@Céleste Courtin-Clarins | L’automne s’était bien installé depuis le mois dernier et Lilia n’avait pas oublié son bonnet en quittant son domicile. Ses dernières semaines son nez avait bien coulé, elle ne savait pas si c’était le froid ou son cœur chamboulé qui le rendait aussi sensible. Mais elle était tout de même contente de retrouver cette atmosphère cosy et ses manteaux surtout. Sur le trajet, alors qu’elle avait pris la direction de la Adams, un visage familier passa à ses côtés.

Lilia avait tendance à oublier les prénoms généralement mais les visages, elle était plutôt douée pour s’en souvenir. C’était des traits qui remontaient à bien longtemps mais la brunette était plutôt douée dans ce domaine là. La doctorante fit donc demi-tour pour rejoindre la jeune femme qui s’éloignait davantage, mais avant de l’interpeller, elle devait réussir à se rappeler du prénom, une vrai aventure. Selena ? Serena ? Céline ? Elle sentait qu’elle se rapprochait de plus en plus du prénom mais toujours pas le bon. «Céleste ?» Avait-elle lancé subitement. Elle priait intérieurement pour que ce soit le bon prénom et ses prières furent acceptées puisque la jeune femme s’arrêta d’un coup et se retourna curieuse. «Mon dieu c’est bien toi !» Un grand sourire se dessina sur des lèvres avant de rajouter en leur langue maternelle. «Lilia ! Lilia Arnault, on était ensemble à Paris.» Espérant que cela allait rafraîchir sa mémoire.

Froid automnal qui me couvre de frissons au moment où je quitte la librairie, qui tempère ma tête bouillonnante. Elle ne va certainement pas tarder à exploser, avec toutes ces analyses à faire, tous ces graphiques, toutes ces phrases que je viens de coucher sur papier. Avec cette montagne de choses que j'ai à faire qui virevolte dans mon esprit, aussi. Bon, d'accord, j'abuse peut-être un peu ; ça, c'est parce que je suis fatiguée en ce moment. Entre Anaé qui, depuis sa deuxième rentrée en crèche, me ramène les virus des copains, mon corps qui met deux semaines pour se remettre d'un pauvre rhume, les coffrets cosmétiques de Noël à boucler avant la date butoir et ces soupçons à propos de ma grande sœur qui ne cessent de bousiller mes nuits… Autant dire que je maudis chaque professeur qui, sur un coup de tête, décide de nous donner des devoirs à rendre. Franchement. Heureusement que c'est ma dernière année d'études, je vous le dis. « Bon, ça, c'est plié. Il me reste encore… » Comme d'habitude, je me murmure des choses à moi-même tout en traversant the Yard, comptant sur mes doigts ce qu'il faut que je fasse. Finir un devoir, passer un appel, prendre une heure pour faire les courses, aussi. C'est pas mal, ça. Surtout quand je pense que je récupère Anaé ce dimanche. Bon. Je vais m'en sortir. Et m'accorder une petite pause. Un petit quelque chose à boire, à grignoter – n'importe quoi. Quelqu'un qui m'interpelle sans que je ne m'y attende, aussi. Juste… quelque chose ou quelqu'un qui me donne l'occasion de faire une pause. Et c'est toi qui me la donnes, mon occasion. Toi, la jeune femme qui me surprend car elle semble me connaître. C'est là que je fais un peu plus attention à ton visage, tes traits qui, sur le coup, ne m'ont pas dit grand-chose. Mais là, à bien te regarder, je sens une certaine familiarité. Tu es un visage que j'ai déjà vu – et pas uniquement croisé à Harvard. Il y a autre chose. « Um, bonjour ? » que je souffle, avant que tu ne te présentes, pleine de vie et d'enthousiasme, switchant entre anglais et français. Lilia Arnault. Je me sens un peu coupable de reconnaître ton nom de famille en premier ; on vous connaît bien, vous, les Arnault. LVMH et tout le bazar, l'une des familles les plus fortunées de France, rien que ça (nous sommes pas mal dans ce domaine-là nous aussi, les Courtin-Clarins). Il faut que ma mémoire travaille un peu plus pour qu'un lointain souvenir (un peu brouillé) remonte petit à petit, celui de cette toute jeune pré-adolescente amoureuse des animaux. Un exposé en classe ou une vive discussion passionnée entre nous, les gamines perdues dans les soirées mondaines. Quelque chose comme ça, j'en suis sûre ! C'est terrible de vieillir. Mais ton visage, je m'en souviens de mieux en mieux. Dans mon esprit, c'est de moins en moins vague, de moins en moins flou. De plus en plus apaisant. C'est étrange, mais c'est agréable. ­Ça fait du bien. Par réflexe, mes mains se posent sur tes poignets. Doucement, le temps de quelques courtes secondes. Un peu comme si, grâce à ce contact, nos souvenirs allaient se manifester en plus grand nombre. « Lilia, mon dieu, ça doit faire quoi, dix ans ? Rapide calcul mental, et je me corrige, non, plutôt quinze ans, quelque chose comme ça ? Oh là là, ça fait tellement longtemps ! Qu'est-ce que tu deviens ? » ­À part être devenue cette jolie jeune femme qui se tient devant moi ?

