était utilisé… Des hommes… Des femmes… Doux… Violent… Des heures… Je… Ça arrivait juste et j’l’ai accepté… C’là que… Qu’ma particularité s’est déclarée… C’là que j’ai commencé à m’perdre et je… J’fini par faire des choses à mes vingt-deux ans… Une chose et je… J’ai pu partir… Loin… » Le silence tombait soudainement après mes propos. Je me remettais alors à gratter mon genou fixant mon ongle avec la seule idée de voir le liquide rouge carmin débarquer. Mon souffle était de nouveau trop court. Foutrement trop court.

Je n’avais pas été fichu de fermer ma bouche et il avait fallu que je reparle de ce qui s’était passé en début de semaine. Il avait fallu que je revienne sur ce que Lukas m’avait fait parce que ça sonnait tellement en désaccord avec le comportement qu’il semblait vouloir adopter là. Il agissait de deux façons radicalement différentes et j’étais foutrement perdu. Je ne savais plus à quoi je devais me fier. Alors ouais, je remettais sur le tapis ce qui s’était passé et Lukas s’empressait de s’excuser avant de dire qu’il aurait dû se taire. Je tiquais aussitôt parce que, merde, ce n’était pas ce que je lui demandais. Ni avant. Ni maintenant. Ni après. Je ne voulais pas qu’il se taise. Je ne voulais pas qu’il passe sous silence tout ce qui lui trottait dans la tête lorsqu’il était avec moi. Une relation ça ne fonctionnait pas de cette manière. Je désirait simplement qu’il ne me pousse plus autant à bout. Je ne voulais pas subir cette pression que j’avais connu en début de semaine. Si je ne répondais pas, si je soufflais quelque chose qui apparaissait un peu trop comme un mensonge, Lukas devrait simplement l’accepter sans chercher à me faire culpabiliser, sans tenter de me charcuter pour savoir ce que je ne voulais pas lui dire. Ce que je n’étais pas encore prêt à lui souffler. Il devrait simplement se montrer patient parce que ça me demanderait du temps, parce que je n’étais pas comme les autres. Là. Tout seul sur ce balcon, je secouais négativement la tête alors que j’aurais aimé crier mon désespoir face à toute cette histoire trop intense et si compliquée. Je restais parfaitement immobile. Je restais totalement silencieux tandis que la voix de mon sexy musicien résonnait de nouveau de l’autre côté du téléphone. Il me disait qu’il ne referait plus cette erreur et mes yeux se fermaient aussitôt. Je regrettais d’avoir parlé. Je regrettais d’avoir fait cette remarque. Je ne voulais pas que les choses changent. Je ne voulais pas qu’il se renferme. Frottant mon front, je finissais par souffler « Excuse-moi… J’aurai pas dû remettre ça sur l’tapis… Ce… C’est juste que… » Que quoi ? Bordel, comment pouvais-je lui faire comprendre à quel point il m’était difficile de m’ouvrir à qui que ce soit ? Comment pouvais-je lui faire comprendre qu’il me fallait du temps pour faire confiance et accepter de confier des choses importantes ? Soufflant un grand coup, je finissais par reprendre « Je… Quand j’parle pas tout d’suite… Ça veut pas dire que je le ferais jamais… J’te parlerai un jour… Un jour tu sauras tout… Mais steuplait… Amore… Faut me laisser du temps… T’en sais déjà plus que n’importe qui alors je… Bébé… Si un jour, j’réponds pas ou que t’as l’impression que c’est un mensonge, c’juste que j’suis pas prêt… Laisse-moi du temps… » Ouais, du temps. C’était tout ce dont j’avais besoin dans la majorité des cas. Juste un peu de temps pour me préparer à parler, pour me sentir prêt à m’ouvrir. Et, putain, j’aurais sans doute besoin d’encore plus de temps après tout ce que je lui avais avoué ce matin. Après tout ce que je comptais encore lui confier dans quelques minutes.

