@William Bennett | J’y avais passé bien plus de temps que je ne l’avais envisagé ces derniers temps, bien plus de temps que je ne pouvais me le permettre. Mais c’est la peur dans les tripes que je vivais désormais, l’esprit en alerte. Soan n’était plus là, DJ était plus fragile qu’il ne voulait le montrer, depuis notre altercation avec les Russes, et moi, je vivais dans la peur constante qu’il fasse une connerie. Que ce soit du même acabit que celle de notre frère adoptif désormais disparu ou une de celle qui consiste à descendre dans cette foutue cage pour se laisser taper dessus sans sourciller, le sentiment était le même. Kaine ou pas Kaine, nous n’étions pas invincibles. La prudence avait toujours été de mise, et on avait échappé au pire plus d’une fois, mais que faire quand l’esprit était à bout ? Echo qui avait résonné dans ma poitrine, comme un cri de désespoir, un appel à l’aide. La roulette russe ou une overdose, quelle différence ? La volonté de ne pas rechuter, mais la peur de refaire face aux cauchemars, j’essaye de trouver une alternative à la réalité, ma réalité. Sortir, boire, m’entourer, même pour quelques heures, même si ce n’est qu’une illusion d’être celle que l’on peut désirer.

Je bois modérément, suffisamment pour me fondre dans la masse, pour paraître à ma place parmi ces corps qui ne cherchent que l’ivresse, l’euphorie, la fête. Mais je ne perds jamais de vue mon objectif, veiller sur le double, s’assurer qu’il ne se mette pas une nouvelle fois en danger. Et c’est donc naturellement que j’étudie l’inconnu qui pour la troisième fois ce soir entre en contact directement avec le jumeau. Physique assez musclé, j’aurais pu le soupçonner de vouloir faire une démonstration de force dans la cage, mais je ne sais pas, ça ne colle pas vraiment avec le profil des autres imbéciles qui ont l’habitude de s’y rendre. La curiosité est présente, mais la méfiance également. A la limite de la paranoïa depuis quelque temps, il faut bien l’avouer. Numéro de charme chaque fois que les regards se croisent, je fais ce que l’on m’a appris à faire, à jouer les naïves, les innocentes pour obtenir ce que je veux. Le meilleur moyen d’obtenir quelque chose d’un homme. La raison pour laquelle on m’avait vendu il y a des années. Loin d’être un de mes comportements les plus glorieux, mais je ne pouvais pas fermer les yeux lorsque l’on cherchait un peu trop à entrer en contact avec ma famille. Je guette une ouverture, un moyen de me rapprocher l’air de rien. Ou simplement une invitation directe. Clin d’oeil offert avant de quitter le bar pour un des canapés du lounge, j’affiche un sourire. Je n’avais pas besoin de plus pour me lancer. J’attrape mon verre, et le rejoint, à l’écart de la foule, là où la musique est également un peu moins forte. « Puis-je supposer que la place est libre et m’est destinée ? » Regard de biche, sourire, je joue légèrement avec une mèche de mes cheveux, comme si j’étais un petit peu nerveuse alors que j’étais parfaitement dans mon élément. La partie commençait maintenant entre lui et moi.

@William Bennett | C’est le chaos dans ma tête, comme souvent, comme chaque fois que je pousse un peu trop loin la réflexion. Ne cherche pas à comprendre, contente de toi de sourire. Il y a cette petite voix qui martèle ces mots dans ma tête. Cette petite voix qui ressemble bien trop souvent à celle de mon oncle ou de mon père adoptif, cette petite voix que je déteste, et que pourtant, j’écoute, parfois aveuglément, parce leurs éducations avaient réussi à me convaincre, quelque part, qu’ils avaient raison sur certains points. Ils avaient empoisonné l’esprit de l’enfant, et désormais, même la femme n’arrivait pas toujours à s’en défaire. Je doute de moi, de mes capacités ce soir. Je ne suis pas certaine de faire le bon choix en m'intéressant autant à cet homme, qu’importe mes motivations. Je perdais possiblement mon temps à l’observer, à me dire qu’il pouvait représenter un danger, et pourtant, je refuse de lâcher l’affaire. Comme si je cherchais tout simplement un échappatoire aux évènements des dernières semaines. Probablement. Après tout, j’avais besoin de m’occuper pour oublier. Oublier les dernières images de Soan qui s’étaient gravées dans mon esprit, oublier que DJ risquait sa vie dans une cage, cachée ici même. Que Aaron pouvait également être en danger, pour je ne sais quelle raison, et qu’il pouvait en être de même pour moi. Il y avait tellement de choses qui pouvaient encore briser mon être. Mais il fallait que je me décide à agir, à faire quelque chose. Trois fois que cet homme venait pour discuter avec mon double. Ca ne pouvait pas être rien. Il fallait que ce soit quelque chose.