@Céleste Courtin-Clarins | Qui aurait cru qu’un visage familier viendrait croiser son chemin à cette heure ci ? Alors que la jeune Adams avait pour habitude de tracer sa route lorsqu’elle était toute seule, le regard plongé sur sa route, l’esprit ailleurs ; c’est à peine si elle remarquait les passants à ses côtés. Elle était toujours interpellée lorsqu’un ami croisait sa route, jamais le cas contraire. Et pourtant, le visage de la belle Céleste avait arrêté ses pas, laissant ses méninges en pleine réflexion. Tentant de son mieux de coller un prénom à ce visage qu’elle avait réussi à se remémorer.

Céleste ! Elle était sûre à 90% du prénom, mais elle avait lancé la bombe à voix haute, attendant une quelconque réponse de la jeune femme. Était-ce réellement Céleste ? La jeune femme se retourna et Lilia afficha à sourire de soulagement. Malgré sa mémoire de poisson rouge en matière de prénom, elle avait réussi à dégoter celui-ci qui remontait à des années lumières. De ses belles années parisiennes qu’elles avaient partagées. Lorsque la jeune femme croisa le regard de Lilia, elle semblait aussi perdue qu’elle au début. Cherchant dans les fins fonds de ses souvenirs pour se rappeler de cette Lilia qui lui avait soudainement sauté dessus.

Un grand soulagement envahit la jeune brunette lorsque Céleste se souvint enfin d’elle. Le cas contraire l’aurait clairement embarrassé. De savoir qu’elle n’avait, en fin de compte, pas fait grande impression dans la vie de la jeune femme qui partageait ses origines. Le sourire toujours au coin, grandissant de plus en plus aux paroles de la jeune Courtin-Clarins. «Oui plutôt une quinzaine d’années. Mon dieu le temps passe tellement vite ! Bah écoute, l’appel de Harvard comme tu sais et depuis j’y suis encore, à croire que L’université ne veut toujours pas me relâcher après tout ce temps.» Maintenant qu’elle était doctorante, elle avait cette impression d’avoir à peine commencé. «Et toi alors ? L’appel de Harvard aussi ?» Elle était curieuse d’en savoir plus sur le parcours de la jeune femme.

