tw ✧ Disparition, crimes raciaux

Il ne savait s’il s’agissait du sixième sens de journaliste en puissance d’Haiwee, son empathie naturelle ou alors une compréhension beaucoup trop lucide pour son jeune âge du fonctionnement et des bavures de ces grands systèmes sur lesquels reposaient notre société, mais elle sut bien rapidement poser la question qui tue. Il réfléchit de longues secondes à la meilleure façon de répondre.

« Officiellement, 3 ans, s’il ne reste plus aucune piste à explorer. Après, ces cas classés sont évalués périodiquement pour voir si certaines avancées technologiques pourraient permettre de les relancer.»  

Il se sentait comme s’il venait de réciter en mode livre audio la section tiré textuellement du manuel de l’enquêteur… Et qui disait officiellement impliquait forcément un ‘officieusement’… Et il se doutait bien qu’Haiwee ne se contenterait pas de son énoncé de presse bien stérilisé.

« Généralement, le service de police fait tout en son pouvoir pour ne pas que les fédéraux comme moi ne s’approchent à plus d’un mille de leurs plate-bande… »  

Il lui laisserait tirer ses propres conclusions sur ce que cela signifiait quant à l’implication des ressources sur le terrain concernant ces disparitions. Parce qu’au-delà des beaux énoncés écrits dans des vase clos par des bureaucrates ou des spécialistes des relations publiques, au final, le seul déterminant, c’était l’énergie déployé par les gens sur le terrain…

Profitant d’une lumière rouge, William se tourna vers sa passagère.

« Je ne les abandonnerai pas, Haiwee. Je ne les laisserai pas disparaître comme ça. Je te le promet.»  

C’était-il découvert une nouvelle vocation pour la défense des représentants des premières nations ? Pas exactement, non. Pour lui, toutes ces constructions sociales n’étaient que chimères, des organismes qui dépassaient la notion d’être humain et qu’ils ne pouvaient donc pas défendre.

Ce n’était peut-être ni chevaleresque, ni moralement commandable, mais William avait passé l’âge de se leurrer lui-même quant à ses motivations. Il était sur ce dossier uniquement pour Haiwee. Il ne pouvait pas changer l’humanité. Mais s’il pouvait, par ses actions et ses choix, influencer positivement les horizons de ceux et celles qu’il aimait, s’il pouvait faire œuvre utile pour les aider à réaliser leur vision d’un monde meilleur et plus juste, alors il y consacrerait toute la force de sa volonté.

« On y est. »  

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William entra avec circonspection dans le bâtiment qui hébergeait le Boston Globe. Malgré toute la tension entourant leur escapade, elle se permit un moment pour savourer l’inertie de l’endroit. Le calme avant la tempête, avant que toute l’équipe ne se mette au travail probablement dans une grande cacophonie.

« J’imagine bien, oui... »  

De son côté, lui s’y sentait aussi bienvenue que Donal Trump dans un rally pro-choix. Il y avait toujours un certain stigma à ce qu’un agent du FBI pénètre dans une enclave de presse sans escorte. Même si les deux pouvoirs œuvraient fréquemment de concerts, par obligation plus que par affinité, le nombre de cas où les journalistes avaient exposés des torts, réels ou imaginaires, des forces de l’ordre dépassait l’entendement.

« Dis-moi, nous avons combien de temps avant que tes collègues ne commencent leur journée ? »  

Il hocha silencieusement la tête lorsqu’elle proposa qu’ils commencent par fouiller sur les bureaux, à la recherche d’indices quelconques. William se glissa avec grande précaution entre les cubicules, osant à peine regarder ce qui s’y trouvait, comme s’il venait de pénétrer dans un sanctuaire défendu. Ce n’est pas ainsi qu’il réaliserait sa promesse…

Poussant un profond soupir, il s’y attela pour vrai et saisit le premier dossier à sa portée. Une brochure et quelques affiches sur le concours canin de la semaine prochaine. Les suivant le conduisirent à un accident mortel impliquant l’alcool au volant, un pseudo scandale impliquant un conseiller de la ville, un début d’article sur une compagnie de meuble qui s’apprêtait à faire faillite.

Éventuellement, il finit par tomber sur un communiqué de presse du Boston College invitant les médias à une cérémonie de reconnaissance pours certains élèves méritants. Et parmi les 8 lauréats et lauréates figuraient le nom d’Aiukli. Dans le dossier de presse du journaliste, il tomba sur une impression pleine page d’une photo de cette dernière, probablement tirée du service des communications de Boston College. Il en avait lui-même un exemplaire dans ses dossiers.

« Hrum… »

Il la regarda un long moment, comme s’il espérait pouvoir trouver dans ce regard inerte un début d’explication. Une porte ouverte vers l’indicible. Mais il n’y vit que le sourire gêné d’une humble étudiante, prise dans quelque chose de beaucoup plus grand qu’elle.  

« Si jeune… »

Il se tourna vers Haiwee, sans grand espoir, pour voir où elle en était.

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Ce genre d’enquête n’était définitivement pas sa spécialité. Il possédait un instinct certain pour suivre les traces de montant d’argent qui changeait de mains, et même pour parfois anticiper leur prochaine destination. Pour ensuite en déduire des motifs, des relations et des explications. Mais poursuivre des gens disparus ? C’était une tâche titanesque en soi, même lorsque les forces de l’ordre déployaient toute leur ressource.

Alors qu’en l’occurrence, ils ne souhaitaient que sauver les apparences dans un cas qui s’annonçait de toute façon comme impossible à résoudre…

William se demanda s’il avait eu tort de l’accepter et de mêler Haiwee à celui-ci. Pas pour sa carrière, puisque de toute façon personne ne s’attendait à quelque résultat que ce soit. Mais pour la jeune journaliste qu’il exposait à la cruauté du monde tout en lui faisant la démonstration de son impuissance à y changer quoi que ce soit.

« Non. Non, ce n’est pas juste. »

Il se retint de lui dire que l’injustice constituait la norme plutôt que l’exception. Il l’avait déjà suffisamment malmenée pour une seule journée.

Il continua de tranquillement tourner les pages du dossier, jusqu’à tomber sur une feuille contenant des notes manuscrites.

« Dis-moi, Haiwee… »

Il tenta de déchiffrer le contenu hiéroglyphique du document qu’il tenait.

« Est-ce que tu sais qui occupe ce bureau ? »

Il examina le dossier avec une concentration et une intensité renouvelée, passant rapidement d’une page à l’autre en tentant d’assembler les morceaux.

« Parce que je crois qu’il a interviewé Aiukli il y a 4 jours. »

Faisant de lui l’une des dernières personnes  à avoir vu la disparue de la réserve de Black Feet. Il releva les yeux vers sa collègue d’un jour en lui tendant le dossier, dans l’espoir qu’elle puisse identifier qui l’avait constitué.

L’espoir n’était pas encore complètement mort.