Je guette une occasion de découvrir son identité, une carte qu’il laisserait au comptoir, quelqu’un qui le saluerait un peu trop expressivement, bien trop, un détail dans sa tenue qui pourrait peut-être m’aider à en savoir plus sur son statut social, son boulot. Mais jusque-là, ça ressemble à un monsieur tout le monde. Charmant et élégant, mais rien ne le trahit. Parce qu’il n’a peut-être rien à cacher… Je ne sais pas, je doute, mais je refuse d'abandonner sans avoir été au bout de mes instincts. Alors quand il ouvre lui-même la porte, par son comportement, je m’engouffre sans me poser de questions. Peut-être que j’aurais dû. Peut-être que j’aurais dû réfléchir avant d’agir. Mais lancée, il n’y a aucune chance pour que je renonce. D’un pas stable, décidé, je viens jusqu’à lui, sourire aux lèvres. Mais tout cela s’atténue un petit peu à son contact. Non pas par sa faute, mais parce que trop d’assurance pouvait l’empêcher de me révéler ce que je désirais savoir. C’est donc naturellement que je me fais un peu plus timide, comme une fille qui avait agi sur un coup de tête, et finalement, se retrouvait un peu gênée. Des choses qui arrivent. Je le regarde se décaler en réponse à ma question. « Merci. » Nouveau sourire, et je m’installe à sa droite, à une distance raisonnable, légèrement tournée vers lui, comme je pourrais l’être avec un ami. Ne pas être trop distante, mais ni trop proche d’entrée de jeu, ou je risquais de paraître un peu suspecte, pour une quelconque raison. Mon verre sur la table, je laisse une de mes mains jouer avec la paille de celui-ci tandis que je l’écoute. Il a de l’esprit, et ça allait surement me permettre d’échanger plus facilement avec lui. « Ouiii… » Que je dis avec une légère grimace, pourtant amusée. « Je suis désolée mais c’est la chemise… Normalement, les chemises unies sont parfaites, mais là… » Je viens poser une main sur ma poitrine, comme si j’étais vraiment choquée par ce que je voyais. « … Je ne sais pas, sûrement là couleur qui ne va pas. En tout cas je serais vous, je la garderais pour les jours de travaux. Ou de barbecue. Je ne sais pas, selon ce que vous êtes le plus susceptible de faire. » Je lui fais un sourire et lui tends cette fois ma main. « Evie, enchantée. Et ne vous pas pour la chemise. En réalité, elle est très bien. Mais comme vous me tendiez la perche, je ne pouvais pas résister. »  

@William Bennett | J’excelle dans l’attitude de l’effrontée, dans le jeu du paraître. Peut-être à tort. Peut-être que j’allais finir par regretter un jour, d’avoir sous-estimé quelqu’un, d’avoir pensé que j’étais plus maligne, plus rusée. D’autres en étaient également capables. Peut-être même que le jeune homme faisait partie de ceux-là, de ceux qui cachaient leur jeu bien mieux qu’on ne pouvait l’imaginer. Ou alors faisait-il parti de ceux qui n’avaient rien à cacher et les derniers événements m’avaient rendu définitivement paranoïaque. L’instinct n’a rien d’infaillible, et même si le mien ne m’a trahit que peu de fois, je ne peux être certaine de rien tant que je n’ais pas pris le risque de creuser un peu. La main est tendue, serrée avec douceur alors que nous nous présentons l’un à l’autre. « Enchantée William ! » Voix presque chantante, je le gratifie d’un sourire. « Les bonnes opportunités sont trop rares pour qu’on les laisse passer sans essayer de les saisir. » Bien sûr, il y a des risques à cela, mais j’ai appris à les mesurer. Ou du moins, on m’a forcé à apprendre. Ce soir, les risques sont loin d’être nuls, mais disons qu’ils me semblent modérés.  

Mais le jeune homme répond à mes taquineries avec humour et autodérision, ce qui me convainc de penser, un peu trop rapidement, que je n’aurais pas de mal à obtenir les informations que je désire. « Noooon, je n’irais pas jusque là. Simplement envie de vous emmener la repenser dans les magasins. » Je ne suis pas ce qu’on appelle une fashionista, n’étant pas toujours au bout du jour en ce qui concerne la mode, qui se fait et se défait à la vitesse de la lumière, même si je donnais souvent mon avis, et que l’activité en elle même avait quelque chose d’exutoire.

