Ok, ok, j'ai compris. Toi tu livres les sapins, point. Elle t’juges et tu détestes ça putain. Mais est-ce que t’avais le droit d’te plaindre, toi le gars qui ne vivait que de sarcasme et de moqueries ? Ouais. Tu hoches la tête, la cigarette fumante au bout des lèvres. Michelle fouille dans ses poches, sors son paquet et.. Je vais devoir passer au tabac... Tes lèvres qui s’étirent à nouveau. C’est con. Ah et n’y penses même pas, j’suis encore moins taxi que livreur de sapins. Tes épaules qui s’agitent secouées par un léger rire. Tu termines ta clope, écrasant le mégot au sol en lui demandant la suite du programme. Des vieux ? On peut faire un petit tour des maisons de retraite. Tu lèves les yeux au ciel. Vous pouviez pas livrer des bars, des clubs de strip-tease, des trucs fun putain ? Allons chez les p’tits vieux qui puent la soupe. Tu fais semblant de te réjouir en agitant les mains avant de regagner la camionnette. Tu reprends la route dans un silence des plus lourd, les décorations de Noël illuminent la ville. Tu fais quoi après Noël ? Vendeur de galettes à la frangipane ? Joli, bien lancé, t’apprécie. Tu souris en coin, tournant la tête vers elle. Ca s’pourrait bien. Et vendeur de roses en février. Et en mars j’dégage d’ici. Bon plan non ? En vrai tu n’avais aucune idée de ce qui t’attendais après ce p’tit boulot qui te prenait ton mois de décembre. Levi était repartie et t’avais plus rien qui t’attendait au garage. Et n’ayant aucun diplôme, aucune spécialité.. y’a pas grand monde qui t’donnait ta chance. Alors ce serait certainement la rue, entre jongles et percussion.

Votre tournée continue et vous livrez différents hôpitaux, maisons de retraite, une SPA et t’as même réussi à la convaincre de déposer l’avant dernier dans le club de strip tease de la ville, homme heureux. Finalement, la Michelle est pas si chiante. Elle est pire. Non, tu plaisantes. Lol. xD. Ptdr. Je divague, ahm. La portière claque une dernière fois quand tu déposes la métisse devant la Cabot House. Tu fais l’tour de la voiture et sors une clope de ton paquet, la glisse entre tes lèvres et l’allumes. C’est bon, arrête de m’regarder comme ça. que tu soupires en lui tendant le paquet ouvert, lui offrant finalement un sourire chaleureux. Un vrai sourire, pas ce sourire de con. En fait, t’as passé une bonne soirée, c’était assez sympa de jouer les livreurs de sapin et d’emmerder la Cabot à longueur de temps. Et toi au fait ? Cabot, Harvard.. tu comptes pas devenir vendeuses de parfums j’imagine ?

Me faire tourner en bourrique, une passion de vie. N'empêche, j'me prends au jeu, lui rends la pareille du mieux que je peux. J'me laisse même traîner au Nirvana pour une livraison express, il est dingue ce gars. La soirée passe en un éclair. Neuf heures, j'suis devant la Cabot. Plus qu'un sapin, j'ai tenu à en garder un, faire la surprise aux filles. Puis c'est un sapin de compet, qui ne perd pas ses épines, qui garde sa joli couleur verte très longtemps et c’est bonne odeur de Noël garantie dans toute la Cabot. J'ai retenu le topo. J'pensais qu'il me jetterait sur le trottoir, l'arbre dans les bras et puis hasta la vista. Mais non. Il m'adore en fait. Yann descend de sa camionnette, s'allume une cigarette. "C’est bon, arrête de m’regarder comme ça." Il m'en offre une, avec un sourire, un vrai, carrément. Je viens lui en chiper une, l'allume avec son briquet et viens la glisser entre mes lèvres. Je tousse plus, qu'il admire les progrès. "Merci." Je souffle la fumée par le coin de mes lèvres, tapote le bout de ma clope pour faire tomber les premières cendres. "Et toi au fait ? Cabot, Harvard.. tu comptes pas devenir vendeuses de parfums j’imagine ?" Je souris, secoue la tête. "Avocate, comme papa et maman." Petit rire jaune. Je regarde mes baskets. Fin, mes notes sont un peu en chute libre depuis que je déraille un peu. Rentrée difficile, faut croire que je suis pas la miss parfaite que je pensais être. "Tu sais je pourrais peut-être t'aider un peu, à trouver un boulot après les sapins, je sais pas, tu pourrais faire de la vente, t'as la répartie qu'il faut." Enfin, j'dis ça... Pour faire quoi que ce soit aujourd'hui faut un diplôme, un beau diplôme. "Tu l'pensais vraiment quand tu disais que tu partirais ?" J'sais pas, je m'étais dit que je m'étais peut-être trouvé un... ami ? Non, pas un ami, pas le mot approprié pour ce blondinet au sourire de con. Mais j'sais pas, quelqu'un avec qui déconner un peu quand j'en peux plus des bons sentiments, des bonnes manières et des sourires conciliants. "T'as pas trouvé une jolie fille qui te donne envie de rester ?" J'exhale de nouveau, vers mes pieds. Avec la gueule qu'il a, charmer des jolies filles ça devait être dans ses cordes, non ?