Mais, avant de lui parler ouvertement, il y avait quelque chose d’important à aborder. Je déposais mon front contre mes genoux comme pour m’ancrer un peu plus dans la réalité et la question passait entre mes lèvres sans la moindre hésitation. Est-ce qu’il regrettait de m’avoir fait sien ce matin ? Est-ce qu’il regrettait d’avoir couché avec moi ? Je m’étais attendu à un silence un peu trop long. Cependant, non, il n’y avait même pas de silence. La réponse tombait trop vite comme si elle était déjà là depuis longtemps. La réponse tombait. Soudaine. Réelle. Douloureuse. Ouais, il regrettait. Je n’avais même pas besoin de le supplier parce que la vérité était déjà là. Si violente. Si dévorante. Elle me faisait tellement mal et j’éloignais le téléphone de mon oreille lorsqu’un sanglot passa la barrière de mes lèvres. Je ne voulais pas qu’il l’entende. Je ne voulais pas qu’il m’entende craquer comme ça. Je m’empressais de rapprocher le mobile de mon oreille lorsque sa voix résonna à nouveau. Et il disait encore que ouais il regrettait. Putain. J’avais compris la première fois. Il ne servait à rien de remuer autant le couteau dans la plaie. Ça faisait si mal. Lukas soufflait alors que nous n’aurions jamais dû le faire à cet instant. C’était clairement pas le bon moment. Alors ouais il s’en voulait. Il s’en voulait que je sois devenu sien de cette façon parce qu’il avait imaginé qu’au moins cette fois on aurait pu faire ça bien… Un sourire triste passait sur mon visage tandis que je me contentais de marmonner « J’vois… D’accord... » Et ouais, je comprenais parfaitement son point de vue. J’avais fait Lukas mien dans une boîte de nuit à la suite d’une espèce de dispute. Il m’avait fait sien sur une plage à la suite d’une nuit trop alcoolisé et de trop nombreux aveux. Ce n’était pas parfait. Je le savais. Je baissais les yeux triturant un peu plus ma peau. Pinçant. Tournant. Grattant. Tout essayer pour éviter de penser. Mais, malgré moi, je finissais par confier « Je… J’ai bien aimé moi… » Et putain, ouais j’étais sincère. J’avais tellement aimé être sien sur cette plage. Ça n’avait pas été parfait. Et ce n’était sans doute pas le moment rêvé. Néanmoins, à mes yeux, ça avait été réel. Ça avait été sincère. Et c’était tout ce dont j’avais eu besoin ce matin.

Ne voulant pas m’attarder plus longtemps sur le sujet, je finissais par fixer droit devant moi tandis que mon histoire se mettait à glisser entre mes lèvres. Presque aussitôt, la respiration de Lukas se faisait plus forte. Pas plus rapide non. Juste plus forte comme s’il cherchait à me pousser à le suivre, à me calmer sur son rythme pour me contrôler. Et j’essayais vraiment. Mais, je déraillais tellement en confiant ces vérités atroces. Les coups de papa. L’assassinat de maman. Ma solitude avec un père alcoolique et violent. Ma presque mort. Le sauvetage de la mafia pour qui je travaillais. Antonio qui m’avait fait aller mieux. Antonio qui avait fini par m’utiliser et me vendre à des clients pendant quatre années. Quatre ans à laisser des inconnus disposer de mon corps comme ils le souhaitaient, en y prenant moi-même du plaisir parfois. Ma particularité qui s’était développée à ce moment-là. Ma perte totale dans ces années jusqu’à faire une chose à mes vingt-deux ans pour me sortir de cet enfer. Le silence tombait bien vite et je me remettais à pincer ma peau, à gratter mon genou espérant voir apparaître le liquide rouge carmin. Lukas m’interpellait soudainement avec mes surnoms avant de dire que j’étais courageux. Un rire sans joie passait entre mes lèvres parce que, merde, c’était faux. Je le savais et je ne pouvais pas m’empêcher de secouer la tête. Je n’étais pas courageux. J’avais simplement su m’adapter pour survivre… Mais, j’étais resté une victime cloîtrée derrière ses murs. J’aurais été courageux en me rebellant contre toute cette horreur. Lukas me disait que quoi que disait la voix, j’étais courageux d’avoir traversé tout ça et d’être toujours là. Et j’aurais aimé lui hurler que non, mais il soufflait encore mon surnom russe. Et il balançait une nouvelle fois que j’étais courageux et que je pouvais être fier de moi si c’était la première fois que je le disais. Là, à cet instant, je ne pouvais plus me contenir et j’ouvrais rapidement la bouche « Je… J’me suis juste adapté pour survivre et je… J’suis resté une victime… J’vois pas ce qu’il y a de courageux à l’être… » Absolument rien sans doute. Non, rien du tout à rester dans cette position et à subir l’horreur. Je n’étais qu’un moins que rien. Je n’étais qu’un minable gosse qui n’avait pas mis fin à ses jours parce qu’il se sentait trop prisonnier dans la réalité. Je n’étais qu’un pitoyable gamin qui n’avait pas su se dégager de toutes cette toxicité. Ma langue glissa sur mes lèvres et je finissais par rajouter « Ce… C’la première fois que je détaille autant… Que j’offre autant de moi… De mon passé... » Ouais Lukas avait la priorité soudainement. Il avait un droit que personne d’autres n’avaient eu encore. Un droit qu’il partagerait bien vite avec Nixon. Mais, un droit qu’il était le premier à aquérir. Personne n’avait eu autant de morceaux de moi. Personne. Mon sexy musicien soufflait qu’il m’aimait et ça sonnait comme la première fois qu’il me l’avait dit. Si sincère. Si réel. Putain, est-ce qu’il était possible que, malgré mes secrets, malgré mon passé, rien n’ait changé entre nous ? Je croisais les doigts pour qu’une telle vérité soit possible alors que je soufflais « Amore… Je t’aime aussi t’sais… » Les larmes s’étaient arrêtées sur mes joues. Mon cœur cognait toujours trop fort. Mon ventre me faisait toujours mal. Mais, la crise de panique était loin. Je respirais presque normalement alors que je demandais soudainement « Alors je… Rien… Rien n’a changé entre toi et moi ? » Juste pour être sûr. Juste pour l’entendre de vive voix. Juste une fois.