Je penche légèrement la tête lorsqu’il mentionne la raison de sa présence ici. Donc, j’avais bien raison que ses échanges avec mon jumeau n’étaient pas sans intérêt. Pourtant, je ne peux pas trop rentrer dans les détails sans paraître trop intéressée et donc suspecte. D’autant plus que Jewell ne laisserait personne d’autre qu’un Kaine investir dans son affaire. Mais ça aussi, je me devais de le garder pour moi. « Donc si je comprends bien… Vous travaillez pour des personnes qui veulent acheter le bar ? » Ce n’est pas ce qu’il vient de me dire, mais si je voulais le pousser à me donner un petit peu plus d’informations, alors je devais le pousser à parler de lui-même, comme si je ne représentais aucune menace pour ses affaires. Et quoi de mieux que de paraître un peu à côté de la plaque pour cela. Surtout que pour ma part, j’avais mille raisons de pouvoir justifier ma présence ici. » Effectivement, c’est un endroit plutôt sympa, et puis on y fait d’agréable rencontre. Je n’irais pas jusqu’à dire que je suis une habituée des lieux, mais je viens de temps à autres. Parfois seule, parfois m’amuser avec des amies. » Et le plus souvent, pour récupérer la drogue que l’on cachait au sous-sol ou pour éviter que mon double se laisse mourir sous les coups qu’il prenait dans une cage de combats clandestins. La partie cachée de l’iceberg qui pourrait tous nous tuer si nous venions à manquer de prudence.

@William Bennett | Je sais ce que représente un fond d’investissement, et je connais la différence avec un potentiel acheteur, mais si je veux savoir pourquoi des gens s’intéressent au PR, quels sont leurs objectifs et leurs attentes, alors je dois faire attention à ce que je dis, à la façon dont je présente les choses. S’il venait à penser que je pouvais être une menace pour ses affaires, son activité, il ne me dirait pas ce que je voulais savoir. Le plus intelligent était donc d’agir comme si je n’avais rien compris, comme si je n’avais aucune notion de commerce, et que ma présence ici n’était justifiée que par le hasard et l’envie de m’amuser. Ce qui semble fonctionner, puisqu’il prend le temps de m’expliquer les choses autrement, sous un autre angle. Une approche qui me vexe, d’être réduite à jouer les niaises alors que je suis capable de bien plus. Mais je me tiens à ce rôle. Impossible de faire marche arrière désormais. « Donc, vous voyez du potentiel dans cet endroit, et vous voulez y dépenser de l’argent pour qu’il soit encore plus rentable ? » Je formule, comme si j’essayais de comprendre, tout en regardant autour de moi, essayant d’avoir l’air de découvrir les lieux, des détails pour la première fois. Comme si je n’avais jamais envisagé le potentiel des lieux. « Et donc, vous auriez un pourcentage sur les bénéfices supplémentaires c’est cela ? » Bien sûr, l’intérêt était majoritairement financier. Après tout, personne ne ferait cela par simple bonté de cœur. « Mais je comprends bien maintenant merci. » L’analogie est un peu superficielle, mais plutôt bien trouvée. Je ne doute pas que si j’avais véritablement été inculte sur le sujet, en tout cas, je l’aurais comprise.

D’un rapide coup d’oeil, je regarde Jewell s’affairer derrière le bar. Bien sûr, je sais qu’il n’acceptera jamais aucun investissement extérieur. On avait bien trop à cacher ici pour permettre à qui que ce soit de venir fourrer son nez dans les affaires de l’établissement. Même si en surface, le club semblait en règle sur tous les points, en grattant un petit peu, n’importe quel investisseur se rendrait compte que ce n’était pas le cas. Mais aucun commentaire ne m’est permis sur le sujet, alors je continue de feinter une naïveté qui n’est pas la mienne. « Peut-être avec une autre chemise. » Sourire taquin qui vient étirer mes lèvres. Si je continuais, il allait vraiment finir par penser qu’il y avait un problème avec, le pauvre. « Il n’est peut-être pas intéressé ? Ou alors, peut-être que d’autres lui ont fait une meilleure offre ? » La tentation de lui dire de lâcher l’affaire est présente, mais maîtrisée. Et rapidement, les affaires qu’il pouvait envisager avec mon jumeau ne semblent plus être sa priorité. « Ce n’est pas impossible. Après tout, la chance nous a bien réunis ici par trois fois. Quoique j’aimerais bien qu’on arrête de me poser des lapins aussi. » Rire cristallin qui s’échappe de mes lèvres, j’invente une fausse excuse qui justifie ma présence solitaire en ces lieux qui ne reflète en rien la réalité.