Avocate, comme papa et maman. Tu siffles, ce genre de sifflement qui se veut faussement épaté. Fille de riche, ça explique qu’elle réussisse à claquer autant de pognon sans vraiment se poser de question. La vie n’était pas la même pour tous, putain. Eh beh. Maître Michelle. Tu ris doucement en arquant tes sourcils. Tu sais je pourrais peut-être t'aider un peu, à trouver un boulot après les sapins, je sais pas, tu pourrais faire de la vente, t'as la répartie qu'il faut. Elle te propose son aide, c’est charmant. Mais tu fais pas dans l’sentiment, t’as pas envie qu’on t’aide. Tu veux te démerder seul, pas envie d’être un assisté, le gars qui compte sur les autres pour s’en sortir. Putain, ça jamais. T’inquiète Michelle, occupes-toi de tes études d’avocate et continue de m’acheter des sapins au lieu de penser à c’que je ferais après. Un clin d’œil. Tu t’en étais toujours sortie, ça changerait pas maintenant. Tu l'pensais vraiment quand tu disais que tu partirais ? Retour du sourire en coin. Ouais. Et tu craches la fumée qui t’avais rempli les poumons. La question c’était quand est-ce que tu partirais ? T’en as aucune idée pour l’instant, surement plus tôt que prévu si tu trouvais rien après tes sapins. Débuter 2019 sur un nouveau truc. T'as pas trouvé une jolie fille qui te donne envie de rester ? Oula, c’était surement pas près d’arriver ça. On dirait bien qu’non. Pourtant c’est pas les jolies filles qui manquent, crois moi. Putain, ouais. Et tu souris comme un con en hauchant la tête, repensant aux quelques unes qui t’avaient vraiment marqué… littéralement. C’est ma vie, Michelle. Toi tu suis ta voie tracée pour devenir avocate et moi.. j’ère, ici et là. C’est comme ça. Ainsi va la vie.

Son sifflement mauvais. Ouais, ouais, j'imagine ce qu'il doit penser. L'iphone, les douze sapins, la doudoune de marque. La gamine pourrie gâtée. Je sais pas si je peux vraiment le contredire. Alors je fume en regardant mes basques. "Eh beh. Maître Michelle." Je relève la tête, un p'tit sourire, ça sonne bien. Puis ils manquent de couleur les avocats de Boston, que des blancs becs. "T’inquiète Michelle, occupe-toi de tes études d’avocate et continue de m’acheter des sapins au lieu de penser à c’que je ferai après." Très bien, j'vois le genre. Il veut pas d'aide, classique. Moi aussi on m'a mis cette idée dans la tête : demander de l'aide c'est pour les faibles, j'me demande aujourd'hui si c'est pas un peu con finalement. Il me lance un petit clin d'oeil, celui qui veut dire "je gère". Je hoche la tête en soufflant mon petit nuage de fumée. "On dirait bien qu’non. Pourtant c’est pas les jolies filles qui manquent, crois moi. Putain, ouais." Je hoche la tête avec un petit sourire. Je peux qu'approuver. Merde, je peux pas croire que je viens de me dire ça. "Ouais, pas ce qui manque." -"C’est ma vie, Michelle. Toi tu suis ta voie tracée pour devenir avocate et moi.. j’erre, ici et là. C’est comme ça." Je tire de nouveau sur ma cigarette, fait virevolter les cendres. "Carpe Diem." Petit rire léger, enfin, pas si léger que ça finalement. Petit rire qui traduit peut-être tout ce qui me pèse. "J'ai conscience que ça doit pas être facile tous les jours mais... j'sais pas, ça me fait un peu rêver j'imagine, la vie de bohème." Je secoue la tête dans un petit nuage de fumée, je replace mes cheveux derrière mon oreille, croise les bras. Mes pensées se condensent, un gros nuage en bazar, je m'y retrouve plus, je suis un peu perdue dans ma tête. "Je sais pas si j'veux vraiment être avocate. Peut-être plus le rêve de mes parents que le mien, tu comprends ? Et j'le sens, je m'éloigne toujours plus de la fille qu'il faudrait que je sois et d'un côté, ça me fait chier, de l'autre, je jubile." Est-ce que ça a un sens ce que je dis ? Je lève les yeux vers lui, un petit sourire en coin, je souffle. Je suis trop conne, à tous les coups il va juste esquisser son sourire de con, me sortir une vanne bien casée. Pourquoi je m'épanche sur lui déjà ? Lui tirer une larmichette en sortant les violons ? Normalement je parle de ça que quand j'ai bu, pourtant je crois bien que je suis parfaitement sobre. Bref. Je renifle, me passe rapidement la main sur le visage et jette mon mégot dans le cendrier, sur le porche. "Désolée, quand je suis fatiguée je parle trop." J'attrape le sapin posé contre la camionnette, le prends dans mes bras. Merci pour la soirée, c'était sympa.