Comme si nous n’avions pas assez de soucis comme ça sans cesse, il fallait que je remette dans notre discussion un sujet aussi dérangeant que brûlant. Il fallait que je reparle de ce quelque chose qui avait su nous déchirer violemment en début de semaine. De cette chose qui m’avait poussé à appuyer un bout de verre contre ma peau tant je ne parvenais pas à gérer. J’étais tellement idiot de remettre ça sur le tapis alors qu’on l’avait plus ou moins réglé. Ce n’était pas oublié. Ça ne pourrait jamais s’effacer. Néanmoins, nous avions su avancer et surpasser cette épreuve. Lorsque Lukas me souffla qu’il ne referait plus cette erreur, je regrettais presque aussitôt d’avoir parlé de ce sujet parce que ce n’était pas comme ça que je voulais que la situation se déroule. Je ne voulais pas qu’il se renferme complètement sur lui lorsqu’il était à mes côtés. Je n’avais pas envie qu’il se mette à faire attention à tous les mots qu’il prononçait. Je ne voulais pas qu’il se mette à réfléchir à toutes les questions qu’il me posait. Putain, non, je ne voulais pas que mon sexy musicien n’ait plus envie d’ouvrir la bouche en ma présence. Je refusais qu’il ait peur de m’interroger parce que les choses ne pourraient pas fonctionner comme ça. Avec tellement de non-dits. Avec tant de silence. Alors, je tentais de modérer la situation. Je tentais de lui prouver qu’il pouvait parfaitement me questionner, mais qu’il devait savoir où placer les limites. Si je ne parlais pas sur le champs, c’était parce qu’il me fallait du temps pour m’ouvrir sur certains sujets. Il en savait déjà tellement plus que n’importe qui parce qu’il avait une place plus importante que d’autres. Alors, zut, si je ne répondais pas ou que je soufflais un truc qui ressemblait à un mensonge, c’était parce qu’il me fallait du temps. Il me fallait de l’espace et de la réflexion. Putain ouais. Je ne pouvais m’empêcher de soupirer lorsque Lukas me disait qu’il n’aimait pas les mensonges. Personne n’aimait les mensonges. Moi le premier. Néanmoins, les mensonges étaient parfois nécessaires afin de maquiller une vérité un peu trop dérangeante, une réalité un peu trop dangereuse. Et, de toute manière, je ne mentais jamais réellement. J’omettais volontairement des informations… Ou je me contentais de forcer sur un point afin de faire oublier le reste. Mais, ce n’était pas vraiment mentir ça si ? Putain je n’en savais rien. Je n’avais aucune envie de me perdre dans ces débats. La voix de mon sexy musicien résonnait encore à mes oreilles alors qu’il me confiait que les mensonges étaient plus douloureux que la vérité et qu’il préférait que je lui dises pas maintenant plutôt que je lui mente. Et, même s’il ne pouvait pas me voir encore une fois, j’acquiesçais sagement. Les mots étaient durs, mais ils demeuraient tellement doux comme si Lukas ne voulait pas me vexer en souffler de telles choses. Mais, j’étais déjà tellement blessé et je finissais par murmurer « Je… J’ai l’impression de tellement te décevoir lorsque je ne réponds pas… » Et putain, c’était tellement vrai. Lorsque Lukas se mettait à m’interroger, je me sentais accolé au mur. Je me sentais un peu trop pris au piège. Alors ouais, bordel, à chaque fois, j’avais un moyen de me faufiler en dehors des filets. Cependant, cela revenait à infliger une blessure à chacune de mes tentatives et je ne pouvais pas putain. Ma langue glissait sur mes lèvres et je reprenais « J’ai l’impression de te blesser à chaque fois que j’évite de répondre… Alors je… J’panique et j’te balance ce qui pourrait être vrai avec l’espoir que ça passe sans faire d’histoire... » Je fermais les yeux me sentant terriblement ridicule sur le coup. J’haussais les épaules tout seul comme pour dire qu’il n’y avait rien de plus à dire sur le sujet, que j’agissais de cette manière et que je ne pouvais pas m’en empêcher.