Sa question me fait hésiter une brève seconde. Maintenant que j’avais les informations que je voulais, je pourrais m’arrêter là et trouver une excuse pour partir, mais il faut avouer que sa présence ne m’est pas désagréable. Alors je hoche légèrement la tête. « Je peux bien rester boire un second verre avec vous. Après tout, je suis venue vous rejoindre pour cela ! » J’annonce mon envie à la demoiselle face à nous, espérant que ni elle ni personne d’autre ne commettrait d’impair sur ma véritable identité en prenant ma commande. Ou que mon double viendrait en faire une scène.

@William Bennett | D’en d’autres circonstances, j’aurais salué son approche auprès de Jewell, son ambition. C’était un beau projet, sûrement prometteur, malheureusement pour lui, ici,  il était voué à l’échec. Jewell ne prendrait jamais le risque de s’associer à qui que ce soit qui ne soit pas l’un d’entre nous. Pas avec tout ce que l’on cachait ici, pas avec tout ce qui allait à l’encontre des lois de notre pays, pas avec toute l’illégalité que respiraient certaines pièces dissimulées sous nos pieds. Non, les risques seraient trop grands, même si la personne prétendait vouloir faire partie de ce monde, même si elle se prétendait de confiance. Surtout si elle se prétendait de confiance. Ceux qui le clamaient trop fort étaient bien souvent de ceux dont il fallait le plus se méfier. Et c’était pour ces raisons que nous faisions le premier pas vers ceux avec qui nous voulions travailler, et que nous faisions très rarement, pour ne pas dire jamais, l’inverse. Avoir toutes les cartes en mains pour assurer notre suprématie et notre protection, c’était comme cela que nous fonctionnions. Alors non, Jewell ne se laissait pas désirer. Dans d’autres circonstances, c’était bien son genre, même si je savais mon frère plutôt impulsif, mais là, que ce soit aujourd’hui ou dans un mois, la réponse resterait la même : non. « Peut-être. Il faut dire qu’il a l’air jeune, et généralement, ça nous plait bien. » Je continue malgré tout de feinter, de me mettre à la place de n’importe quelle cliente, tenant des propos que je sais faux, mais nécessaire pour garder ma couverture.

Une serveuse arrive pour prendre nos commandes, tandis que j’accepte un second verre en sa compagnie. Je n’avais pas d’impératif ce soir, alors autant en profiter. Mon regard se pose sur lui, intriguée par sa carrure qui se dévoile un peu plus maintenant que son veston est ouvert. Bon, d’accord, c’était un peu superficiel, mais il n’y avait pas d’interdit à admirer les beaux garçons. Pourtant, mon attention est vite détournée par un badge suspendu contre son corps. Je n’ai pas le temps de bien l’apercevoir, mais je reconnais sans problème l’insigne d’une agence gouvernementale. Le cœur commence à s’accélérer alors que je prends conscience qu’il m’a menti et n’est sûrement pas celui qu’il prétend depuis le début de notre conversation. Savait-il qui j’étais ? Que je lui avais menti également ? Etait-il là pour Jewell ? Pour enquêter sur ce qu’on trafiquait ici ? Cherchait-il à éclaircir certains points obscurs sur la disparition de Soan ? Les questions fusent dans mon esprit, mais aucune ne pourra trouver réponse si je venais à la poser franchement. Léger sourire pour me forcer à reprendre contenance alors les regards du jeune homme et de la serveuse sont posés sur moi. « Un mojito s’il vous plaît. » Et une excuse pour m’enfuir d’ici rapidement maintenant. Ce que je ne fais bien évidemment pas pour ne pas paraître suspecte.

Le regard se reporte sur lui, j’essaye de faire comme si je n’avais rien vu, répondant à sa question avec un sourire tout aussi naturel et charmeur que les précédents. « Hmmm ! Je pense que je partirais en vacances ! Quelque part dans une destination de rêve avec quelques copines ! Oooh ! Ca serait si cool ! Ou faire un tour du monde ! » Réponse de l'effrontée moderne. En réalité, cet argent, je le possédais déjà sur divers comptes, et pourtant, il dormait sagement le temps que son utilisation se révèle pertinente. L’argent n’avait jamais manqué depuis que l’on était des Kaine, mais il n’était pas question non plus de le dilapider n’importe comment, encore moins avec les dangers pris pour l’obtenir. Mais ça, William ne devait pas le savoir. « Et vous ? Vous aussi vous feriez le tour du monde n’est-ce pas ? Ca vous ressemblerait. Ou vous achèteriez une vieille maison que vous retaperiez vous même. » J’essaye de garder ce ton d’insouciance dans ma voix, dans mon attitude, mais quelque part, ça ne me semblait pas être une image complètement fausse de lui. Et qu’elle le soit ou non, sa réponse me permettrait de le cerner toujours un peu plus.

HJ: