Il répond à mon baiser, retrouvant son énergie habituelle. Sa langue cherchant à rendre visite à la mienne, je ne me fais pas prier longtemps pour le lui accorder, passant ma main libre au creux de ses reins. Je l'empêche de réellement prendre sa douche, m'éternisant un peu puisqu'il coopère si facilement. Cependant, autant pour respirer que pour qu'il puisse se débarrasser de sa mousse, je me détache après un dernier effleurement. Je me redresse et lui reste sans bouger, les yeux fermés, donnant l'impression qu'il lui faut un moment pour redescendre sur terre. Lorsqu'il les ouvrent à nouveau, ses mains effleurent rapidement mes épaules pour se poser sur mon torse. Et ce qu'il fait par la suite freine tous mes mouvements, bloque légèrement ma respiration. Parfaitement à l'aise, il a commencé à me savonner sans que je ne lui demande. Je ne lui aurais pas demandé. Et moi, je suis pas à l'aise. Mes muscles se contractent tous seuls. Il doit d'ailleurs le sentir sous ses doigts. Mes poings se crispent. Ma respiration se fait plus courte et plus accéléré. Je n'aime pas me faire toucher. Et de ce qu'il a vu hier, de ce qu'il voit encore, de ce que j'ai dit… il devrait comprendre assez facilement. Sa réaction d'hier ne m'était pas habituelle. Enfin… la première, si. Mais qu'il pose ses lèvres sur mes marques, lèches mes cicatrices. Une attention nettement plus douce que ce que j'aurais pu envisager. Et c'était - ce l'est encore - déstabilisant. Mais là c'est autre chose. On est pas dans le lit. C'est sensiblement une activité courante et quotidienne. Et je suis pas au mieux avec ce qu'il fait.

Ses mains se promènent sur mon corps avec une aisance qui contracte tous mes muscles au fil de ses mouvements. Les poings qui se serrent, la respiration qui se bloque partiellement… Des réflexes qui se sont développés il y a bien des années, mais qui trahissent tous que je ne suis pas bien. Que je ne suis pas à l'aise. Ça fait longtemps que je n'aime pas me faire toucher. Je n'ai même plus le souvenir d'avoir aimé. D'avoir même profiter d'un câlin parental. Mais ça c'est pas nécessairement étonnant avec ma mère. Le seul temps ou je calcule moins - et encore, ça dépends des secteurs - c'est lors d'une certaine intimité. Mais suffit toujours d'un faux mouvements pour que les instincts de survie reprennent le contrôle de la plus brutale des façons. Mon immobilité, ma posture rigide... quelque chose finit par faire sortir Jonathan de sa bulle et lorsque son regard croise le mien, il se détache, recule. Sa voix est faible lorsqu'il me demande si ça va et je ferme les yeux un instant, me concentrant sur l'eau qui ruisselle pour me calmer. Tranquillement, ça fait son effet, mais je dévoile mes pupilles avant que l'effet soit maximale.

- C'est pas contre toi, affirmais-je au brun avant de le traumatisé. Je suis pas tactil, Jona, lui rappelais-je.

Je crois pas avoir besoin de rappeler que j'ai failli tordre le poignet de son père parce qu'il a voulu poser sa main sur mon épaule.

- Ça m'a juste ...surpris, lui assurais-je. Je ne m'attendais pas à ce que tu prennes tes aises comme ça, expliquais-je.

Sa main se redirige vers mon corps et je le laisse faire, cherchant à calmer au mieux mes sens pour ne pas lui faire peur ou l’inquiéter. Lui parler? Il le faudrait bien. Pour le moment, on est encore sous l'eau. Ça aide. Mais ce n'est pas tout ce que ça prendra.

- Ça me demande un temps d’adaptation, commençais-je. Je fuis le contact de manière générale, mais…

Ma main glisse à sa nuque. Mon pouce sous son menton, je lui fais légèrement levé la tête et viens cueillir ses lèvres une nouvelle fois.

- Ça, je suis encore capable, lui assurais-je lorsque je me détache.