Une quinzaine d'années. Je viens de me prendre un sacré coup de vieux en pleine face – et pourtant, je ne vais que sur mes vingt-sept ans. Ça ferait presque bouillonner ma tête un peu plus et, punaise, je n'ai vraiment pas besoin de ça. Fort heureusement, tu sembles n'être associée qu'à des souvenirs agréables ; lointains, mais agréables. Et, au plus tu m'offres ces sourires, au plus les images deviennent claires. Au plus ton regard et tes yeux rieurs redeviennent familiers. Je l'ai déjà vue, cette mimique. « Nous avons Harvard dans la peau, quelque part, ris-je, relâchant tes poignets pour ne pas paraître trop tactile, trop invasive, qu'est-ce que tu étudies depuis tout ce temps ? » Puisque, à première vue, tu es là depuis un bon bout de temps. C'est curieux, d'ailleurs, de savoir que tu foules le sol d'Harvard depuis plusieurs années au moins mais de ne t'avoir jamais croisée avant aujourd'hui. Ou n'avions-nous pas fait attention ? Ah, de toute manière, ce qui est fait est fait ; ce qui est loupé est loupé. C'est cet instant T qui compte. « Une envie de faire mes études dans une université prestigieuse, ou l'appel d'Harvard si tu souhaites l'appeler comme ça… mais ça m'a également permis de rejoindre mes sœurs. Je ne sais pas si tu te souviens de Salomé, qui est à peine plus âgée que nous ? Elle est aussi à Harvard. Et Analie travaillait pour Clarins d'ici, mais elle est finalement rentrée en France. » L'appel inverse : l'appel de la famille, du retour aux sources. Emportant ma douce nièce avec elle et retrouvant nos parents, Analie s'est éclipsée il y a bien une bonne année. Quant à Salomé, elle n'est pas encore prête de s'envoler de Boston ; mais où est-elle actuellement ? J'ose espérer qu'elle est en classe ou en train de boire un café avec ses amis, et non pas autre part, dans coin sombre de la ville. Mais ça, ce sera à moi de le découvrir en me penchant dessus plus tard. Plus tard, oui. Car, actuellement, je suis focalisée sur toi, ton joli minois, ta curiosité. Et la mienne, également. Je resserre un peu mon manteau, te fais un signe de tête pour nous éviter de rester plantées là, dans le froid. « J'étais en route pour me prendre un petit truc à grignoter ou à boire, tu m'accompagnes ? Si tu prends quelque chose aussi, c'est pour moi, d'accord ? » Cela nous permettra de papoter un peu plus, de rattraper cette quinzaine d'années où nous avons suivi notre propre chemin. « Si tu as du temps devant toi, bien entendu. » Et j'espère silencieusement que ce soit le cas. Car, au fil des souvenirs qui refont surface, il y a des questions qui pointent le bout de leur nez. Et j'ai hâte de te les poser.

HJ:

@Céleste Courtin-Clarins | Une grande surprise était de retrouver Céleste par le plus grand des hasards, dans les rues Bostoniennes, après tant d’années. Lilia se sentait également un peu nostalgique alors que les souvenirs remontaient en compagnie de la belle blonde. Elle avait presque l'impression de retomber dans l'époque où elles arpentaient toutes les deux les ruelles de la belle capitale française. Harvard avait été leur rêve commun, mais il était surprenant de ne pas s'être croisés avant aujourd'hui.

Céleste lui demanda ce qu’elle étudiait à Harvard Il était au tour de Lilia d’expliquer son choix de filière puisqu’elles n’avaient jamais partagé auparavant leurs études futures ou plutôt il n’y avait à cette période rien de concret. La biologie, était devenue pour Lilia l'essence même de la vie. Explorer l'infiniment petit pour comprendre l'infiniment grand, observer les cellules dans leur danse complexe, déchiffrer les mystères de l'ADN qui orchestrent la symphonie de la nature. Chaque découverte était devenue une révélation pour la jeune biologiste, chaque organisme une source d'émerveillement. C’est donc avec un grand sourire qu’elle répondit. «Je me suis lancée dans la biologie. Du coup aujourd’hui je poursuis mon doctorat en biologie cellulaire et moléculaire.» Expliqua-t-elle en marchant à ses côtés, dans l'optique de recréer ce lien qu'elles avaient perdu.

Se remémorant Salomé et Analie, Lilia hocha doucement la tête, écoutant attentivement les principaux événements de la vie de la famille Courtin-Clarins qu’elle avait loupés. «C’est bien que vous ayez pu vous retrouver tous ici. Chez nous c’est pareil, les trois garçons ont suivi le mouvement. Et du coup as-tu poursuivi le chemin d’Analie ? La gestion des affaires familiales ou tu as choisi une branche différente comme moi à Harvard?» Lorsqu’il s’agissait des grandes boites familiales, Lilia connaissait la chanson, la majorité des parents voulaient que leurs enfants se spécialisent dans le business et management afin qu’ils puissent reprendre la chandelle. Chose qui n’avait jamais intéressée la jeune Arnault.

La perspective de renouer avec cette amitié longtemps égarée rendait la brunette curieuse et pleine d'entrain. L'idée de partager un moment à discuter autour d'une boisson chaude ou d'une petite gourmandise lui semblait à la fois réconfortante et excitante. «Je te suis volontiers ! Je pense que ça pourrait être génial de rattraper tout ce temps perdu. J'ai un peu de temps devant moi donc avec grand plaisir.» Répondit-elle avec un sourire chaleureux. «Bon alors la prochaine est pour moi.» Insista la jeune Adams avec un clin d’œil avant qu’elles ne se mettent en route.