Ouais, pas ce qui manque. Tu poses tes yeux sur la Mich. Ah ouais, t’es d’ce bord là ? Tu t’en serais pas douté, pourtant. Pas que ce soit un truc qui s’lit sur le visage d’habitude, ou ce genre de truc mais.. osef putain. Carpe Diem. Ton rire accompagne le sien lorsque tu regardes les cendres de ta clope s’écraser contre le bitume. Cette phrase qu’on te ressortait tout l’temps comme si tu vivais dans le bonheur à longueur de journée. Non mais putain, réveillez vous. Carpe Diem c’est pas ta vie, c’est pas ton état d’esprit. Tu vis pas chaque jour comme si c’était le dernier, loin d’toi cette idée. Tu vis, c’est tout. Parce que t’as pas vraiment d’autres options et que le suicide n’en ai pas spécialement une. J'ai conscience que ça doit pas être facile tous les jours mais... j'sais pas, ça me fait un peu rêver j'imagine, la vie de bohème. T’as rien à envier à ma vie. J’me pleins pas parce que c’est le choix que j’ai fait.. mais y’a eu des jours sans. Beaucoup trop. Des jours où tu dormais dans la rue, sous les ponts, Yann le SDF. Y’a ces jours où t’as du ranger des couilles et aller bouffer à la soupe populaire. D’autres où tu t’es fait défoncé pour quelques grammes de shit que t’avais pas réussi à payer. Non, vraiment, qui pouvait rêver de ta vie ? Je sais pas si j'veux vraiment être avocate. Peut-être plus le rêve de mes parents que le mien, tu comprends ? Et j'le sens, je m'éloigne toujours plus de la fille qu'il faudrait que je sois et d'un côté, ça me fait chier, de l'autre, je jubile. T’imagines que ouais, tu peux comprendre, même si c’est un truc qui t’étais jamais arrivé. Tes parents n’avaient jamais rêvé d’un avenir tracé pour toi, non, ils rêvaient simplement du meilleur. Ton père t’avait toujours poussé à suivre tes rêves, à faire un truc qui t’plaisait vraiment. Mais il était mort, alors à quoi bon.. Tu pensais rarement à ton père. Toujours en fait, mais t’évitais d’le faire consciemment, ça t’rendait fou, t’avais toujours pas fait ton deuil de toute cette histoire. C’est con pour un grand gaillard comme toi, pas vrai ? Les dents serrés, tu hoches la tête, sans dire un mot. Le silence. Désolée, quand je suis fatiguée je parle trop. Et tu la regardes prendre son sapin et marcher en direction de la grande bâtisse qu’est la Cabot House. Elle s’éloigne, monte les quelques marches qui mènent à l’entrée et tu la rattrape, la tête vide de toute connerie. Michelle, attends. Tu récupères le sapin et le porte à ton épaule. J’assume la livraison de mes sapins jusqu’au bout, ok ? Sourire au coin des lèvres. Et de ta main libre, t’ouvres la porte de la sororité. Putain, il est où le rose bonbon, les fleurs partout et cette odeur de fille ? Le cliché à l’état pur. Tu laisses tomber le sapin sur sa buchette quelques pas après l’entrée et tourne la tête vers la métisse. C’est quoi ton rêve alors ? Pas celui d’tes parents, le tient ? que tu lui demandes en faisant référence à ces mots échangés contre la camionette.

"T’as rien à envier à ma vie. J’me plains pas parce que c’est le choix que j’ai fait.. mais y’a eu des jours sans." Je lève mes yeux vers lui, essaie d'imaginer ce à quoi ça pouvait ressembler, un jour sans. A trembler de froid, à dormir par terre, à se battre pour vivre. Je hoche la tête. Ma vie est à des années lumière de ça, l'opposé peut-être. Et je rêve parfois de m'en échapper. Est-il possible de vivre misérable dans l'oppulance ? J'sais pas. Fin, j'veux pas l'assomer avec toutes mes pensées en vrac, faudrait que je m'achète un journal intime, que je puisse me lamenter sans faire chier personne. Je lui fais un petit signe de la main, me saisis du sapin et fais quelques pas difficilement. J'ai beau être sportive, ça pèse un âne mort. "Michelle, attends." Il enjambe les marches du perron et vient prendre le sapin sur son épaule. "J’assume la livraison de mes sapins jusqu’au bout, ok ?" Je souris. "Mais quelle conscience professionnelle !" Allez, j'fais pas la maligne, ça me fait vraiment plaisir. Finalement, il est plus un preux chevalier que ce qu'il laisse penser. Je passe la porte sur ses talons, arf du chaud. "Putain, il est où le rose bonbon, les fleurs partout et cette odeur de fille ?" Je hausse les épaules en riant. "L'odeur de fille ?" Je demande en gloussant alors qu'il pose le sapin dans l'entrée. Il sera parfait ici ! Faudrait que je glisse à Arizona que c'est de ma part, que j'me fasse bien voir de la présidente. "C’est quoi ton rêve alors ? Pas celui d’tes parents, le tien ?" Je détourne le regard, fixe le sapin en haussant les épaules. Pour rêver faut du courage, l'audace de pas accepter le chemin que tout le monde s'attend à ce que tu prennes, se voir autrement. J'suis pas encore là. "Devenir une pop star ?" Je ris en secouant la tête. Je chante bien, ça m'amuse trois secondes. Mais ça n'a rien d'un rêve, c'est bidon. "Peut-être que j'veux juste être heureuse, c'est pas grandiose. Fin... On te laisse croire que c'est évident, mais ça l'est pas finalement. Trouver l'amour ?" La vie en rose, décomplexée, libre. Je relève les yeux vers lui, un petit sourire las. J'suis pas passionante comme fille, je ris fort, je souris beaucoup, mais finalement je suis qui ? "Et toi ? Ton rêve ?" Peut-être que t'auras des mots inspirants, qui me feront rêver moi aussi.

Tu lui fais la conversation alors que tu rêves de rentrer chez toi. Son rêve, qu’est-ce que tu t’en cognes pourtant. Devenir une pop star ? Tu arques un sourcil, t’es prêt à exploser de rire même. Sérieux ? SERIEUX ? Tu t’attendais à un truc.. d’adulte. Mais en fait, Mich’ c’est une gamine jusqu’au bout, avec des rêves de gamines. Pop star. Putain. Elle continue. Peut-être que j'veux juste être heureuse, c'est pas grandiose. Fin... On te laisse croire que c'est évident, mais ça l'est pas finalement. Trouver l'amour ? Etre heureuse, ouais. C’était quoi être heureux, finalement ? T’avais toujours pensé l’être quand t’étais mioche, et plus encore en grandissant. Et puis tout ça pour quoi ? Pour tomber de haut et s’étaler comme une merde en bas d’la chute ? Pour s’rendre compte que le bonheur c’est que de la merde et ça n’existe pas ? Un concept, ouais ! « Un bonheur n’arrive jamais seul », tu m’étonnes, il vient avec tout son lot d’emmerdes desquelles on se serait bien passé. C’est naïf. Et l’amour ? Mais putain, sors de ton compte de fée Michelle, ouvre les yeux. Ce monde de putes qui nous entoure.. tu l’as bien vu. C’est naïf, mais j’te souhaite d’y arriver ouais. réponds-tu avec un sourire au coin des lèvres alors qu’elle te retourne la question. Et toi ? Ton rêve ? Tu hausses les épaules. T’avais plus de rêve, plus d’objectif, plus rien depuis quatre ans. Tu vivais, simplement, sans savoir c’qui se passerait après. Petit, tu rêvais de devenir aussi fort et brave que ton père, tu rêvais de devenir quelqu’un d’aussi important qu’il l’était à tes yeux, tu voulais sauver des vies, tu voulais faire des choses bien. Aujourd’hui, ce p’tit garçon là n’existe plus et ces rêves d’enfants se sont envolés. J’en ai plus. Un sourire vide, tu hoches doucement la tête en haussant les épaules à nouveau. Bonne soirée, Michelle. souffles-tu doucement avant de quitter la Cabot House et grimper dans la voiture, là laissant là avec ce petit morceau de toi, l’homme sans rêve, sans rien.