Alors je voguais vers autre chose qui me préoccupait tellement. Je voguais vers un autre sujet qui pulsait si vivement en moi depuis mon réveil plus d’une heure plus tôt. Avant d’aborder mon histoire et de lever le voile sur mon passé, je devais parler de notre corps à corps imprévu sur la plage. Ce corps à corps dont je me souvenais peut-être un peu trop bien. Ce corps à corps qui faisait accélérer mon cœur et qui me donnait envie à nouveau. Ce corps à corps qui avait été si délicieux pour moi. Déposant mon front sur mes genoux comme pour m’ancrer un peu plus dans la réalité et ainsi éviter aux images de me revenir en tête, je laissais les mots passer entre mes lèvres. Je lui demandais s’il regrettait de m’avoir fait sien ce matin sur cette plage déserte. Est-ce qu’il regrettait d’avoir couché avec moi ? Il n’y avait pas de silence comme je l’aurais cru. Il n’y avait pas la moindre hésitation comme je l’aurais pensé. La réalité foutrement douloureuse et déchirante tombait simplement dans mes oreilles. Il regrettait. Mon souffle se coupait presque aussitôt et j’éloignais le mobile de mon oreille parce que c’était plus que je ne pouvais le supporter. J’éloignais ce téléphone et le sanglot passait la barrière de mes lèvres sans que je ne parvienne à le contrôler, sans que je ne sache comment le maîtriser. Néanmoins, je devais me reprendre. Vite parce que Lukas continuait de babiller à l’autre bout du fil. Il s’en voulait parce que nous n’aurions pas dû le faire à cet instant. Ce n’était pas le bon moment. Il s’en voulait parce qu’il avait imaginé que ça aurait pu se faire bien cette fois. Cette fois… Damn, cela signifiait qu’il regrettait peut-être aussi la première fois où je l’avais fait mien dans cette boîte de nuit à la suite de mes provocations, à la suite d’une espèce de dispute. Putain, ça faisait mal. Ça faisait tellement mal. Ça me heurtait si vivement de me rendre compte qu’il pouvait regretter des moments que j’avais réellement apprécier. Ok, ce n’était pas parfait et je n’allais pas prétendre le contraire. Néanmoins, lorsque c’était arrivé, ça semblait juste naturel et nécessaire. Au lieu de faire entendre ma voix et ma tristesse, je finissais par marmonner que je voyais, que j’étais d’accord. Et, dans le fond, c’était vrai. Je comprenais suffisamment son point de vue pour être d’accord avec lui. Triturant de plus en plus ma peau, je finissais par lâcher les barrières afin d’être complètement sincère. Je relâchais tout confiant que moi j’avais bien aimé ce corps à corps sur la plage. Oh ouais, vraiment bien aimé. Mon sexy musicien finissait par souffler que lui aussi et je mordais violemment ma lèvre pour me taire, pour ne pas sangloter. J’aurai aimé me réjouir de cette confession, mais je ne le pouvais pas. Pas alors que quelques secondes après, il me présentait ses excuses. Pourquoi ? Je ne savais pas. Je ne voulais même pas chercher à comprendre. Je n’avais pas envie de me perdre dans un tel sujet. Alors, je finissais par babiller « Steuplait… Sois pas désolé… Je… J’sais que les conditions n’étaient pas parfaites mais je… J’regrette pas de m’être offert à toi… Et je… J’veux pas que tu penses que je… Que j’t’en veux… Pour quoi que ce soit… J’t’en veux pas Amore... » Non, je ne lui en voulais pas. Pas le moins du monde. J’avais aimé cet instant aussi imparfait soit-il… Je l’avais aimé.