Encore penché près de lui, les yeux fixés aux siens, j’évalue. Si je lui dit ou non. Si je lui fait comprendre réellement ou non. Quitte ce qu’il fuit. Ou que ses yeux s’embrument comme aux Keys. J'ai été capable de lui expliquer pour mes poignets, est-ce que je peux lui dire pour mes hanches? Inconsciemment, je lâche un soupir au moment où je prends ma décision.

- Tu peux me toucher, mais jamais les hanches. Je n’endure pas moi-même de le faire, précisais-je.

Les vêtements, ça va, mais encore là, je ne porte pas n’importe quoi. Si un pantalon fait une pression à ma taille, je m’en débarasserai. C’est trop de souvenirs. Trop de cauchemars. Trop de douleur reliée à ça. Aux marques qu’il peut voir s’il baisse moindrement le regard. Le laisser poser ses mains là, il réaliserait probablement assez rapidement que ses doigts peuvent couvrir certaines marques. Que ce soit de face ou de dos. Il comprendrait que plusieurs empreintes foncées sont des marques de mains qui ont été faites trop fermement. C'est pourquoi j'ai des réflexes parfois violents.

- Et, il ne faut jamais me réveiller par surprise. C’est… dangereux, tentais-je le plus doucement que je peux, après une hésitation.

Comment lui expliquer que j'ai déjà cassé le bras d'un ancien colocataire parce qu'il avait trouver brillant d'essayer de me réveiller en sursaut?

Retenant un soupir à sa question, j'hoche vaguement la tête. Ça peut changer. C'est pas évident et ça n'a jamais été réellement super comme résultat, mais je sais que je peux m'habituer. Partiellement. Il continue de parler et, sans même y réfléchir, ma main bloque la sienne alors qu'elle dirigeait vers mes hanches. Un peu brusque, sans pour autant être brutale. Et si mes doigts retiennent les siens, je ne suis pas pour autant en train de les lui écraser. C'est simplement pour qu'il ne touche pas. Réflexe conditionné. Même s'il argumente et dit qu'il les a embrassé hier. Il a raison. Il le sait. Je le sais. Croisant son regard, je me sens vaciller de nouveau.

- T'as pas idée… à quel point, ça m'a fait étrange que tu fasses ça, avouais-je en continuant de le fixer. C'est pas à ça que je suis habitué comme réaction.

Loin de là même. Une fois sortie des situations de cauchemars, c'est plutôt de la peur où du dégoût que je vois. Une surprise horrifiée lorsque mon ou ma vis-à-vis comprend tout ce que ça implique. Les mecs, en particulier, c'est souvent plus compliqué. Certains semblent essayer de se mettre à ma place. Ça c'est jamais une bonne idée. D'autres gueulent parce qu'ils comprennent que y'a des trucs qui sont simplement impossible à réaliser avec moi. Que j'accepterai jamais. Les filles, la plupart du temps, partent dans une tentative de campagne de réconfort emplie de compassion et de pitié à m'en faire vomir. C'est normalement assez rapide que je me rhabille et que je fous le camp. J'aime pas la pitié, ça me débecte. C'est pas ce que je veux quand je laisse entrevoir des morceaux de mon passé. Je demande juste à comprendre que certains mouvements ne sont pas conseillés en ma présence. Je ne me contrôle pas toujours. Et ça me fait rager.

- Et si tu me laissais te familiariser, avec mon contact?

Je le fixe encore un moment, tentant d'évaluer ce que ça peut donner. Qu'est-ce qu'il a derrière la tête?

- Faut pas t'attendre à un miracle, Jona, finis-je par dire, peut-être trop honnête. Ça date de loin cette aversion. C'est ancré profond dans mes habitudes.

Très profond. Aussi creux que j'essaie de refourguer les souvenirs. Que j'essaie de les effacer.

- C'est pire que ça, lui indiquais-je en levant un poignet.

