Ce qui la fait sourciller, c’est cette façon dont sa main se dérobe de la sienne, la force à fermer sa paume en un poing, c’est seule qu’elle se sent, bien que ce soit soudain. « J’aurais préféré en parler après mais... » Sans savoir sur quel pied danser, elle a une étrange sensation, comme s’il allait la jeter. Se débarrasser d’elle, comme dans les films romantiques démodés, c’est après ce style de parole que l’héroïne se fait larguer, pour mieux reprendre à zéro, elle en est déjà prête à lui dire que ce n’est absolument pas ce qui lui faut. Bien que ce soit en inadéquation avec les précédents instants de ce début de journée.

Mais l’employé de service vient mettre un terme au scénario qui se déroulait dans ses pensées, prenant leur commande et la laissant un brin rieuse à entendre l’accent latino de Sheng forcé, alors qu’il conserve encore celui de chez lui, et qu’elle aime comme tous détails qu’elle connait et apprend de sa vie. Seulement, son sourire s’étiole lorsqu’il reprend, « L’année dernière j’ai été pris de court, » forcément, elle se met à fouiller dans sa mémoire, à chercher à quel moment elle aurait pu le prendre de court, le seul qui lui vient en tête, c’est lorsqu’elle lui a hurlé ses sentiments. Ce n’était pas très glorieux, elle le sait, elle ne désire pas en reparler. Son amour, il lui a clairement ordonné de le ravaler. Elle ne compte absolument pas réitérer. « et là, …» Elle retient son souffle sans s’en apercevoir suspendue à ses lèvres afin de connaître le fin mot de l’histoire.

Néanmoins la suite n’arrive pas, si bien qu’elle fronce à nouveau les sourcils, habituellement, il n’a pas sa langue dans sa poche pour lui parler, même quand ça peut la contrarier. Au contraire même, elle est un tantinet persuadée que cela fait partie de ses jeux préférés. « Tu crois qu’ils vont nous laisser le plan de la cuisine ? » Parlant d’amusements, il choisit de prendre la tangente, d’opter pour le côté libidineux, comme s’il cherchait à ce que ce soit elle, la personne gênée par la présente discussion. Elle hésite, c’est vrai, se demande si elle doit suivre le chemin qu’il vient d’emprunter ou bien une nouvelle fois le relancer. Elle a envie de connaître le fond de ses idées, qu’il s’exprime et qu’il éteigne les craintes qu’elle est en train de développer. Cependant si elle le fait, elle a une tendance à croire qu’il ne va pas se faire prier pour reculer, alors en un soupir, elle préfère battre en retraite, abandonner… Tout en tentant de dissimuler le trouble qui l’a, de toute évidence, gagné. L’essai est vain, il faut l’avouer, « Avec un peu de chance, oui. » car son regard se fait fuyant, en direction du serveur, justifiant son acte par une fringale qu’elle n’éprouve pas, à la recherche des assiettes qui ne sont pas là. Si c’était le cas, au moins, elle aurait une raison de se taire et de ruminer, se contentant d’être polie et de mâcher. Ses ongles martèlent la table sans qu’elle ne s’en aperçoive, et son autre main vient soutenir son menton, avant de retourner vers lui son attention, elle s’aventure finalement à poser une question, « Tu m’as invitée pour me dire qu’on doit ralentir ? » Que tous les deux, ça doit se finir. Ce serait cruel, mais elle a égaré son optimisme, envisage le pire.