Mercredi 10 avril. Matin.

Insomnie prenante. Fuite nécessaire. Incapable de m'endormir dans la chambre de l'hôtel que j'avais choisi pour la nuit, j'avais fini par mettre les pieds dehors frissonnant sous l'air frais de la ville. L'être bien trop clean avait déambulé pendant des heures dans les rues de Boston. J'avais fini par m'échouer devant le Queer Lips bien après sa fermeture. Mon bar. Non... Mon ancien bar. Ça avait résonné dans ma tête tandis que je franchissais les portes de l'endroit. C'était silencieux. C'était vide. C'était désert. Je perdais de longues minutes à faire le tour des lieux. Les souvenirs s'éveillaient dans la tête. Le bar où j'avais souvent chipé des bouteilles ou eu des conversations. La piste de danse où mon corps avait suivi le rythme presque tous les soirs où je m'y trouvais. Les banquettes où j'avais pris mon pied. Les tables où le rire s'était couramment échappé de mes lèvres et où mes dés avaient roulé plus d'une fois. Les toilettes où je m'évadais entre monde d'excès et de plaisir. La scène où j'avais effectué un show de strip-tease exceptionnel. Et, une fois les escaliers montés, je me retrouvais dans mon bureau... Mon antre. Mon repaire. Mon chez moi. Mon cocon. Il y avait tant de souvenirs ici. Il y avait eu tellement de vie entre ces quatre murs. Le cœur se craquelait tandis que les adieux se profilaient. Secouant la tête pour retenir les larmes qui menaçaient, je jetais un bref regard à l'heure nocturne avant de me lancer. Et les aiguilles de l'horloge se mettaient à tourner sans que je n'en ai conscience. Ange trop pris dans sa tâche. Être trop concentré sur ce qu'il fallait accomplir. Le bureau se vidait petit à petit. Les cartons se remplissaient au fil des heures. Et, lorsque le soleil pointait le bout de son nez, il ne restait plus rien à emballer. Il n'y avait plus que ces cartons qui envahissaient l'espace. Ils étaient l'ultime trace de ma présence en ces lieux. Ils étaient la dernière marque de mon existence dans ce bar. Je me stoppais alors dans mon activité conscient que mon rendez-vous n'allait pas tarder. Caleb était censé me rejoindre au Queer Lips ce matin. Pour boire quelques verres. Pour m'aider à descendre tous ces cartons. Et pour plus que ça au vu des messages qui s'étaient échangés. Glissant une cigarette entre mes lèvres, je quittais le bureau où j'avais passé une partir de la nuit à magister. Je rejoignais l'extérieur me calant contre la porte du bar. Et, tirant sur ma cigarette, mes prunelles bleues observaient la rue dans l'espoir de voir la silhouette que j'attendais pour cette matinée.

Fumée envolée. Pensées chahutant. Mon regard s’accrochait aux silhouettes de la rue, mais la tête s’emballait déjà dans d’autres contrées. Il était fou fou de voir que deux années d’une vie pouvaient se retrouver effacées avec quelques cartons seulement. Il était dingue de se dire que, dans quelques semaines, ce serait presque comme si je n’avais jamais existé au sein du célèbre Queer Lips. Ange qui y avait laissé une trace qui s’effacerait parce que c’était toujours ce qui finissait par arriver. Ma trace laissée à Boston finirait elle aussi par disparaître. En m’envolant loin d’ici, j’avais conscience de ce risque qui se dessinait si parfaitement et peut-être qu’au fond c’était ce que je désirais. Être effacé par tous, pour tous. Me faire oublier. N’être plus qu’un vague souvenir tantôt agréable, tantôt désagréable. N’être plus qu’un vestige sans le moindre impact. Un frisson désagréable parcourait mon corps à cette pensée. J’aurai pu me faire entraîner dans un tourbillon foutrement trop sombre si une voix n’avait pas résonné à mes côtés. Pas n’importe quelle voix d’ailleurs. Mon rendez-vous se pointait. Caleb était là. Les pensées se taisaient aussitôt tandis que je m’ancrais dans le présent. Le sourire prenait place sur mon visage lorsque mes prunelles se posaient sur lui. Ça me faisait plaisir de le voir. Ça me faisait du bien de le voir. Penchant légèrement la tête, ma langue glissait sur mes lèvres avant qu'une moue de réflexion ne se dessine sur mon visage « Ça dépend si tu es bien celui qui va porter la vingtaine de cartons… Et me faire prendre mon pied… » Sourire amusé accroché aux lèvres, je ne le quittais pas des yeux l’observant écraser son mégot. Nos regards se trouvaient et les mots soufflés attiraient un sourire plus grand sur mes lèvres. Le « J’aime entendre ça… » était soufflé et ce n’était que la vérité. C’était plaisant d’entendre qu’il était tout à moi. Juste lui et moi dans ce bar désert. Juste lui et moi dans une bulle hors du monde quelques heures. Écrasant mon mégot, je me redressais pour m’éloigner de la porte que je venais ouvrir invitant le jeune homme à entrer. Je le suivais rapidement prenant soin de refermer à clés derrière nous afin d’éviter des visites indésirables. Avançant dans le bar, j’indiquais les escaliers du doigt en lançant « Tous les cartons sont en haut » avant de me tourner pour faire face à Caleb et poser mon regard sur lui « Mais, il me semble que tu me dois quelque chose avant… »