À peine les paroles envolées, à peine le geste fait, que je regrette. Ta gueule Ben. Sérieusement, j'aurais pu me taire pour cette fois. Je le fais toujours! Alors pourquoi, là, j'ai parlé? Découragé de ma propre action, je ferme les yeux. Bien joué, grand imbécile.

Pour une fois, je me dis que j’aurais pu me taire. Moi qui suit normalement avare à donner des renseignements sur moi ou sur ma vie, je viens de lui lâcher direct que ce qu’il a su pour mes poignets ne sont qu’un effleurement de surface. Bravo. Vraiment brillant. Fermant les yeux pour tenter d’effacer ma stupidité, je sens sa main glisser de la mienne et je me dit que ça fera comme avec les autres. Il me restera qu’à finir de prendre ma douche, solo, et de retourner à ma chambre. J’irai le conduire à l’aéroport. …s’il est un temps soit peu capable de me regarder. Un soupire prêt à franchir mes lèvres, il se bloque cependant lorsque ses doigts se pose sur mon front. Je recule vaguement la tête, plus par réflexe qu’autre chose, mais sa mains reste posée là où elle l’était, plus aérienne seulement. Qu’est-ce qu’il fait? Je le fixe un moment, cherchant à comprendre ce qu’il espère réaliser en… aplanissant les traits sur mon front. Parce que c’est ce que j’en déduis qu’il s’applique faire. Ça serait trop simple si ça fonctionnait comme ça Jona. S’il suffisait que tu me masses le crâne pour me faire oublier tout ce qui s’est passé avant.

Laissant mon front, il capte mon poignet, me questionnant comme si rien n’était. Ce que je veux dire par pire que les marques de brûlures. Pire que les cicatrices au couteau mal aiguisé. Pire que de la boucherie sur mes poignets, ça serait quoi Jona? On a pas essayer de me trancher la gorge, y’a pas de cicatrices du tout par là et on parle de ma taille en ce moment. Qu’est-ce qui se trouve dans la région du bassin? Qu’est-ce qui peut faire souffrir dans cette région? Qu’est-ce qui fait qu’un gamin aie les poumons en feu à force de vouloir hurler, le goût de vomir tellement ça le dégoute ce qui vient de se passer… Qu’est-ce qui aurait pu faire que j’appelle la mort pour qu’elle vienne me délivrer de ces cauchemars?

Continuant de le fixer, je me souviens de sa réaction d’hier lorsque je lui ai confier pour mes avant-bras. Les larmes aux yeux. Un instant, je détourne la tête, soupirant légèrement avant de reposer les yeux sur lui.

- Tu veux pas savoir Jonathan, soufflais-je, assez doucement, sans me dégager.

Y'a personne qui veut comprendre réellement, même s'ils posent la question. Parce que c'est d'accepter que tout ne va pas pour le mieux dans la vie et d'accepter qu'un monstre d'horreur puisse se tenir à leurs côtés. Et pourtant, après ce que je lui ai dit, hier… Après qu'il aie su pour les cicatrices sur mes poignets, ça ne l'a pas empêché de se rapprocher dans l'eau ou sur le lit. Alors… Un nouveau soupir et je baisse la tête, fais un mouvement vers mes hanches.

Je bloque. Je suis pas capable.

Ouvrant et fermant les mains pour me prouver que je peux encore bouger, je choisis cependant de les poser sur les siennes. Moins néfaste pour mon cerveau et il comprendra peut-être mieux si j'ai l'air de le ...retenir. Positionnant mes doigts comme certaines marques permanentes qui me couvrent.

- Regarde, fis-je simplement. Regarde sur toi où sont mes doigts, regarde sur moi où sont les hématomes. Qu'est-ce que ça t'évoques? le questionnais-je.

Relevant la tête pour croiser son regard, je m'attends à y voir le fil d'organisation de ses pensées. De voir sa réaction quand les morceaux de puzzles s'emboîteront tous l'un dans l'autre.

- Je n'ai pas choisi mes premières relations, disons, résumais-je en le lâchant, reculant même d'un pas pour lui permettre de respirer.