Et, lentement, réellement, le véritable sujet de cet appel venait se glisser entre nous. Ce n’était sans doute pas pour ça que Lukas m’avait appelé. Non, ce n’était pas pour ça qu’il avait voulu m’avoir au téléphone ce soir. Il voulait juste me montrer à quel point il était sincère, à quel point les secrets échappés de mes lèvres ne modifiaient strictement rien à ses sentiments, à sa manière de me voir. Néanmoins, de mon côté, c’était pour cela que j’avais accepté qu’il m’appelle. C’était pour lever le voile sur mon passé que j’avais consenti à dire oui à cet appel alors que je n’étais même pas sûr d’être suffisamment prêt pour le faire. Fixant droit devant moi, je finissais par babiller mon histoire. Je contais le cauchemars de mon passé entre mon père et la mafia, entre les coups et la prostitution. Je contais l’horreur tentant de me concentrer sur la respiration forte de Lukas pour ne pas me faire prendre par la panique. C’était compliqué, mais je parvenais à tout dévoiler. Et lorsqu’il finissait par dire que j’étais courageux, je riais sans la moindre joie sifflant que je ne l’étais pas. Je m’étais juste adapté au monde pour une survie. Mais, j’étais resté une putain de victime sans le moindre courage, sans la moindre rébellion. Mon prénom résonnait dans le combiné retenant de nouveau mon attention. Il me disait que j’étais encore en vie, que peut-être j’avais voulu mettre fin à tout ça, peut-être que cette cicatrice au-dessus de mon cœur c’était ça… Malgré moi, un sanglot m’échappait lorsqu’il en parlait parce que damn je me souvenais parfaitement de ce jour où je me l’étais infligée. Ce jour sur le bateau après avoir tué Antonio. Je n’avais pas hésité à appuyer sur la détente de l’arme posée contre ma peau. Je n’avais pas hésité une seule seconde. J’étais prêt à mourir ce jour-là si ça avait été mon destin. Je loupais des mots. Je perdais le fil de la conversation. J’entendais des bribes de ce qu’il disait. Il disait que j’étais vivant avec tout ce qui me bouffait. Il disait que, malgré tout j’étais encore capable d’aimer et de laisser les gens entrer dans ma vie. Si ce n’était pas du courage c’était quoi ? Et, malgré moi, la voix dans ma tête résonnait pour me crier que c’était de la putain de destruction. Je fermais violemment les yeux laissant les larmes dévaler sur mes joues alors qu’il répétait encore que j’étais courageux pour lui parce que j’étais encore debout. Et je préférais me plonger dans le silence que prendre le risque de dire quelque chose. Je sanglotais presque trop silencieusement à l’autre bout du fil presque prêt à lui dire que je devais raccrocher. Je voulais aller me faufiler dans les bras de Nixon. J’avais besoin de sa présence. Là. Tout de suite. Mais la voix de mon sexy musicien m’accrochait encore. Le surnom résonnait avec une interrogation. Comment est-ce que je me sentais ? Pas face à ce qu’il pourrait penser de moi. Comment je me sentais maintenant que c’était sorti ? Je n’étais pas obligé de répondre maintenant, mais je devais y penser. Mes sourcils se fronçaient et je marmonnais « Je… J’sais pas… Soulagé ? Angoissé ? Fatigué ? » Sans doute un sublime mélange de ces trois sensations. Soulagé d’avoir enfin balancé toute cette histoire. Angoissé à l’idée de m’être ouvert autant pour une personne qui finirait par disparaître de ma vie avec un trop gros morceau de moi – oui Lukas finirait par disparaître, je finirai par lui faire trop de mal un jour ou l’autre, je le sentais. Fatigué de m’être autant laissé aller. Ces dernières vingt-quatre heures avaient été intenses. Beaucoup trop intenses. Il finissait par me redonner ce ‘je t’aime’ comme pour me rassurer et m’aider à calmer le tourbillon en moi. Je répondais que je l’aimais aussi. Foutrement sincère. Fichtrement réel. Les choses s’apaisaient lentement. Réellement. Mon cœur cognait toujours si fort et je ressentais encore la douleur dans mon ventre, mais la crise de panique était loin. Je n’allais pas glisser maintenant. Je demandais quand même si rien n’avait changé entre lui et moi. Juste pour être sûr. Simplement pour l’entendre. Lorsque mon sexy musicien souffla que pour lui, non, rien n’avait changé, je soufflais doucement de soulagement me plongeant dans le silence alors que mon cœur se mettait enfin à ralentir. Ça irait. Ouais, ça irait…